L’encombrement, c’est (pas si) relou

SIte "Con D de Dados" (avec un D comme Dés)

Ceci sera peut-être une dissertation un peu aléatoire, parce qu’elle pourrait brasser large, alors je vais essayer d’être bref et de me concentrer sur des sections concrètes. Comme d’habitude, tout ce que je dis ici n’est que le fruit de mon opinion personnelle et je n’affirme pas qu’on joue mieux ou moins bien selon que l’on soit d’accord avec moi ou pas. Cette clarification, apparemment nécessaire de nos jours, étant faite, commençons.

Souvent, l’équipement que portent les PJ dans les jeux de rôle fait partie à part entière des personnages. Les armes, les armures et toute sorte d’équipement divers finissent par encombrer les persos… Et, même si dans certains jeux on décrit précisément comment on porte les objets, on dirait très souvent que les PJ ont une fenêtre d’inventaire, comme dans les jeux vidéo, d’où ils sortent leurs objets sans aucun problème et où ils les rangent en un clin d’œil. On ignore aussi beaucoup, de manière infâme, les règles que tous les jeux ont sur l’encombrement et sur le poids de l’équipement.

Et c’est parce que c’est ennuyeux, n’est-ce pas ? D’accord, ce n’est peut-être pas la partie la plus amusante du jeu, mais l’ignorer nous fait oublier un côté essentiel de la vie : être chargé, c’est une corvée, une vraie plaie ; personne n’a l’habitude d’être encombré [dans la vie de tous les jours], encore moins lors des combats.

Travailler ce détail permet d’ajouter un paramètre à la stratégie du groupe et aux décisions qu’ils doivent prendre, du choix du type d’arme, à l’endroit où ils gardent leurs affaires. Et à mon avis ça peut améliorer le jeu, parce qu’on doit prendre des décisions importantes pour des choses apparemment triviales. Comme dans la vraie vie.

Les objets ont un poids

estampe avec dockers

Vous vous souvenez du Seigneur des Anneaux ? Oui, bien sûr que oui. Tolkien, qui ne connaissait pas D&D, a très mal équipé ses personnages. Ils ne transportent pas de tentes ni de vêtements d’hiver ! Pas de torches ! À peine des armes à projectiles, et aucune armure ! Sérieux, quel rôliste aurait été Tolkien, avec un groupe aussi mal équipé pour les voyages ? Hum…

Même si c’est quelque chose qu’on voudrait souvent oublier, tout a un poids. Vous voyez avec quoi vous marchez dans la rue ? Lorsqu’il fait froid, je suppose que vous portez des couches de vêtements, un blouson et vos objets personnels (clefs, porte-monnaie, portable…). Certains ou certaines d’entre vous prennent sûrement aussi des sacs à dos ou des sacoches et si vous êtes comme moi, qui ressemble toujours à Tortue Géniale lorsque je sors de chez moi, ils seront bien remplis. Les jours où je vais faire du jeu de rôle, par exemple, j’emporte quelques livres de règles, des dés, un ordinateur et tous les câbles dont a besoin cette satanée machine à écrire 2.0. Et je sors de chez moi chargé comme une mule, avec mon sac plein à craquer qui pèse très lourd. Un exemple trivial, oui. Mais… si on est déjà aussi encombré pour des choses aussi insignifiantes, comment voulez-vous exactement que les aventurier.es portent tout ce que vous désirez sur leurs pauvres petits corps ?

Tous les objets que portent les aventuriers ont un poids. Et oui, bien sûr, un corps humain en forme et en bonne santé est capable de porter de grosses masses et continuer à marcher. Il y a toujours l’exemple très connu des « mules de Marius Legio VIII», des légionnaires romains pendant la réforme de Caïus Marius, capables de marcher avec 20 à 40 kg sur leur dos, et rapidement en plus. Mais on oublie aussi que le poids qu’ils transportaient était destiné aux marches militaires, en général bien organisées et structurées, et non pas à un groupe de cinq pouilleux et pouilleuses qui vont de colline en colline à travers les bois avec à peine un semblant d’organisation. En plus, les pauvres légionnaires avaient beau être chargés, les PJ ont tendance à l’être encore plus. On le comprend mieux avec cette illustration.

20-40 kg d'équipement pour le légionnaire

Cette image représente une de ces fameuses « mules ». Cotte de mailles, lance, javelot, épée, bouclier, un sac à dos, un autre sac, un outil pour creuser et couper du bois et un autre pour cuisiner. En plus, un bâton pour pouvoir transporter le tout, et les sandales, bien sûr. Alors… Où est la tente ? Les 5 torches ? Où met-il ses vêtements d’hiver ? Les 20 mètres de corde ? L’arc et les 20 flèches ? Et les rations pour, disons, 10 jours ? Ou les trois outres ? Ce qu’on voit ci-dessus est un des exemples les plus évidents de voyage encombré dans l’Histoire. Et même là, pour D&D, on a l’impression qu’il est mal équipé. Ce mec ne survivrait pas trois jours dans une campagne bac-à-sable, comme diraient certains. Je crois que j’ai été assez clair, n’est-ce pas ?

Bien souvent les groupes de personnages transportent une quantité énorme d’équipement, tellement que ce serait absurde pour un corps humain (ou humanoïde) d’essayer de le faire de façon suffisamment confortable pour voyager. Plutôt que de partir à l’aventure, on dirait que pas mal d’aventurier.es se préparent pour le pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle en partant de Moscou. Ce qui nous conduit à la deuxième partie…

Les objets ont un volume

gravure ; moine mendiant rattrapé par la mort

Où diantre mettez-vous tout ce que vous écrivez dans votre fichue feuille d’équipement ? C’est une question que je me pose toujours. « Dans le sac à dos ». D’accord, très bien… Mais combien de choses peuvent entrer dans le sac à dos ? Et comment ? On y lâche tout, dans des petits sacs individuels avec des étiquettes qui indiquent leur contenu ? On retrouve l’effet « inventaire de jeu vidéo » dont j’ai parlé avant, quand les PJ rangent leurs objets quelque part et les y oublient. Est-ce que vous avez déjà eu à porter un tas de choses désordonnées, certaines d’entre elles très fragiles, sur votre dos ? On a tout le temps peur qu’elles se cassent, que tout foute le camp ou qu’on trébuche bêtement et que tout ce qu’on porte se répande sur le sol.

C’est que les objets prennent de la place, et les sacs à dos se remplissent très facilement. À moins que vous ne portiez quatre ou cinq sacs, bandoulières et sacoches, on peut difficilement porter ce qu’on nous présente comme des « packs d’aventuriers », qui sont chargés de choses qui ne sont pas vraiment petites (Sérieusement, 20 mètres de corde à l’ancienne… vous avez conscience de la place que ça prend ?), même lorsqu’elles ne sont pas lourdes. Regardez à nouveau l’illustration des légionnaires romains. Ils sont chargés jusqu’au cou alors qu’ils ne portent qu’un petit sac à dos et une sacoche. Les objets ne se contentent pas d’être lourds, ils sont aussi encombrants… très encombrants. Et quelquefois ce n’est pas qu’on ne puisse pas les porter à cause du poids, c’est qu’on ne sait pas où les mettre.

Combattre encombré ?

Non. Juste non. Aucune personne saine d’esprit ne se plonge dans un combat alors qu’elle est aussi chargée que les personnages de la plupart des jeux de rôle de fantasy (et pas que de fantasy, hein). Être aussi encombré, ça a beaucoup de conséquences : le poids qui vous déséquilibre, une charge qui empêche de bouger avec agilité et un tas de courroies et de paquets qui vous rendent plus susceptible de vous faire agripper. C’est un drôle de paradoxe de constater que lorsqu’on regarde la plupart des illustrations de D&D où il y a des groupes de PJ qui se battent, tout leur matériel brille par son absence. Pas de sacs, pas de tentes parmi ce qu’ils transportent. Ils les ont laissés à la consigne du donjon ?

Pas besoin d’en dire plus, n’est-ce pas ? Je crois qu’il est évident que se battre le sac sur le dos est une idée terriblement mauvaise.

Ça sert à quoi ? Comment on utilise ça en jeu ?

Bon, si vous êtes arrivés jusqu’ici, vous avez tout à fait le droit de vous poser cette question. Après tout, ce ne sont que mes digressions absurdes, auxquelles vous n’avez aucune raison de prêter une oreille. Mais si ça a attiré votre attention, je vais maintenant passer à la conclusion ; ce ne sont pas que des jérémiades, je propose aussi quelques utilisations de ce détail dans nos parties.

Arrêtez vos conneries, vous ne pouvez pas porter tout ça

Une fois j’ai eu une dispute avec un joueur du groupe qui voulait porter une cotte de mailles, un marteau à deux mains, un grand bouclier, une hache, une arbalète lourde (et des munitions)… Et je lui ai dit non avant même de regarder les règles sur le poids. On m’a donné raison après les avoir lues, prouvant bien que cette quantité d’équipement était absurde. Et je sais qu’il est difficile de choisir, et je sais que nous voulons tous être prêts et prêtes à toute éventualité, mais voyager à travers les terres sauvages n’est pas du tout la même chose que se préparer pour la guerre.

Des décisions difficiles à prendre

C’est directement lié au point précédent ; quand on veut partir à l’aventure il faut savoir choisir son équipement. Il faut prendre des décisions importantes, car chaque objet emporté devra être porté tout le temps.

« Nous entrons dans le territoire des Collines aux Murmures, où il est dit qu’il y a des harpies. Il vaut mieux que je prenne mon arc » est une phrase que j’aimerais entendre pendant une partie. Prenons un exemple de Savage Worlds grog, plus précisément [les terres glacées de] Hellfrost grog. On y trouve deux pièces d’équipement très semblables : la lance courte et la lance longue. Elles causent les mêmes dommages, mais la lance longue s’utilise à deux mains et donne un peu de pouvoir défensif. Sur le long terme il vaut bien mieux être équipé avec une lance courte et un bouclier, qui permet de se protéger des tirs ennemis… Mais c’est plus lourd, beaucoup plus lourd. À un moment il faut faire le choix entre la puissance défensive supplémentaire ou la légèreté. Ce sont des décisions embêtantes, oui, parce qu’on ne peut pas faire tout ce qu’on veut. Mais c’est aussi génial d’avoir à les prendre, ça donne une atmosphère de vraisemblance à la partie.

Je ne compte pas être celui qui porte ça

J’ai un peu triché dans cet article, puisque la plupart des lecteurs et lectrices, qui sont des gens avec une tête bien faite, ont dû penser « Euh, c’est pas moi qui vais porter tout ça. J’ai une mule pour le faire ». C’est une solution vieille comme le JdR, et c’est une bonne solution. L’emploi de bêtes de somme et de porteurs permet d’alléger les problèmes de place et de poids pour tout l’équipement. Mais du coup il faut en prendre soin : les animaux doivent manger et les porteur.euses doivent être traitées relativement bien ; ce qui constitue une responsabilité qui peut souvent rebuter. En plus il arrive couramment que les objets restent « sur la mule » juste quand on en a le plus besoin… Parce que personne n’a pensé à les prendre. Même si c’est la solution la plus logique, ça peut être embêtant. Mais être chargé, c’est pas du gâteau !

Gardez l’essentiel près de vous

Un des aspects à ne pas oublier est que nous devons porter les objets essentiels le plus près de nous. Les armes bien sûr, mais aussi des choses comme les potions, un allume-feu ou même d’autres armes. Un personnage doit porter sur lui ce dont il a besoin pour se battre confortablement, et que ce soit solidement fixé. On ne porte pas les armes « sur soi » ; on les porte à la ceinture, dans le dos ou attachées à la botte. J’insiste sur ce point parce que très souvent les PJ prennent des objets sans trop dire où ils et elles les mettent, conduisant quelquefois à des situations un tantinet absurdes : « Je grimpe avec mon bouclier et ma grande hache et mon épée à deux mains et mon arbalète et ma… ».

Et voilà. Ce sont mes réflexions au sujet de l’équipement dans les jeux de rôle et comment on devrait y porter un peu plus d’attention, pour la simple raison que ça prend de la place et ça a un poids, en plus d’une utilité. J’espère que vous aurez aimé.

À bientôt !

Article original : Ir cargado es una lata

Sélection de commentaires

Cronista

Ça fait plusieurs jours que je réfléchis à quelques idées qui ont à voir avec ça, en pensant aux règles de Mythras grog. Dans ce jeu, il faut faire des jets d’Endurance lors d’une nuit à la belle étoile, sous peine d’augmenter la Fatigue. Alors pas de sacs de couchage ou quoi que ce soit ; les PJ ont besoin d’un refuge ou, en tout cas, d’une tente. Ce qui suppose beaucoup plus de poids, bien sûr. Peut-être une bête de somme, ce qui du coup contraint à transporter aussi de la nourriture pour la bestiole. Encore plus de poids, et ainsi de suite.

Je ne crois pas que ces détails doivent être pris en compte pour tous les types de parties mais, dans les campagnes d’exploration et de voyage,

  • la planification et la gestion des ressources,
  • savoir jusqu’où on peut arriver avec l’équipement qu’on transporte
  • ou si on va avoir besoin de plus de choses pour pouvoir atteindre des endroits plus éloignés,

…tout ça constitue une partie intéressante d’une session de JdR.

Réponse de Nirkhuz

Bien sûr, c’est évident. Toutes les parties n’ont pas besoin de prendre ça en compte, mais pour celles où on peut le faire (presque toutes celles avec des aventures où l’on est plus ou moins à pied) ce facteur peut être vraiment intéressant et amusant.

Sirio Sesenra

Quel bel ensemble de vérités si bien expliquées :)

Je suis on ne peut plus d’accord, et en plus, quels beaux moments on peut obtenir lors de la sélection d’objets, de problèmes de poids, de défense des animaux porteurs… C’est vraiment trop cool pour ne pas être pris en compte

Axel Castilla

Il y a aussi le choix, dans les combats, de jeter à terre le sac à dos avant de commencer à porter de coups ou à en recevoir.

Dans beaucoup de JdR, les règles d’encombrement appliquées correctement (comme vous le dites, avec tout ce que ça peut impliquer pour le MJ, avec l’aide des joueurs) amènent beaucoup de limites en ce qui concerne le déplacement et, bien sûr, c’est tout à fait normal.

GURPS grog lie la capacité de mouvement avec l’esquive, donc un personnage chargé est déjà en train de prendre des décisions importantes lorsqu’il faut affronter le danger (et ça s’accentue encore plus si on emploie le combat avancé/tactique où ces aspects comptent plus). La fatigue augmente aussi en fonction du poids que l’on porte lors de n’importe quelle activité, que ce soit la marche ou le combat.

On emploie aussi (facultativement, comme presque tout là-dedans) un coefficient pour certains objets, le Bulk, c’est-à-dire l’encombrement, qui détermine la facilité à les cacher ou à les dissimuler lorsqu’on le porte.

Il y a aussi la pénibilité que peut avoir la création d’un personnage avec l’obligation de réunir un énorme inventaire : faut-il des cordes, des sacs, des outres… Ça peut prendre plus de temps que le concept ou l’historique du personnage ! C’est pour cela qu’il existe même des suppléments avec des équipements prédéfinis (loadouts), et aussi ces divers « Ensembles pour aventurier » du livre du joueur dans D&D5.

Réponse de Nirkhuz

Le fait de jeter le sac à dos m’a toujours semblé un peu ridicule (et dangereux), même si je suppose que ça doit avoir une logique interne.

D’un autre côté, l’avantage de prendre plus au sérieux le chargement, c’est qu’en fait on arrive à « less is more » (« Moins, c’est plus »). Comme les PJ portent moins d’objets, c’est beaucoup plus facile à gérer.

Axel Castilla

Ridicule, jeter son sac ? Je ne sais pas, à moins que ce soit parce qu’on peut casser des objets à l’intérieur ;) Ou qu’il se perde dans les environs avec tout ce bordel ! C’est dangereux, sans doute.

Nirkhuz

Ou que le sac lui-même se casse ! On ne les fabrique pas en mithril, et si le sac est fendu, bonne chance…

Axel Castilla

Il peut aussi glisser jusqu’à un puits de lave… Hahaha

Master Gollum

Tu as bien raison lorsque tu parles d’avoir accès instantanément à l’équipement. Là aussi je réagis :D

Lors de la dernière partie, les PJ avaient une charrette pour porter leur équipement ; ils ont dû changer de bêtes de somme à un certain moment à cause des difficultés du terrain…

Mais c’est vrai qu’en général on tend à minimiser les problématiques de l’équipement.

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Pour aller plus loin

Pour aller plus loin…

Le site de la Légion VIII Augusta, un groupe de reconstitution(istes), et ses articles sur leurs marches expérimentales

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Commentaires

Cela me fait bien rigoler, parce que de mon temps - je parle là de la fin des années 70 (et oui un dinosaure de cette période !) -, nous avions tous des henchman (ou suivants) pour porter nos sacs, nos gourdes et nos gourdins, et qui nous suivaient dans les donjons. On partageait éventuellement les trésors selon les contrats que nous passions avec eux... c'était le bon temps !

Auteur : 
Anonyme

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