La Saga de CthulhuTech
© 2007 Matthew Grau
Beaucoup de gens disent que CthulhuTech grog est une arlésienne, un produit qui a été promis mais jamais livré. Puisque j’ai actuellement entre les mains le premier exemplaire imprimé et relié du livre de base, je peux vous assurer qu’il ne s’agit pas d’une arlésienne. Maintenant que le jeu est publié, laissez-moi vous raconter notre longue et sordide histoire, pour que vous puissiez comprendre notre incroyable épopée.
CthulhuTech fut un accident. Cela faisait plusieurs années que je n’avais pas créé de Jeu de Rôle. Mais comme tout professionnel du milieu le sait, les auteurs de jeux sont comme des toxicomanes – tôt ou tard, ils rechutent.
Un jour pluvieux à Seattle, je trainais avec mon ami Aron Anderson dans sa boutique de jeux et de BD, The Dreaming. Nous parlions comme d’habitude de BD, de jeux et de films, et des inévitables tentacules lovecraftiens. Je regardais les figurines et les jouets qui décoraient la boutique quand une idée m’est venue. Personne n’avait jamais combiné l’horreur véritablement lovecraftienne avec les bons vieux mechas wiki de l’animation japonaise, alors je me suis écrié « J’ai trouvé ! On combine Lovecraft et les mechas, et on appelle ça … CthulhuTech (1) ».
Franchement, je trouvais l’idée assez bête. On s’est bien marrés. Et puis on s’est arrêtés et on a réfléchi un instant. Aron a pris un air bizarre et a dit : « Tu sais, c’est pas une mauvaise idée. Vois ce que tu peux faire avec. ». Ce que je n’ai pas mentionné jusqu’ici, c’est qu‘Aron faisait partie de Eos Press, une petite maison d’édition de JdR de Seattle, qui avait déjà publié le JdR Godlike grog [à l’époque où l’entreprise s’appelait encore Hobgoblynn Press (NdT)].
Je suis parti et les idées ont commencées à affluer. À la fin de la semaine, j’avais créé la base de l’univers et des règles et je les présentais à Aron. Il les a aimées, et nous avons commencé à parler d’une édition de CthulhuTech par Eos Press. Le plan original était de faire seulement deux bouquins, CthulhuTech et un supplément, chacun tenant sur 128 pages et à un prix assez bas pour favoriser un achat impulsif. J’ai appelé mon camarade de jeu et ami de longue date Fraser McKay pour lui soumettre l’idée et voir s’il voulait écrire pour le projet, et Aron m’a mis en contact avec Mike Vaillancourt qui s’occuperait de la direction artistique et des illustrations.
Le premier jet de CthulhuTech ne nous a pas pris beaucoup de temps. Néanmoins, quelque chose s’est produit en chemin. À mesure que nous avancions, nous nous sommes rendu compte que le projet prenait une ampleur que nous n’avions pas anticipé. Eos Press nous a demandé d’épaissir le manuel et d’ajouter le contenu sur lequel nous étions en train de travailler. Nous avons dû repousser la date de sortie initiale, CthulhuTech n’étant maintenant que le début d’une ligne de produits, avec un livre de base beaucoup plus massif.
À ce moment-là nous avions déjà créé plusieurs groupes de test et forums Internet, et nous avions déjà une communauté de fans. La plupart savait ce que nous étions en train de faire et étaient contents d’attendre, sur la foi de ce qu’iels avaient déjà vus. Puis nous avons rencontré notre premier gros obstacle.
Eos Press a obtenu la licence Weapons of the Gods grog, venue de Chine. A l’époque, Eos Press était une petite entreprise aux ressources limitées, et Weapons of the Gods était un produit issu d’une franchise établie ayant de nombreux fans. Après de longues conversations, nous avons décidé qu’il serait préférable que nous nous occupions nous-mêmes de CthulhuTech, et que nous laissions Eos Press consacrer leur temps, leurs efforts et leur argent à une licence qui serait un succès assuré. (Au passage, Weapons of the God était basé à l’origine sur Framewerk, le système de jeu que j’ai créé. On peut encore en voir des traces dans les règles actuelles du jeu).
Alors que nous étions partis pour concevoir un jeu sous contrat avec un éditeur, nous nous retrouvions à devoir publier le jeu nous-même. Nous pouvions gérer ça, mais nous avions besoin de quelqu’un d’autre pour s’occuper de la vente de la gamme. C’est alors qu’entre en scène Osseum Entertainment, dirigée par d’anciens employés de TSR et Wizards of the Coast, dont plusieurs que j’avais déjà croisé au cours de ma carrière. Ils étaient malins, au taquet, et funs en soirée. L’équipe de Osseum Entertainement nous a donné de précieux conseils et nous a beaucoup aidés. Nous pensions être proches de la sortie, seulement un an après la date prévue avec Eos Press. Les fans étaient encore de notre côté.
C’était sans compter le deuxième obstacle. Mike Vaillancourt était toujours en service actif dans la Marine. Celle-ci a décidé qu’il était grand temps qu’il parte en mission au Japon. Soudainement, notre concept artist et directeur artistique partit dans un pays étranger où il serait difficile de rester en contact, avec une connexion Internet peu fiable et très peu de temps à consacrer au projet. Cela a suffit à retarder la sortie de 6 mois.
Mike est revenu pile à temps pour être confronté au troisième obstacle – la faillite de Osseum Entertainment. Personne ne l’a vu venir, ou en tout cas personne ne nous a prévenu. Après des années de travail nous en étions revenus au point de départ d’un point de vue commercial. Nous avions un manuscrit, une pile de concept art, et aucun éditeur ni partenaire de vente/distribution. Cela nous a donné matière à réflexion.
Nous avons été forcés de prendre un an pour planifier ce que nous allions faire. Il y a eu beaucoup de réunions avec la SBA [Small Business Administration, une agence fédérale américaine qui aide les petites entreprises, notamment, à obtenir des prêts. (NDT)], des conversations sur nos finances, et une recherche d’autres partenaires commerciaux potentiels. Pendant ce temps, Mike est reparti en mission, et j’ai décidé que puisque nous avions le temps, je pourrais réécrire quasiment tout le livre de base, car je pensais que je pouvais faire mieux. En plus, j’ai déménagé de Seattle à Los Angeles. Et pourtant les fans continuaient à parler de nous. Beaucoup d’autres disaient des choses pas très sympas sur nous et CthulhuTech, mais iels en parlaient quand même, ce qui veut dire qu’il y avait toujours de l’intérêt. Quand je tapais « CthulhuTech » dans Google, j’étais étonné des résultats.
J’avais commencé à écrire ce qui deviendrait plus tard le supplémet Dark Passions, et j’avais des pages entières de notes qui formeraient plus tard la base de [un autre supplément] Vade Mecum. J’avais créé une méta-intrigue (2) complète, un calendrier de publication, et même le script pour l’épisode-pilote d’une série télé (mon métier principal est scénariste). Mais honnêtement, j’avais laissé tomber. Nous avions travaillé si longtemps et rencontré tant d’obstacles que je l’ai pris comme un signe que m’envoyait l’univers.
Et puis ça m’a frappé comme une tonne de briques. J’adorais cette propriété intellectuelle et je devais à mes partenaires et à nos fans de ressusciter CthulhuTech. Nous avons recommencé à en parler avec enthousiasme et nous avons redécidé de réaliser notre rêve.
Peu après, un événement très spécial s’est produit. Quelqu’un sur le forum rpg.net a qualifié CthulhuTech d’arlésienne. Mike Vaillancourt y est allé pour raconter tout ce qui nous était arrivé et où nous en étions, juste pour que les gens comprennent. Plusieurs jours après nous avons reçu un e-mail de la part de Matthew Sprange de Mongoose Publishing grog, nous disant en gros « il faut qu’on parle ». Quelques mois plus tard, nous avions un éditeur et CthulhuTech était revenu d’entre les morts.
Il fallait maintenant passer à la production. Il était grand temps d’investir beaucoup d’argent dans des illustrations, une couverture et une mise en page définitives. Et c’est le moment qu’a choisi le gouvernement pour renvoyer Mike au Japon. Soupir. Et puis j’ai rompu avec la copine avec laquelle je vivais, me privant de connexion Internet pendant deux mois. Tout ceci sans compter sur le fait que de nombreux illustrateurs freelance laissent tomber les petites boîtes comme la nôtre quand ils obtiennent un boulot dans un studio de jeu vidéo, et ce, peu importe le temps qu’il restait avant la date buttoir.
Tout cela nous amène à début 2007. Mike est revenu, Fraser gérait notre relation commerciale avec Mongoose Publishing, et je coordonnais la production. Nous avons très vite créé un site web (ce qui est tout une autre histoire) et de nouveaux forums de discussion. Subitement, nous avions des fans. Je n’arrivais pas à y croire. Des gens qui nous suivaient depuis des années, mais aussi des nouveaux venus qui venaient de découvrir le jeu, discutaient sur nos forums. C’est ce moment qui m’a fait comprendre que nous avions fait le bon choix en persévérant malgré tous les obstacles pour mettre CthulhuTech entre les mains de notre public. Après tout ce temps, il y avait toujours des gens qui attendaient et qui étaient toujours enthousiastes.
Et voilà où nous en sommes. La GenCon 2007 a été incroyable. Nous avons amené un exemplaire du bouquin qui était encore à l’imprimerie et avons fait jouer des démos sans nous arrêter. Nous avons rencontré plein de gens vraiment cools qui adorent CthulhuTech, qu’ils aient été là depuis le début, ou qu’ils viennent de le découvrir. Tous ceux qui sont venus nous parler sont partis avec le sourire et quelques marque-pages sympas pour qu’ils se souviennent de nous. Nous nous sommes démenés comme des diables pour avoir des versions finales pour la convention, mais nous avons rencontré un dernier obstacle – un problème d’imprimante.
Une note de la rédaction de Signs and Portents
Quand Matthew parle de « problèmes d’imprimante », c’est un euphémisme. Notre imprimante couleur a eu tous les problèmes possibles et imaginables. Notre imprimante a produit tous les bruits et grincements qu’une imprimante n’est pas censée faire. Tous les voyants d’alertes se sont allumés, parfois en même temps. Notre logiciel a refusé d’ouvrir CthulhuTech pour une raison qui reste un mystère complet. Mais nous avons triomphé ! Après de longues heures au téléphone, plusieurs visites de techniciens, deux rituels de magie noire, d’insondables bricolages de la part de Nick the Greek [alias Nick Robinson, un autre contributeur du magazine Signs & Portents (NdT)], et des jurons de la part d’un certain rédacteur en chef armé d’un tournevis, qui préfère rester anonyme, l’imprimante… a imprimé.
Tous ces problèmes sont réglés maintenant. Comme je l’ai dit précédemment, je tiens dans mes mains un exemplaire complètement imprimé et relié du livre de base. Le jeu existe vraiment. Il sera très prochainement disponible en magasin, si ce n’est pas déjà le cas quand ce magazine sera imprimé. Ce n’est plus une arlésienne.
Ce que j’aimerais vous faire comprendre, c’est que ce jeu est fait pour les fans. Nous avons rencontré bien des obstacles, le genre d’obstacles qui pousseraient la plupart des gens à abandonner et rentrer chez eux. Si j’étais le genre de personnes qui ne se soucient que d’elles-mêmes, j’aurais déjà laissé tomber et serais passé à autre chose. Mais à chaque fois que j'envisageais d’abandonner, je me suis souvenu et je me suis tourné vers toutes celles et ceux qui sont tombés amoureux du peu qu’iels avaient vu et attendaient encore CthulhuTech. C’est quelque chose de très puissant et qui ne peut pas être ignoré. J’ai hâte que vous ayiez tous et toutes le livre entre les mains, et j’ai hâte d’entendre toutes les folles aventures que vous vous créerez avec celui-ci.
Peu importe qui vous soyez, si vous aimez les JdR je vous invite à jeter un coup d‘œil à CthulhuTech. Et ne vous inquiétez pas, nous n’avons pas que le livre de base à vous proposer. Nous sommes en train de finir la production de Dark Passions, un sombre petit livre sur les cultes, et le manuscrit de Vade Mecum : the CthulhuTech Companion est quasiment fini. Je pense que maintenant que nous sommes lancés, nous sommes partis pour vivre une véritable aventure.
Bienvenue dans la Guerre des éons. C’est un plaisir de vous voir enfin.
Article original : The Saga of CthulhuTech, paru dans le magazine Signs & Portents n°51
(1) NdT : Le nom « CthulhuTech » fait référence à la série Robotech wiki, une série d’animation créée aux États-Unis dans les années 1980 en combinant trois séries japonaises n’ayant rien à voir entre elles (à part une science-fiction à base de gros robots et un style visuel vaguement similaire) : Super Dimension Fortress Macross, Southern Cross et Genesis Climber Mospeada. [Retour]
(2) NdT : Une méta-intrigue est une intrigue développée au fur et à mesure de la publication des suppléments d’une gamme. L’idée est de créer une espèce de feuilleton, les fans du jeu achetant des suppléments pour suivre l’évolution de l’univers et « connaitre la fin de l’histoire ». Cette pratique était très populaire dans les années 1990 et 2000, mais est rare de nos jours. Même les nouvelles éditions de JdR qui comportaient des méta-intrigues (comme Les Secret de la 7ème Mer ou Deadlands) ont laissé tomber. [Retour]
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