Écrire de la science-fiction crédible
© 2005 Mica Goldstone
Cet article traite de la façon d’écrire de la SF crédible. Cela n’implique pas que la bonne SF doive être crédible, ni que toute SF crédible soit bonne.
Le genre de la science-fiction est énorme, presque tous les genres possibles et imaginables ayant été développés à une cadence effrayante. Il y a quelques dizaines d’années, les foules étaient terrorisées par de vacillants monstres extra-terrestres en plastique, pendant que Kirk se tapait ceux qui avaient des pouvoirs vaguement mystiques. Heureusement cette époque est révolue – mais est-ce bien le cas ?
Avant tout, il est important de définir ce que signifie “crédible”. Il existe plusieurs niveaux de vraisemblance, qui sont en grande partie déterminés par le niveau d’intelligence et/ou de connaissance du public. Prenons par exemple le film Pitch Black (1). Si vous pouvez mettre votre esprit critique suffisamment de côté pour accepter le concept de vols interstellaires, il n’y a assurément qu’un petit pas à franchir pour croire qu’il y a d’énormes prédateurs nocturnes qui habitent sous terre, n’attendant qu’une éclipse pour terroriser la surface. Le postulat de base est qu’ils utilisent une vision infrarouge et donc ne peuvent sortir à la lumière du jour. Cela suffit pour satisfaire la majorité des spectateurs, mais pour les plus perspicaces, c’est plutôt une foutaise.
Ces prédateurs vivraient dans des galeries artificielles munies de cheminées. Mais par qui ont-elles été construites, et quand, s’ils ne sortent que deux ou trois jours au bout de plusieurs décennies ? Ils sont au sommet de la pyramide alimentaire – en se nourrissant de quoi ? Où est le reste de la pyramide ? Ils peuvent voler, mais pourquoi s’ils vivent sous terre ? Ils ont développé l’infrarouge – ce qui est aussi crédible que des créatures développant un sonar dans le vide absolu – mais ça pourrait arriver, non ?
Au bout du compte, cependant, est-ce regardable ? Oui. Irréaliste, mais crédible dans une large mesure. Dans une veine plus classique, nous avons les espèces d’extraterrestres habituelles de Star Trek – étonnamment humains, avec un petit morceau de plastique collé sur la tête et quelques bijoux clinquants pendus à un appendice (toujours un, cela doit être asymétrique : c’est des aliens, tout de même). Cela semble raisonnable : deux jambes, deux bras, permettant à la fois la locomotion et la manipulation d’objets. Mais d’un autre côté, la nature a tendance à orienter l’évolution vers des formes adaptées à des fonctions spécifiques. Un rapide coup d’œil aux espèces terriennes les plus intelligentes le confirme (humains, pieuvres, baleines et assimilés). Une fois de plus, il est possible de se laisser aller à l'illusion de l’univers créé par le phénomène Star Trek, aussi improbable soit-il.
C’est la première règle. Crédibilité et réalisme ne sont pas forcément la même chose. La question est de créer un environnement qui, aussi improbable qu’il soit, autorisera quelques accrocs. Par exemple, il est plus facile de croire en un monde contenant des dragons qu’en un autre où il pleut des beignets !
Première règle : votre univers doit être crédible, même s'il n'est pas réaliste.
Comme les écrivains utilisent un support texte seulement, ils ont l’avantage de ne pas être limités par des contraintes de taille ou de prothèses. Les aliens peuvent être aussi bizarres ou merveilleux que voulu, tant qu’on suit des règles simples concernant les bases de la biologie et de la technologie.
La nature ne développe jamais de caractères inutiles mais on peut trouver des vestiges d’une évolution antérieure. Par exemple, une créature sans ennemi naturel mais dotée d’une lourde carapace, n’est vraisemblable que si l’environnement lui-même est hostile. De même, une race d’un monde désertique avec une rangée de branchies est très improbable en tant que telle, mais si la majeure partie des mers se sont évaporées lorsque l’étoile s’est transformée en géante rouge, c’est possible. Il vaut toujours mieux garder ces choses à l’esprit quand on crée des aliens.
La culture peut également agir comme facteur évolutif. Cela peut être subtil comme “une préférence culturelle pour les individus de grande taille, qui atteignent un statut social plus élevé et qui peuvent par conséquent assumer une descendance plus nombreuse”. Des technologies plus avancées permettent un eugénisme dirigé, la réplication sélective de l’ADN sur certains gènes, ce qui peut favoriser ou empêcher la transmission de certains traits aux enfants. Ensuite il y a d’autres formes d’évolution bien plus brutales, telles que les pogroms ou les génocides.
C’est la deuxième règle. L’étrange et le merveilleux doivent avoir une raison d’être, ou bien avoir des origines crédibles. Il n’est pas forcement nécessaire que le public connaisse immédiatement ces raisons. Mais si le créateur ne peut pas le justifier, elles risquent de ne pas résister à l’épreuve du temps.
Deuxième règle : justifiez l’étrange et le merveilleux par l'Évolution ou la logique.
Ce processus de création joue également un autre rôle très important dans l’écriture de SF crédible ; il définit à la fois l’environnement et l’histoire. En ayant ces choses à l’esprit au début, il suffit d’étendre sa réflexion à partir d’un objet pour générer le monde qui le supporte.
Cela peut même être utilisé comme amorce pour attirer le public, un élément d'autant plus important quand l’auditoire peut participer. Cela permet à l’histoire de couler dans la direction désirée, même si le livre dans lequel les événements sont écrits est encore en grande partie vierge.
Le JdR par mail ou par e-mail offre une approche unique, en permettant à l’auditoire de participer à la création de l’histoire et, bien souvent, de définir lui-même le développement d’un des aspects de l’univers. Ces jeux requièrent une réflexion considérable pour éviter que tout ne s’effondre au bout de peu de temps.
Les films et les livres jouissent du luxe d’avoir tout réglé comme du papier à musique. Une fois écrits, leur déroulement est tout tracé. Dans le cas d’un JdR par mail, les joueurs sont les capitaines du navire, les MJ sont tout juste les pilotes. Tout MJ qui penserait différemment deviendrait fatalement un tyran, et la partie s’échouera. Pour continuer dans cette métaphore nautique, la fonction du MJ est de tracer la carte qui permettra aux capitaines d’aller où bon leur semble. Fournir assez d’options aux joueurs pour une interprétation créative donne généralement ce résultat. Cette relation à double sens peut, et devrait être utilisée, pour approfondir la crédibilité de l’univers.
C’est la troisième règle. Un bon écrivain s’inspire de toutes les sources disponibles. Un bon MJ se sert de l’avis de ses joueurs pour rendre l’univers du jeu plus réel, ce qui est une des raisons pour lesquelles, en dépit de graphismes ahurissants, les jeux sur ordinateur ne pourront jamais rivaliser avec des MJ humains en ce qui concerne la durée des campagnes.
Troisième règle : un bon MJ fait appel à ses joueurs pour rendre l'univers plus réaliste.
Avec le temps, au fur et à mesure que l’univers s’agrandit et mûrit, il devient encore plus nécessaire de développer l’histoire. C’est dans l’ordre des choses. Des aspects qui sont acceptés comme allant de soi lorsqu’ils sont montrés au milieu de tas d’autres seront examinés un par un à la fin.
Selon la taille de l’univers, certains “faits” établis peuvent très bien se révéler faux. Il est même possible de présenter deux faits – voire plus – mutuellement incompatibles, et qui demeureraient néanmoins crédibles. C’est parce que l’Histoire est encore vivante, autant en mouvement que l’avenir. Les scientifiques rejettent en permanence d’anciennes “vérités” sur l’histoire de la Terre. Il est cependant important que ce soient les efforts des participants qui fassent ressortir ces faits. Ce sont leurs recherches mêmes qui ont changé l’univers ; tout ce que le MJ a fait, c’est d’autoriser ce changement.
C’est la quatrième règle. L’ultime test de crédibilité a lieu lorsque l’auditoire peut prévoir l'univers, au point de ne plus être spectateur, mais une part de l’univers lui-même. Cela n’exclut pas des surprises, mais ce sont des surprises crédibles – les lunes ne sont pas faites de fromage, mais il peut y avoir une station militaire automatique extra-terrestre qui les protège !
Quatrième règle : certains “faits” établis peuvent être remis en cause.
Il y a encore des règles à propos de la technologie (voyons, si je réaligne l’émetteur pour émettre une impulsion tachyon inversée, ça devrait marcher – en tout cas ça a marché dans les douze derniers épisodes) ; de l’écologie planétaire et de la géologie (Wouah, n’est-ce pas stupéfiant toutes ces cavernes naturelles avec des sols plats ?) ; et du développement culturel (après deux cents années d’études par des dizaines de milliers d’archéologies, on s’est finalement rendu compte que les aliens disparus qui ont construit ces cités à mi-hauteur des falaises, sans moyen d’accès, devaient savoir voler).
[Conclusion de la rédaction]
Au final, pour éviter que “science-fiction” ne devienne synonyme de “n’importe quoi”, il faut prendre garde à créer un univers qui reste cohérent en lui-même.
Tout élément de fiction, aussi étrange semble-t-il, doit être vraisemblable dans l’univers concerné. Il doit être le résultat d’une succession de causes qui en justifient l’existence. Lorsque quelque chose s’avère ne pas avoir de raison d’être, mieux vaut le faire disparaître. Le travail nécessaire à cette étude en profondeur est souvent considérable. Mais il évite qu’un univers ne ressemble à un carnaval, à une débauche d’exotisme sans queue ni tête.
MJ comme joueurs y trouveront leur compte en comprenant mieux la signification et la raison de ce qu’ils rencontrent.
Article original : Writing Believable Sci-fi
(1) NdT : Sorti en France en 2000 dans l’indifférence générale sous le titre Alerte noire, avec Vin Diesel. Suivi plus tard par Les Chroniques de Riddick, qui rencontrèrent un bien meilleur succès. [Retour]
Pour aller plus loin…
Cet article fait partie de l'e-book n°11 Le JdR, de l'Art ou du cochon, une compilation téléchargeable rassemblant des articles de PTGPTB sur les rapports JdR/Art.
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