Exilées dans l’indé, mais sans aucun regret
Je sais que dans le billet précédent, j'avais dit que j'aimerais bien écrire quelque chose sur la création de JdR, mais je constate que DriveThruRPG a décidé de m'obliger (absolument, m'obliger !) à écrire un article sur comment le JdR indé, et n’importe quel type de création indé de manière générale (par exemple la fiction dont je parle aussi un peu de temps en temps) est une barrière contre le fascisme qui menace nos passe-temps. Nous sommes la résistance contre les chrétiens fondamentalistes (1). Nous sommes des petites mains luttant contre des tonnes de propagande « centriste » qui refuse de prendre position dans notre milieu rôliste. C'est nous qui faisons en sorte que notre culture ne tombe pas aux mains de sombres merdes.
L'indé a toujours été un milieu plus petit, plus marginal, où nous pouvons laisser libre cours à notre prose et où personne ne peut nous dire : « C'est quand même trop gay, ça. Les héros ne pourraient pas être hétéros ? »
Ça m'est arrivé une fois chez un éditeur. Parce que bien sûr, les éditeurs (et je parle des gros poissons, aussi bien que des petits qui voudraient grossir) ne veulent pas de jeux qui soient trop explicites sur certains sujets. Du LGBTQIA+ ? D’accord, mais juste un peu. Parler de tuer des nazis ? OK, mais ne va pas trop loin. Critiquer le patriarcat ? Mets une blague féministe ou deux et ça ira.
Les éditeurs voudraient qu'on soit comme Brandon Sanderson : des hommes cisgenre hétéro blancs, tiédasses, qui ne prennent jamais position sur les sujets qui fâchent… Imaginez si Sanderson avait été une femme : ne diraient-ils pas que c‘est trop woke ? Bien sûr que si. Et si Abercrombie wiki était noir ? Pareil. Ils veulent juste que ce soit les mêmes qui gagnent encore et encore, et que rien ne change.
On a souvent pu constater que les petits éditeurs, ou les gens en auto-édition, sortent de meilleurs livres et de meilleurs jeux. Mais du coup, pourquoi ce sont les grands auteurs qui deviennent célèbres ? Eh bien, parce qu'ils sont tiédasses. Nous, on parle explicitement de la montée du fascisme et du génocide à Gaza wiki. Pas eux. Au mieux mettent-ils un personnage secondaire qui est homo et basta.

Je pourrais continuer à vomir ma bile contre les grands éditeurs et leurs auteurs, mais à quoi bon ? On sait bien comment sont les entreprises et ce qu'elles veulent : gagner de l'argent. C’est très malin, parce que pendant que les fachos (homophobes, racistes, misogynes et autres) consomment uniquement leurs produits à eux, nous autres (je m'inclus dedans), on consomme [les nôtres mais] aussi les leurs. On regarde leurs séries, on lit leurs livres et on joue à leurs trucs. On ne peut pas y échapper. Ne jouez-vous pas à l'Appel de Chtulhu ? Ne lisez-vous pas Sanderson ? Ne regardez-vous pas de séries produites par de sombres connards ? (2) Malheureusement, c'est ça la réalité.
On y est obligé-es parce que l’industrie de tous les divertissements est accaparée par ces gens-là. On tombe dans le panneau sans s’en apercevoir.
Laissons donc là les insultes très subtiles envers les entreprises et les éditeurs. Je vais expliquer pourquoi nous sommes la résistance et pourquoi nous devons consommer nos propres productions, même si je pense que c’est évident. Mais je veux vous donner des exemples, expliquer à quel point l’indé est plus qu’un passe-temps : l’indé, c’est politique.
Car c’est ici qu’on se retrouve toustes pour dire « Libérez la Palestine » ou « je crois qu’à l’avenir, demander à quelqu’un quel est son genre sera un concept obsolète et que plus personne n’y accordera cette importance binaire et transphobe. »
C’est vraiment facile à comprendre. Dès qu’on arrive sur itch.io et qu’on voit les bundle [des promos pour acheter moins cher plusieurs jeux au nom d’une cause à laquelle les dons sont reversés (NdT)] ou les game jam wiki, on comprend direct la tendance. Des bundle comme No ICE in L.A [Pas de police de l’immigration à Los Angeles] ou des jam comme F*ck capitalism [N*que le capitalisme] mettent la puce à l’oreille. Et n’allez pas croire qu’il n’y a que 5 pélos à y participer ; c’est rempli de gens qui donnent de l’argent, fournissent leurs jeux et donnent de la visibilité avec des commentaires, etc. C’est vraiment un autre monde. En règle générale, les auteurs connus, c’est toujours des hommes blancs hétéros. Alors que quand on regarde l’indé, on a des personnes non-binaires, des trans, des lesbiennes, des racisé-es ou des personnes en situation de handicap.
Ici, il y a des milliers de JdR qui parlent ouvertement de tabasser des nazis, d’être LGBTQIA+ ou d’abolir la colonisation. C’est dans cet univers qu’on trouve ce qu’on voudrait consommer, mais que les grands éditeurs ne veulent pas publier par peur ou par haine envers nous.
Ici, pas de pression pour remplacer quelque chose qui pourrait « ne pas plaire ». Ici, nous sommes totalement libres (3). Créez un JdR en une page, ou un jeu sur des chaussures cannibales, ou un jeu où on retourne dans le passé pour tuer Christophe Colomb wiki… Personne ne peut vous dire quoi faire ou non. Soyez libres de créer.

Capture d'écran de la page Itch.io de la jam « No Ice in California »
C’est pour cela qu’on ne doit pas laisser le fascisme infiltrer l’indé. Et l’IA est un cheval de Troie du fascisme (4). On ne peut pas la laisser passer. Ça pourrait m’inspirer un nouveau billet, mais je vais laisser de côté ce sujet là pour aujourd’hui. Je dirai juste que la créativité est une arme et qu’il faut l’utiliser. Si on la remplace par l’IA pour « faire mieux », on transforme l’indé en une corporation en croyant qu’elle sera meilleure et plus efficiente. Comme si on était pressé-es de créer ou qu’il y avait des pressions pour améliorer ses performances !
Il n’y a pas de chef-fes ou de juges. Tout ce qu’on fait ici, c’est par amour, pour entrevoir un monde nouveau, loin de celui dans lequel on vit et de celui que les éditeurs nous vendent.
C’est parce qu’il n’y a pas de juges ou qui que ce soit qui nous impose une façon de faire qu’on peut créer le monde qu’on aime ou qu’on appelle de nos vœux. Bien entendu, les fachos et leurs potes ont déjà le leur dans leur fiction, avec leurs films qui chantent les louanges des États-Unis, leurs livres à hétérosexualité normative, leurs JdR où on entre dans un donjon pour buter du gobelin sans réfléchir et sans poser de question. Mais, et nous ? Nous, on veut en finir avec tout ça, et comme on n’a pas l’argent pour le faire, tout ce qui nous reste c’est de nous battre à travers l’indé, depuis tout en bas. Parce qu’on n’a pas d’autre choix, parce que c’est notre place. C’est notre communauté.
Ici, nous sommes des non-binaires empêché-es d’écrire pour des gros éditeurs car trop politisé-es ; des meufs qui écrivent du grimdark wiki alors que « les femmes sont incapables de créer des scènes de mecs » ; des latinos qui écrivent du JdR indé parce que les éditeurs ne s'intéressent qu'aux blancs déjà riches ; des lesbiennes qui veulent écrire de la romance saphique alors que l’éditeur veut des hétéros. De gré ou de force, nous sommes ici.
C’est pour ça qu’on ne peut pas laisser passer ces sombres merdes. On nous a abandonné-es ici et on y est bien. On s’est installé-es et on ne va pas laisser une bande de salauds nous faire chier. La première étape, c’est de ne pas accepter l’IA. La suivante, c’est de ne pas tolérer celleux qui veulent nous expulser de partout… Ne les laissons pas nous prendre le peu qui nous reste. Que personne ne nous confisque cette liberté.
Voici notre barricade. Notre bataille. Nous sommes ici, et nous créons du JdR par et pour nous.
Article original : Nos han obligado a estar aquí, pero estamos bien
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