Jouez pour encourager

Dans le milieu du jeu de rôle Grandeur Nature nordique, une des techniques les plus connues (et/ou à la mode) est celle du Play to Lose (« Jouer pour perdre »). Dans les autres communautés de GN, elle a été accueillie autant avec enthousiasme qu’avec méfiance – dans ce dernier cas, les GNistes se demandent souvent comment on peut obtenir un plein potentiel théâtral quand on cherche à rendre son personnage aussi malheureux que possible.

Pour expliquer comment cette technique peut être mise en pratique efficacement, je trouve utile de mentionner une autre technique que j’ai nommée Play to Lift (« Jouer pour encourager »).

Play to Lose (« Jouer pour perdre »)

Pour commencer, qu'est-ce que Play to Lose ? Voici la définition du wiki de Nordic Larp :

Play to Lose est un concept ou une technique utilisée pour créer une meilleure scène en n’essayant pas de gagner – en laissant son personnage perdre. Il s’agit d’un style de jeu collaboratif plutôt que compétitif.

On trouve une définition très proche dans [l’article] An Introduction to the Nordic Player Culture. In Saitta, Holm-Andersen & Back: The Foundation Stone of Nordic Larp (1) par Willer Piironen et Kristoffer Thurøe :

Lorsqu’une joueuse joue pour perdre, elle mène volontairement son personnage à l’échec. (…) Cette stratégie est employée par de nombreuses joueuses nordiques pour provoquer, pendant la partie, des situations de conflits et de drames personnels. Ce concept est souvent utilisé en opposition à la stratégie du joueur « Mercenaire » (2) qui voit la partie de grandeur nature comme un tournoi qu’il peut gagner par les exploits de son personnage, souvent au détriment de la profondeur émotionnelle de l’histoire.

Play to Lose est donc ce que vous faites lorsque, en tant que joueur.euse, votre objectif est de créer des scènes plus théâtrales. Votre personnage joue toujours « pour gagner » avec sa propre notion de ce qu’est une victoire : ne pas voir dévoiler son horrible secret, ne pas se faire enrôler dans l’armée, ne pas être découvert sous le lit de son amant… En jouant pour perdre, vous - le joueur ou la joueuse - saisissez les occasions pour laisser votre personnage perdre, dans le but de créer de meilleures scènes. Votre personnage oublie son journal intime dehors, se soûle et entre par hasard au centre de recrutement, ou fait du bruit pendant qu’il est sous le lit et la femme de son amant l’entend…

Play to Lift (« Jouer pour encourager »)

D’après moi, dans la pratique des GN nordiques, un tas de belles scènes qui semblent être créées en « jouant pour perdre » sont en fait provoquées lorsqu’on joue en même temps « pour encourager ». Jouer pour encourager, c’est donner une part de responsabilité de vos scènes et de votre personnage aux autres joueuses. Vous devez vous « porter » les uns les autres.

Hors jeu, vous n’avez pas à vous soucier de prononcer le meilleur discours de tous les temps, car tout le monde sait que votre personnage est le meilleur orateur du pays. La raison pour laquelle vous n’avez pas à vous en inquiéter, c’est que les personnages des autres joueurs vont encourager le vôtre, en applaudissant haut et fort – ils vous donneront une victoire. Au lieu de « Jouer pour encourager » on pourrait aussi nommer cela « Jouer pour laisser les autres gagner. »

Pourquoi est-ce si efficace ? Eh bien, il est bien plus facile de perdre que de gagner. Et il est encore bien plus facile pour moi de te faire gagner (« zut, j’ai révélé mon secret en plein milieu de notre dispute ») que pour toi de te frayer un chemin vers la victoire (tu dois me manipuler hors-partie pour que je révèle ce secret). La scène que nous cherchons tous deux à produire repose sur la révélation de ce secret – et la façon la plus simple pour nous d’obtenir cette scène est que je révèle moi-même le secret de mon personnage. Faisons donc confiance aux autres joueuses pour encourager et donner des victoires à nos personnages, nous laissant ainsi nous concentrer sur comment perdre.

Notons que la victoire dont nous parlons est une victoire pour la joueuse, pas pour le personnage. Imaginons que vous souhaitiez faire commettre une erreur tragique à votre personnage lors de son discours public et que je le remarque. Eh bien, ma façon de jouer pour l’encourager sera de lui lancer (verbalement) une tomate pourrie et huer votre personnage sur scène.

Les gens se trompent-ils parfois sur les intentions des autres ? Bien sûr. Comme en danse, on marche parfois sur le pied de son partenaire ou on le fait tourner alors qu’il s’attendait à un autre geste. Comme en danse, on s’améliore avec la pratique.

Le principe de responsabilité partagée en co-création

J’ai souvent constaté une autre inquiétude dans les communautés GNistes non-nordiques : ces types de techniques rendraient le GN ennuyeux. Si les horribles secrets des personnages sont découverts, ils seront juste forcés de s’asseoir, rejetés dans un coin et plus personne ne voudra leur parler.

Il est vrai que « Jouer pour encourager » et « Jouer pour perdre » nécessitent quelque chose de plus pour vraiment fonctionner : un contrat social dont le but est de cocréer la meilleure histoire. Cocréer une scène et une expérience, demande d’en partager la responsabilité. Le jeu pour encourager et pour perdre fonctionne parfois parfaitement lorsque deux joueurs s’entendent bien et répondent aux besoins de l’autre – mais, souvent, une discussion hors-jeu sera utile pour comparer les envies et types d’histoires recherchés par chacun.

Désormais, si vous vous retrouvez dans un coin, couverte de honte et sans amies, un autre joueur viendra à vos côtés pour vous porter vers une autre scène – car c’est son devoir. Parce que c’est ça être un ou une GNiste compétente d’après ce contrat social – vous partagez la responsabilité de la totalité de la scène. Pas partout, ni tout le temps – mais quand vous pouvez.

Remerciements

Je souhaite particulièrement remercier Charles Bo Nielsen pour avoir traqué les références au Play to Lose et Mo Holkar pour son super contenu et ses conseils éditoriaux.

Cet article fait partie de Re-Shuffling the Deck, la revue-supplément de Knutepunkt 2018. Tous les articles de ce supplément peuvent être consultés [dans leur version originale] sur NordicLarp.org.

Article original : Play to Lift, not Just to Lose


(1) NdT : Cet article se trouve aux pages 33 à 36 du livre Knutpunkt 2014 – The Foundation Stone of Nordic Larp (en), gratuit  [Retour]

(2) NdT : Petter Bøckman a défini dans un article de 2002 ptgptb 3 types de façons de jouer au GN, en s’inspirant du modèle LNS. D’après cet article, il y aurait :

  • le ou la dramaturge (dramatist) pour qui la façon dont se déroule et se termine l’histoire est le plus important en respectant le style favori d’histoires du groupe ;
  • l’aventurier voire la mercenaire (gamist) jouant pour résoudre des combats, des quêtes ou des mystères afin de solutionner une intrigue ;
  • et l’immersionniste (immersionist) qui cherche à ressentir ce que son personnage ressentirait et souhaite se plonger dans l’ambiance du cadre de jeu au détriment des règles.

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