Une bonne description de personnage
© 2003 Martin Enghoff
Introduction
Comprendre le personnage que l’on interprète lors d’un jeu de rôles grandeur nature (GN) est essentiel pour l’incarner correctement, que ce soit pour vous immerger dans le personnage ou pour cabotiner.
La clé de cette compréhension se trouve dans une bonne description. Cet article va se concentrer sur ce qu’on doit trouver dans une telle description, quelle présentation et quelle longueur il est préférable d’adopter. On se préoccupera principalement de la présentation des personnages pour des GN « normaux », c’est-à-dire où le cadre de jeu est (plus ou moins) sérieux et qui durent au moins une journée ; bien que la majorité des points présentés ici devraient rester valides dans d'autres cas. Les mini-GN, les GN expérimentaux, les soirées à thème et les jeux organisés pour les enfants ont leurs propres critères que nous ne mentionnerons pas ici. Cet article vise les personnes qui écrivent des descriptions pour les persos d’autres joueurs, mais celles qui écrivent pour elles-mêmes se rendront compte que la plupart des conseils restent applicables.
Tout ce qui se trouve dans cet article est bien entendu tiré de mon expérience personnelle et des convictions que j’ai développées au cours de ma carrière de GNiste uniquement.
Les bases
Au niveau le plus élémentaire, l’historique du personnage devrait contenir trois ensembles d’informations :
- Qui est le personnage ?
- Comment exprime-t-il sa personnalité ?
- Pourquoi est-il ainsi ?
« Qui est le personnage ? » veut simplement dire les informations fondamentales : son nom, son âge, son métier etc. « Comment exprime-t-il sa personnalité ? » est une description de son comportement. Quels sont ses traits de caractère ? De quelle manière réagit-il face au stress ? Quels sont ses buts et ses motivations ? Enfin il reste le « Pourquoi ». C’est ce qu’on pourrait appeler son historique – la chaîne d’évènements qui l’a conduit là où il est aujourd’hui. Les relations du personnage (s’il en possède) sont évoquées dans les points 1 et 3.
Ces trois points ne peuvent et, évidement, ne devrait pas être abordés de manière complètement séparée. Ils sont là en tant que liste de contrôle. Chacun des points devrait être approfondi et tout ce qui n'aborde aucun des trois devrait probablement être écarté.
La fiche d’identité
Choisir une fiche appropriée est une étape importante dans la création du personnage. Le nombre de personnages à générer est un facteur qui pèse lourd dans la balance. S’il y en a plus d’une poignée, il est préférable de choisir un modèle assez strict et simple pour faciliter le processus d’écriture. Lors de cette étape, il est essentiel de se rendre compte que chaque personnage ne peut être une œuvre d’art et qu’une rédaction efficace est suffisante. Moins vous avez de temps pour l’écriture et plus ceci est pertinent.
Créer 40 personnages originaux signifie avoir de l’inspiration 40 fois, alors que vous pouvez utiliser des clichés (« L’homme d’affaire endetté et désespéré », « quêteur d’amours interdits », « femme qui cherche à s’affirmer ») dans le cas d’une écriture synthétique. En adoptant cette approche, la tâche de rédaction n’est plus si insurmontable. L’inspiration vous viendra sûrement durant le processus et lorsque cela arrivera, vous ne devriez vous imposer aucune contrainte et à la place user de toute votre créativité pour faire de ce personnage une vraie œuvre d’art – qui pourra peut-être servir de modèle plus tard.
Lorsque vous choisissez la fiche, il est important de garder les trois fondamentaux à l’esprit, car ils doivent être inclus dans le document. Le choix de la fiche peut être réduit à deux décisions majeures :
- La forme stylistique employée ([rédaction à la] première, seconde, troisième personne ou autre, descriptif ou narratif)
- La liste de contenus
Forme Stylistique
Les différentes formes stylistiques ont toutes leurs forces et leurs faiblesses. Une description à la première personne permet d’avoir une compréhension profonde de ce que pense le personnage. Malheureusement, cette subjectivité a un coût, c’est-à-dire que vous n’avez accès qu’au point de vue du personnage, qui peut être assez différent de l’opinion générale. Un joueur doit être capable de comprendre son personnage de l’intérieur et de l’extérieur pour le comprendre pleinement.
L’écriture à la première personne reste donc la plus efficace si elle est complétée par une autre forme stylistique. Qui plus est, ces descriptions sont peut-être les plus difficiles à rédiger car il faut imaginer le phrasé de la personne en plus du reste.
L’utilisation de la troisième personne permet une description objective du personnage ; elle est typiquement présentée comme une biographie rédigée par un auteur indéfini et omniscient (sauf si l’auteur est un autre personnage, ce qui rend les choses à la fois intéressantes et déroutantes). Ce genre de description est souvent plus accessible et se marie très bien avec un résumé plus fractionné du personnage. Écrire à la seconde personne wiki établit une forme de communication plus directe entre l’écrivain et le joueur, mis à part cela cette voix suit les codes de la troisième personne. Certains aiment la première, d’autres la seconde – pour ma part, je préfère la troisième personne. D’autres méthodes de présentation incluent un poème ou une chanson [ou encore une communication épistolaire (NdT)] rédigé par le personnage.
Un style descriptif implique de présenter le personnage d’une façon plus ou moins neutre alors qu’avec un style narratif, la description pourrait prendre le style narratif propre à un roman ou, comme mentionné plus haut, avoir un autre personnage faire la description. Écrire cela à la première personne ne simplifie pas la rédaction mais procure de grands avantages en terme d’atmosphère ; cependant les descriptions qui n’utilisent que ce style tendent à être plutôt longues, il est donc préférable qu’elles servent de complément à une autre aide de jeu.
La liste de contenus
Par liste de contenu, je veux simplement dire quels titres vont apparaître dans la description –ex. : « Nom ; Enfance ; Présent ; Objectifs ; Personnalité » et une idée de ce l’on va retrouver dans chaque partie. Par exemple, la partie « Enfance » devrait fournir une description de tous les anniversaires du personnage, « Présent » devrait contenir une histoire des dernières fois où le personnage s’est senti vraiment heureux et triste, « Objectifs » devrait donner au moins deux buts à courts termes et un à long terme.
Exemple
Dans la partie qui va suivre, je donnerai un exemple de fiche ainsi que des conseils pour la compléter du mieux possible.
Je dois insister sur le fait que la mission la plus délicate de l’écrivain est de rendre le personnage à la fois accessible et attrayant à interpréter pour le joueur. À cela s’ajoute : donner un aperçu de l’atmosphère et du ton du scénario que vous êtes en train d’écrire, et qui doit transparaitre dans la description. Gardez ces points à l’esprit tout au long du processus d’écriture, par crainte que la description ne dérive vers une direction aléatoire.
La première partie de la fiche contiendra le nom du personnage – c’est toujours agréable de connaître le nom de celui ou celle dont on parle.
En commençant par le commencement, je vais intituler la première partie de mon texte « Historique ». La rédaction de l’historique peut être une tâche épineuse, on est souvent tenté de fournir beaucoup d’informations mais cela peut être une très mauvaise idée - j'y reviendrai plus tard. À la place, vous devriez choisir quelques événements importants et vous concentrer dessus.
Souvenez-vous qu’un événement seul a peu de valeur en termes de compréhension du personnage. Ce qui importe vraiment, c’est la manière dont il ou elle réagit à l’évènement en question ; ex. : « Le père de Richard décéda quelques jours avant son septième anniversaire ». Donc Richard n’a pas de père – ça ne nous apprend pas grand-chose, mais la réaction « le fait qu’il perdrait aussi sa mère terrifiait Richard ; il n’osa pas la quitter des yeux pendant des années » ou « Richard haïssait son père pour l’avoir abandonné de la sorte, ainsi que sa mère pour ne pas être son père » est bien plus instructive.
Dans cet historique, j’ai choisi d’inclure les informations suivantes :
- une description des parents du personnage car c’est quelque chose d’important pour à peu près tout le monde,
- un évènement marquant durant la petite enfance (le premier jour d’école, une fracture du bras, le jour où il a reçu son jouet préféré, le divorce de ses parents),
- un autre durant l’adolescence (son premier baiser, son meilleur ami qui vole sa petite amie, ne pas être invité à une fête importante, la rencontre de son meilleur ami, le décès de sa grand-mère)
- et un dernier tiré de sa vie d’adulte (mariage, licenciement, déménagement à l’étranger, achat d’une Mercédès).
Tout cela sera assemblé en une histoire cohérente entrecoupée d’évènements mineurs. Ma prochaine partie sera le « Présent ». On y trouvera sa situation professionnelle actuelle, son statut marital, ainsi qu’une description d’une journée typique du personnage.
Ensuite arrive la partie « Personnalité ». Cela englobe tout ce qui rend le personnage vraiment furieux ou heureux ; la manière dont il traite les autres ; ses rêves et ses buts. J’essaie aussi de glisser au moins trois mot-clés qui définissent sa personnalité.
Enfin, je rédige la partie « Informations diverses ». J’y liste des informations élémentaires, les gens connus du personnage, résumées brièvement, ainsi que les mot-clés de personnalité.
Tout le document sera écrit à la troisième personne car c’est la forme stylistique que je trouve à la fois la plus simple et la plus appropriée pour ce genre de description.
La fiche présentée ici convient à un long GN, mais si je voulais l’utiliser pour quelque chose de plus court ou si j’étais frappé pas un sursaut de créativité, j’ajouterais un paragraphe personnel tout en haut où je mettrais l’extrait d’une lettre, d’un journal intime, d’une candidature ou quelque chose d’autre écrite par le personnage car c’est certainement le genre de détails qui capture sa personnalité.
Longueur
Habituellement, les descriptions de personnages sont évaluées sur leur longueur et on entend souvent dire que « plus c’est long, mieux c’est ». Ce n’est cependant pas mon avis. Voilà deux arguments pour étayer mon propos.
Le premier est ce que j’appelle la « théorie du Squelette et du Zombie ». Si une description de personnage est incomplète – c’est-à-dire trop courte – on se retrouve avec un squelette. Tout d’abord, cela signifie que le sentiment d’interpréter un personnage disparait, il n’est pas assez charnu pour le rendre intéressant. Ensuite, cela signifie que quelles que soient les intentions de l’auteur pour le personnage, le joueur ne les concrétisera probablement pas. À la place, le squelette conceptuel sera recouvert d’une peau choisie au hasard.
L’autre extrême arrive lorsque l’on fournit trop d’informations. Dans ce cas, le joueur sera submergé, on ne lui aura laissé aucune place pour s’approprier et interpréter le personnage ainsi que de goûter à la joie qui en découle. À la place d’insuffler la vie dans un personnage, le joueur sera un cadavre pataud qui tente de se souvenir et d’agir selon tous les détails de la description – ce serait la naissance d’un zombie.
À moins que le personnage soit une figure historique précise, je crois qu’un joueur devrait être autorisé (et encouragé, même) à explorer différentes manières d’interpréter son rôle, tant qu’il respecte les limites. Cela ne rendra le personnage que plus vivant. La description devrait donner une idée claire du comportement du personnage et non pas être une encyclopédie complète sur ce qu’il faut dire et pourquoi dans chaque situation.
Le second argument est simplement que la plupart des GNistes sont (plus ou moins) des personnes ordinaires sans aucune éducation en dramaturgie ou analyse de texte. Cela veut simplement dire qu’une fiche trop longue peut être contreproductive car elle embrouille au lieu de clarifier les choses. On pourrait avancer l’argument qu’un texte plus long est avantageux car il procure des informations supplémentaires au joueur, mais je dois marquer mon désaccord, suivant l’argumentaire que je viens de présenter ci-dessus.
Une bonne description de personnage, qui inclut les trois points fondamentaux basiques, fait entre deux et quatre pages avec un formatage standard et sans la présentation du monde. Plus court que ça et on se retrouve avec un squelette ; plus long, avec un zombie. Appliqué à l’exemple de formulaire ci-dessus, je permettrais à l’ensemble « Historique » et « Présent » de prendre jusqu’à deux pages, « Personnalité » et « Informations diverses » une page chacune.
Article original : As Larp Grows Up, p. 155
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