Fausses pistes et comptes à rebours

Dans les deux derniers numéros [de See P.XX], nous avons examiné dans les grandes lignes la construction des scénarios d’enquête, en observant essentiellement comment les scènes interagissent entre elles (1). Cette fois, zoomons un peu et discutons de deux autres techniques narratives utilisables pour épicer le format classique du scénario d’enquête.

Fausses pistes

Du point de vue de l’investigateur, toute enquête peut être vue comme un ensemble de possibilités, et c’est à travers les questions, le travail sur le terrain, et la confrontation occasionnelle avec des dangers intéressants, que ce faisceau de possibilités converge finalement vers la vérité. C’est un processus d’élimination. Dans toute scène d’enquête, les personnages séparent ce qui aurait pu se passer de ce qui s’est réellement produit. Surtout dans les scènes d’ouverture d’un scénario, ils seront activement en train d’éliminer les suspects, les mobiles et les modes opératoires.

Du point de vue du joueur, ce sont les différentes possibilités en concurrence qui rendent un mystère intéressant.

Pour créer une énigme à résoudre, il faut d’abord décider de ce sur quoi les personnages vont enquêter : un meurtre, un vol, un kidnapping, une apparition mystérieuse, peu importe.

Les Meneurs de Jeu ont un avantage sur les auteurs de romans policiers. Bien souvent, ils n’ont pas besoin de créer de fausses pistes, car les joueurs les créent pour eux. Les joueurs adorent spéculer, générant fréquemment des explications complètement à côté de la plaque pour relier le peu d’informations dont ils disposent. Parfois, cela ralentit l’action et il vous faudra penser à les brider et leur suggérer de rassembler davantage d’éléments concrets avant de tenter de reconstituer les évènements.

Cependant, parfois, vous pourriez avoir envie de rajouter de la complexité à l’histoire, plutôt que d’en retirer.

Il y a deux manières de construire des fausses pistes dans vos aventures.

La première est de le planifier, au moment de la création du scénario. Après avoir défini ce qui s’est vraiment passé, regardez les faits et informations dont disposeront les investigateurs dans la première ou la deuxième scène. Partez de ces derniers et construisez des théories alternatives plausibles (mais fausses) à partir de ces indices. Puis, préparez les scènes où les investigateurs explorent ces pistes. Dans ces scènes, les indices qu’ils rassemblent éliminent les fausses hypothèses, leur permettant de revenir sur le bon chemin.

La deuxième méthode de génération de fausses pistes est improvisée, et se fait en réponse aux spéculations des joueurs. Les joueurs partiront souvent sur une théorie alternative de l’affaire, que vous n’auriez jamais imaginée de votre vie. Plutôt que de voir ces théories comme des nuisances à évacuer, capitalisez dessus. Inventez des preuves qui semblent aller dans le sens de leur théorie, les menant à des scènes où ils trouvent à la fin des preuves opposées qui les forcent à revoir leur copie et à se diriger vers la véritable solution de l’enquête (De rares MJ très flexibles peuvent décider que la théorie bizarre des joueurs est plus divertissante que celle que prévoit le scénario, et l’ajusteront pour que, rétroactivement, elle devienne vraie. Comme il est difficile de mettre au point une suite d’indices complètement étanche à la va-vite, cette méthode n’est préconisée qu’aux improvisateurs talentueux qui transpirent la logique narrative).

Qu’elle soit planifiée ou improvisée en cours de partie, la fausse piste devrait être soit extrêmement intéressante par elle-même, soit tellement ennuyeuse qu’on l’oubliera presque immédiatement. Dans le premier cas, la scène n’apporte rien à l’histoire et ne justifie par conséquent son moment de gloire que par le fait qu’elle soit divertissante et mémorable en elle-même. Inventez un personnage délirant. Décrivez un décor unique haut en couleurs. Glissez-y une satire sociale ou une référence à un sujet amusant. Parodiez vos amis absents ou un personnage public détestable.

Dans un univers merveilleux ou fantastique, vous pouvez utiliser une scène de fausse piste pour augmenter la crédibilité de votre univers. Faites-le en prenant une situation familière ou un type d’attitude et en réutilisant cet élément au sein de votre univers décalé. Dans la procédure policière d’un univers de super-héros, vous pouvez par exemple faire que le groupe rencontre un citoyen en colère qui demande comment récupérer le numéro d’assurance du vengeur masqué qui a démoli sa voiture en l’utilisant comme arme contre un dangereux mutant.

Les fausses pistes peuvent également se justifier quand elles montrent les thèmes et images de votre histoire sous un autre angle. D’abord, il vous faut définir les thèmes et images du scénario, si ce n’est pas déjà fait. Ces derniers sont souvent inhérents au crime lui-même. Le crime sous-jacent derrière le scénario Opération Abattoir qui sert d’exemple dans Esoterroristes (grog) est un abus de pouvoir. Le scénario “Fear itself” dans le prochain supplément de Gumshoe horror, parle de la folie, et de la nature aléatoire de son déclenchement.

De bonnes scènes de fausses pistes devraient jeter un nouvel éclairage sur ces thèmes. Si le thème du scénario est l’abus de pouvoir, les joueurs pourraient rencontrer un témoin (qui s’avère ne rien connaître du tout) mais qui a été victime des combines de hauts officiels. Ou alors un gars qui préfère que le gouvernement soit corrompu.

Vous pouvez aussi trouver une inspiration imagée pour vos scènes de fausses pistes. Si la majeure partie du scénario se déroule dans une forêt, une scène de fausse piste pourrait être illustrée par des images de végétation sauvage. La scène peut emmener les joueurs jusqu’à un abri de chasseur dont les murs seront recouverts d’animaux empaillés. Ou bien à l’intérieur d’une serre, où une frêle femme qui n’a rien vu, investit toute son énergie dans sa précieuse forêt de plantes rares.

Comptes à rebours

Bien que le système Gumshoe s’assure que les joueurs disposent de tous les outils nécessaires pour résoudre le mystère – à condition qu’ils regardent aux bons endroits (2) – cela ne leur garantit en aucun cas le succès. Comme nous l’avions dit la dernière fois, ils peuvent être la proie de tout un tas d’évènements perturbateurs, qui peuvent les empêcher de franchir la ligne d’arrivée.

Parfois, la ligne d’arrivée elle-même peut être un événement perturbateur. Utilisez une astuce classique du suspense narratif en mettant une limite de temps pour les personnages. S’ils n’arrivent pas à résoudre l’énigme dans le temps T imparti, quelque chose d’horrible se produit. Une bombe explose. Un captif enterré vivant manque d’oxygène. Un innocent est exécuté.

L’utilisation du compte à rebours nécessite que vous suiviez de près le temps qui s’écoule en jeu, plus encore que dans le scénario d’investigation type. Quand les joueurs discutent de ce qu’ils vont faire, vous devez regarder votre montre pour savoir combien de temps réel ils utilisent. Pendant les séquences d’action et les ellipses entre les scènes, vous évaluerez le temps de jeu fictif, et l’ajouterez au total.

Les intrigues compte à rebours ne fonctionnent que lorsque les joueurs savent qu’ils ont une deadline. Elles peuvent aussi créer des problèmes de minutage épineux : par exemple, ces intrigues perdent en intensité si elles s’étalent sur plusieurs séances. Les groupes occasionnels qui préfèrent un rythme plus tranquille avec du temps pour discuter peuvent battre de l’aile ou se rebeller si vous leur mettez la pression de cette manière.

Par contre, pour un groupe fidèle de fins limiers, rien ne fait mieux monter l’adrénaline que le bon vieux compte à rebours omniprésent.

Article original : Red Herrings and Ticking Clocks

(1) NdT : Excusez-moi, je dois y aller ptgptb. [Retour]

(2) NdT : Dans Gumshoe/Detective, les indices sont automatiquement trouvés, évitant ainsi les scénarios qui s’enlisent pour un jet de dé raté. Les résultats des dés déterminent la qualité de l’information. [Retour]

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Commentaires

Merci pour cet article. 

Pour ma part, j'ai longtemps maîtrisé du Biohazard RPG dans pas mal de groupes (5). 

L'un des scénars que j'avais mis en place se déroulait justement dans le cadre d'un ultimatum, sauf que j'avais été trop généreux par rapport au temps accordé au PJ ! Il faut dire que ce soir-là, je n'avais pas eu de chance aux dés donc ça les a grandement aidés. 

Une autre fois, pour Final Fantasy RPG, un passage dans un scénar devait s'effectuer en temps imparti. Manque de chance, l'un des PJ en a profité pour faire des digressions; ça a tellement faussé le compte à rebours que j'ai du le réinitialiser 2 fois; et même en indiquant au joueur "attention, le temps s'écoule, tu vas rater ta mission", il ne m'a pas écouté. Je n'ai pas eu envie de pénaliser tout le groupe à cause de cette brebis galeuse, donc j'ai quand même annoncé que la mission avait été un succès. 

Théoriquement, le compte à rebours ou le temps limité devrait permettre de focaliser les PJ sur ce qu'il y a à faire et leur mettre un peu la pression. Quand on a un joueur qui ne respecte pas cette convention, tout l'effet dramatique et toute la tension font un bide et c'est fort dommage. 

En dehors d'un compte à rebours limité à quelques minutes ou quelques heures, on peut aussi fixer des dates butoir dans ces scénarii de jdr ! Avec ce genre de contexte, les digressions de joueurs se sentiraient moins, je pense. A tester. Je parle bien d'une date butoir en temps de jeu, pas dans le calendrier normal / civil. Exemple : "Dans 10 jours, vous devez avoir ramené la coupe de la Flamme à l'ensorceleuse pour qu'elle puisse chasser le démon" : admettons que le groupe de PJ progresse à hauteur de 2 jours de jeu par séance, cela veut dire que dans 5 séances cette quête doit être accomplie, indépendemment du fait que le groupe se réunit 1 fois par mois...

Auteur : 
chrys

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