La Fondue Chinoise du GN

© 2022 Shuo Xiong, Ruoyu Wen, Mátyás Hartyándi

L’équipe d’un GN chinois. Photo de Shuo Xiong. L’image a été coupée.

Après une croissance explosive entre 2017 et 2022, la Chine est devenue le premier marché du GN dans le monde.

L’émergence des jeux pervasifs ⁽¹⁾ en Chine, le plus grand marché ludique du monde, fut rapide et radicale. Les exemples les plus populaires, les escape games et les jeux d’enquêtes policières appelés jubensha (剧本杀, meurtre scripté) ont rapidement conquis le cœur de la jeunesse chinoise.

Une courte histoire de la littérature policière chinoise

Les récits d’enquêtes chinois, tels que les gong’an, [un sous-genre de polar, populaire sous la dynastie Ming, où des magistrats mènent l’enquête (NdT)] fournissent à leurs lecteurs de l’horreur, du suspense et du mystère depuis longtemps, et ont créé les conditions propices à l’apparition des jeux d’enquête en Chine. Certaines sources indiquent que les jeux de déduction comme le Loup-Garou ^wiki existaient déjà dans la communauté ludique underground quand les escape games sont arrivés en Chine vers 2012.

Puis en 2013, la soirée enquête La Mort s’Habille de Blanc fut importée en Chine : certains y voient l’origine des jubensha ⁽²⁾. Peu après, un flux constant de « meurtres scriptés » originaux furent créés en Chine, comme par exemple une série inspirée de La Splendeur des Amberson ^wiki. Mais ils sont restés assez confidentiels jusqu’à ce que Mango TV diffuse Who’s the Murderer, une émission de télé-réalité sud-coréenne [dans laquelle les animateurs doivent résoudre une enquête criminelle fictive, en examinant des preuves et interrogeant des témoins (NdT)]. La jeunesse chinoise s’est alors passionnée pour ces célébrités jouant à des jubensha.

Durant la pandémie du Covid-19, les applications de jubensha en ligne sont devenues des formes d’interactions sociales et ludiques populaires. Sans contraintes d’espace et de temps, c’était un passe-temps pratique et efficace pour tromper l’ennui pendant les périodes de confinement.

En parallèle, le marché des escape games en pleine croissance a commencé à mêler les jubensha et les espaces immersifs. Au cours de leur première décennie d’existence, les escape games chinois sont devenus de plus en plus interactifs et technologiquement complexes en ajoutant des environnements soignés à grande échelle, des éléments narratifs, des rôles pour les joueurs, et des PNJ interprétés par des professionnels, tout en permettant aux joueurs d’influencer l’histoire et sa fin. Les jubensha grandeur-nature ont fini par ressembler énormément aux GN blockbusters d’Amérique du Nord et d’Europe du Nord, et sont devenus une pièce importante du puzzle due l'offre chinoise du divertissement.

Il existe une grande variété d’établissements de GN commercial en Chine. Photo par Shuo Xiong

Les Jubensha pour les nuls

Les jubensha en ligne et hors ligne sont très similaires dans leur exécution. Il est possible d’acheter des scénarios d’enquête pour jouer chez soi.

La plupart des scénarios tournent autour d’un meurtre, mais d’autres genres comme l’espionnage, la survie ou la comédie romantique gagnent en popularité. Les joueurs et joueuses choisissent (ou se voient assigner) un personnage possédant un historique détaillé. Le studio et les fonctionnalités de réalité augmentée ^wiki de l’application fournissent généralement des costumes authentiques. Un Maitre ou une Maitresse du jeu s’assure que tout se déroule sans accroc.

Un Jubensha repose généralement sur trois rôles : suspect, détective et véritable meurtrier.ère, qui peut avoir des complices. Certains scénarios complexes comportent même un personnage manipulateur tirant les ficelles.

• Les suspects innocents doivent se faire innocenter et accomplir leurs propres objectifs secondaires.

• Les détectives doivent mener l’enquête et trouver le ou la coupable.

• Les meurtriers ou meurtrières doivent faire porter le chapeau à quelqu’un et échapper aux soupçons des détectives.

Le secteur des jubensha emploie plus de 2000 scénaristes.

Des chandelles pour créer l’atmosphère. Photo par Jingyu.

Forme avancée

À Wuhan, Ruoyu Wen a fait l’expérience d'une forme plus complexe de jubensha, proche du Grandeur Nature. Il avait un thème inspiré de Dying Light ^wiki, un célébre jeu-vidéo de survie dans un monde post-apocalyptique. Le jeu avait lieu dans une mini-ville de deux étages, dans laquelle chaque PJ devait accomplir différentes missions liées à l’intrigue principale.

Durant « le jour », les joueureuses pouvaient parcourir la ville et recevoir des quêtes de personnages secondaires en échange d’eau et de nourriture. Ces ressources étaient gérées par smartphone et étaient nécessaires à la survie des personnages. Pendant la “nuit”, joueurs et joueuses devaient se cacher dans les maisons pour éviter les zombies.

Tout comme dans d’autres jeux en "monde ouvert", les joueureuses pouvaient discuter et interagir librement entre eux et elles et les PNJ. L’environnement immersif (uniformes, effets sonores, acteurs incarnant des PNJ, et décors) produisait une expérience de jeu authentique.

Jouer avec des « étrangers » plutôt qu’avec des « connaissances »

En apparence, les jubensha reposent sur l’accomplissement de tâches précises. La résolution de l’enquête est au cœur de l’expérience ludique, et pourtant nombreux sont celles et ceux qui jouent à ces jeux d’enquête pour rencontrer des gens.

La socialisation en Chine se limite traditionnellement à un cercle restreint de connaissances. La rencontre avec de nouvelles personnes se faisait par l’intermédiaire de connaissances communes. Mais ces habitudes changent parmi la jeunesse chinoise. Les réseaux sociaux anonymes comme TanTan (le Tinder chinois [une application de rencontre (NDT)]) ont rendu la socialisation avec des étrangers plus acceptable, et cela a profondément influencé les jeux pervasifs.

Il y a 10 ans, les gens n’allaient dans des escape games qu’avec leur amis. Il fallait entre 6 et 8 personnes pour jouer. C’était un gros obstacle. De nos jours, les applications et les organisateurs réunissent des joueurs et joueuses qui ne se connaissent pas. Les jeux pervasifs sont un moyen efficace et décontracté de faire des rencontres, de socialiser et de se trouver des atomes crochus. Les relations sociales temporaires et l’atmosphère sombre et effrayante mises en place par le jeu aident à créer une confiance entre inconnues, alors que l’interprétation d’un personnage est un bon alibi pour expérimenter des comportements en toute sécurité.

Recette

Plongez les ingrédients suivants dans une marmite bouillante de culture chinoise pendant plusieurs années :

• Le Gong’an (et les autres genres policiers chinois)

• La Mort s’Habille de Blanc (et autres murder-partys)

• Les séries télé historiques

• Le Loup-Garou et autres jeux de déduction sociale

• Les escapes games

• La résurgence des hanfu [Des vêtements traditionnels chinois, voir la photo ci-dessous (NDT)]

• Les émissions de télé-réalité

• Les jeux de rôle

Exemple, parmi les autres illustrations de cet article, de "hanfu". Photo par Shuo Xiong.

Le GN en Chine

• Un sondage effectué par Xiong auprès de 292 joueurs et joueuses montre qu’il y a une parité de genre, et que 83.3 % des participants ont fait des études, possédant au moins une licence.

• La qualité des scénarios est très variable, et la propriété intellectuelle est souvent ignorée.

• Certains créateurs théorisent que la plupart des joueureuses préfèrent les jeux d’enquête et escape games simples aux jubensha plus complexes, car la plupart des gens préfèrent quand il y a une réponse révélée à la fin. Le jeu de rôle freeform est trop social et incertain.

• Les entreprises chinoises commencent à utiliser les jeux pervasifs non seulement pour du team-building, mais aussi à des fins d’évaluation RH et de développement du leadership.

• En 2022, l’État s’est mis à contrôler le contenu des scénarios.

• Ruoyu prédit un intérêt renouvelé pour les jeux pervasifs quand les technologies de réalité virtuelle et augmentée, ainsi que les métavers, auront atteint leur prochain niveau d’évolution.

Un toast aux morts. Photo par Jingyu.

Article d’origine : The Chinese Hotpot of Larp