Critique de Blades in the Dark

Shut Up & Sit Down
Livrets (feuilles de persos) de BITD avec fausse lampe à pétrole, couteau, crayons, dés, fiole

Quinns : Vous souvenez-vous de notre chronique du mois dernier sur Tales from the Loop grog, le charmant jeu de rôle S-F de vélos, fusées à eau et musiques emblématiques des années 80 ? Aujourd’hui nous nous penchons sur le nouveau jeu de rôles qui a fait de l’œil à mes amis, et cela va être aussi vil que Tales from the Loop était innocent.

Blades in the Dark est un jeu de John Harper, dont le nom vous rappelle peut-être la chronique de Cynthia en sur le superbe jeu de rôle gratuit Lady Blackbird grog. Mais tandis que ce jeu avait la taille improbable de 15 pages, Blades in the Dark en fait 336. C’est énorme, en comparaison.

Et ceci est une très bonne nouvelle si, comme moi, vous êtes fan de la saga Locke Lamora en de Scott Lynch ou du genre “braquage” en général, car Blades in the Dark vous fait jouer des criminels dans un cadre proche de la Régence anglaise [période entre 1811 et 1820, lors de laquelle George IV dirigea le Royaume-Uni à la place de son père, George III, qui était gravement malade (NdT)]. Oh, oui. C’est un simulateur de crapules, et savoir si vous voulez jouer une bande de dealers en col blanc, de gros bras terre-à-terre, ou encore un sombre culte, n’est que la première décision amusante que vous aurez à prendre parmi une longue liste.

Blades in the Dark [nommé Blades dans la suite de l’article (NdT)] offre aussi une toile de fond vaste et séduisante pour vos escapades : la cité hantée de Doskvol, qui sera familière à quiconque s’est déjà aventuré.e dans des jeux vidéo gloompunk comme Thief wiki, Dishonored wiki, Sunless Sea Steam ou Fallen London en.

Cette chronique va être longue, et pas seulement parce que c’est un énorme bouquin. Voyez-vous, Blades est le jeu de rôles le plus amusant auquel mes amis et moi avons joué, et de plus il ne ressemble à aucun des précédents JdR auxquels j’ai joué.

plan du quartier de Crowfoot

Il est probablement plus simple de commencer avec les règles pour les crimes "classes", appelés les Coups. Après tout, votre campagne de Blades va probablement commencer avec un Coup bourré d’action, de même qu’une partie de D&D commence généralement avec une multitude de gobelins sortant des bois pour attaquer votre caravane.

Dans n’importe quel autre jeu de rôles, réaliser un casse implique une longue discussion des plans et aléas entre les joueuses, tout cela pour que ledit plan soit abandonné 5 minutes après l’entrée dans le bâtiment.

Il en est autrement dans Blades. D’abord, ce qui va sembler aux joueurs et joueuses être un saut dans l’inconnu : quand un Coup commence, ils choisissent simplement le style de leur approche (Tromperie, Furtivité, Agression sont les plus communs), et notre film fait une ellipse jusqu’à l’arrivée de l’équipe devant le bâtiment, prête à mettre son plan en action. Toute la planification se passe « hors-champ ».

Ce qui arrive ensuite est virtuose. Je sais bien que nous lançons des hyperbates (1) comme des confettis dans cette chronique, mais laissez moi le temps de vous expliquer.

Alors que les joueuses ne planifient quasiment rien, elles sont à la place autorisées à narrer des flashbacks. Imaginez un George Clooney en cape et haut-de-forme expliquant à tout le monde le plan d’un casse à la Ocean’s Eleven [film de braquage sorti en 2001, remake du film éponyme de 1960 (NdT)], révélant les étapes de celui-ci à mesure que les obstacles apparaissent. Donc quand un garde voit un PJ, une joueuse peut dire : « C’est bon. On a menacé sa famille la semaine passée. ». La partie remonte alors le temps, et vous passez une minute à jouer la scène où les PJ menacent la famille du garde, en faisant un jet pour savoir si votre menace a porté ses fruits, avant de revenir au présent.

Il n’y a absolument aucune limite au caractère extravagant de ces flashbacks, sauf un coût en « points de Stress » déterminé par la MJ. Un PJ atteignant 10 en Stress abandonne la mission. Si cela arrive quatre fois, il perd son goût pour cette absurdité et disparaît de la campagne. Ce système est à la fois libérateur, simple et incroyablement amusant.

Pendant ma première partie de Blades, mes joueur.euses volaient des armes dans les appartements élevés d’un grand immeuble, avant de se rendre compte qu’ils n’avaient aucun moyen de transporter le butin hors de là. Quelqu’un a donc narré un flashback dans lequel son personnage payait des gamins du coin pour qu’ils attendent ce moment précis sur le toit d’à côté, permettant à la bande de leur lancer une corde pour y faire passer les armes dans un sac.

Mais les PJ avaient-ils une longue corde et un sac à cet instant ? Bien sûr, car dans Blades les PJ ont toujours ce dont ils ont besoin. Le mécanisme derrière cela est que les joueurs et joueuses ne décident pas ce que leurs personnages prennent lorsque la mission commence (de même que l’on ne sait pas ce que George Clooney porte lorsqu’on le voit entrer dans le bâtiment), mais cochent une case sur leur fiche de personnage lorsqu’iels ont besoin d’un équipement, chaque personnage étant autorisé à un nombre limité de cases cochées par mission.

Et devinez quoi ? C’est, encore une fois, libérateur, simple et tellement amusant. Imaginez que votre personnage fait la sentinelle et se fait sauter dessus par un gang rival. Oh non ! Mais aussi vite que la lumière, vous pouvez cocher les cases nécessaires pour avoir une « armure lourde » et une « paire de pistolets », qui étaient cachées sous votre pardessus. Vous révélez qu’être attaqué faisait partie du plan depuis le début, en sortant les deux armes d’un geste ample.

Plusieurs livrets de BitD, classes de persos Whisper, Leech, Slide

En d’autres termes, les joueuses ont énormément de pouvoir, et nous n’avons même pas encore jeté un œil à toutes les capacités cool que chacun obtient dans son livret [Nom donné à la fiche de personnage dans les jeux PBTA (2) (NdT)] que ce soit un cambrioleur, une chimiste ou un medium. Dès la première minute de votre toute première session, les PJ de Blades obtiennent une panoplie imposante d’objets et pouvoirs sympathiques, panoplie qui ne fait que s’enrichir avec le temps.

Après cela, il serait facile de supposer qu’avec des joueurs investis de tant de pouvoirs narratifs, que Blades est un jeu facile. Je pense que si vous le suggériez aux miens ils vous riraient au nez, et vous répondraient « Sais-tu à quel point c’est difficile d’obtenir un 6 aux dés ? ».

Blades est en fait délicieusement tendu, plus que n’importe quel autre JdR auquel j’ai joué, et tout cela vient du système de résolution. Je ne vais pas vous embêter avec les détails, mais en gros les personnages ne réussissent ce qu’ils entreprennent qu’avec un résultat de 6 dans les dés lancés. La plupart du temps, le résultat sera un 4 ou un 5, ce qui signifie un succès « entrainant une conséquence ». Peut-être que le personnage est blessé, qu’il attire l’attention, se fait un ennemi, se prend un poison lent ou tout ce qui peut rendre - selon la MJ - les choses encore plus amusantes ou affreuses.

Et quand il s’agit de créer ces conséquences, les personnages sont rendus tellement puissants par le jeu que le MJ peut s’en donner à coeur joie. Si vous voulez que le personnage qui porte le butin se fasse attraper par le Guet de la ville, ou que la cambrioleuse du groupe chute du haut d’un grand immeuble, allez-y ! Avec tous leurs outils de contrôle narratif dans Blades, mettre vos joueuses dans le pétrin est comme jouer avec des culbutos. Ils vacilleront mais ne tomberont pas.

La même chose… mais avec plus de couteaux.

En parlant de refuser de tomber, je dois mentionner la règle de Blades pour « Résister ».

Joueurs de JdR : est-ce que ça vous est déjà arrivé ? Vous ratez un jet de dés et la MJ narre avec joie votre échec d’une façon qui… ne vous convient juste pas. Peut-être que cela ne donne pas la bonne image de votre personnage, ou que cela tire l’histoire dans une direction que vous ne souhaitez pas. Et bien, dans Blades vous pouvez toujours décider que votre personnage « Résiste » à ces conséquences. Comme tout le reste dans ce jeu, c’est une décision lourde à prendre, qui peut rendre un jet de compétence très coûteux en points de Stress pour votre personnage, et même éventuellement exclure purement et simplement le personnage du casse. Mais cette chose que vous ne vouliez pas voir se produire ? Votre personnage ne la laisse pas advenir.

Mais toute virée a une fin, alors parlons de la seconde moitié de Blades : vivre et jouer dans la cité de Doskvol.

Regardez la carte de la ville que voici. Voyez-vous les différents quartiers ? Chacun offre un décor différent, de l’usine étouffante aux pavillons de marbre.

La pointe d'un couteau désigne un endroit précis du plan de Doskvol

Vous pouvez également zoomer. Ci-dessous vous pouvez voir une carte de Silkshore, tirée directement cette fois du fichier pdf. En résumé, c’est un quartier de vie nocturne et d’artistes, plus facile à parcourir en gondole. Cette carte particulière met en avant quelques points d’intérêt que vous pouvez visiter, chacun étant accompagné d’idées de scènes qui pourraient s’y dérouler.

Plan sommaure du quartier de Silkshore, avec références renvoyant sur des endroits remarquables

De même que les héros de D&D retournent en ville entre deux donjons, les PJ de Blades retournent à leur vie citadine entre chaque crime. Tout JdR a besoin de ces périodes de calme, au risque de devenir insensible à l’action.

Mais voici la partie folle : à la différence de D&D ou du type de jeux narratifs qui ont rendu John Harper connu, ces périodes où les PJ sont libres de vaquer à leurs occupations sont… plutôt cadrées. Blades donne à la fois aux joueuses un terrain de jeu sans fin et des règles strictes, dans le style d’un jeu de plateau, pour interagir avec.

D’abord, le MJ fait un jet sur une table pour déterminer un « Imbroglio » que les PJ doivent subir, en se basant sur les ennemis qu’iels se sont faits et le grabuge qu’iels ont causé pendant leur dernier crime. Chaque PJ obtient ensuite deux « Activités de temps mort » à choisir dans une liste, comme se détendre pour enlever du stress ou travailler sur un projet personnel. Les activités supplémentaires coûtent de l’argent. Puis on retourne à la planification du prochain « Coup », qui demande aux joueurs.euses de choisir une cible et de jouer quelques scènes de « Recueil d’Informations ».

Mais c’est encore un exemple où Blades rompt avec succès avec la pensée classique en JdR. Oui, vous pouvez faire ce que vous voulez dans D&D ou dans le JdR Star Wars, mais les personnages y font-ils des choses intéressantes ? Non, ils achètent et vendent ce dont ils ont besoin, écoutent des rumeurs dans un bar et attendent la prochaine accroche narrative.

En ayant une liste de ce qu'il est possible de faire pour les personnages, Blades force les joueurs et les joueuses à faire des choix intéressants et à insuffler plus de vie dans leur personnage et dans cette ville. Rapidement, vous vous rendez compte que cette structure ne restreint pas votre amusement, mais place des cages de foot et des structures pour enfants au milieu d’un terrain de jeu qui, sans cela, serait sans repères. La plupart des joueuses n’interrompraient pas une partie de JdR pour parler d’un projet spécial et secret sur lequel travaille leur personnage, mais Blades vous force à le faire, et tout le monde en bénéficie. C’est seulement sous cette douce pression qu’un de mes joueurs a décidé que son personnage achetait et entraînait des hiboux dans un jardin de toit, et chacun de nous se sentit plus attaché à ce roublard discret.

Selon mon expérience, cela veut dire que Blades in the Dark gère les scènes d’action - comme celles de temps mort - mieux que tous les JdR traditionnels auxquels j’ai eu l’occasion de jouer.

Je voudrais maintenant parler de deux systèmes qui relient les deux phases de jeu ensemble, comme les engrenages d’une machine à mouvement perpétuel.

plein de compteurs sur des bristols, bien remplis, celui de "ennemis des fantômes !!" totalement noirci

Le premier système, ce sont les « horloges », visibles ci-dessus, qui ont même la décence de ressembler à des engrenages. Ces petits cercles [appelés « compteurs de progression » dans le jeu (NdT)] sont placés au milieu de la table et se remplissent graduellement au fil du temps, ou en cas d’échec aux dés. Les PJ s’embrouillent avec une faction ? Donnez-leur un compteur ! Une PJ se frotte à des forces surnaturelles ? Donnez-leur un compteur. Un scélérat qui rôde, un comité de surveillance de quartier contrarié, une pièce d’équipement qui fait des siennes ? Un, deux, trois compteurs. Et quand un compteur est plein - que cela prenne quelques minutes, plusieurs heures, sessions ou saisons (en fonction de la pression que vous voulez associer à ce compteur en particulier) - le MJ peut décrire un retournement de situation, une attaque ciblant les PJ, ou un événement important se déroulant autre part dans la ville.

C’est tout. Il n’y a pas plus de règles que ça. Et pourtant, ces compteurs donnent vie à la ville de Doskvol comme à un terrifiant monstre de Frankenstein. Il suffit d’une dizaine de compteurs tournant sans interruption pour donner l’impression que la ville abrite 10 000 gredins complotant contre les PJ. Les compteurs représentent aussi une menace de faible niveau, rappelant avec insistance aux PJ qu’ils ont besoin de l’argent et de l’expérience qu’ils travaillent à accumuler. Dans la plupart des JdR, les PJ peuvent se promener d’aventure en aventure avec la certitude de rester les héros de l’histoire. Mais ici, une fois que la MJ met en marche une batterie de compteurs, il y a comme un sentiment de course contre la montre. Soit dit en passant, créer un nouveau compteur au nom bien menaçant est un super moyen de punir une joueuse dans une scène où le groupe a déjà bien assez à faire.

Ensuite il y a la liste des factions, ci-dessous. Pour moi, c’est le cœur de Blades, aussi revigorante et délicieuse qu’une tablette de chocolat.

table des factions, avec la colonne "relations" commençant à être remplie

C’est une liste de toutes les factions de la ville, des gangs aux gondoliers, en passant par les sectes et les consulats. Elle sert à noter la « force » de chaque faction, ainsi que sa relation avec le gang des joueurs, celle-ci allant de +3 (un allié) à -3 (en guerre totale contre le gang).

Comme le souligne le jeu, tout dans la ville appartient déjà à quelqu’un ; ce qui veut dire que les PJ ne peuvent rien faire sans changer l’opinion que certaines factions ont d’eux. Qu’avez-vous volé, et à qui ? Qui s’est lancé à votre recherche, et comment avez-vous réagi ? Mes joueur.ses grognent toujours quand je leur dis de mettre à jour la liste des factions après un casse, même si – comme les compteurs – celle-ci sert surtout à donner des idées. Elle ne fait rien d’elle-même. Mais elle donne certainement plein d’idées horribles à la MJ.

Alors, oui : les joueurs et les joueuses sont accompagné.es en permanence par des compteurs et par la liste des factions, ce qui crée un sentiment de conséquence. Mais iels gardent un contrôle total sur le destin de leurs personnages. On en revient au contrôle narratif, si longtemps refusé aux pauvres joueur.euses.

Car voyez-vous, on peut enquêter sur les compteurs, et même les déjouer avec une action de Temps Mort. Les factions qui vous détestent peuvent être soigneusement évitées, ou – si les joueuses le sou-haitent – affaiblies au prix d’un effort soutenu. Et bien que les joueuses soient toujours capables d’éviter qu’un événement donné ne se produise, elles ne peuvent pas tout éviter. Cela veut dire que leurs gredins vont se mettre toujours plus profondément dans le pétrin, jusqu’à un épilogue qu’elles auront elles-mêmes provoqué.

Il faut aussi dire que le crime paie. Bien que l’on ait toujours l’impression que la ville est prête à vous tomber dessus au moindre cafouillage, les PJ sont récompensé.es par tout un tas de récompenses enthousiasmantes après chaque casse. Chaque personnage gagne de l’expérience et monte de niveau. La bande elle-même a sa propre feuille de personnage, gagne de l’expérience et monte de niveau ! Vous pouvez même gagner du territoire, en vous accaparant progressivement des quartiers entiers de la ville. Je suis sûr que nombre de joueurs et de joueuses s’amuseront à dessiner minutieusement un plan des rues qu’iels contrôlent. Je me suis éclaté à faire visiter tous les coins de la ville à mes joueurs, mais on pourrait aussi bien organiser une campagne entière dans un seul quartier, voire même un coin de quartier.

Bref, là où je veux en venir, c’est que toutes ces possibilités sont géniales si, en tant que MJ, vous oubliez régulièrement de récompenser vos joueur.euses - comme moi ; le jeu le fait pour vous.

Nous en avons presque fini, ce qui nous amène à… bon, ce qui n’est pas exactement une critique de Blades, mais plutôt quelque chose qu’il faut bien comprendre avant d’envoyer des messages à ses amis, d’acheter le jeu et de planifier sa première partie.

Dessins de facades de rues de Crow's Foot

Blades in the Dark est intéressant car il n’attend pas de la MJ qu’elle offre une aventure préparée à ses joueurs chaque semaine. Au lieu de cela, elle offre un lieu. Si je commençais une nouvelle campagne en sachant ce que sais maintenant, je commencerais par mettre tout un tas de cartes au milieu de la table, avant de dire aux joueuses : « Vous voyez cette ville ? Elle est à vous. »

D'un côté, c’est libérateur et très amusant pour le MJ. On n’a pas besoin de savoir ce qui va se passer. Il suffit d’inviter les joueurs.euses à la maison et les laisser décider quoi voler. Si iels ne sont pas intéressées (ce qui parait peu probable), vous pouvez créer aléatoirement le contrat qui leur est proposé à partir d’une table prévue pour ça.

Selon moi, une grande partie de l’intérêt de Blades consiste pour le MJ à découvrir ce qui se passe à Doskvol ce soir-là. C’est comme si mes joueurs et joueuses me guidaient à travers un rêve lucide – iels choisissent d’envoyer leurs persos dans un bar cossu, et celui-ci jaillit de mon imagination. Ou si je me sens à cours d’imagination, je peux les laisser le décrire.

Il faut néanmoins bien avouer que la MJ doit – vous me pardonnerez ce jargon technique – « inventer beaucoup de trucs ». Quand mes joueurs me disent qu’ils veulent cambrioler un entrepôt, il faut que je quitte la table pendant 5 minutes, le temps d’imaginer un entrepôt contenant au moins une surprise. Quand mes joueurs veulent Recueillir des Informations avec un PNJ inscrit sur leur fiche de personnage (chaque classe a droit à 5 personnages uniques que le PJ connaît, ce qui aide les joueurs.euses à s’imaginer vivre dans la ville), je dois rapidement discuter de la personnalité du PNJ avec le joueur, incarner ce rôle, puis quand le joueur obtient un succès critique à son jet de Recueil d’Information, je dois inventer une info étrangement utile sur un lieu que je n’ai pas encore inventé.

Mais ça va. Oui, vraiment. Parce que vous n’imaginez pas des énigmes et des mystères, mais des lieux plausibles. Vous imaginez des gens normaux avec des désirs normaux (et parfois des gens anormaux avec des désirs tout aussi anormaux). Et vous faites tout cela avec l’aide des joueurs, car eux aussi vivent dans cette ville. Ce n’est donc pas un problème de mettre au point un lieu ou un personnage ensemble. Lors d’une partie mémorable, mes joueurs m’ont dit qu’ils voulaient se déguiser en Gardiens Spirites - les sinistres fonctionnaires qui incinèrent les morts - et je me suis rendu compte que je n’avais aucune idée de ce à quoi ils ressemblaient. J’ai les ai donc tout simplement laissé décider.

accessoires vintage sur des feuilles répandues

En fin de compte, je pense que la créativité requise par Blades n’est qu’une raison de plus d’y jouer. Car oui, le jeu demande beaucoup à la MJ, mais il fournit aussi toutes les ressources nécessaires pour concocter des merveilles à l’improviste. Le livre déborde d’amorces, et vos ami.es vous seront reconnaissant.es des efforts que vous ferez car vous les aiderez à vivre l’aventure qu’iels auront choisi.

J’ai l’impression d’avoir zigzagué d’un sujet à l’autre tout au long de cette critique, mais je ne pense pas qu’il pourrait en être autrement pour une critique de Blades in the Dark. C’est l’œuvre d’un créateur qui a montré qu’il était capable de faire tenir des mondes entiers dans une quinzaine de pages (et souvent encore moins que ça), et qui a décidé d’étendre ce même sens du détail et cette même densité d’idées à un bouquin relié de taille conséquente. C’est un travail d’amour qui force l’admiration, offrant à la fois des grosses scènes d’action qui tachent, et un défi érudit aux idées reçues du JdR. Le jeu offre tout un tas de pages d’informations sur un univers que John adore de toute évidence, tout en passant sous silence des pans entiers de celui-ci et en vous donnant tous les outils nécessaires pour combler ce vide. C’est tout simplement, vous me pardonnerez le jeu de mot, « Criminellement bon ».

Non, Blades n’est pas un jeu pour tout le monde. Aucun jeu ne convient à tout le monde. J’imagine que certains joueurs traditionnels peuvent préférer se voir proposer une histoire par la MJ plutôt que de devoir imaginer des objectifs et des motivations eux-mêmes. Je peux aussi imaginer que celles et ceux qui sont plus intéressé.es par les jeux axés sur les sentiments et la narration ne verront en Blades qu’une suite de scènes d’action interminable, suivi de comptabilité, puis d’encore plus d’action.

Mais si vous aimez l’action, changer des nombres sur un bout de papier, et les voleurs - vous devez essayer Blades [L’édition physique du livre en français semble en rupture de stock, mais le pdf est disponible ici (NdT)]. Il y a des Jeux de Rôles que je trouve excellents. Il y a des JdR que je considère comme la meilleure chose faite dans l’année. Mais, en ce qui me concerne, Blades me fait vraiment me demander si je ne trouverais jamais un JdR correspondant autant à mes attentes et à celles de mes ami.es.

Maintenant si ça ne vous dérange pas, je vais compter les jours avant la sortie du premier supplément.

Article original : RPG review : Blades in the Dark

Sélection de commentaires

Enkufka

J’aime cette critique, mais je pense qu’un point essentiel a été oublié : une des améliorations pour le gang vous permet de vendre des drogues illicites à des fantômes. Ça vaut le coup de le souligner.

EricVulgaris

Blades est incroyable. J’ai pris part à sa communauté et à son développement pendant un certain temps, et ai même quelques campagnes enregistrées à mon actif. J’adore particulièrement ma campagne Il n’y a jamais de Soleil à Doskvol (Playlist Youtube de la campagneen).

Le jeu prend fondamentalement le parti de la fiction, ce qui est délicat à comprendre si vous êtes un nouveau MJ. Quand vous, MJ, lancez quelque chose et que les mécaniques réagissent étrangement, c’est probablement parce que vous n’avez pas mené à partir de la fiction. (C’est un problème récurrent des jeux PBTA, famille à laquelle le jeu appartient techniquement).

Je dis ‘techniquement’ car l’esprit du PBTA y est visible, mais les phases de jeu réglementées et la cascade de multiples mécanismes simples ressemblent plus aux Légendes de la Garde grog et à Burning Wheel grog qu’au jeu original [Apocalypse World].

Au fait, les feuilles de personnages sur [la plateforme de JdR à distance] Roll20 sont fantastiques. Donc, si vous voulez nous suivre avec Quinn dans notre obsession avec ce jeu, essayer d’y jouer en ligne !

Aussi, j’ai eu le privilège de participer à des playtests du torrent de hacks de ce jeu qui vont sortir. Scum and Villainy en, le hack space-opera dans l’esprit de Star Wars/Gardiens de la Galaxie/Firefly, est déjà disponible et envoie du lourd. La version Sword and Sorcery, Blades Against Darkness rpggeek.com, arrive également tout doucement pour les amateurs d’exploration de donjons.

Achetez ce jeu !

TwoDaemon

Je mène une campagne de Blades in the Dark depuis quelques mois, avec un groupe à Brighton, et c’est vraiment infiniment fun. Cela règle simplement tellement de problèmes rencontrés par le passé pour avoir quelque chose d’incisif et croustillant sans perdre de vue l’histoire racontée. Mon groupe (dont certains membres sont des néophytes en jeux de rôles) n’a eu aucun mal à prendre le jeu en main.

Je n’ai jamais eu de joueuses aussi excitées pour des parties où leurs personnages se prennent des balles dans le buffet puis tombent du haut d’un bâtiment enflammé. L’excitation et la tension des Coups en eux-mêmes ne fait qu’augmenter avec leur vitesse et leur précision, puis ensuite les règles de Temps Mort donnent presque aux personnages l’espace pour souffler, pendant qu’iels choisissent dans un petit menu une façon d’occuper leurs prochaines semaines avant de reprendre les choses sérieuses.

Cynicalmonkey

Alors, je n’ai jamais mis un pied dans un seul JdR, mais lire la chronique de ce jeu me fait penser qu’il correspondrait exactement à mes attentes.

Voici donc quelques questions :

  1. Quel est le coût d’entrée pour commencer en tant que MJ avec son premier groupe et une expérience en JdR quasi inexistante ?
  2. À quel point est-ce qu’être MJ est gratifiant ? J’imagine que je vais avoir ce rôle avec le groupe avec qui je compte jouer, donc vais-je être jaloux de ne pas participer au casse ?

Thysane

J’ai mené plus d’une trentaine de sessions de Blades, et y être MJ est infiniment divertissant et gratifiant, car tu es constamment en tension, inventant des éléments de toutes pièces, à mesure que les joueuses foncent tête baissée dans des situations dingues. La partie « ne pas participer au casse » est un faux problème, car tu déploies toi-même tous ces codes croustillants : le parrain du crime brutal, le flic corrompu, le bal masqué, et autres joyeusetés. Parfois, je me sens comme le seul et plus grand fan d’une super série TV sur le crime, posant des questions et réagissant.

La préparation est minimaliste, consistant à cocher des cases dans des horloges d’intrigues d’arrière-plan et à prendre un moment pour penser aux factions dont les agissements impactent les PJ. Ensuite tu balances ce qui en ressort dans la session suivante, et tu regardes le bordel qui se produit. C’est probablement l’un des jeux les plus faciles à prendre en main que j’ai jamais menés.

Pour des joueur.euses et un.e MJ débutant.es, je dirais que l’investissement de départ est assez faible. Tout le monde peut se faire une bonne idée des casses et des flashbacks en ayant vu des films du genre, et les règles sont extrêmement guidées par la fiction et basées sur la conversation. Si je dis qu’une action est risquée, c’est à la fois moi qui dis « ouais, ça pourrait bien comme mal tourner, c’est assez dangereux » - ce que tout le monde peut comprendre -, et un signalement mécanique, car les actions risquées sont plus risquées que celles qui sont contrôlées, et moins risquées que celles qui sont désespérées.

Matt Popke

Un point important à propos du rôle de MJ, que Quinns n’a pas mentionné : le monde est complètement dingo. Quelques séances seront probablement nécessaires pour vous immerger assez dans le jeu pour que vous puissiez improviser avec la saveur unique de Doskvol. Mais une fois que vous l’aurez fait, vous aurez beaucoup de plaisir à créer des obstacles, des défis, des PNJ et des trésors du monde. En tant que MJ, l’univers du jeu vous fournit plus qu’assez d’éléments pour vous maintenir intéressé.e et engagé.e.

Ceci étant dit, je ne suis pas sûr que je prendrais Blades pour ma première expérience de MJ, surtout si je n’ai jamais joué à un JdR avant. Ce jeu comporte des mécanismes plutôt avancées, et suppose, de la part du lecteur, une bonne compréhension des bases du JdR qu’il subvertit parfois.

De l’autre côté, il pourrait être parfait pour un débutant, car vous avez moins à désapprendre avant d’y jouer. Il suffit d’être prêt à improviser comme jamais ; car ce jeu - comme FATE grog (un autre titre publié par Evil Hat) - est basé sur la création en cours de route plutôt que sur la planification en amont.

Mark Griffin

C’est mon jeu de rôles favori tous genres confondus. J’y joue depuis que la première version est sortie, il y a des éons de cela. De même que le moteur d’Apocalypse World grog a donné naissance à de nombreux JdR, je suis persuadé que celui de Blades inspirera d’autres créations [les jeux se basant sur le moteur de Blades sont sous la licence Forged in the Dark - "Forgé dans l’obscurité" (NdT)] et que je jouerai à d’autres variantes de ces règles pendant des années.

Et si vous pensez ne pas pouvoir jouer à Blades en ayant une partie centrée sur les émotions, alors vous devez regarder l’incroyable série de vidéos de John Harper dans laquelle jouent The Bloodletters (3). C’est un tour de force du côté du MJ comme des joueurs, et probablement aussi ma série télé favorite. Elle s’étend à travers différentes versions du jeu, donc il peut être déroutant d’essayer d’apprendre les règles du jeu en la regardant, mais c’est une réussite niveau ambiance et cela montre le potentiel du jeu.

Travis McCrory-Gardner

Le podcast Friends at the Table en en a produit une saison qui a débuté avec The Quiet Year ptgptb pour construire un monde, pour ensuite y jouer avec les règles de Blades in the Dark.

C’est une saison incroyable qui s’achève sur un des moments les plus déchirants dont j’ai entendu parler.

Je ne saurais trop le recommander. En fait, je continue d’essayer de pousser mes amis à l’écouter, et ils continuent de dire « oui, oui, Travis, toi et tes podcasts ». Ne soyez pas comme eux ! Écoutez des choses bonnes et intelligentes !

Andrew Olson

Mes amis et moi avons adoré ce jeu. La moitié du groupe n’a pas ou presque d’expérience en JdR, mais a bien adopté la dynamique du « oui et ». Notre bande, la Maison Stormborn, a commencé à se frayer un chemin dans les rangs de la haute société par un mélange de chantage, de manœuvres politiques, et en ralliant à sa cause la population réfugiée. Jusqu’où irons-nous ? Je recommande ce jeu à quiconque me pose la question.

Galen Pejeau

Ce livre a plus changé la façon dont je joue que tout ce que j’ai vu d’autre depuis les débuts en primaire, où j’évitais les Cubes Gélatineux et les Oxydeurs [du bestiaire de D&D (NdT)]. Cela nécessite de la confiance de la part de vos joueuses, mais en vaut largement la peine.

shrekinpdx

C’est la première fois que je m’intéresse à un JdR. De quoi a-t-on besoin pour débuter ? Juste du livre et de dés ? Quelle est la fréquence des parties ? Combien de joueurs ? Quelqu’un peut-il me passer Le Jeu de Rôles pour les Nuls ?

Adam Bloom

Laisse-moi essayer…

Tout ce dont tu as besoin pour commencer à jouer, c’est du livre de base (avec les pdf inclus), d’une imprimante (pour les feuilles de personnage), environ six dés à six faces, et de deux à quatre autres personnes. J’aime beaucoup jouer à un MJ et trois joueurs.euses, surtout pour un nouveau MJ, mais tu peux jouer avec plus ou moins de monde selon tes envies.

J’aime mener des sessions de 3-4 heures et je joue généralement toutes les semaines. Cette fréquence aide les gens à garder en mémoire les événements, mais tu peux jouer moins fréquemment en tenant un bon journal des parties. Tu peux totalement jouer plus fréquemment, mais j’ai du mal à coordonner les disponibilités de tout le monde pour le faire.

Thysane

J’ai mené des parties hebdomadaires de Blades pendant presque 6 mois, battant mon record du nombre de parties menées à un même jeu. J’aime ça, et mes joueuses aiment ça. C’est peut-être mon jeu pour la vie, auquel je retournerai toujours. Bon sang ! Je suis même en train d’en écrire un hack, à côté de mes parties.

Je l’ai déjà dit dans un précédent commentaire, mais ce jeu est incroyablement intuitif en cours de partie, un vrai rêve pour la MJ. Mener d’autres jeux comme D&D donne souvent l’impression de bosser ; mais mener Blades donne toujours le sentiment de jouer. Faire sortir les joueurs et joueuses de leurs réflexes venant de jeux de rôles moins bac-à-sable prend un peu de temps ; mais ça fonctionne très bien une fois qu’iels ont saisi le truc.

(1) NdT : figure de style consistant à ajouter un élément à la fin d’une phrase que l’on croyait finie. On en apprend tous les jours avec PTGPTB wiki. [Retour]

(2) NdT : "Powered By The Apocalypse" (motorisé par l’Apocalypse)  ; désigne les jeux de rôles dont le système de résolution reprend la structure de Apocalypse World grog de Vincent et Meguey Baker. [Retour]

(3) NdT : Vers le premier épisode de la série Youtube de John Harper (en) [Retour]

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Pourtant motivé, à la lecture de Blades In The Dark, le livre m'est tombé des mains... Merci pour cette chronique, je vais le ramasser et m'y remettre de ce pas !

Auteur : 
Corbax

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