Apprendre en jouant

Pour des élèves enthousiastes en salle de classe

Travailler avec des enfants qui ont des besoins particuliers est pour moi une expérience enrichissante. Certains ont des troubles très spécifiques, c’est plutôt difficile de trouver une approche unique pour tout le groupe. Par contre, une chose est sûre : la plupart des enfants aiment jouer, sous une forme ou une autre, même sans être des joueurs au premier abord – et c’est ce qui me permet de créer des méthodes innovantes et intéressantes pour leur faire apprendre des choses.

Le problème avec l’apprentissage dans le cadre d’un programme d’études – de nombreux.ses étudiant.es vous le diront, même s’ils respectent leurs enseignant.es – est que ça peut en épuiser plus d’un.e. Apprendre est bien sûr intéressant, et ça peut même être amusant. Le savoir apporte de nouvelles idées et perspectives, et exprimer son opinion en classe crée un climat stimulant. Mais c’est aussi une activité mentalement épuisante. Il arrive un moment où les élèves ont besoin d’une expérience qui n’est habituellement pas prévue pour la salle de classe.

À court terme, ce n’est pas forcément un problème évident, mais laissez-le se développer durant des mois et vous pourrez en voir les signes : des plaintes, des jérémiades, une baisse d’énergie, etc. Parfois, les signes s’estompent et les élèvent redeviennent enthousiastes, surtout si le sujet d’étude les intéresse ; mais parfois ça ne se passe pas comme ça. Si les cours ne sont pas assez variés, c’est-à-dire si les élèves entendent chaque semaine la même chose, alors qui peut les blâmer de leur désintéressement progressif – même quand ils et elles sont actif.ves ?

Captiver les élèves grâce aux jeux

Il y a bien des façons de rendre les cours intéressants. On peut par exemple utiliser des vidéos ou des musiques. Personnellement, je préfère utiliser des jeux – en tant qu’outil suscitant de l’intérêt pour le sujet du cours.

En fait, parfois sans qu’on le sache, les éducateur.trices utilisent déjà des jeux en classe pour y ajouter un peu de peps. Le pendu est un jeu, comme les charades. Quand j’étais à l’école primaire, un de mes enseignants organisait une session de Scrabble par mois – la classe était séparée en 4 équipes, et chaque équipe envoyait à tour de rôle un ou une représentante au tableau pour écrire un mot. On jouait pendant les 20 dernières minutes de cours, juste avant la sonnerie. La seule grande différence entre notre version et le jeu habituel était que nous n’utilisions pas de lettres piochées à l’avance.

Aujourd’hui, devenu éducateur, j’utilise beaucoup de jeux dans mes cours. En plus de jeux de cartes que l’on peut imprimer comme Codenames et Dixit trictrac, j’ai déjà mené plusieurs séances de JdR en classe, dont Interface Zero 2.0 (Savage Worlds), Risus, Leverage, CovertOps, Bare Bones Fantasy grog, et Atomic Highway en (qui est particulièrement apprécié par mes élèves). Je peux affirmer qu’aucun élève ne m’a jamais dit « Eh, ce n’est pas vraiment amusant » quand on fait du Jeu de Rôles. On est peut-être tous et toutes des joueur.ses.

Bref, j’utilise les jeux de deux façons : la première, pour créer un climat d’apprentissage particulier ; la seconde, pour enseigner spécifiquement certaines notions. Pour être plus précis et rester clair, je vais me focaliser sur la première façon dans cet article, et je parlerai plus en détail de la seconde dans un prochain article.

Et sans plus attendre…

Ludifier les cours pour enseigner

Il y a quelque temps, je suis tombé sur un vieil article qui parlait d’un enseignant du Montana qui ludifiait (1) ses leçons pour motiver ses élèves. En gros, le prof – M. Nix –, transformait son cours en s’inspirant des JdR en ligne massivement multijoueurs  (2). Les devoirs étaient des « quêtes » et il demandait aux étudiants de se créer des identités fictives. Plus important encore, il faisait en sorte qu’apprendre ressemble à une aventure procurant plaisir et imprévisibilité. M. Nix n’était pas le seul à vouloir ludifier ses cours. D’autres initiatives ont été lancées, comme ClassRealm et ClassCraft en qui ajoutent des touches ludiques dans l’apprentissage, et je les félicite. Ce que ce mouvement démontre est qu’un enseignement dans un cadre scolaire n’a pas obligatoirement à suivre des méthodes traditionnelles ; on peut y intégrer du jeu.

J’ai aussi essayé des choses semblables auparavant, et bien que ce soit épuisant pour le MJ (moi !), ça valait la peine de voir mes élèves jouer pleinement le jeu. On a utilisé Barebones Fantasy comme système – assez simple pour des enfants d’environ 10 ans. Les élèves lançaient les dés pour résoudre des situations classiques, comme un combat ou un crochetage de serrure. Par contre, des sceaux magiques et des portails s’ouvraient aléatoirement pour laisser sortir de plus en plus de monstres. Pour fermer ces portails et lever les sceaux, les élèves devaient effectuer un véritable devoir, par exemple un exercice d’orthographe. Ludifier un cours peut être difficile, surtout si les élèves sont nombreux dans la classe, mais c’est faisable. Le système demande bien sûr d’être retravaillé pour s’adapter au cadre scolaire. Il faut aussi être capable de préparer ce qui constituera le « jeu ». En général, ça comprend les devoirs et identités des élèves et celles des enseignant.es. Il faut ensuite relier tout ça au système. Voici quelques questions à se poser :

  • Comment l’enseignant.e maintient les élèves accrochés à cette fiction ?
  • Comment progresseront-ils dans la partie ?
  • À quelles sortes de situations et rencontres vont-ils faire face ? Dans quel style cela sera-t-il narré ?
  • Comment les problèmes devront être résolus ?

Une des tâches les plus ardues est de faire correspondre le thème de la partie à la salle de classe. C’est probablement quelque chose de facultatif, mais ça devrait aider et prolonger l’immersion pour les élèves assis au fond de la classe surtout lorsque le groupe est nombreux.

Ne vous y trompez pas : c’est aussi laborieux que ça en a l’air, mais c’est aussi une expérience gratifiante tant pour les élèves que pour l’enseignant.e. La partie ne se contente pas de maintenir éveillé l’intérêt des élèves, elle renforce en fait leur estime de soi et leur motivation.

J’ai remarqué une différence importante quand les élèves apprennent dans un cadre ludifié par rapport à un cadre où « on apprend juste pour le plaisir d’apprendre. » ; il n’y a rien de mal à la seconde situation, et comme je l’ai déjà mentionné, certains élèves ont une motivation intrinsèque à apprendre, mais la première situation est une solution viable pour les élèves qui n’ont pas cette motivation.

Chers lecteurs et chères lectrices, côtoyez-vous également le domaine de l’enseignement ? Si oui, avez-vous déjà essayé de ludifier vos cours ? Je serais curieux de connaître vos pensées. Merci de m’avoir lu, et bonnes parties à vous !

Sélection de commentaires

John Arcadian

J’adore le concept de ludification dans l’apprentissage, et j’ai fait plusieurs présentations dans cet esprit avec des universitaires. L’enseignante Cathlena Martin, [professeur de design et Game Studies] à l’université de Montavallo, donne des cours sur les jeux et utilise « l’expérience » (XP) plutôt que des pourcentages (%) pour faire un classement des étudiants (3).

Ce que j’ai retenu de son discours, c’est surtout que ça permet de commencer à zéro et de voir les notes ne faire qu’augmenter, plutôt que de commencer à 100 % et de potentiellement voir les notes baisser selon les résultats. C’est en soi quelque chose de fort pour renforcer l’estime de soi et construire une façon de penser selon laquelle on peut toujours faire mieux et s’améliorer sans cesse.

Réponse de Jim Low

C’est un point de vue intéressant, ce système d’XP qui « augmente plutôt que baisser. » Oui, l’estime de soi est comme un mur en béton massif qui bloque les élèves bien plus que ce que l’on pourrait croire. Être capable d’évaluer les résultats réels en adoptant une approche ascendante plutôt que descendante aide les élèves à assimiler plus facilement leurs succès plutôt que leurs échecs.

John Fredericks

J’adore cette idée de notation par XP, je vais y réfléchir pour l’appliquer. J’ai un tableau sur le mur de ma classe pour marquer les « montées de niveau » des élèves qui obtiennent des scores supérieurs à 90 %.

Merci beaucoup pour cet article, je pense que je vais chercher plus de choses à lire sur ce sujet et y réfléchir. J’enseigne la physique-chimie au lycée, je ne vois pas encore trop comment intégrer tout ça dans mes cours quotidiens.

Réponse de Jim Low

Même si j’enseigne la lecture et l’écriture, je ne vois pas pourquoi ça ne fonctionnerait pas pour des matières scientifiques. Ça dépend surtout de vos objectifs.

Un de mes cours traite de maths et de science. Pour le nourrir, j’ai montré Blade Runner aux élèves puis on a joué à Interface Zero pour explorer certains thèmes clefs des univers futuristes et cyberpunk. Les élèves ont adoré. En plus d’élargir leurs idées sur la technologie, ça permet aussi de prendre en compte le champ plus large des problèmes socio-politiques comme la xénophobie et l’éthique morale. Objectifs remplis ! ☺

Article d’origine : Learning through games


(1) NdT : La « ludification » est le terme francophone pour gamification : le fait d’introduire un aspect ludique dans des tâches quotidiennes ou dans le domaine du travail (ou des études). Le principe se base sur la motivation créée par la récompense et par le loisir. Ainsi, une tâche sera présentée comme une quête amusante ou une enquête, et la réussir permet de gagner de l’XP. De nombreux serious games utilisent des techniques de ludification pour aider les élèves de tout âge à apprendre des langues, apprendre à un enfant à aimer contrôler son diabète, accompagner un adulte dans l’arrêt du tabac, etc. [Retour]

(2) NdT : avec une masse de joueurs ? Voyons… comme 2 MJ face à 30 enfants ptgptb ? [Retour]

(3) NdT : Aux États-Unis, les notes sont des lettres (entre A, la meilleure, et F, la plus mauvaise). En revanche, la plupart des écoles secondaires et universités mettent les notes sur 100, utilisées comme une note précise (souvent par les professeurs), où 100 % est la meilleure note. [Retour]

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