Le pire jeu de rôle jamais écrit ?
© 1999 Jonny Nexus
Gare aux cyborgs !
Alors que vous commencez à lire cet article, vous vous demandez probablement si je peux réellement justifier son titre. Le pire ? Est-ce vraiment honnête ? Bien sûr que non, mais si j’avais appelé l’article “Un jeu de rôle plutôt nul auquel j’ai joué le mois dernier”, auriez-vous vraiment cliqué sur le lien ?
Vraiment ? Mon Dieu ! Vous êtes plus navrant que ce que je pensais ! :-)
Alors quel est ce jeu de rôle cauchemardesque auquel nous avons si imprudemment joué ?
Son nom est Cyborg Commando.
Cyborg Commando ?
Oui, Cyborg Commando ! Ça vous pose un problème ?
Cyborg Commando a été publié entre la moitié et la fin des années 80 et comprenait parmi ses auteurs Gary Gygax (le créateur de D&D et, sans doute, du jeu de rôle lui-même). On dit que même les légendes peuvent avoir des jours sans. Je pense que Gygax doit avoir eu une année sans.
Le jeu est simplement le fantasme de pouvoir d’un jeune de 13 ans. Vous jouez un cyborg sacrément grand doté d’une force obscène et d’un large arsenal embarqué. Vous avez un ordinateur dans votre poitrine (il est à la fois numérique et analogique – ce qui m’a complètement déconcerté).
Et le truc génial est – écoutez ça – que vous avez un kit d’outils portable avec des outils sympas comme des perceuses et des trucs que vous pouvez visser au bout de votre bras !
Bon, c’est un peu ringard… À quoi ressemble le système ?
Le système
En fait, le système a des points intéressants. Le mécanisme de base du lancer de dés est le D10X. Cela signifie que vous lancez deux dés à dix faces et les multipliez ensemble. Ça donne une courbe de probabilité intéressante (un ensemble de 1 à 100, avec la majorité des résultats regroupés dans le tiers inférieur) et évite les problèmes de devoir “choisir quel dé représente les dizaines.”
Eh oui Bubba, je n’ai pas oublié ta réponse tristement célèbre de “Cela n’a pas d’importance” lorsqu’on t’a demandé ça à la moitié de la session.
Métrique vs Anglais (Impérial)
Le point des règles qui nous a fait le plus rire est la manière dont elles gèrent différents systèmes de mesure. Elles vous permettent d’utiliser soit le système métrique soit le système “Anglais” (que nous autres Anglais appelons de manière troublante Impérial).
Cependant, les règles de création des personnages utilisent des approximations extrêmes, sans doute pour rendre les calculs plus simples. Si seulement un seul système avait été utilisé il n’y aurait pas de problème, mais avec deux…
Ça donne quelque chose comme ça (de mémoire, donc je pourrais me tromper sur certains détails) :
Vous pouvez soulever soit votre force x100 en livres soit votre force x50 en kilogrammes.
Donc si vous utilisez le système Anglais, un cyborg avec une force de 20 pourrait soulever 2000 livres, mais si vous utilisiez le système métrique, il ou elle pourrait soulever 1000 kilogrammes (ce qui fait à peu près 2200 livres). On retrouve cela dans tout le système, de la vitesse de course à la distance de jet.
Je sais quel système je choisirais.
Plus tard, lors de notre premier scénario, nous devions rejoindre une base au Pôle Nord à la marche. Nous avions pensé – à tort comme cela s’avéra – qu’une équipe de cyborgs européens voulait l’atteindre avant nous. Bien sûr, cela a été le prétexte à nombre de blagues sur le fait qu’ils allaient y arriver en premier, car ils utilisaient le système métrique et marchaient 1000 kilomètres par jour contre nos 914 kilomètres quotidiens.
Le jeu “Avancé”
Il y avait une option avancée, qui donnait une liste bien plus détaillée de compétences, parmi lesquelles – tenez-vous bien – le sexe !
Votre cerveau avait été retiré de votre corps et implanté dans le torse d’un corps robotique en métal. Pour quelle foutue raison pourriez-vous vouloir une compétence sexuelle ?
Et le scénario ?
Le scénario
Mauvais. Très Mauvais.
La chose la plus bizarre dans tout ça, c’est qu’il commençait par un texte dense de trois pages A4 (le “briefing”), que le MJ était censé lire aux joueurs et qui expliquait ce qui se passait avant que l’aventure commence. Ça dépassait la brève introduction – le texte décrivait ce qui aurait pu être une aventure complète en soi. Nous nous attendions tout du long à ce que le MJ (Général Tangente) arrête de lire et nous demande ce que nous voulions faire, mais il continuait simplement à lire (sa voix était plutôt enrouée à la fin).
Je pense qu’ici je peux tout aussi bien citer l’e-mail que j’ai envoyé à quelqu’un à l’époque:
“Le scénario a commencé avec un monologue de trois pages (durant à peu près dix minutes) qui décrivait comment nos cyborgs étaient briefés à San Francisco à propos d’une bombe ou d’un astéroïde qui avait détruit une base au Pôle Sud, étaient témoins d’une dispute entre le major de briefing et un ami PNJ de notre équipe, partaient pour l’Amérique du Sud en avion, s’écrasaient en Bolivie, marchaient jusqu’au Cap Horn, puis au fond de l’Océan Austral, puis de la côte Antarctique au Pôle Sud, rencontraient d’autres cyborgs une fois là-bas, acceptaient de travailler avec eux, inspectaient les décombres et découvraient qu’en fait ça avait été une bombe nucléaire, revenaient à pied en passant par le fond de l’Océan Austral jusqu’en Amérique du Sud et découvraient qu’il y avait eu une invasion extraterrestre, parcouraient plusieurs villes et trouvaient les bases locales dévastées, trouvaient finalement une base quelque part au Mexique où un genre de militaire leur donnait des instructions d’aller quelque part en Californie du Sud où ils trouveraient des camions remplis de matériel essentiel qu’ils devraient escorter jusqu’à une nouvelle base qui était mise en place juste au sud de San Francisco, allaient à cet endroit et trouvaient les camions.”
Alors l’aventure a vraiment commencé. Je répète – tout ce qu’il y a ci-dessus n’était qu’un récit que le MJ devait lire. Ce qui a rendu la chose encore pire, c’était qu’après que le pauvre Général T ait lu la première section où notre commandant nous expliquait pourquoi nous étions envoyés en Antarctique, nous l’avons interrompu, notre raisonnement étant que nous devions planifier un peu. Nous avons alors passé à peu près une demi-heure à réfléchir à l’équipement, à sélectionner le matériel résistant au froid, les compteurs Geiger, les radios, etc.
“Pouvons-nous avoir un…
– Vous pouvez avoir tout ce que vous voulez.
– Pouvons-nous avoir un…
– Oui… Quoi que ce soit !”
Ce n’est que lorsqu’il lut l’entièreté de nos aventures au Pôle Sud que nous réalisâmes pourquoi Général Tangente s’était montré si grincheux et impatient lorsque nous rassemblions notre équipement.
L’aventure elle-même était bien moins intéressante que le briefing. À la base, nous devions conduire notre convoi de camions sur le Pacific Coast Highway. De temps à autre, un “rocher” se transformait en extraterrestre.
On nous avait prévenus que les extraterrestres ne savaient pas que nous arrivions (il ne leur est sans doute pas venu à l’esprit de prendre des images à partir d’un satellite). Nous devions donc nous assurer qu’aucun extraterrestre ne s’échapperait pour donner l’alerte.
En d’autres termes, conduire sur l’autoroute jusqu’à ce qu’un extraterrestre saute en face de nous. Sortir. Exploser le minable. Rentrer dans les camions et reprendre la conduite. Répéter jusqu’à l’ennui.
Nous avons abandonné après le troisième extraterrestre.
Que disiez-vous à propos d’une exécution ?
L’exécution
*Hum*. J’espérais que vous aviez oublié ça. Enfin…
C’est arrivé juste au début de l’aventure quand nous étions encore hébétés par le briefing. Bon, du moins c’est mon excuse, même si elle a l’air plutôt vaseuse maintenant. Seriez-vous prêts à croire que nous étions des rôlistes suivant la Méthode Stanislavski jouant des adolescents frustrés jouant des cyborgs ?
C’est ce que je pensais.
Voici ce qui est arrivé. Nous sommes arrivés en Californie du Sud au lieu indiqué, la maison d’un acteur de cinéma, où nous devions récupérer les camions. Là nous avons trouvé trois camions avec leurs chauffeurs. Alors que nous allions partir, une autre personne (un bandit quelconque) s’est faufilée dans un des camions laissés sans surveillance et a démarré.
Nos cyborgs se sont lancés immédiatement à sa poursuite, deux d’entre nous courant (à la Steve Austin), l’autre (peut-être) dans une jeep, et nous l’avons finalement rattrapé. L’un d’entre nous a soulevé l’arrière du camion pour l’arrêter, pendant que les autres sortaient le type de la cabine. Puis des coups de feu éclatèrent d’un des bas-côtés de la route. Nous supposions que c’était quelques-uns de ses complices et nous lui avons donc ordonné, un pistolet sur la tempe, de leur dire de lâcher leurs armes et de sortir de leur abri. Ce qu’ils ont fait.
Il s’est avéré que c’étaient des civils affamés (du moins c’est ce qu’ils disaient) qui avaient pensé que les camions contenaient de la nourriture. Je ne sais pas d’où est venue cette notion, mais l’idée fut émise qu’en tant que “traîtres”, qui avaient attaqué un convoi “militaire” transportant du ravitaillement “vital” pendant une période de “loi martiale”, la sentence appropriée était la mort.
J’ai demandé au MJ si je pouvais faire un jet d’intelligence pour voir si j’étais suffisamment stupide pour croire ça. J’ai lancé un 3 (sur 100). Apparemment, c’était le cas.
Voila où ça devient embarrassant
Nous avons donc réuni les trois types ensemble près de la route, leur avons donné des pelles et leur avons dit de commencer à creuser. Et eux, pauvres andouilles innocentes qu’ils étaient, ont plutôt joyeusement obéi, pensant qu’il s’agissait d’une sorte de travail d’intérêt général en punition. Finalement quand le trou fut assez profond, nous leur avons demandé d’y descendre et avons commencé à essayer les réglages de nos armes intégrées.
À ce moment, ils ont réalisé ce qui se passait et ont commencé à paniquer, plus ou moins. Un scénario gênant a été transformé en situation grotesque par le mécanisme du système d’initiative. L’ordre des actions était le suivant :
- Prisonnier A
- Nous, les trois cyborgs
- Prisonniers B et C
Aussi, pendant que le Prisonnier A courait désespérément vers la crête, et pendant que nous tirions au petit bonheur la chance, ses deux imbéciles de camarades se contentaient de rester silencieusement à nos côtés. Et bien sûr, en tant que nouveaux personnages, nous ne valions rien. Il nous fallut deux tours entiers, à nous trois, pour enfin réussir à l’abattre.
Après ça quand nous nous sommes tournés vers les deux autres, nous avions commencé à nous demander quel était l’effet des autres armes.
“Je vais essayer de tirer avec mon… pistolet micro-ondes.”
Ça pourrait être pire ?
Ouais.
Le dernier prisonnier a été abattu par une perceuse au travers de la tête.
Je sais. Ça fait vraiment nul. Mais il y a un dernier retournement de situation grotesque…
Des perceptions différentes
Vous savez tous comment le jeu de rôle fonctionne. Avec quelques mots bien choisis, le MJ tisse une image mentale d’un monde fictif, monde que tous les joueurs partagent.
Mais quelquefois ça foire. Après tout, le MJ ne fait qu’esquisser un cadre, c’est le joueur lui-même qui remplit les trous. Des fois, il ou elle fait des erreurs. Des fois le monde fictif, la carte mentale qu’un joueur construit, contient des différences significatives avec ce que le MJ décrivait. Ce qui était le cas ici.
Voici ce que moi (et les autres joueurs), nous avions visualisé pour nos persos.
Le camion volé disparaît en rugissant au loin. Nous lui courons après. Finalement nous le rattrapons et le stoppons. Nous sommes dans un paysage désert et vide, où la route sinueuse s’enfonce dans une profonde vallée comme nous en avons vu dans des milliers de films de cow-boys. De derrière des broussailles sur une des crêtes avoisinantes, les deux tireurs ouvrent le feu…
Cependant, ce n’était pas la vision correcte, un fait qui devint horriblement évident après l’exécution.
Nous : “Nous sommes trop gros pour rentrer dans la cabine du camion n’est-ce pas ? Donc ce qu’on va faire, c’est prendre la jeep et retourner à la maison, prendre un des conducteurs, le reconduire ici, et lui demander de ramener le camion.
MJ (perdu) : De quoi vous parlez ?
Nous : Nous avons besoin d’un conducteur pour ramener le camion !
MJ : Ramener où ? Vous n’êtes jamais allés nulle part !
Nous : Huh ?”
Il est apparu alors que le bandit n’avait parcouru qu’une demi-douzaine de mètres avant que nous stoppions le camion. La totalité de l’atroce exécution avait eu lieu devant les trois conducteurs et le fameux acteur de cinéma. En fait dans l’allée de la villa de l’acteur.
J’ai cette horrible image mentale d’un conducteur qui s’ennuie assis dans son camion en fumant une cigarette, regardant avec un vague intérêt alors que nous abattons des prisonniers dans le dos et perçons des trous dans les têtes de gens – juste devant lui.
Voici quelle a été notre expérience de Cyborg Commando. Vous pourriez dire que nous ne lui avons pas fait justice, mais je ne sais pas qui pourrait le faire. Si n’importe lequel d’entre vous a joué à ce jeu alors écrivez-nous s’il vous plaît. Nous adorerions savoir comment vous vous êtes débrouillés.
Ah Gary, si tu lis ça…
À quoi est-ce que tu pensais ?
Sélection de commentaires
Commentaire de Cazes
j’ai lu cet article en me marrant à chaque phrase. Mais sur le fond, je ne pouvais pas m’empêcher d’avoir du mal à voir en quoi le jeu est responsable de la catastrophe (si je fais exception de la conversion en système métrique et du scénario évidemment).
Commentaire d’Orichalque
Je ne suis pas fan d’histoires de cyborg, mais là ça me plaît beaucoup. Le commentaire précédent rejoint mon avis : généralement le même résultat est attendu quel que soit l’univers lorsque l’on a un MJ mou, suiviste et sans capacité de roleplay.
Et je dois confesser que je m’y connais en matière de ratage tant mes premiers essais en tant que MJ ont été catastrophiques… Je ne parle même pas de mes créations de système de jeu tellement bancal que leur évocation est encore l’occasion de fous rires plusieurs années après… D’où mon angoisse concernant le contenu de ce post : j’imaginais déjà un de mes joueurs révélant l’étendue de mon incompétence… Ouffff… Le MJ fou peut continuer à œuvrer dans l’ombre.
Article original : The Worst Roleplaying Game Ever Written?
Pour aller plus loin…
Cet article est regroupé avec d'autres autour du système de jeu des JdR dans l'ebook n°14 : Le système, cet important.
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