Avoir confié son nom véritable

Une approche éthique de la magie telle qu’imaginée par Ursula Krober Le Guin pour les histoires et les jeux de rôles.

Les systèmes de magie représentent plus que les règles et l’univers de jeu. Ils ont un potentiel politique ; ils expliquent comment nous comprenons le monde autour de nous.

Est-ce que le monde est rempli de choses qui peuvent être manipulées ? Exploitées ?

Pour exploiter le monde, il faut le considérer comme inférieur à nous (1). Comment pourrait-on justifier d’exploiter ce qui a une volonté propre ?

Les systèmes de magie qui placent l’utilisatrice - et sa volonté - au-dessus des autres créent une hiérarchie, une séparation, entre l’utilisateur et le monde, entre les créatures vivantes et les choses inanimées, entre les humains et les non-humains. Le monde réel, ses hiérarchies et son système économique, façonnent notre manière de penser en ce sens, ce qui se transpire logiquement aussi dans nos mondes imaginaires.

Mais que se passerait-il si un système de magie n’infériorisait pas le monde qui nous entoure ? Et si, à la place, il lui donnait de l’agentivité (2) et nous forçait à considérer notre rapport aux choses et aux autres ? À considérer leurs désirs, leurs logiques, leurs droits ? Et s’il nous permettait de faire face aux conséquences de nos actions ?

Le monde deviendrait bien plus vivant.

Paysage de montagne avec ferme moderne au dôme rouge

Ce système de magie a été conçu par Ursula K. Le Guin dans son roman pour jeune adulte Le sorcier de Terremer wiki. Dans cet ouvrage, les pouvoirs magiques viennent du fait d’être vraiment connu et reconnu, pour qui nous sommes, par notre nom véritable.

Le monde n’est pas rempli de choses inanimées. Tout est vivant et potentiellement magique : il suffit de lui parler. Pour faire de la magie avec quelque chose, on doit reconnaitre son identité propre et parler avec en énonçant son nom véritable. Pour connaître le nom véritable de quelque chose, vous devez la connaitre intimement et l’accepter. Vous devez vous connecter à elle.

Confier son nom véritable à autrui nous met dans une position de vulnérabilité. Un nom véritable peut être utilisé pour invoquer une entité, maîtriser son pouvoir et même la contrôler. Vos actions affectent cette relation fragile avec le monde qui vous entoure. Comme dans toutes les relations, maîtriser la magie implique le consentement et la prise de responsabilité. Évidemment, cela complique notre façon habituelle d’utiliser la magie. Il faudra désapprendre les vieilles habitudes.

Une fois que vous avez établi une relation avec quelque chose, vous ne pouvez plus réduire [l’importance de] leur souffrance. Connaître un nom véritable, c'est assumer la responsabilité de ses actes et savoir exactement envers qui on est responsable.

Pendant leur temps libre, les utilisateurs de magie communient avec le monde qui les entoure [dans Terremer]. Chaque jour, ils en savent un peu plus sur le monde, et le monde les connaît un peu mieux en retour. Peut-être que le monde commencera à leur tendre la main.

Au fil de ce processus, les magicien.nes apprendront ce qu’accepter et être accepté veut dire. [Dans ce système de magie], le fait d’entrer en relation et d’accepter l’autre sont des sources de magie.

À un moment donné, l'utilisatrice de magie doit se demander « que ressent la pluie à l’idée d’être invoquée ? » Si toutes les choses ont leur propre volonté, elles doivent aussi avoir des sentiments qu’il faut prendre en compte. Ce n’est pas toujours facile de savoir quand ces relations s’abiment ou quand on en abuse. Comme on le ferait en amitié, il faut toujours être attentif.ve et faire preuve de bonne volonté pour arranger les choses.

La magie, comme la pluie, ne vient pas de nulle part. S'il pleut ici, cela veut dire qu'il ne pleut pas ailleurs. À l’instar des relations, le monde repose sur un équilibre délicat. Aucune action n'est sans conséquences.

Vous commencez maintenant à comprendre comment la magie de Le Guin donne vie au monde. Peut-être que cela sera moins littéral dans vos campagnes et dans vos histoires. En questionnant votre rapport au monde, celui-ci vous paraîtra plus vivant.

Un tel système de magie nous apprend que nous faisons partie d'un monde vivant et plus vaste. En reconnaissant le monde et en entrant en relation avec lui, nous désapprenons les hiérarchies qui infériorisent les choses afin de pouvoir les exploiter. Nous réécrivons les dynamiques de pouvoir et de responsabilité dans nos parties et nos aventures.

Références [en anglais] :

Article original : Trusted with Its True Name: An Ethical Approach to LeGuinian Magic for Games and Stories

NdlR : À l’inverse de la mention de copyright ci-dessous, ce texte est sous licence internationale Creative Commons 4.0.

(1) NdT : On parle souvent d’anthropocentrisme wiki de l’humanité, c-à-d la vision du monde uniquement du point de vue de l’être humain, sans considérer l’exploitation des animaux et des ressources naturelles [Retour]

(2) NdT : L’agentivité désigne les possibilités et le pouvoir d’intervenir et de faire des choix importants dans l’univers du jeu pas le biais de votre personnage. On en discute dans L’agentivité d’un joueur ptgptb [Retour]

Note: 
Moyenne : 8 (3 votes)
Tags: 
Nom du site d'Origine: 
Traducteur: 
Share

Ajouter un commentaire

Mention légale importante

Nous vous encourageons à faire un lien vers cette page plutôt que de la copier ailleurs, car toute reproduction de texte qui dépasse la longueur raisonnable d’une citation (c’est-à-dire, en règle générale, un ou deux paragraphes) est strictement interdite. Si vous reproduisez une grande partie ou la totalité du texte de cette page sans l’autorisation écrite de PTGPTB (version française), et que vous diffusez ladite copie publiquement (sites Web, blogs, forums, imprimés, etc.), vous reconnaissez que vous commettez délibérément une violation des lois sur le droit d’auteur, c’est-à-dire un acte illégal passible de poursuites judiciaires.