Le jeu de rôle collaboratif : entretien avec Ian Millington

Une expérience de Jeu de rôles [narratif] sans MJ

Andy Kitkowski : Je me suis toujours intéressé aux différentes manières de jouer à ces jeux de rôles (JdR) que nous connaissons et aimons tous - changer des règles, essayer différents styles de jeu et consorts. Il y a environ un an et demi, sur les forums de RPGNet quelqu'un avait posté un lien vers des essais concernant quelque chose appelé "Jeu de rôle collaboratif". Peu après, ceux-ci ont été pointés par d'autres listes de diffusion relatives aux JdR auxquelles je prenais part. Ma curiosité éveillée, j'ai lu ces essais, écrits par un certain Ian Millington.

J'ai été complètement subjugué par les essais Principes du Jeu de Rôle collaboratif et le manuel démonstratif intitulé Commencer à collaborer. Ceux-ci décrivaient une manière de révolutionner la pratique du jeu de rôle et d'y jouer d'une manière nouvelle.

Le jeu de rôle collaboratif, dit simplement, c'est du jeu de rôle soit sans MJ soit avec un MJ dont les rôles (comme metteur en scène, arbitre, connaisseur des règles, etc..) sont diminués et répartis parmi les autres joueurs. Un exemple de jeu de rôle collaboratif limité consiste à jouer une partie où n'importe qui peut diriger les actions, ou parler/agir à travers les PNJ.

Un autre exemple serait lorsque le MJ (en tant que conteur) changerait tellement souvent que cela permettrait à d'autres joueurs de diriger l'évolution de l'histoire. Un exemple d'encore plus de collaboration serait une session de jeu freeform où "chacun est le MJ" (ou, alternativement, "personne n'est le MJ"), avec un arbitre pour coordonner tout le monde (pour maintenir l'ensemble cohérent). On peut trouver plus d'informations sur la division des responsabilités du MJ sur starting to collaborate .[archive]

Réputé perdus pour toujours après que la suppression des vieux sites d'Ergo aient été supprimés, grâce à l'aide d'un ami j'ai non seulement trouvé les documents que j'ai mentionnés ci-dessus (maintenant à http://www.collaborativeroleplay.org.uk [archive]), mais je suis aussi parvenu à mettre la main sur l'adresse email d'Ian Millington. Il a aimablement accepté d'expliquer le jeu de rôle collaboratif (ci-après abrégé JdRC), son projet Ergo, et comment le faire fonctionner dans vos parties.


Andy : Qu'est-ce que le jeu de rôle collaboratif ?

Ian : Le jeu de rôle collaboratif est essentiellement une forme de jeu de rôles qui n'a aucun MJ. Ceci ne signifie pas qu'il n'est pas structuré ou contrôlé, toutes les choses que le MJ faisait sont encore faites, mais soit par tout le monde, soit par des personnes différentes à différents moments.

Puisqu'il n'y a pas de MJ, il n'y a pas de PJ ou de PNJ, chaque joueur interprète plusieurs personnages d'importances variées, et on échange quelques personnages de temps en temps. Ne pas être attaché aux réactions d'une personne en particulier permet une forme flexible de jeu, à travers les différents médias (JdR par e-mail, face à face, épistolaire, conférence téléphonique !), en même temps ou séquentiellement. Nous avons découvert en particulier qu'avec plus de joueurs contribuant activement à tous les aspects du jeu, celui-ci soutient des histoires, des intrigues et des scénarios beaucoup plus complexes.

Avant tout cependant, le jeu de rôle collaboratif est surtout axé sur la collaboration, un groupe de personnes qui s'amusent en rendant la partie entière la meilleure possible, plutôt que d'essayer de maximiser le gain pour leur propre personnage. Le nom Jeu de rôle Collaboratif vient du conte collaboratif, mais le JdRC ajoute les règles, le scénario et le défi de l'interprétation.

 

Andy : Peux-tu nous donner un exemple de JdRC ?

Ian : Dans un des scénarios qui seront disponibles avec la nouvelle édition d'Ergo, il y a un laboratoire universitaire de recherche où travaillent certains des personnages (les autres personnages principaux sont des stéréotypes de théoriciens conspirationnistes). Une partie du laboratoire est isolée par  une agence quasi-militaire.

On joue le premier des deux actes de l'aventure avec un seul personnage par joueur, en temps réel, par e-mail : les personnages discutent ce qu'ils ont vu, et de ses implications, jusqu'au point où ils décident de partir enquêter.

Le deuxième acte est joué face à face. Le groupe a une carte (puisqu'ils connaissent la disposition du laboratoire), et ils connaissent certains des systèmes de sécurité en place. Ils doivent préparer et effectuer l'infiltration, et réagissent à ce qui se présente.

Cette partie est appropriée pour un groupe qui se réunit pour un bon moment de temps à autre, ils jouent la première session en temps réel pendant environ un mois avant qu'ils ne se réunissent, et alors le deuxième acte prend 4-8 heures de jeu.

Un autre des scénarios a un univers fantasy. Les principaux personnages sont des espions hautement qualifiés envoyés dans une ville-État pour provoquer une révolution et pour permettre à leur maître de combler le vide au sommet du pouvoir. Il y a toute une série de factions délicatement équilibrées dans la ville qu'ils doivent jouer les unes contre les autres et soigneusement orchestrer.

On peut jouer cette partie par courrier ou e-mail, puisque les agents coordonnent secrètement leurs actions, et en groupe, chaque fois que nécessaire. Chaque joueur contrôle un personnage principal, et agit également en tant que 'guide' pour une des factions de la ville - il est capable de décrire ses fonctionnements et de donner plus de détails au scénario.

Cette partie convient à un groupe qui joue hebdomadairement ou tous les quinze jours. Ils se font passer des messages secrets (en codes qui ne peuvent pas être déchiffrés) et coordonnent les actions toute la semaine, puis se réunissent pour effectuer les actions une fois par semaine.

Ce genre de changement de média, encore et encore, plongerait un MJ dans une dépression nerveuse, mais il peut être joué très facilement sans MJ. Le jeu de rôle collaboratif convient aux joueurs qui sont occupés, qui travaillent, ou pour qui le jeu de rôle n'est pas le loisir principal - il laisse chacun jouer à son propre rythme, et peut supporter de longues périodes sans jeu. Il est aussi approprié pour des joueurs intelligents, instruits pour qui le cadre de jeu, l'histoire et le ressenti sont importants, qui apprécient le défi de s'imaginer dans des situations difficiles et s'en sortir, et qui apprécient la liberté d'ajouter de la profondeur à l'histoire et du détail.

 

Andy : Ces deux aventures semblent tout à fait intéressantes. Mais puisqu'il n'y a pas de MJ central, chacun doit aussi jouer le rôle du "méchant" ou de "l'ennemi"... Comment cela fonctionne-t-il ? Est-ce difficile ?

Pour ma part, j'imagine le jeu de rôle collaboratif comme (désolé pour la piètre métaphore) jouer des deux côtés de l'échiquier avec un groupe de personnes. Mais puisque chacun, au fond, joue les "blancs", n'est-il pas difficile de jouer efficacement le côté "noir" contre eux ?

Ian : C'est une bonne métaphore et je l'apprécie. La solution du problème est de se rendre compte que tu n'essayes pas de "gagner" la partie d'échecs. Tu essayes de jouer la partie d'échecs parfaite. Quand je jouais aux échecs régulièrement, j'avais l'habitude de jouer contre moi-même, amenant le plateau dans des configurations intéressantes et voyant si je pourrais m'en sortir. Jouer au JdRC implique souvent d'essayer de maximiser la tension dramatique d'une situation et de prendre du plaisir à être assez intelligent pour s'en sortir. Naturellement quand j'ai joué à me sortir de situations "impossibles" aux échecs, je n'ai pas joué les noirs au mieux de mes capacités, mais je les ai joué assez bien pour que cela soit un défi. Et d'ailleurs: les gentils doivent gagner à la fin, n'est-ce pas ?

Prenons le scénario d'infiltration que j'ai mentionné. Entrer dans le secteur contrôlé est difficile. Les joueurs vont suggérer une méthode, et normalement quelqu'un y trouvera une objection, quelqu'un d'autre résoudra ce problème, et ainsi de suite. Ces objections deviennent réellement les défenses de l'endroit, et le rendent très difficile d'accès. Par exemple l'équipe dit, "nous devons couper le courant de l'éclairage", alors quelqu'un dit "mais il y a un générateur de secours", du coup "John, tu élimines le générateur de secours", mais "il y a une caméra de sécurité qui le surveille", et ainsi de suite. Il est très facile de faire ce genre de chose.

Quand l'aventure démarre vraiment, les tests de compétence échouent invariablement et les choses commencent à mal tourner. Après avoir discuté des problèmes et des solutions pendant un certain temps (c'est l'un des buts du fait de s'envoyer des e-mails avant la partie infiltration du scénario), chacun connaît les conséquences : le garde qui observe le moniteur voit John près du générateur, ou bien les lumières ne s'éteignent pas quand le générateur principal est bloqué. OK, ainsi le garde appuierait-il probablement sur le bouton du signal d'alarme, et à la place le groupe décide qu'il se déplace pour voir ce qui se passe. Mais c'est exactement le genre d'affaiblissement de l'opposition que le MJ fait tout le temps de toute façon.

 

Andy : Employez-vous des sortes d'outils d'aides de jeu dans le JdR collaboratif ? (peut-être des feuilles de personnage spéciales, des feuilles de groupe, etc…)

Ian : Les feuilles de personnage sont les feuilles de base pour le système auquels nous jouons. J'ai créé quelques feuilles de "préparation" pour des scènes, pour aider chacun à voir ce qui se passait. Mais je ne pense pas que cela soit vraiment utile ; mieux vaut laisser les choses se faire d'elles-mêmes. En outre les cartes, les illustrations et les accessoires sont aussi utiles qu'ils le sont dans n'importe quel JdR. L'avantage avec le JdRC, c'est que quiconque se sent créatif peut les faire.

 

Andy : Quand as-tu expérimenté le jeu de rôle collaboratif pour la première fois ?

Ian : L'ossature du JdRC a été conçue en 1997 en deux heures sur le chemin de retour d'une journée de jeu de rôle. Je discutais avec le MJ sur la manière dont nos parties marchaient. Nous avons remarqué que c'était mieux quand on confiait au joueur les responsabilités d'interprétation des résultats de ses jets de dés. Ce cheminement de pensée s'est développé jusqu'à disséquer ce que faisait réellement un MJ, et se poser alors la question : pourquoi est-ce que tout le monde ne peut pas le faire ?

 

Andy : Comment tes efforts ont-ils été perçus d'emblée par les personnes avec qui tu jouais ?

Ian : La première partie que nous avons joué comprenant une section importante de JdRC était un thriller sur le contre-terrorisme avec bon nombre d'agents doubles et apparentés. Sur les 3 actes du scénario, les deux premières avaient un MJ. Nous avons utilisé deux équipes avec deux MJ dans des salles différentes, pour voir ce qui se produirait quand les parties se déroulent en simultané. Les deux groupes de joueurs ne connaissaient pas les personnages de l'autre groupe, et ainsi la sensation de méfIance (entre personnages) régnait.

Il y eut un arbitre pour le 3e acte, mais aucun vrai MJ; les deux MJ précédents jouaient leur unique personnage. Tous les joueurs s'y sont mis, précisant ce qu'ils étaient en train de faire, attrapant d'autres joueurs par le bras pour avoir des conversations secrètes, réquisitionnant un avion, le tout avec très peu d'interférences aussi bien de la part des règles de jeu que de l'arbitre. On en parle encore dans mon groupe comme la meilleure journée de jeu de rôle que nous ayons faite.

D'un autre côt il est toujours facile d'obtenir de bons commentaires de vos amis, donc j'aurais dû m'y attendre. C'est la réponse des gens que je ne connaissais pas qui m'a rassuré comme quoi c'était le bon chemin à prendre.

 

Andy : As-tu jamais organisé une session de jeu de rôle collaboratif qui n'a tout simplement mené nulle part, ou à laquelle les joueurs n'ont pas "accroché" (et qui donc "a foiré") ?

Ian : J'ai fait quelques parties par Internet. Certaines d'entre elles ont été assez mauvaises, parce que je n'aimais pas vraiment les joueurs, et il n'y avait pas beaucoup de confIance. La confIance, est importante de même qu'un soupçon d'humilité. Les joueurs peuvent souvent finir de mauvaise humeur parce que leur idée ou leur personnage ne s'est pas appliquée exactement comme ils le souhaitaient.

 

Andy : Pourquoi cela a-t-il pris cette tournure ?

Ian : Quelques joueurs ont l'habitude de voir leur personnage en tant "qu'eux-mêmes" dans la partie. Parce que dans un JdR normal, c'est leur seul moyen d'influencer la partie, ils deviennent très attachés à lui : ils sont "avataristes". L'avatarisme ne fonctionne pas avec le jeu de rôle collaboratif, car vous pouvez influencer le jeu d'un bon nombre de manières.

Ça n'a pas de sens pour un MJ de s'attacher trop à un PNJ et devenir grognon si ce PNJ est blessé. De la même manière ça n'a pas de sens que les joueurs de JdRC s'attachent trop à leurs personnages.

D'après mon expérience, le détachement du personnage est la seule chose que les gens ne comprennent pas. Et il rend le JdRC impossible.

 

Andy : Il doit être difficile pour la plupart des joueurs de faire ceci au début, puisque tout le reste des styles de jeu de rôle implique de créer un personnage pour agir en tant que persona. Connais-tu des "techniques", des "conseils", ou "des trucs thérapeutiques à dire" pour aider les joueurs de JdRC débutants à se dégager des personnages qu'ils créent, permettant ainsi de meilleures parties de JdRC ?

Ian : C'est difficile. Le mot-clé est "l'avatarisme" qui signifie que le personnage est le représentant des joueurs dans le monde du jeu, par lequel ils commandent l'écoulement du jeu. Un jeu fortement "avatariste" ne permet au joueur d'influencer l'univers uniquement que via leur personnage. Ergo est un jeu de rôle avec un "avatarisme" vraiment minime.

Pour ce qui est d'aider les gens, la meilleure manière est toujours de leur faire une démonstration. Je me rappelle avoir essayé de faire un jeu de rôle pour la première fois avec une amie intéressée - pour commencer elle n'a rien fait, parce qu'elle n'a pas su ce qu'elle avait le droit de faire. Nous lui avons dit qu'elle pouvait faire tout ce qu'elle voulait, mais que certaines choses étaient plus appropriées (c.-à-d. 'dans le personnage') que d'autres. Elle est rentrée dans la partie quand d'autres ont commencé à jouer.

De la même manière; le JdRC induit chez les rôlistes conventionnels une paralysie due au grand nombre d'options : ils peuvent faire n'importe quoi - mais tout ne convient pas (c.-à-d. "dans le personnage" en jouant un personnage, ou "dans le style" en traitant des événements dans le monde). C'est mieux de le voir en action.

Ceci dit, des rôlistes ont réussi à [faire de bonnes parties d']Ergo sans être "formés" par moi. J'ai écrit un article intitulé Starting to collaborate que diverses personnes ont trouvé utile. Il vous conduit, à travers un ensemble de petits changements - chacun assez minime - qui vous emmènent du jeu de rôle conventionnel au JdRC.

Je viens juste de me rendre compte qu'une chose à suggérer, pourrait être de jouer un PJ comme si c'était un PNJ et que vous étiez un MJ. Vous vous impliquez rarement alors, parce que le personnage est un moyen de raconter une histoire.

 

Andy : Puisque que nous parlons des personnages, qui décide quand introduire de nouveaux personnages selon les "meta-règles" avec lesquelles vous jouez généralement ? Est-ce que n'importe qui peut juste introduire des personnages à chaque fois qu'il le souhaite ?

Ian : Il n'y a aucune vraie meta-règle pour introduire des personnages, ils se suggèrent naturellement d'eux-mêmes:

  • Les Personnages Principaux (habituellement un par joueur) sont capitaux pour l'histoire - ils sont comme les PJ et sont créés à de la même manière avant le début d'une partie.
  • Les Personnages Mineurs sont suggérés par le scénario. Pour la plupart, ils sont créés avant que la partie ne commence (de la même manière qu'un MJ créerait des PNJ dont il s'attend à avoir besoin).
  • Les Figurants vont et viennent - un barman dans une auberge, le garde d'un sas, etc... Ceux-ci sont générés quand ils sont nécessaires. Parfois les joueurs veulent ajouter des figurants supplémentaires dans une scène. Cela n'a jamais été un problème.

 

Andy : Une fois qu'un joueur crée un personnage, est-ce sa responsabilité d'interpréter ce personnage ?

Ian : Habituellement le joueur qui crée un personnage principal y reste attaché, il en est parfois de même pour les personnages mineurs, mais ils peuvent être échangés. Un fonctionnaire corrompu peut apparaître dans une scène avec deux des personnages principaux et dans une autre scène avec d'autres personnages principaux - il serait joué par un joueur différent dans chaque cas.

À la différence de JdR conventionnels, il n'y a aucun besoin que tous les personnages principaux soient présents dans chaque scène (puisque le PJ n'est pas la seule manière dont le joueur peut participer), donc se passe les personnages mineurs, ce qui les rend souvent plus intéressants. Les figurants tendent à être joués par n'importe qui, bien que cela puisse poser des problèmes si tout le monde veut jouer le même figurant particulièrement intéressant. Ergo impose qu'un seul joueur puisse jouer un personnage à la fois - mais la responsabilité peut être échangée selon les besoins.

 

Andy : Que se passe-t-il quand un joueur introduit un nouveau personnage, et qu'alors ce personnage doive interagir avec le personnage principal / héros de ce joueur ? Est-ce que le joueur "se parle à lui-même" ?

Ian : Si un des personnages est moins important, on le file à quelqu'un d'autre. Si chaque joueur commande plus d'un personnage principal alors ceci devient un problème, exactement comme dans un JdR normal avec plusieurs PJ par joueur. Je ne pense pas que cela fonctionne très bien dans l'un ou l'autre cas.

 

Andy : Tu dois avoir rencontré des situations où les gens - même dans les groupes auxquels tu fais confIance - en viennent à s'attacher à leur personnage principal... Que se produit-il quand un autre joueur essaye de diriger le personnage originel d'un autre joueur ? Y-a-il jamais une quelconque résistance (c.a.d "mon personnage ne ferait JAMAIS cela...")?

Ian : Nous le jouons de sorte que un unique joueur joue des personnages qui ont été investis émotionnellement. Ce n'est pas contre ma vision du JdRC du tout - il est sensé que pour les personnages détaillés, un joueur soit responsable. Il n'est pas arrivé qu'un personnage mineur ait posé ce problème, parce qu'ils sont conçus pour qu'on puisse s'en débarrasser. S'ils deviennent trop importants, alors ils sont fondamentalement traités comme un personnage principal.

Ceci dit, il y a des périodes où un joueur n'est pas disponible et on joue son personnage. Dans le jeu de rôle conventionnel, le MJ traite le personnage comme un PNJ. Dans JdRC la même chose se produit, en fait.

Quand j'ai dit qu'un joueur ne devrait pas être trop attaché à son personnage, je ne faisais pas allusion au fait que quelqu'un d'autre le jouerait, mais au fait que ce personnage allait et venait dans la campagne. Très souvent, un personnage principal sera au loin pendant une grande part de l'aventure, et leur joueur aura d'autres choses à faire.

Je devrais également souligner que les distinctions de personnages selon Ergo (principaux, mineurs et figurants) sont seulement une aide à la structuration, naturellement. Il y a plein de zones d'ombres, et en réalité la plupart des personnages sont quelque part entre ces échellons.

 

Andy : Le créateur d'un personnage a-t-il voix au chapitre dans la manière dont d'autres joueurs se servent de ce personnage?

Ian : Il n'y a aucune règle dans Ergo qui indique qui a le dernier mot au sujet de ce que chaque personnage fait. Pour chaque chose qui doit être détaillée dans la partie et revient souvent (c.-à-d. des personnages, des endroits, des races, des galaxies) Ergo suggère qu'un joueur soit le "guide". Il peut répondre à des questions, faire des descriptions et ceci a une influence naturelle sur les résultats.

 

Andy : Quels sont quelques-uns de tes JdR préférés ? Pourquoi ?

Ian : Le JdR auquel je joue le plus souvent est L'appel de Cthulhu, et je vais dire que c'est mon préféré. C'est le décor qui le fait fonctionner, j'aime la combinaison du détail historique et du fantastique. Je n'ai jamais fait attention au système, ce qui pour moi signifie qu'il fait bien son travail. J'aime en particulier la campagne Beyond the Mountains of Madness pour Cthulhu, pour les raisons pour lesquelles d'autres l'ont détesté. La majeure partie de la campagne est une fiction historique, aucun Méchant en vue, puis à la fin il y a une horreur finale suprême. Très amusant.

J'ai toujours décortiqué et modifié les systèmes de jeu et les univers ; ainsi le système est moins important pour moi que le décor et le scénario. Les systèmes que j'aime vraiment sont ceux qui sont entrelacés avec leur univers. J'ai un faible pour la Terre du Milieu (JRTM), et les jeux White Wolf (Vampire, Loup-Garou et Mage), bien que je ne sois pas un grand amateur du genre Loup-Garou / Vampire. Je joue actuellement à une campagne de Golden Heroes [JdR de super-héros, 1984 (NdT)], qui n'est pas géniale, mais le système est bien intégré dans le décor.

Mon approche a toujours été allégée en règles (rules-light). Le groupe avec lequel j'ai joué par intermittence pendant les 14 dernières années a toujours aimé les feuilles de personnage vraiment détaillées avec des mécanismes simples - nous sommes passés par une phase de création de personnages avec Rolemaster, mais sans utiliser de vrai système dans le cours du jeu. Nous avons commencé par Donjons et Dragons, avant qu'AD&D n'apparaisse, et j'ai toujours mes copies défoncées des cinq boites de règles de D&D. Nous avons toujours créé nos propres systèmes, et nous avons joué beaucoup de parties avec ceux-ci.

Le mécanisme de jeu que j'aime le plus est, sans aucun doute, FUDGE. En l'observant évoluer sur rec.games.design j'ai trouvé que c'était une très bonne approche - un jeu qui sert à créer des JdR : un méta-jeu. C'était le premier méta-jeu que j'ai vu, et il m'a certainement inspiré.

 

Andy : As-tu remarqué si l'un de ces jeux marche mieux ou moins bien (en termes de règles ou de genre) avec le jeu de rôle collaboratif ?

Ian : Pour des raisons évidentes, le JdRC ne fonctionne pas très bien avec les genres des mystères et des explorations. Je ne l'ai jamais essayé avec l'Appel de Cthulhu, mais j'imagine que l'on devrait le jouer plus avec des scénarios du type "recherche de la cible, destruction de l'ennemi, récupération de l'équipe" que d'explorations de maisons hantées. Le JdRC marche bien avec les jeux tactiques ou stratégiques, donc de bons genre avec lesquels jouer sont l'espionnage et l'infiltration.

Le plus grand changement dans le déroulement du jeu semble être que les interactions sociales et interpersonnelles deviennent plus profondes et plus centrales par rapport à l'histoire. Je ne connais aucun jeu dont les scénarios soulignent cet aspect, puisque la plupart des JdR sont orientés vers l'action.

Dans le JdRC vous devez souvent créer rapidement quelques personnages pour servir de figurants dans la scène. Ce qui est bien pour ça sont les systèmes ayant des règles légères, ou de simples programmes sur ordinateurs pour générer des personnages.

FUDGE fonctionne très bien en effet pour deux raisons. Premièrement il est léger, et facilement adaptable. Deuxièmement il a le concept de compétences générales et spécifiques. Vous pouvez avoir une compétence pour le combat, par exemple, et puis une autre pour le maniement d'épée, et encore une autre pour combattre avec votre épée courte favorite. Ceci signifie que les figurants dans une scène peuvent juste avoir les compétences générales, au mieux juste quelques compétences telles que "combat", "réflexion", "interaction sociale", tandis que les personnages principaux peuvent avoir des hiérarchies de compétences détaillées.

 

Andy : Que pensez-tu des JdR qui sortent en ce moment [2002]? En as-tu remarqué un en particulier ?

Ian : Rien ne m'a vraiment frappé très récemment. Je suis peu les nouveaux systèmes, mais je rafle le nouveau matériel pour l'Appel de Cthulhu, et il y a eu quelques très bons suppléments (et d'autres assez mauvais) qui sont sortis ces deux dernières années.

Il y a un très bon jeu (collaboratif) : De Profundis  (1) (aux éditions Hogshead), sorti autour de Noël, dont j'ai eu le privilège de voir une version de brouillon.

J'ai la nette impression qu'avec les films du Seigneur des Anneaux, il y a bon nombre de possibilités pour reprendre le matériel de JRTM - je voudrais voir de meilleures scénarios pour JRTM (les rares que j'ai vu n'étaient pas terribles).

 

Andy : Que projettes-tu de faire avec ton nouveau site, www.collaborativeroleplay.org.uk, à l'avenir ? Quel est son objectif ?

Ian : À l'origine j'ai réservé le nom de domaine en tant qu'endroit pour mettre les pages de mon jeu de rôle collaboratif, Ergo. Je me suis dit que ce serait bien de mettre des liens vers tous les autres jeux qui sont construits autour des mêmes principes : des jeux de rôle sans MJ. Je reçois quelques e-mails par semaine de gens qui parlent de jeu de rôle collaboratif sous diverses formes, donc ce sera bien d'avoir un portail pour des ressources. Il y aura des pages de liens, la page de ressources pour Ergo, et une liste de personnes intéressées. Je le mettrai à jour au fur et à mesure qu'apparaîtront de nouvelles ressources.

Je n'ai pas beaucoup de temps à y consacrer, cependant, donc il n'est pas censé être un nouveau grand site de jeux de rôle.

 

Andy : Dis m'en un peu au sujet de ton JdR, Ergo.

Ian : Ergo est un JdR qui rend pratique le jeu de rôle collaboratif. Il n'a aucun mécanisme de simulation en propre, mais décrit comment structurer et planifier une partie de manière réalisable.

J'ai écrit Ergo suite aux commentaires que j'ai reçu après l'essai (délibérément provocateur) Avatarism and the Myth of the Red Queen que j'ai écrit sur le jeu de rôle. J'ai remarqué qu'une meilleure gestion de l'avatar pourrait être tirée des jeux vidéo (particulièrement les jeux à la 1ère / 3ème personne tels que Quake ou Tomb Raider), puisqu'ils permettent au joueur d'influencer le monde à un niveau de conscience beaucoup plus faible. Même si ces jeux sont consciemment moins flexibles, ils sont plus réalistes cognitivement.

J'ai afirmé que c'est pourquoi le jeu de rôle n'a plus qu'une fraction de ses joueurs de l'ère pré-ordinateur. J'ai suggéré que ceux d'entre nous qui restaient étaient soit a) têtus, ou b) pas motivés par l'avatarisme. Par conséquent il serait mieux d'interpréter son personnage sans un lien si fort entre lui et le joueur.

J'ai été défié, à raison, de passer du verbe à l'action, et de montrer comment cela pourrait être fait. Donc j'ai écrit Ergo.

Je ne pense pas que cela ait très bien fonctionné, parce que mon article était plus une exploration qu'une démonstration, mais il a lancé quelques pistes, et il y a de plus en plus de personnes qui jouent, conçoivent et publient des JdRC maintenant.

 

Andy : Quand espères-tu terminer la prochaine édition d'Ergo, si cela doit jamais arriver ?

Ian : Je me suis fixé en gros la fin de l'année. Je travaille quelques heures par semaine dessus et il prend joliment forme. Je suis peu disposé à faire une quelconque annonce sur une date de sortie cependant, car j'ai peu de temps libre et je ne veux pas être malhonnête quant à de ma capacité à terminer.

Andy : Que cherches-tu à faire avec la nouvelle édition d'Ergo ?

Ian : La nouvelle édition contient un très court résumé de la première ébauche - les concepts et les structures principaux qui composent Ergo, sans aucune de leurs implications ou concepts plus complexes. Cela représente grosso modo une dizaine de pages. En outre il y aura trois scénarios optimisés pour le JdRC. La meilleure façon d'apprendre est de jouer, ainsi les scénarios sont essentiels à la nouvelle édition. Suivant la manière dont les choses progressent, il y aura peut-être seulement deux scénarios dans la version publiée, mais ils seront suffisants pour démarrer et voir le JdRC en action.

Depuis que j'ai écrit la première version d'Ergo je me suis moins intéressé à la théorie du jeu de rôles, et me suis davantage concentré sur la réalité. Je faisais ma thèse quand j'ai écrit Ergo 1, et j'avais la tête à la théorie, articulant mes idées et le concept de jeu de rôle collaboratif. Je me sens plus terre-à-terre maintenant dans mon travail, et ainsi Ergo 2 a pour objet d'être aussi facile à jouer que possible.

 

Andy : Si le temps n'était pas un problème, dans quelles sortes de projets de JdR aimerais-tu t'impliquer à l'avenir ?

Ian : Je suis content de folâtrer avec le jeu de rôle collaboratif : répondre aux emails, écrire Ergo, concevoir des scénarios. Je ne compte certainement pas travailler sur des jeux de rôle classiques à plein temps ou professionnellement. Il y a de fortes chances que cela reste un passe-temps.

J'apprécie immensément la créatio, de scénario. J'organise de temps en temps des sessions de jeu de rôles d'une journée avec pleins d'éléments d'ambiance (photographies, effets sonores, etc...), un bon décor et des énigmes. J'obtiens la plus grande partie de mon plaisir de la création et l'organisation de ces sessions, mais elles prennent un temps effrayant.

Et surtout je voudrais avoir l'occasion de jouer plus souvent !

 

Andy : Quelque chose à dire à la communauté du JdR dans son ensemble?

Ian : Pour être honnête, je pense qu'Ergo est tout que j'ai à dire. Je ne suis pas un révolutionnaire, et je n'essaye pas de changer les jeux que les gens apprécient. Je pense juste qu'il y a d'autres manières de s'amuser.  Si vous êtes intéressé, essayez une fois. Si vous pensez que cela ne fonctionnera jamais, essayez une fois, et si ça ne vous attire pas, restez-en à ce qui vous plaît.

Article original : Co-operative Roleplay: An Interview with Ian Millington (c) PTGPTB n°20, janvier 2002


(1) NdT : De Profundis est un « jeu de rôle épistolaire » qui se joue par échange de lettres manuscrites entre joueurs, à l’image des nouvelles de Lovecraft où le narrateur couche par écrit les horreurs dont fut le témoin.[Retour]

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