Hopepunk : quand la bonté devient rébellion

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« Trop bon, trop con », à ce qu’on dit. Mais c’est faux.

Parce que si le monde est mauvais, je ne vais pas le devenir à mon tour pour m’adapter à lui. Je vais plutôt lutter pour que la bonté devienne la règle, la norme, ce qui nous permettra d’avancer autant en tant qu’individus qu’en tant que communauté. Le hopepunk sera mon arme.

« Mais c’est quoi, le hopepunk ? » me demanderez-vous. Alors que vous savez ce que c’est ; vous l’avez vu des milliers de fois dans un tas d'œuvres, même si on n’a commencé à mettre un nom dessus que récemment. Mais n’allons pas trop vite en besogne ni en définitions. Commençons par le début.

Chez Droids & Druids, on aime ce qui est bizarre ; ce qui existe mais n’a pas reçu de nom ; ce qu’on connaît tout en ne le connaissant pas. Tout d’abord, nous misons sur le genre de la science fantasy wiki : un hybride entre la science-fiction et la fantasy, avec des éléments fantastiques invraisemblables (l’aspect fantasy) et d’autres vraisemblables (le côté science-fiction), l’équilibre entre les deux aspects étant nécessaire pour que l'oeuvre tienne debout.. C’est de ce pari qu’est né notre Antología de Fantasciencia [Antologie de Fantascience], avec des histoires et des poèmes encadrés par ce genre si concret. Puis ont suivi Puedes llamarme Espátula de Celia Corral-Vázquez et La Obsoletadora, d’Alejandro Rodríguez - nos deux premiers romans courts de science-fantasy.

couverture de Puedes llamarme Espátulacouverture de La Obsoletadora

Nous avons donc voulu aller plus loin et mettre en avant le hopepunk, baptisé ainsi depuis 2017 mais qui reste encore peu reconnu, et encore moins défini de manière collective et précise. Alors, nous nous sommes mis au travail et nous avons décidé de faire des recherches.

Qu’est-ce que le hopepunk ?

Nous définissons le hopepunk comme un sous-genre de la littérature de l’imaginaire wiki [ficción especulativa], dont la caractéristique est la défense de la bonté en tant qu’acte politique et de rébellion. Oui, vous aurez sûrement plus de questions que de réponses avec ça, alors nous allons analyser le concept petit à petit, en nous attardant également sur chacune de ses - nombreuses - controverses.

Tout d’abord, comme l’indique à raison Alexandra Rowland qui a créé le terme en juillet 2017, le hopepunk apparaît en réponse au genre du grimdark wiki. Ce dernier est un sous-genre de la fiction spéculative qui tourne autour de ce qui est dystopique, amoral ou violent. Le nom vient de la devise de Warhammer 40000 grog :

In the grim darkness of the far future, there is only war. [Dans les sinistres ténèbres d'un lointain futur, il n'y a que la guerre.]

couverture de "Only War" pour Warhammer 40.000

Adam Roberts, dans Get Started in: Writing Science Fiction and Fantasy [Introduction à l’écriture de Science Fiction et de Fantasy], définit le grimdark comme « une fiction où personne n’a d’honneur et où c’est la loi du plus fort qui s’impose ». MJ Ceruti, dans son blog, ajoute : « C’est de la littérature pessimiste, violente et sinistre, dont les personnages principaux sont des antihéros à la morale ambigüe [...] Les personnages avec qui on aura créé des liens d’empathie meurent ; les combats, les tortures et les blessures sont décrits en détail et les fins sont amères ou aigres-douces ».

Avec ces informations, on peut reconstruire mentalement un sous-genre sinistre, avec des personnages qui écrasent pour ne pas être écrasés. « Homo homini lupus est », comme on dit : « L’Homme est un loup pour l’Homme ».

Si le grimdark est un monde hostile où les personnages doivent s’adapter à cette violence, qu’est-ce que le hopepunk ?

C’est aussi un monde hostile et dystopique, mais cette fois-ci, les personnages s’acharnent de toutes leurs forces à faire le bien, à être sincèrement bons, à faire confiance aux gens, à transformer le monde et, surtout, à ne pas se résigner.

Accepter la violence, la cruauté et la déchéance morale de l’humanité reviendrait à capituler, et dans le hopepunk on ne peut pas abandonner. L’espoir est la dernière chose qu’on perd et, si ça arrivait, le hopepunk disparaîtrait à jamais. Voilà pour la partie hope [espoir], voyons maintenant la partie punk.

Le Hopepunk en tant que genre

Le terme a été créé sur le compte Tumblr de l’auteurice Alexandra Rowland, à travers un simple post qui disait :

Le contraire du grimdark, c’est le hopepunk. Fais passer.

Après ce billet et à cause de la curiosité des autres utilisateur et utilisatrices, Rowland a commencé à parler de ce terme lui-même et à l’expliquer un peu plus en profondeur.

Le hopepunk s’inscrit parmi d’autres sous-genres en -punk : steampunk, cyberpunk, greenpunk, dieselpunk, silkpunk (1), etc., mais, contrairement à ceux-ci, notre genre d’espoir n’utilise pas la forme, mais le contenu.

Le steampunk se distingue par un monde où la technologie a évolué à partir de la machine à vapeur, ce qui constitue, de cette manière, une science-fiction spéculative qui met en scène des technologies anachroniques ou des inventions futuristes imaginées à travers une esthétique inspirée de l’ère victorienne.

affiche de l'animé Steamboy

Affiche du film Steamboy, à l’univers steampunk, par Katsuhiro Otomo (2004).

Dans le genre cyberpunk, par contre, les œuvres reflètent souvent des conflits liés aux intelligences artificielles, aux mégacorporations et aux hackers, dans un univers hyper-futuriste au bas niveau de vie : c’est un monde hostile dominé par des systèmes informatiques, des entreprises multinationales et des régimes totalitaires.

Mais le hopepunk n’est pas centré sur la forme ni sur la création d’un univers. Il porte davantage sur le contenu, le message, le ton et la motivation des protagonistes face à leurs contextes dystopiques. Et c’est là qu’apparaît la première controverse du terme : il y a beaucoup de gens réticents à l’idée de le considérer comme un genre littéraire et qui préféreraient le voir comme un thème transversal à l’œuvre. Dans son article Against Hopepunk [Contre le hopepunk], Adam Turl affirme que la définition de ce genre est si large et globale qu’elle risque de se retrouver vidée de son sens.

Pourtant, rappelons-nous que les genres littéraires historiques sont terriblement vagues. Aristote, dans sa Poétique, a défini trois grands genres littéraires :

  • le genre épique (ce qu’on pourrait appeler le genre narratif de nos jours),
  • le genre lyrique (la poésie)
  • et le genre dramatique (le théâtre).
  • On pourrait y ajouter le genre didactique (les essais) pour obtenir les 4 grands genres littéraires.

Tous les sous-genres qui en découlent - l’Horreur, la comédie, le roman historique ou policier, la high fantasy, la romance, le young adult wiki, le roman noir, le steampunk, et bien d’autres encore - ne sont que des étiquettes ajoutées. La plupart de ces distinctions ne sert qu’à les cataloguer sur les étagères des librairies et à faciliter les recommandations selon les goûts de chacun et chacune, ou pour se faire une place dans les magazines spécialisés dans le genre en question. Et encore une fois : tout ceci reste terriblement flou et totalement subjectif.

Bien entendu, ça ne veut pas dire qu’on peut classer n’importe quoi dans n’importe quel genre. Laissez-moi m’expliquer. Il faut savoir que ces genres sont constitués de deux parties : un noyau dénotatif et une périphérie connotative. Le noyau définit le genre alors que la périphérie est un peu ambigüe, sans limites clairement établies correspondant à des opinions individuelles et/ou collectives.

Pour faire simple : nous pouvons tous et toutes définir un genre dans les grandes lignes ; mais dès que nous creusons un peu, les doutes apparaissent. Certains diront oui, d’autres non, et d’autres encore que oui pour ceci ou cela, mais pas trop, ou peut-être que si, mais sans être totalement d’accord. Les genres sont, en résumé, des concepts diffus. Et ça, c’est génial : il n’y a rien de mal à ce qu'une œuvre génère des avis variés, tant qu’on les prend tous en compte.

J’ai dit auparavant que ces sous-genres sont des étiquettes, mais je crois que je préfère les penser comme des aimants collés sur un frigo. Imaginons le frigo de la saga La Tour sombre wiki, de Stephen King. Nous avons un aimant qui indique l’Horreur dans ces livres, mais aussi un autre qui reflète l’humour, un autre pour l’aspect romantique, un autre qui pointe le fantastique, un autre à côté pour la science-fiction, et il y a même un aimant bien plus grand pour le genre du western.

Essayons à présent pour Carcoma, roman court de Layla Martínez. On y retrouve l’aimant de l’Horreur, un autre pour le costumbrismo wiki, un nouveau qui montre la fiction intimiste, à côté de celui du fantastique, et même un aimant plus petit qui nous rappelle le réalisme magique wiki, sans y correspondre tout à fait, mais ayant été assez influencé.

Couverture de Carcoma

En effet, qui, dans son état normal, aurait un frigo avec un seul aimant ? De ce point de vue, les œuvres sont multiples. Donc, pour revenir à notre sujet, il n’y a pas de mal à ce que le sous-genre du hopepunk se concentre sur son message et non sur son univers, contrairement à ses semblables ; parce qu’ils ne sont ni rivaux ni opposés. On peut trouver du hopepunk dans le cyberpunk, dans le steampunk, ainsi que dans des romans sans une once de fantastique ou dans ceux catalogués dans la littérature pour adolescent-es.

Le fait que ce sous-genre couvre « trop » de choses, des œuvres complètement différentes de genres distincts, n’est pas étranger à cette controverse. La Servante écarlate wiki, le Seigneur des Anneaux ou Brooklyn Nine-Nine wiki sont de parfaits exemples. Mais n’ont-elles pas toutes en commun un monde hostile - avec toute l’ambiguïté que ça implique - et des protagonistes qui se révoltent contre lui à force d’espoir, de bonté et de foi en autrui ? Oui, l’espoir face à l’adversité, ça englobe un tas de cas différents. L’amour aussi, non ? Ne nous arrive-t-il pas de qualifier une histoire de romantique ou d’ajouter le terme romance à de nombreux genres disparates ? Encore une fois, les genres sont des aimants que l’on peut coller sur un frigo, les uns à côté des autres.

La saga du Seigneur des Anneaux est classée en fantasy épique ou fantasy héroïque, mais est-ce que ça veut dire qu’elle ne peut pas englober plus que ça ? Est-ce qu’on ne peut pas y trouver aussi des morceaux de hopepunk ?

Samsagace Gamegie, dans le film Le Seigneur des anneaux : Les Deux Tours, répond ainsi à Frodon Baggins :

- Je n’y arriverai pas, Sam.

- Je sais. C’est injuste. D’ailleurs on ne devrait même pas être là. Mais on y est. C’est comme dans les grandes histoires, monsieur Frodon, celles qui importaient vraiment, celles où il y avait dangers et ténèbres. Parfois, on ne voulait pas connaître la fin car elle ne pouvait pas être heureuse. Comment le monde pouvait-il redevenir comme il était avec tout ce qui s’y était passé ? Mais, en fin de compte, elle ne fait que passer, cette ombre ; même les ténèbres doivent passer. Un jour nouveau viendra et, lorsque le soleil brillera, il n’en sera que plus éclatant. C’était ces histoires dont on se souvenait et qui signifiaient tellement même lorsqu’on était trop petit pour comprendre. Et je crois, monsieur Frodon, que je comprends. Je sais maintenant. Les personnages de ces histoires avaient trente-six occasions de se retourner mais ils ne le faisaient pas, ils continuaient leur route parce qu’'ils avaient foi en quelque chose.

- En quoi avons-nous foi, Sam ?

- Il y a du bon en ce monde, monsieur Frodon, et il faut se battre pour cela.

Frodon et Sam

La partie punk du genre

Et donc, pourquoi punk ? Ce qui est punk est, par définition, contre-culturel, rebelle, protestataire, militant, exigeant. Le punk, c’est ce qui va à contre-courant. Dans un monde utopique, dans une société heureuse et en paix, centrée sur le respect, le hopepunk existe-t-il ? Bien sûr que non. Le hopepunk doit exister dans des mondes hostiles, dans des mondes qui vous hurlent d’écraser les autres, que vous montriez les crocs pour vous battre et affronter tous les autres.

Mais non. Vous refusez, et défendez la bonté de l’humanité, vous vous révoltez en utilisant l’espoir et la foi en autrui. Vous levez la main pour caresser et non pour frapper, et même si souvent la caresse ne sert à rien et que vous vous prenez un coup en retour, vous continuerez à caresser, essayant de vous améliorer, essayant de faire voir à l’autre qu’il y a un meilleur choix. C’est ça qui est punk. Dans un monde où la violence est la norme, l’optimisme et l’espoir sont une forme de rébellion pure.

Mais ne nous y trompons pas. Le genre hopepunk n’a pas à être complaisant ou naïf, vide ou stupide, résigné ou soumis.

Dans le premier roman Hunger Games de Suzane Collins, Katniss Everdeen se porte volontaire pour sauver sa sœur d’une mort presque certaine et, pendant les jeux, elle essaye de protéger Rue, chante sur son lit de mort, pleure sa perte et, devant des dizaines de caméras qui espéraient voir un massacre et un spectacle de mort, elle ramasse des fleurs pour recouvrir son corps. Après quoi, elle fait le geste d’adieu et de respect du District 12. Katniss devient une figure du hopepunk : dans un monde hostile, elle se révolte à travers sa bonté et son respect, et c’est cela qui initie une révolution contre le gouvernement tyrannique. Ce n’est pas la peur, l’impuissance ou la vengeance : l’étincelle qui allume la flamme de la révolution est, en premier lieu, la bonté.

Je n’affirme pas nécessairement que la saga Hunger Games est du hopepunk, mais que ce moment clé en est imprégné. Savoir si cette saga est à classer dans ce sous-genre (ou pas) est un autre débat.

Couverture de Hunger Games

Vous êtes en train de vous dire : « Mais alors, n’importe quelle œuvre de fantasy traditionnelle est hopepunk ? Après tout, les personnages bons luttent contre des personnages mauvais grâce à leurs vertus dans un monde hostile, non ? » Je vais laisser la parole à MJ Ceruti, dans son post de 2018 Palabras nuevas, viejas discusiones: del hopepunk al nu-metal [Nouveaux mots, vieux débats : du hopepunk au nu-metal wiki] :

Les personnes qui critiquaient la création [de la dénomination] hopepunk assimilaient à l’optimisme la fameuse lutte entre le Bien et le Mal de la fantasy traditionnelle - où le bien gagne invariablement. Et c’est effectivement de l’optimisme ; n’importe quel message qui nous dit qu’à la fin « tout ira bien » est optimiste. Mais regardons d’un peu plus près. [...]

Pour commencer, la notion de Bien est occidentale [...]. La notion même de « civilisation » (qui provient de civitas, « ville » en latin) est occidentale, parce qu’elle associe le bien, la justice et l’harmonie à une société ordonnée sur la base de ses villes ; les cultures nomades ou celles basées sur des structures tribales ou claniques sont souvent ces « peuplades barbares » qui habitent aux confins du royaume.

Ce qui nous amène au point suivant : dans la fantasy traditionnelle, le Bien est associé à l’Ordre (cet ordre concret dont nous venons de parler). Ce qui se traduit par la manière dont l’histoire est présentée et dont les conflits sont résolus : souvent, le Voyage du Héros wiki consiste justement à « rétablir l’ordre » ou à « ramener l’équilibre » ; c'est-à-dire, faire en sorte que les choses redeviennent comme avant, comme elles devraient être. [...] Introduire des changements déclenche le chaos, et le Chaos, c’est le Mal.

Si la fantasy traditionnelle est pour l’ordre, le hopepunk est pour le progrès. Les histoires encadrées par le hopepunk n’essayent pas de revenir au Bien de l’ordre, de l’équilibre, du passé ; elles luttent pour créer de nouvelles valeurs : des valeurs plus humaines, plus compatissantes, plus positives en fin de compte. Après tout, la tradition repose souvent sur des structures de pouvoir qui, si on les examine un peu, s’effondrent.

Un punk face à la police lors du festival “Chaos Days”, en Allemagne, 1984. Photo d’Axel Hindemith.

Le hopepunk naît dans des sociétés dont les structures ont déjà chancelé pour s’écrouler, dont les protagonistes fouillent parmi les décombres et se battent pour les restes. Mais ces protagonistes ne cherchent pas à reconstruire les anciennes structures : ils et elles veulent en construire de nouvelles qui permettront d’avancer de là où iels se trouvent, en essayant de ne pas retomber dans les valeurs qui ont provoqué l’effondrement du passé.

Dans le film récemment récompensé Everything Everywhere All at Once wiki, la protagoniste, Evelyn, doit se battre contre Jobu Tupaki, un être chaotique et nihiliste capable de vivre dans tous les univers en même temps et de manipuler la réalité à volonté. Et les combats se multiplient jusqu’à ce que son mari, Waymond, transforme entièrement son point de vue grâce à ce merveilleux discours :

(Les deux voix appartiennent au même personnage, Waymond, qui fait un discours semblable mais dans des univers différents dans une même scène.)

- Tu me trouves faible, c’est ça ? Il y a très longtemps, quand nous sommes tombés amoureux, ton père disait toujours que j’étais trop gentil. Il avait peut-être raison.

- S’il vous plaît ! S’il vous plaît ! Est-ce qu’on pourrait arrêter de se battre ?

- Tu me dis que c’est un monde cruel et que nous tournons en rond en permanence. Je le sais bien. Je suis sur cette Terre depuis aussi longtemps que toi.

- Je sais que vous vous battez parce que vous êtes terrifiés et perdus. Je suis perdu moi aussi. Toute la journée. J’ai rien compris du tout de ce qu’il s’était passé. Mais, je sais pas pourquoi, j’ai l’impression que tout ça est ma faute.

- Quand je choisis de voir le bon côté des choses, ce n’est pas par naïveté. C’est stratégique et nécessaire. Comme ça c’est plus simple, je peux tout encaisser.

- Mais je ne sais rien du tout. La seule chose que je sache, c’est que nous devons être gentils. Je t’en supplie, sois gentille. Tout particulièrement quand on se sent perdus.

- Je sais que tu te vois comme une battante. Je me vois de la même façon. Tu vois, c’est ma façon à moi de combattre.

Evelyn suit alors son conseil, et se bat cette fois non pas en blessant celles et ceux qui l’entourent, mais en leur apportant du réconfort. Le nihilisme se combat par l’empathie et l’espérance, et il faut beaucoup de courage pour aller de l’avant au lieu de se résigner et de simplement se laisser couler.

Evelyn étreint son mari dans Everything Everywhere All at Once

Ce moment est particulièrement intéressant, lorsqu’Evelyn accepte la bonté de son mari, qu’elle avait jusqu’alors perçu comme de la stupidité et de la faiblesse. On peut alors lire le mot PUNK sur sa veste. Si ce n’est pas du hopepunk, que le ciel me tombe sur la tête.

On trouve même du hopepunk dans des œuvres comme One Piece ! Luffy n’est-il pas un exemple de bonté et de joie dans le monde des pirates, hostile par définition? Bien entendu, je ne voudrais pas vous spoiler (même si je l’ai déjà fait pour plusieurs œuvres tout au long de cet article), mais celles et ceux qui suivent l’intrigue comprendront en quoi Luffy, le héros indiscutable, est un symbole de liberté, de joie, de rire, d’espoir et d’optimisme. Et je ne parle pas uniquement de son apparence [chara design en jargon manga (NdT)] ou de sa personnalité, mais bien du fait que ce sont des aspects essentiels à l’histoire et qui ont une puissante raison d’être.

Pourtant, le hopepunk n’existe pas uniquement dans la fantasy et les fictions dystopiques. On a aussi la série Fleabag wiki, créée et écrite par Phoebe Waller-Bridge : du hopepunk pur et dur. Le monde de la protagoniste Fleabag est hostile : un père lâche et absent, une mère décédée, une belle-mère dominatrice et passive-agressive, une sœur qui la déteste, un beau-frère qu’elle déteste, sa seule amie meurt, et son esprit est totalement désorienté.

Elle a toutes les raisons pour baisser les bras, tout envoyer balader, mais elle ne le fait pas. Elle pleure, elle souffre, elle s’effondre, mais elle ne baisse pas les bras. Elle sourit et essaye de parler à son père pour l’aider avec sa nouvelle compagne, elle garde son calme face à sa belle-mère ― pas tout le temps, l’alcool ne facilite pas les choses, mais personne n’a dit que le hopepunk est un chemin parfait et vertueux ― et elle aide aussi sa sœur dans les moments les plus difficiles.

Dans le premier épisode de la deuxième saison, après une année à ne pas parler à sa famille, rejetée même par sa sœur, tout le monde est réuni pour un dîner en famille. Mais sa sœur Claire fait une fausse couche dans les toilettes et Fleabag la pousse à aller à l’hôpital. Pourtant, personne ne savait qu’elle était enceinte et Claire refuse d’y aller, reprenant simplement sa place à table comme si de rien n’était. Fleabag ne veut pas révéler ce qui vient d’arriver, parce que ça serait une trahison envers sa sœur. Alors, dans cette ambiance hostile, elle se révolte par sa bonté : elle fait croire que c’est elle-même qui a fait une fausse couche pour que Claire l’accompagne à l’hôpital.

Fleabag n’est pas parfaite, loin de là, mais malgré le fait que tout la pousse à abandonner, à hurler et à détester, elle ne cède pas. Dans le dernier épisode de la deuxième saison, le personnage incarné par Andrew Scott dit : « Et aimer n’est pas pour les faibles. Pour être romantique il faut beaucoup d’espoir ».

Une partie de l’équipe de scénaristes de la série Fleabag,
lors d'une interview à l’Edinburgh Festival par Waffle TV. CC BY 3.0.

Vous me direz, si vous avez vu la série, que ça ne finit pas vraiment bien. En tout cas, la fin n’est pas douce. Car le hopepunk n’est pas centré sur les fins heureuses. Mahatma Gandhi a dit : « Il n’y a pas de chemin vers la paix ; la paix est le chemin ». On n’a pas besoin d’une fin heureuse, juste d’un chemin structuré autour d’une intention vraiment bonne et sincère. Parfois, on n’a même pas besoin d’une fin. Isabel González (es) écrit sur son blog Distopía y Realismo Mágico :

En fait, il n’y a pas de fin. Dans les livres de hopepunk, la fin n’est que la conclusion d’une étape, mais il faut continuer à se battre. Que ce soit avec les mêmes protagonistes, ou les rebelles qui les suivront. Parce que cette fantasy optimiste est la continuation d’une rébellion contre la résignation ; parce qu’elle reconnait que le monde restera hostile, mais que malgré cela il faut continuer à se battre pour en faire un endroit bien plus agréable.

Katniss Everdeen n’est pas un exemple de pureté et d’abnégation, et son histoire ne finit pas non plus en révolution juste. Fleabag non plus. Mais les deux sont hopepunk. Eleanor Shellstrop, la protagoniste de la série The Good Place, n’est pas non plus parfaite… parce que la série tourne justement autour de sa morale imparfaite, chaotique et son comportement loin de l’humanisme ! Mais la série avance, peu à peu, grâce à elle, à Chidi Anagonye, à Tahani Al-Jamil, à Jason Mendoza, et même à Michael qui essayent de devenir de meilleures personnes, tâchant de transformer un système injuste et cruel par l’espoir, la foi en un monde meilleur et la bonté authentique ― non pas innée mais travaillée. Ça, c’est du vrai hopepunk.

Alors, genre ou pas ?

Si vous me posez la question, je vous dirai que oui. Et si vous voulez me répondre que pour vous, ce n’est pas un sous-genre mais un thème central ou un message… eh bien, faites-le.

« Qu’est-ce qu’un nom ? Ce qu’on appelle une rose sentirait tout aussi doux si elle portait un autre nom ». Si cette nomenclature ne vous sert à rien, oubliez-la. Si elle ne marche pas complètement pour vous, jetez-la. Mais s’il y a une seule personne qui peut s’en servir pour lire des histoires qui lui plaisent, pour mieux comprendre n’importe quel univers qui se forme dans sa tête, ou pour coucher toutes ces idées sur le papier, c’est parfait. Et si ce n’est pas le cas, pas de problème, parce qu’heureusement la littérature n’est pas une science exacte. Ce qui fait sa richesse, c’est justement les innombrables débats qu’elle suscite.

Unamuno a écrit en 1905 dans son prologue de La Vie de Don Quichotte et de Sancho Pança que ce qui a rendu la Bible aussi précieuse en tant que texte, ce sont les différentes interprétations au cours de l’Histoire. Jorge Luis Borges a de son côté comparé la Bible au plumage irisé d’un paon : elle renferme en elle-même un nombre infini de sens, autant que de plumes, qui embellissent l’animal. Borges et Unamuno défendaient la pluralité des significations, les différentes réponses à une même œuvre. Ils défendaient, en fin de compte, le rôle du récepteur ou de la réceptrice en tant que partie active d’une œuvre, intégrée au processus de communication.

Don Quichotte affrontant ses géants, vu par Gustave Doré (1863).

La littérature ne peut pas se concevoir sans cette personne qui lit, interprète, comprend, débat, s’imbibe de tout le processus. Voici un conseil personnel : méfiez-vous de toute personne qui essaye d’imposer une interprétation sur un thème littéraire.

« Trop bon, top punk »

Je laisse ici le pluriel de côté et te parle à toi, qui lis cet article. Peut-être que le hopepunk n’est pas fait pour toi, ou peut-être que si, ou peut-être juste en partie. Et c’est bien comme ça. C’est même génial ! Dans un monde hostile, plein de débats violents sur Twitter au sujet de mille et une controverses, la voie à suivre est probablement le hopepunk, même en dehors des pages d’une œuvre artistique. Discutons, prenons une bière et commentons l’énorme sphère de connotation qu’a ce genre. Ce qui est important, en fin de compte, c’est que le débat soit respectueux. L’essentiel, toujours, c’est que l’on soit des personnes honnêtes et empathiques.

Peut-être qu’à notre époque, le hopepunk est plus nécessaire que jamais. C’est peut-être pour cette raison qu’on a nommé un concept qui aurait pu ne pas avoir de nom : à cause de notre besoin de trouver une lueur d’espoir dans cette société hostile - économiquement, socialement, culturellement, anonymement.

« Trop bon, trop con » ? Non. « Trop bon, trop punk », plutôt.

    Article original : Hopepunk: Cuando la Bondad es Rebeldía


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    (1) NdT : définition des termes les moins connus :

    • Greenpunk est un autre mot pour désigner le Solarpunk wiki, genre de SF né au Brésil, où l’humanité a réussi à trouver un équilibre harmonieux entre technologie et nature. Voir l’excellente émission de Radio Rôliste à ce sujet.
    • Le Dieselpunk wiki est un rétrofuturisme qui imagine un monde où les moteurs à pétrole sont omniprésents - encore plus que dans la réalité actuelle.
    • Le Silkpunk est un terme créé par Ken Liu wiki pour imaginer une forme de Steampunk centrée sur la Chine ancienne : les machines à vapeur privilégient le bambou et la soie plutôt que le métal.

    Nous risquons quelques définitions supplémentaires :

    • Grimdark, c'est un univers irrémédiablement sombre.
    • Hopepunk, c'est des héros lumineux dans un univers sombre.
    • Noblebright, c'est un univers où tout commence à aller mieux après une période sombre.

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