Des chevilles trop grosses pour rentrer dans ses bottes

Critical Miss, le magazine pour les rôlistes dysfonctionnels, présente…

Tout a commencé de façon assez innocente. C’était une partie de Shadowrun (grog). Nick, mon meilleur ami, était le MJ. Ceci n’affectait pas son jugement, puisque cela fait plus de quinze ans que nous sommes un groupe d'amis. Je me suis décidé pour un Street Samouraï [un combattant des rues cyber-amélioré (NdT)] – j’avais juste regardé Trancers une fois de trop (1).

Je l’ai appelé Jack Deth. Je vous emmerde. Vous avez fait pire.

Je me vois comme un vrai rôliste. Les caracs sont importantes, mais j’aime créer des personnages, genre ceux dont on se rappelle des années après. Ils ne doivent pas forcément être réalistes – Jack ne l’était sûrement pas –, ils ont juste à être complets, étoffés, et dans ce cas, un sacré enfoiré. Jack a grandi avec la création de personnage. Il avait une profonde voix de basse, genre celle que tu développes seulement après avoir fumé des cigarettes sans filtre pendant des années et après des ponçages réguliers de la paroi de l'oesophage. Il était cyber à l’extrême, il en avait le look, et il en avait l’attitude. Si j’avais à le dessiner, faudrait imaginer Duke Nukem, mais sans la féminité.

Jusque-là, tout va bien. Jack avait du matos : son Remington “Nettoyeur de pièces” préféré et son armure de combat de pointe pour les face-à-face compliqués. Il avait aussi une moto et, rétrospectivement, c’est là que tout a commencé à aller de travers.

On s’est laissé emporter. On a ajouté un blindage à une vieille Harley de série, dopé le moteur et monté un canon pour moto et des lance-roquettes. Malheureusement nous avons aussi ajouté un ordinateur de bord. Vous pouvez imaginer où tout ça va nous mener ? Nick est tombé amoureux de Jack Deth presque autant que moi. La moto devint semi-consciente. J’ai ajouté un mécanisme d’appel à distance, afin que si je me mettais dans les ennuis, je pouvais appeler la moto, dans le plus pur style Judge Dredd. Ce putain de truc était mon fidèle compagnon, mon meilleur ami. Les autres membres du groupe n’étaient pas autorisés à s’en approcher. Une fois que le combo-de-la-Moto-de-la-Mort-de-Deth était en place, c'était fini. Soudainement, le personnage était devenu si cool que Nick ne voulait plus le niquer. Cela arriva à un stade où Jack fit face à un dragon [Les dragons (grog) sont les êtres les plus puissants de l'univers de Shadowrun (NdT)], avec une main dans le dos. Cela devait cesser. En tant que personnage, Deth était cool. En tant que membre d’une équipe, ses chevilles devenaient vite trop grosses pour ses bottes. Alors que faites-vous ? Un de vos joueurs a créé un personnage mémorable avec un style et une attitude qui collent au jeu et vous trouvez que vous avez perdu votre impartialité au cours de la campagne. Vous ne voulez pas que le personnage échoue et puisque vous êtes Dieu, devinez quoi ? Il n'échoue pas. Nick eut la solution idéale. Il s'aperçut que Jack déséquilibrait le jeu. Il vit les erreurs, que la moto était sacrément trop puissante, et que Jack menaçait de déborder l’équipe.

Le problème est qu’il ne pouvait pas soudainement commencer à diminuer Jack. Il y avait déjà des précédents. Il ne voulait pas tuer Jack, parce que ça aurait été injuste. Je ne m’étais pas mal comporté, après tout. J’avais simplement joué le personnage à fond et Nick avait encouragé ça et permis à Jack de devenir le monstre qu’il était. Alors il fit ce que chaque bon maître du jeu devrait faire une fois de temps en temps. Il a baisé Jack, sans pitié. Nick s’arrangea pour que Jack emmerde un chef Yakuza. Ceci mènerait même Deth à s’en inquiéter. Les Yakuzas envoyèrent un assassin aux trousses de Deth avec pour instruction de lui refaire le portrait, à petit feu. L’assassin commença par abattre les contacts de Jack, remontant jusqu’à des amis proches et des PNJ alliés. Il laissa des messages taquins, fit foirer les contrats de Jack, tortura et assassina quiconque assistait Jack. Il me harcela et me provoqua jusqu’à ce que j’aie enfin la chance de mettre la main sur ce petit bâtard gluant. Nick le joua à la perfection. Jack était si en colère qu’il courut droit dans un piège et Nick livra le coup de grâce.

Il fit sauter cette putain de moto. Pas seulement la moto, mais aussi la majeure partie de Jack avec. Au revoir moto. Au revoir cybernétique personnelle. Bonjour Centre Salford pour Les Personnes à Mobilité Réduite Permanente. Jack fut privé de virtuellement tout sauf son attitude et ensuite reconstruit, toujours cool, mais un ton plus bas. Moins indestructible, juste plus méchant (l’amour de sa vie lui manquait, après tout). Que nous dit cette histoire ? Pas grand-chose. Mais ça a passé le temps.

Article original : Too Big For Them Thar Boots

(1) NdT : film de SF-action de 1985, dont le héros se nomme Jack Deth. [Retour]

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Pour aller plus loin… Hydre couchée

Cet article fait partie de l'ebook PTGPTB n°16 intitulé Mon perso, ce héros, que vous pouvez consulter pour de plus amples développements.

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