Vieillir
© 2008 Steve Darlington
Encore une inversion de perspective pour les aventures d’heroic-fantasy
La boîte à jouets de campagne n°9
En quelques mots
La plupart des PJ ne meurent pas, ils prennent simplement leur retraite et ouvrent une taverne. Du moins jusqu’à maintenant.
L’histoire
C’est une chose terrible, vieillir. On ralentit. On perd la mémoire. Et même les choses censées nous survivre – les royaumes, les conquêtes, les gloires, même les familles et les amis – commencent à nous glisser entre les doigts. Et bien que vos vieux ennemis vieillissent aussi, ils ne cessent de tenter de détruire le monde, ou tout ce qui vous est cher.
Le temps n’arrête pas son cours, vous usant un peu plus chaque année, mais le monde est toujours gravement menacé, a toujours besoin d’être sauvé. La question est : mourrez-vous en vous battant, ou allez-vous fuir et vous cacher ?
Style et structure
Ceci est en fait un schéma à appliquer à n’importe quel JdR, bien qu’il convienne mieux aux genres de la fantasy ou des super-héros, et ne fonctionne qu’avec un jeu de rôle ayant un système de progression lente et des niveaux déterminés. Le concept, c’est que les joueurs commencent en créant leurs personnages à haut niveau, peut-être au plus haut niveau possible, et qu’à chaque aventure qu’ils jouent, les personnages-joueurs perdent un niveau au lieu d’en gagner.
Ainsi, à mesure que la campagne avance, ils passent du statut d’êtres quasi-divins qui peuvent faire pleurnicher des dragons, à celui de gringalets qui peuvent à peine s’occuper tout seuls de zombies ou de kobolds. Cela peut-il être amusant ? Oui, si c’est fait comme il faut.
Bien sûr, nombre de joueurs renâcleront à l’idée de perdre tous leurs trucs trop cools. Toutefois, dans la plupart des jeux à niveaux, on tend à ignorer ses pouvoirs les plus faibles, et ce qu’aiment les joueurs en fait, c’est le changement autant que l’augmentation de puissance (1). Après tout, leurs adversaires forcissent en même temps qu’eux – au niveau 20, il est rare que les PJ affrontent encore des kobolds.
Alors, en jouant la note de la variété et du frisson d’avoir à changer de tactique à mesure que les options disponibles disparaissent, vous pourrez intéresser à la fois ceux qui aiment les règles, et les bourrins. Pour intéresser les joueurs-acteurs et les conteurs, il suffit simplement de mettre en valeur l’aspect mélodramatique de tout cela ; affronter la perte irrémédiable de tout ce que l’on possédait. Et pour lier le tout, il vous faudra une campagne vraiment solide, afin qu’ils pensent qu’elle en vaut la peine. N’amenez pas les joueurs par la force dans ce type de campagne ; mais si vous pouvez les convaincre, vous pourriez bien faire qu’ils s’éclatent.
PJ et PNJ
La clef de cette campagne vient des PJ. Il est important, non seulement de créer des personnages-joueurs puissants, mais également de bien développer leur histoire. Pour chaque niveau ou point [de caractéristique] au-dessus du niveau débutant, chaque personnage devrait décrire une expérience importante de son vécu.
Établissez une liste de souvenirs marquants, car cela créera non seulement l’historique du personnage, mais aussi celui de la campagne, à mesure que ces souvenirs reviendront les hanter.
Quand des [objets et] armes magiques, des forteresses ou d‘autres pouvoirs de ce genre sont achetés [avec les niveaux ou les points de création], vous devez [aussi] développer un élément-clé de l’histoire autour de ces trucs. Les joueurs devraient le faire ensemble, car leurs succès et acquisitions s’affectent mutuellement.
En atteignant les niveaux plus élevés, si leurs accomplissements sont assez grands, ils peuvent peut-être finir même par concevoir entièrement le monde de jeu – un monde que vous pourrez alors également utiliser pour d’autres campagnes.
C’est un processus très long qui nécessitera certainement beaucoup de séances de discussion, mais c’est aussi très amusant, même s’il n’aboutit pas à une campagne ensuite (2). C’est comme du jeu de rôle à grande vitesse, et cela donne l’impression d’avoir vécu une campagne épique, sans les années de jeu.
La création des PNJ est aussi très importante, voire peut-être plus importante. Le succès tend à amener des satellites. L’ancienne version de D&D avait des listes précisant combien de suivants votre personnage attirait à mesure qu’il montait de niveau ; mais même sans ça, les acolytes et fidèles compagnons viendront même au plus solitaire des chasseurs. Et aussi, entre le passage de niveau et le début de la campagne, il y aura du temps pour les conjoints et les familles, s’ils ne sont pas amenés en cours de route.
Ces PNJ sont vitaux, car ils dirigeront l’intrigue, même s’ils ne sont pas les méchants. De fait, les PJ futés comprendront qu’à mesure qu’ils vieillissent mais que les menaces continuent de peser, ils ont plus intérêt à commander les PNJ au combat qu’à combattre eux-mêmes. Regardez Batman Dark Knight 2 de Miller pour un superbe exemple de loup solitaire devenant un général distant, et vous verrez tout le potentiel qu’il y a.
Intrigues et méchants
À mesure que vous créez le passé et les PNJ proches, on fera de même avec les méchants et les ennemis. Quand vous avez récupéré l’Épée du Dragon, à qui l’avez-vous prise, et veut-il la récupérer ? Bien souvent, ce sont les méchants qui définissent les héros, et vice-versa. Encore une fois, prenez Batman, où le Joker n’existe vraiment que parce qu’il y a Batman. N’oubliez pas qu’avec le temps, tous les PNJ alliés et la famille dont nous avons discuté plus haut sont aussi de potentiels ennemis.
Allez tout de suite louer Le Lion en Hiver (wiki) pour voir le récit d’un roi vieillissant – Henri II Plantagenêt –, peu ravi de laisser un de ses trois fils lui prendre son trône, mais sachant parfaitement qu’il ne durera guère plus longtemps. Après avoir entraîné trois pupilles comme acolytes, comment un super-héros va-t-il décider de celui qui va reprendre le flambeau quand il sera trop vieux ?
Et bien sûr, les méchants et les alliés interagissent. Peut-être votre épouse a-t-elle été la magnifique compagne du méchant – ou peut-être qu’après “l’incident du rayon mental”, votre fils a-t-il décidé que votre archi-ennemi-de-toujours ferait un meilleur père après tout.
De tels événements fournissent une grande part de votre trame, n’attendant que d’être résolus, mais tous les joueurs ne voudront pas développer de telles choses à l’avance, ou même les interpréter pendant la partie. Ce qui nous amène aux scénarios.
La déchéance en soi n’est pas agréable à jouer longtemps, même pour l’acteur le plus adepte de l’immersion de la méthode Stanislavski, et il est primordial pour le succès d’une telle campagne que les personnages-joueurs aient quelque chose à défaire, combattre et vaincre.
Leurs victoires successives contre le Mal contrebalancent le fait qu’ils perdent des capacités entre chaque aventure, et c’est cet équilibre qui fait que ça reste amusant. C’est même une très bonne idée que d’avoir une trame largement, voire totalement, séparée de leur passé, afin de garder leur curiosité éveillée par l’inconnu – un élément majeur de toute campagne de JdR. Alors ne vous reposez pas sur vos lauriers : dégotez un Grand Méchant approprié avec un complot énorme, plein d’aventures à travers le monde, de nouveaux mystères à élucider, et gardez le tout caché des PJ. Vous pouvez y greffer leur passé une fois que les choses auront commencé. En fait, les PJ n’auront pas le choix : à mesure qu’ils s’affaiblissent, seul leur passé pourra les aider à vaincre la menace. Le thème s’écrira lui-même, vous laissant le temps de vous concentrer sur le reste.
Sources
Comme dit précédemment, Batman : Dark Night (wiki) et sa suite, de Miller, sont de très bonnes sources pour contempler un héros vieillissant. En contrepoint, on pourra étudier Cohen le Barbare (wiki), des romans du Disque Monde de Pratchett, où un octogénaire garde une bonne partie de ses compétences de combat, mais, n’ayant pas compris comment vieillir, n’a ni château, ni famille, ni armée, et doit continuer d’aller à l’aventure malgré ses articulations qui grincent.
Les westerns ont souvent des héros vieillissants : le shérif atteint d’un cancer en phase terminale campé par John Wayne dans Cents dollars pour un shérif (wiki) [et son remake de 2010, True Grit avec Jeff Bridges (NdT)] en est le meilleur exemple ; mais les personnages ayant raccroché leur six-coups et aspirant à la retraite incluent le personnage de Clint Eastwood dans Impitoyable (wiki), le personnage de Gary Cooper dans Le train sifflera trois fois (wiki), et, bien sûr, Wyatt Earp (wiki) et Wild Bill Hickock (wiki), dans leurs versions réelles ou romancées. Le capitaine Kirk aussi a songé à la retraite, mais ne l’a pas trouvée à son goût (voir Star Trek 6 (wiki) pour le meilleur exemple). Le Parrain (wiki), à la base, a pour sujet la retraite du Don, et le chaos qui suit pour trouver son remplaçant.
Beaucoup de récits de vieux rois et de dirigeants finissants ont lieu dans un passé oublié. Le Trône de Fer (wiki) commence avec l’histoire de vieux amis des jours d’une ancienne rébellion, qui n’ont pas si bien réussi en temps de paix ; Théoden (wiki) de Tolkien est dans la même situation après la mort de son fils ; les rois shakespeariens, de Lear (wiki) à Richard III (wiki) ont médité de telles choses. Pour finir, soyez sûrs de lire Ulysse de Lord Tennyson, c’est le meilleur poème jamais écrit au sujet d’un vieil homme qui veut faire son dernier baroud d’honneur.
Jeux de rôles
Avec son système à niveaux, c’est le d20 et toutes ses itérations qui vient à l’esprit, ainsi que D&D 4e Éd. Le d20 vous donne un énorme choix : la fantasy, les super-héros, le pulp – western ou SF – et même La Guerre des étoiles. Les jeux Palladium ont aussi des niveaux, et il y a des pseudo-niveaux dans Savage Worlds et Unisystem, mais n’importe quel JdR avec des points de création convient, que ce soit GURPS, White Wolf ou Warhammer. Tant que l’expérience augmente par paliers, elle peut être déduite ; et elle n’a pas besoin d’être soustraite par niveaux entiers. En fait, il serait très divertissant de voir les personnages perdre leurs capacités selon des schémas et des directions complètement différents de ceux pris lorsqu’ils les ont acquises : et si le magicien perdait d’abord sa force physique, devenant un gringalet complètement handicapé bien avant de perdre quelque capacité magique que ce soit ? Le “sorcier en fauteuil roulant” a beaucoup de potentiel – demandez au Professeur Xavier (wiki).
Article original : Campaign Toybox #9 : Getting Old
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