Auto-éditer son JdR: les dix commandements
© 2020 Alberto Seijo
Le confinement a été vachement long. Avec tout ce temps pour vous, vous en avez profité pour finir d’écrire ce jeu de rôle, cet univers de jeu ou ce scénario qui attendait dans le tiroir depuis 2008. Ça a été difficile et vous avez des courbatures aux doigts, mais votre première oeuvre est prête à être testée en ligne avec vos ami.es pour voir le jour en tant que publication.
Mais ! Vous avez un problème. Votre jeu sur les lapins de Pâques de l’espace n’est pas particulièrement vendeur. L’accent mis sur la diversité de genres et d’orientations sexuelles des PNJ dans votre rétroclone pour quadragénaires de sexe masculin est, pour citer votre éditeur, « aliénant pour le public-cible ». Ou peut-être que vos fervents idéaux gauchistes vous donnent la chair de poule chaque fois que vous êtes tenté de céder votre oeuvre à une entreprise pour qu’elle l’exploite et ne vous rende qu’un pourcentage infime des bénéfices.
Vous arrivez finalement à une conclusion : vous ferez ça par vous-même. Il y a beaucoup de gens qui publient leurs propres oeuvres sans avoir recours à un éditeur ; l’imbécile qui écrit le blog que vous lisez en ce moment même le fait bien, lui. Ça ne doit pas être si dur !
Soyez sans crainte, hypothétiques lecteurs et lectrices, puisque ledit imbécile est là pour partager ce qu’il a apris au cours de ces dernières années d’auto-édition afin que vous ne vous y cassiez pas violemment les dents.
Le pauvre poète, par Carl Spitzweg (1839)
Conseil 1 : Avez-vous envisagé de ne pas publier ?
Ne partez pas ; je ne suis pas en train de vous charrier, c’est un vrai conseil. L’auto-publication exige une quantité titanesque de travail et il est possible qu’elle vous prenne autant de temps - ou plus - que l’écriture (en plus d’un investissement monétaire conséquent). Et une fois publié, ce n’est pas fini. Le plus dur reste à faire : la promotion et la vente. Ce n’est pas un petit projet que vous pouvez finir pour ensuite vous en laver les mains : vous allez traîner cette affaire pendant des années.
Pensez à d’autres possibilités. Par exemple, publier en numérique. Non seulement ça réduit énormément le coût de publication et de travail, mais en plus ça vous permet de goûter à cette dure vie de petite autrice avant de foncer imprimer une floppée d’exemplaires qui pourraient rester prendre la poussière [dans votre garage (1)].
Commencer par vous échauffer avec des publications numériques pourrait être la pratique dont vous avez besoin avant d’imprimer votre premier livre de base en dur, et ça aide vraiment pour le deuxième conseil de cet article.
Conseil 2 : Préparez-vous à faire de la publicité
Préparez-vous à fournir un effort conséquent pour faire bouger votre JdR. Que ce soit sur Twitter, RolePlus, des groupes Facebook, des chaînes YouTube, des blogs ou un rituel pour ressuciter Google Groups, vous allez devoir faire en sorte que tout le monde connaisse votre oeuvre et soit intéressé.
La deuxième partie est essentielle, parce que n’importe quel écervelé peut spammer constamment jusqu’à ce qu’on sache tous de quoi parle le maudit livre de base (2), mais si vous faites une publicité reloue, envahissante et barbante, les gens vont en avoir marre de vous et de votre JdR. Voici la règle d’or que je suis : « Ne faites pas une publicité que vous n’aimeriez pas recevoir. » Si vous trouvez pourri qu’on vous envoie un message pour vous parler d’un jeu de rôle alors que vous ne connaissez pas la personne et que vous n’avez pas montré d’intérêt pour ce genre de JdR, ne faites pas la même chose avec tous les inconnu.es qui ont « jdr » dans leur pseudo.
En général, la publicité et le markéting sont des arts compliqués que les gens étudient et perfectionnent pendant des années. Il y a un millier de tutoriels, des guides, des vidéos de conseils, des livres et des cours : faites des recherches avant de crier sur tous les toits « Achetez mes produits ! » (3)
Le colporteur, anonyme (~1623)
Conseil 3 : Embauchez un relecteur
Avant de chercher une imprimerie, de rechercher une illustratrice ou de commencer à réfléchir au financement de votre machiavélique plan de publication, trouvez quelqu’un qui prenne ce texte et en fasse quelque chose de digne d’être imprimé.
Vos mots vont être fixés à jamais, et il n’y a pas un scribouillard au monde qui n’ait pas besoin que quelqu’un d’autre prenne son texte pour le corriger, du titre aux remerciements en fin d’ouvrage. Si on part du principe que la qualité du produit parlera d’elle-même lorsqu’il faudra le vendre, une bonne relecture orthographique et de style est indispensable.
Ça m’est égal que vous écriviez bien, que vous adoriez l’orthographe ou que vous ayez une licence en philologie française. Prenez un relecteur ou une relectrice, un point c’est tout.
Conseil 4 : Attention aux financements participatifs
Ce point est délicat. Beaucoup de gens ne seront pas d’accord avec moi ici, mais traitez la possibilité d’un financement participatif avec autant de méfiance que s’il s’agissait d’un taureau furieux.
Non seulement un financement qui échoue peut saborder votre envie d’aller trouver d’autres options pour chercher des ressources, mais en plus, s’il a du succès, il peut vous faire crouler sous du travail que vous n’aviez pas prévu.
Un financement participatif est idéal, selon moi, pour de grands projets où il y a plus d’une personne dans l’équipe. Si votre JdR est un projet plus modeste que vous êtes en train de mener seul.e, une prévente pourrait être un moyen de vous financer beaucoup plus sûr, et qui vous éviterait du stress.
Prenez en compte le fait que tous les projets ne sont pas « participativement finançables » et qu’investir du temps dans la planification et la production de contreparties peut réduire la qualité de votre produit principal.
Conseil 5 : Prévoyez le pire des cas
Si vous prévoyez de vendre votre oeuvre, un des points les plus difficiles, c’est de décider du prix. C’est un exercice de funambule qui vous oblige à chercher l’équilibre entre combien vous devez demander pour ne pas perdre d’argent à chaque vente et combien votre public se sent prêt à payer.
Voici la règle que j’utilise :
- P est le prix demandé,
- C est le coût total de production (impression, illustrations, relecture, envois…),
- m est le pourcentage retenu par les magasins et les conventions (25 à 30 %),
- t est le pourcentage que je pense mériter pour mon travail*,
- N est le nombre d’exemplaires produits.
*Lors de vos premiers essais, votre commission t pourrait s’avérer petite ou même nulle, puisque vous voulez juste pouvoir sortir votre JdR pour qu’il soit joué, mais je vous conseille de choisir un montant au moins symbolique qui puisse servir de matelas financier en cas de revers.
Ce nombre P est le prix approximatif du livre, sans la TVA. Puis j’arrondis à une quantité facile à payer en convention (par pitié, pas de prix qui finissent par 99 centimes). Après ça, je prends en compte la TVA, ce qui nous conduit au conseil suivant.
Conseil 6 : Cherchez un conseiller juridique
Je ne suis ni avocat, ni gestionnaire, ni quoi que ce soit de la sorte.
Aujourd’hui, la situation de la plupart des auteurs et autrices débutantes est que l’édition est une petite activité économique parallèle à leur travail principal. Cette activité n’a pas de support administratif accessible pour qui n’a pas les connaissances adaptées.
Le simple fait de rajouter la TVA et de la payer donne des maux de têtes conséquents, et si en plus on prend en compte le peu de clarté de l’information sur l’obligation d’être auto-entrepreneur pour ce genre d’activités, les problèmes que pose la déclaration d’impôts...
Bref, ce n’est pas moi qui vais vous dissuader de la légalité. Cherchez de l’aide et évaluez l’étendue de vos revenus supplémentaires, avec tout ce que ça implique. Et tenez compte du fait que c’est une situation qui peut changer en fonction de combien vous gagnez.
Trois avocats en consultation, par Honoré Daumier (1843-1848)
Conseil 7 : Préparez-vous à vendre en présentiel
Ça, c’est le plus dur. Internet ne permettra de vendre qu’une partie des ouvrages. Même s’il y a beaucoup de rôlistes sur internet, iels ne représentent qu’un pourcentage du marché total. Votre jeu de rôles ou scénario peut avoir un public potentiel en dehors des rôlistes qui fréquentent les groupes de Facebook.
Ce qui veut dire que vous allez devoir vous déplacer jusqu’aux endroits que fréquentent ces rôlistes. Ce qui implique de s’adresser aux magasins et faire qu’ils soient intéressés par votre ouvrage. Beaucoup d’entre eux ne verront qu’un JdR auto-édité et ne voudront pas gaspiller du temps et de la place en rayon pour un ouvrage inconnu, mais d’autres seront prêts à vous laisser une chance. Il vous faudra porter un sac-à-dos rempli de livres de règles à chaque convention, salon de la BD ou manifestation geek auxquelles vous irez et il vous faudra organiser des parties pour présenter le produit (4).
Ce qui auparavant était des escapades de loisir où vous pouviez passer votre temps à jouer ou à trainer avec vos amis et amies va se transformer, en partie, en petits voyages d’affaires pour vendre votre JdR.
Et je vous garantis que ça sera fatiguant, surtout si vous n’êtes pas le genre de personne suffisamment à l’aise pour vendre quelque chose n’importe quand.
Conseil 8 : Cherchez l’imprimerie adéquate
Si vous avez finalement décidé d’imprimer votre livre, il est essentiel de trouver l’imprimerie adaptée au format que vous voulez.
Le temps est venu d’examiner la qualité des ouvrages auto-édités dans des conditions semblables : le papier utilisé, comment est faite la reliure, le rendu des images, la résolution des cartes, les trames, les couleurs noires...
Tout ceci devrait vous permettre de prendre une décision informée lorsqu’il faudra choisir une imprimerie, parce que la quantité d’imprimeries numériques à la demande qui font des petits tirages est énorme et elles ne servent pas à tous les types d’impression.
L’Imprimerie, par Paul Albert Baudoüin
Conseil 9: Cherchez un illustrateur ou une illustratrice qui croit en votre projet
Pas pour ne pas le ou la payer, voyons. Payez les artistes ou je devrai venir vous tabasser en personne.
Non. À moins que vous soyez vous-même quelqu’un avec un penchant artistique et que vous alliez illustrer l’ouvrage, il est important que la personne que vous payez pour dessiner les PNJ et les créatures aime ce que vous avez écrit et croie que c’est un produit qui en vaut la peine.
Non seulement ça fera une excellente publicité pour votre JdR, en attirant les fans de l’artiste, mais en plus quelqu’un qui aime l’ouvrage que vous avez écrit va le lire et le connaître. Cela lui permettra d’apporter sa propre vision aux illustrations et leur donner une personnalité et une puissance ; ce que ne pourront jamais un amas d’illustrations libres de droits d’auteur ou des commissions faites à l’arrache.
En plus, je préfère personnellement rechercher un unique artiste qui donnera une cohésion visuelle, une personnalité, à l’œuvre.
Conseil 10 : Soignez la qualité du produit
Ce qui veut dire que :
- vous le testiez cent cinquante millions de fois avec tous les gens possibles - et c’est mieux qu’ils et elles soient variées et différents.
- il faut faire attention à l’esthétique et au ressenti que vous souhaitez transmettre avec ce produit.
- vous vous prenez vraiment la tête avec le format, la maquette...
Le bouche à oreille est la meilleure publicité qui soit et on ne peut pas y parvenir sans un bon produit.
Et pour ça, il faut avoir la maturité et l’honnêteté de regarder le produit fini, faire non de la tête et reconnaître qu’il est techniquement possible que, cette fois, vous ayez créé une bouse, et que ce truc que vous avez dans vos mains ne mérite pas de voir le jour.
Et ça, c’est bien. À l’inverse, un ouvrage de qualité sera facile à vendre.
Article original : Decálogo del Autoeditor Rolero
Sélection de retweets
JuanSixtoC
Très intéressant. Je rajouterais juste: si vous avez des béta-lecteurs ou béta-testeurs de qualité, prenez-en bien soin, parce qu’ils sont vraiment utiles.
Miss_Launnister
Un article plein de bon sens sur l’autopublication. Souvenez-vous : ce n’est ni mieux ni moins bien que d’avoir un éditeur, c’est juste un chemin différent.
(1) NdT : une pensée ici pour l’auteur de La Méthode du Dr Chestel grog (1991), JdR tout à fait respectable et original même trente ans après, mais qui en a tiré 1000 exemplaires, dont 500 sont encore chez lui… [Retour]
(2) NdT : c’est pourquoi, dans Méchantes Vérités sur les boniments, Robin Laws recommande de créer un argument de vente : « une phrase courte et rapide pleine de promesses et d’informations. Vingt-cinq mots ou moins, de préférence moins. » [Retour]
(3) NdT : commencez par lire notre e-book Le Marketing rôliste pour les nuls, compilation de nos meilleures trads sur le sujet – et il est gratuit ! ;) [Retour]
(4) NdT : nos expériences de parties de conventions avec des créateurs montrent que vous vendrez peut-être à un joueur.euse du groupe à qui vous faites jouer - donc une vente en moyenne après chaque partie de démo (si vous êtes un bon MJ). Si vous avez l’occasion de jouer à des parties de démo de 20 minutes de Sombre grog par Johan Scipion, c’est l’exemple à suivre ! [Retour]
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