Le système d20, en mode narrativiste

Signs & Portents, le magazine de Mongoose Publishing
présente :

Lorsque nous nous réunissons pour jouer à un jeu de rôle (JdR), que faisons-nous exactement ? Pourquoi le faisons-nous, comment structurons-nous nos réflexions à ce sujet et comment cette structure nous entrave-t-elle ? Bien que ces questions apparemment abstraites semblent n’avoir qu’un lien ténu avec le plaisir que nous retirons de nos parties, un examen rapide nous révèle une foule de petits problèmes horripilants qui empêchent notre hobby de devenir quelque chose de plus qu’une activité marginale.

Avant de commencer l’analyse, j’aimerais d’emblée clarifier certains points :

  • Je ne crois pas que les JdR “standards” auxquels nous jouons ont des problèmes fondamentaux. Mais je pense vraiment qu’ils ne s’adressent qu’à un très infime ensemble de traits de personnalité et de désirs. Afin d’en saisir les raisons, il faut comprendre ce que nous construisons et pourquoi.
  • Je ne crois pas qu’une distinction existe entre les systèmes de jeux en termes de capacité à soutenir une narration. Le système d20 soutient des histoires aussi bien que n’importe quel autre système. Toutefois, chaque système inclut un certain nombre de décisions conceptuelles qui le rendent meilleur pour soutenir certains types précis de narration.
  • Je suis convaincu que les JdR et les Grandeur Nature (GN) ont bien plus de potentiel qu’on ne veut bien leur en accorder. Je pense que si nous regardons avec honnêteté nos propres préjugés, nous pouvons dépasser nos limites. Qui plus est, il me semble que les jeux narratifs, les jeux qui nous aident à raconter des histoires, tombent directement dans une catégorie de jeux explorée par les enfants du monde entier. Alors pourquoi échouons-nous à captiver la plupart de ces enfants pour en faire des joueurs actifs et imaginatifs ?

Cet article ne peut répondre à toutes les questions. Mais il pose une base possible pour partir à leur recherche.

Éléments d’une partie de jeux de rôles

Que sont ces jeux auxquels nous jouons ? Plus important encore, quels en sont les éléments qui nous attirent et pourtant repoussent d’autres gens ? Comment utilisons-nous ces éléments pour apprécier encore plus le temps que nous passons avec nos amis ?

Tous les JdR et la majorité des GN sont constitués des éléments suivants : une structure de règles pour résoudre les conflits ; des personnages persistants ; des objectifs qui durent bien au-delà d’une seule partie ; et un univers dans lequel les personnages interagissent. Ces éléments s’entrelacent pour former un cadre dans lequel nous entrons lorsque nous nous réunissons pour jouer. Ce cadre contrôle comment nous approchons les situations dans la partie, ainsi que la manière dont nous créons les conflits amenés à se dérouler.

Premier élément : les règles

Le premier élément, les règles, est certainement proéminent dans l’esprit des joueurs. Quel que soit le livre que j’ouvre, je tourne immédiatement les pages à la recherche des chapitres “règles et combat”. Je veux voir quelle nouveauté les auteurs ont trouvé. Nous devenons tellement impliqués dans les règles que certains d’entre nous, les fins avocats ès règles (rules lawyers(1), les placent même au-dessus des raisons élémentaires pour lesquelles nous nous réunissons : échanger et s’amuser [et manger du chocolat… (NdÉ)].

Ces règles existent pour nous aider à résoudre les conflits présentés comme une partie de l’univers. Plutôt que de dire simplement “Boris Lame Hardie bondit de la rampe et décapite le turbulent Baron”, nous utilisons des jets de dés (ou tout autre méthode aléatoire) pour déterminer le résultat. Le système fournit un niveau de détail variable : dans la plupart des systèmes de jeu, les actions de combat requièrent le calcul de nombreuses valeurs tandis que d’autres choses, comme les interactions sociales, ne nécessitent qu’un seul jet de dé. Les exemples du d20 pour ces dernières (Bluff, Diplomatie et Renseignements) tendent vers le plus simpliste des modèles : un seul jet résout des heures, jours et même des semaines de travail.

Le niveau de détail fourni par le système influe sur la manière dont les joueurs pensent les conflits. En prenant l’exemple du d20, nous sommes face à un système de combat très minutieux, avec des règles détaillées – et une structure très légère pour tous les autres types de conflits. Notez que je n’ai pas dit réaliste. Le réalisme et la simulation dans la création de JdR sortent du périmètre de cet article.

Je devrais également signaler que les GN, par leur nature, ont tendance à établir des règles très vagues pour tout. Cela désaccentue à égalité tous les aspects des règles.

Quel que soit le niveau de détail assigné à des tâches spécifiques, toutes les règles servent un but important. En JdR et en GN, les joueurs entrent en conflit les uns avec les autres au travers de leurs personnages. Ce conflit peut prendre la forme de plusieurs joueurs contre plusieurs joueurs (dans le cas des GN) ou de plusieurs contre un (dans la plupart des JdR, où le meneur de jeu crée des conflits pour les personnages). L’utilisation des règles dépersonnalise le conflit, désamorçant les conséquences potentielles fâcheuses d’avoir des amis qui se brouillent.

Deuxième élément : les personnages persistants

Les jeux où “on fait semblant” occupent une grande partie de notre temps lorsqu’on est enfant. Nous imaginons et jouons ensemble des situations sans nous soucier de choses comme la structure narrative, la résolution de conflits ou ce qui arrive aux personnages par la suite.

En réalité, c’est le concept de personnages persistants qui aide à créer l’idée d’un “jeu de rôle” plutôt que de simples rôles à endosser. Nous avons l’idée que chacun des personnages existe en dehors du conflit immédiat. Après sa résolution, ils vont passer à autre chose, peut-être en ayant appris de cette expérience. Ce concept est relativement unique aux JdR. Nos racines des wargames n’en disposent pas vraiment, pas plus que la majorité des jeux où nous utilisons des pions pour représenter les personnages.

Les personnages récurrents ne sont pas obligés de changer. Nous voyons de tels exemples dans beaucoup de séries TV et dans de nombreux genres de fictions. Ces personnages restent les mêmes en dépit de chaque crise, et le passé revient rarement les hanter. Ils sont autant des icônes que des personnes, représentants de modèles idéaux qui n’ont pas besoin de changer sous la pression du temps.

Toutefois, la plupart des JdR souscrivent à une philosophie quelque peu différente. Comme les personnages d’une série ou d’un roman d’une qualité légèrement supérieure, les personnages de JdR évoluent au cours du temps. Leurs expériences altèrent la façon dont ils interagissent avec le monde, comment ils gèrent les crises, et les capacités qu’ils rassemblent pour faire face à toute situation. Les domaines où les règles sont les plus précises ont le niveau de détail plus élevé ; ils sont par conséquent au centre du système d’expérience.

La progression en JdR suit généralement un chemin linéaire, débutant à un certain point de moindre pouvoir selon les règles de jeu et avançant vers des cimes sans cesse plus élevées. L’évolution du personnage en termes de puissance devient donc une question de temps, mesurée et ajustée pour une progression appropriée dans le contexte du groupe de joueurs. Elle se traduit généralement par l’avancement d’un quantum (un nouveau niveau, de nouvelles compétences, etc.) toutes les trois ou quatre parties.

Le concept de récurrence soulève également une question : combien de temps un personnage existe-t-il ? Quatre parties ? Dix ? Des années ? Des dizaines d’années ? Tant que le personnage est joué, il est engagé dans le processus général d’augmentation de puissance, nécessitant des oppositions encore plus complexes, tournant le plus souvent autour des mécanismes les plus fins. Une possibilité de conflit existe si les joueurs ne sont pas d’accord sur le degré de permanence dont devraient faire preuve les personnages. Par exemple, ils peuvent se sentir lésés quand un PNJ se révèle étonnamment récurrent (survivant rencontre après rencontre). Le contrat tacite du groupe a été brisé.

De la même manière, lorsqu’un PJ meurt subitement ou de manière imprévue au cours de ce que les joueurs pensaient être une campagne d’un an, il y a un véritable sens de perte et de trahison. Ici encore, nous voyons un énorme effort de la part des créateurs pour proposer des manières “justes” de résoudre le conflit, en incorporant la persistance dans les règles.

La persistance nous permet également, en tant que joueurs, de nous investir dans les personnages. Nous passons du temps à les jouer tout au long des parties, pendant qu’ils vont de l’avant et résolvent crise après crise. L’accumulation de quanta d’expérience dans les limites du système devient une mesure du temps investi dans le personnage. Ils sont également les signes visibles de cet investissement, une récompense ou un symbole honorifique pour avoir atteint un certain but.

Troisième élément : l’univers

Les univers dans lesquels vivent les personnages sont persistants, tout comme ces derniers. Cela soulève un certain nombre de problèmes pour quiconque prend la responsabilité de s’occuper de l’univers partagé. Chacun de ces problèmes est résolu à son tour d’une manière différente par les divers ensembles de règles qui nous sont proposés à l’emploi.

L’idée d’un système de règles indépendant d’un univers, de n’importe quel univers, a circulé pendant un bon moment dans la communauté rôliste. En surface, il semble que ce soit possible. On peut certainement raccrocher des univers variés sur à peu près n’importe quel système de règles. Par contre, les méthodes de résolution de conflits, d’expérience, et celles des domaines que les créateurs ont choisi de détailler le plus, marquent toutes l’univers de façon indélébile. Les lois du monde sont toujours les mêmes : aucun maquillage, aussi élaboré soit-il, ne détournera l’attention des joueurs de ce fait.

Quel est alors le but exact d’un univers ? Si le jeu peut être joué seulement avec les règles, pourquoi passons-nous autant de temps à créer ces univers ? Quelle importance ont réellement les problématiques de cohésion interne, de profondeur historique (back-story) et d’univers en mouvement (dynamic worlds) ?


Babylon 5, un modèle de série mêlant cohésion interne, profondeur historique et intrigue en mouvement

Dans une certaine mesure, l’importance de l’univers provient de la division originelle des participants entre joueurs et meneurs de jeu. Les joueurs ont des personnages qui persistent. Les MJ voient en général les personnages dont ils peuplent leurs univers mourir sous les armes variées et globalement désagréables des PJ. Beaucoup de MJ s’investissent dans l’univers plutôt que de consacrer du temps à ces personnages. Ceux-ci peuvent périr, mais il y aura toujours plus d’univers à explorer. De cette façon, les deux factions du groupe tirent un bénéfice du temps investi. De nouveau, ceci permet de désamorcer un conflit potentiel entre les différents participants.

La seconde raison, peut-être la plus importante, découle du mot “rôle” dans les jeux de rôles. Les joueurs, d’une façon générale, se soucient peu que l’univers change autour d’eux. Mais cela leur importe que leurs personnages évoluent dans le même univers. Souvenez-vous de ces premiers jeux pleins d’imagination quand nous étions des enfants. Nous jouions à la même chose en même temps. Si une personne voulait jouer à “Gendarmes et Voleurs” et une autre à “Cowboys et Indiens”, nous choisissions l’un ou l’autre, jamais les deux. De la même manière, les univers de JdR fournissent à tous les joueurs un contexte partagé pour exprimer leur rôle.

Éléments d’une histoire

Comment, dans ce cas, une histoire est-elle différente d’une partie de jeu de rôle ? Pouvons-nous raconter des histoires avec les JdR, ou est-ce que ces deux concepts sont fondamentalement incompatibles ? Si nous pouvons raconter une histoire avec un JdR, devons-nous le faire ? Est-ce que cela n’interférerait pas trop avec les aspects ludiques de cette activité ?

Qu’est-ce qu’une histoire ?

À son niveau le plus élémentaire, une histoire décrit les actions d’un personnage qui cherche à résoudre un conflit. Le conflit peut être interne, externe ou créé par les actions d’un autre groupe dans l’univers. Tant que le conflit existe, l’histoire se poursuit. Une fois le conflit résolu, l’histoire peut nous donner un certain niveau de “résolution” en décrivant les conséquences des actions menées. Des histoires supplémentaires avec les mêmes personnages impliquent généralement l’introduction d’un autre conflit qu’ils doivent résoudre à son tour.

Jusqu’ici, tout va bien. Les JdR s’articulent autour de l’introduction et de la résolution de types spécifiques de conflits. Les personnages sont en conflit avec leur environnement et avec d’autres personnages, résolvant hardiment d’impossibles problèmes en un tour de main. Alors qu’ils progressent, devenant encore plus puissants, les conséquences de leurs actions les indiffèrent.

L’échec avant le succès

Voyez-vous le problème avec la description ci-dessus ? Repensez aux grandes histoires de notre temps, les formidables œuvres de la littérature fantastique qui nous ont inspirés. L’ensemble de l’œuvre de Robert E. Howard [le créateur de Conan le barbare (NdT)] mis à part (qui ont un attrait différent), combien de bonnes histoires mettent en scène des personnages invulnérables chargeant vaillamment des hordes d’ennemis ?

Les histoires renforcent l’implication et la tension en contraignant constamment les personnages dans des situations où ils ne peuvent pas résoudre le conflit principal. Des problèmes mineurs peuvent les distraire. Certaines de leurs tentatives échouent. Il y aura des situations où ils devront revenir sur une approche possible car elle pourrait leur être fatale, pour eux-mêmes ou pour ceux qu’ils aiment. D’échec en échec, ils en apprendront plus sur le conflit et avanceront généralement d’un pas supplémentaire vers sa résolution.

Le succès et l’échec dans une histoire sont entre les mains de l’auteur. Le succès et l’échec dans un JdR sont entre les mains des règles, qui existent pour résoudre les conflits entre les personnages. Bien que, en tant que meneur de jeu, nous puissions “échanger” succès et échecs en manipulant les résultats générés par les règles, le faire trop souvent anéantit la raison d’être des règles. Plus important encore, cela supprime le garde-fou qui permet aux joueurs d’évoluer à travers les succès ou les échecs sans impliquer leurs sentiments.

Le concept de sacrifice

Un des éléments principaux de la fiction est que les grandes actions réclament de grands sacrifices. Non seulement les héros doivent échouer mais, au bout du compte, ils doivent également abandonner largement plus que ce qu’ils ont personnellement gagné. L’exemple le plus familier dans la littérature fantastique est probablement la fin du Seigneur des anneaux. Frodon sacrifie tout pour les Terres du Milieu et au final, il ne peut apprécier la paix pour laquelle il a payé si chèrement. Il quitte la vie mortelle, espérant trouver quelque repos au paradis.

Toutefois, nous pouvons voir un exemple plus subtil du même phénomène dans L’Heure du dragon de R.E. Howard. Conan prend la décision mûrement réfléchie de devenir roi, tout en ayant conscience que, ce faisant, il abandonne le style de vie sauvage et insouciant qui lui est si cher. Il place les besoins du peuple qui l’a accueilli avant les siens, au point de tourner le dos de nombreuses fois aux opportunités de revenir à son style de vie initial. Le barbare et mercenaire est mort : seul reste le roi pour protéger son peuple.

Les personnages de JdR sacrifient rarement quoi que ce soit. Ils accumulent plutôt de la puissance avec le temps, devenant plus forts et plus redoutables au fil des aventures. Ils peuvent se voir contraints d’abandonner un objet remplaçable ou deux en cours de route mais rien de permanent ne peut leur arriver. Même la mort, sacrifice et sanction ultime, peut être annulée. Rien ne peut interférer avec leur ascension régulière inhérente au cycle du jeu.

À noter que cette hypothèse tacite se vérifie même dans les soi-disant “JdR d’Art” qui affirment être au-dessus du commun. Que vous jouiez un dieu ou un mortel, les JdR n’appellent pas les personnages à se sacrifier vraiment. La seule exception à cette règle pourrait être les jeux de rôles d’horreur qui disposent généralement de mécanismes pour réduire ou supprimer l’attachement du joueur pour un personnage en particulier. Nous nous attendons à ce que les personnages de ce genre de JdR deviennent fous et/ou meurent horriblement et ainsi les règles nous aident à attendre cette expérience avec plaisir [Oui, parce que dans les JdR d’horreur – comme dans les films d’horreur – le plaisir vient de voir les persos mourir, pas de leur survie (NdT)].

L’art de la résolution

Les histoires aboutissent. Les protagonistes luttent, échouent puis finalement réussissent à atteindre leur but. Ils combattent et affrontent conflits intérieurs et problèmes extérieurs et émergent finalement victorieux.

Chaque partie/scénario/campagne donné(e) expose une structure semblable. Les personnages progressent au travers d’une série de rencontres conçues pour les mettre à l’épreuve bien que l’échec arrive rarement. Quand les personnages atteignent le but, ils en ressortent couverts de gloire, avec des récompenses à la hauteur d’un héros conquérant.

Et maintenant quoi ? Au contraire d’une histoire, une fois que les personnages d’un JdR ont accompli leurs objectifs, ils continuent d’exister. Quelquefois ils partent à la recherche de nouveaux objectifs. Le plus souvent, ils continuent de l’avant en faisant un peu plus de la même chose, mais avec des jouets plus gros, plus impressionnants et une opposition plus puissante.

À cet égard, le système de progression constante assiste vraiment les jeux. Les systèmes de règles sont fournis avec des objectifs préétablis, que ce soit des niveaux ou de nouvelles capacités spéciales [La progression à travers les XP devient donc un objectif en soi (NdT)].

Par contre, ces objectifs font rarement une bonne histoire. Personne d’autre que le joueur ne va vraiment s’intéresser au fait que Jejerella la Jezebel bondissante va acquérir sa prochaine faculté vampirique, ou que le fabuleux guerrier nain va avoir une nouvelle hache en mithril.


Conan et Babylon 5, deux incarnations différentes du d20

Ce que cela implique pour le système d20

Le système d20, pour le meilleur ou pour le pire, domine le marché du JdR d’aujourd’hui. Même un supplément d20 se vendant mal et lentement est produit en plus d’exemplaires que certains des plus grands succès des petits éditeurs. Si on considère donc que le d20 est quelque chose comme une approche “standard” pour la plupart des joueurs, que peut nous enseigner cette analyse ?

Commençons par une analyse rapide du système :

  1. Le d20 contient des règles extrêmement détaillées pour le combat et la progression des personnages. Ces deux éléments vont alors se trouver au cœur de toute partie de d20. L’évolution des personnages se produit toutes les trois ou quatre sessions.
  2. Le d20 contient des règles hautement abstraites pour les interactions politiques et sociales. Ces deux éléments n’existeront donc qu’à la périphérie de toute partie de d20.
  3. Les personnages persistants du système d20 incarnent l’évolution linéaire. Le système encourage la progression par la résolution de conflits, définie par la résolution d’affrontements tactiques.
  4. Les personnages sont remarquablement résistants aux dégâts. Ils peuvent non seulement résister à de rudes épreuves lors d’intenses combats, mais en plus même s’ils meurent les pénalités sont relativement légères [lors de la résurrection (NdT)].
  5. L’univers de jeu est relativement redéfinissable, dans les limites des règles. Les meneurs de jeu peuvent ainsi passer des heures à personnaliser l’expérience de jeu par les joueurs, ou à utiliser un monde préétabli pour donner une sensation similaire.
  6. Des règles existent pour codifier des choses comme le temps de voyage ou les transactions économiques, mais pas pour les calendriers, l’économie à grande échelle ou l’Histoire.

Les six points ci-dessus sont la base de notre discussion pour créer des narrations qui fonctionnent en utilisant les règles du d20. Quand nous les appliquons aux éléments d’une histoire, soulignés plus tôt, que découvrons-nous ?

  • Il apparaît évident que le système d20 encourage des histoires dans lesquelles le combat et la résolution tactique des problèmes comptent beaucoup. L’importance accordée dans les règles au conflit armé et la détection des risques mènent les joueurs dans cette direction.
  • Les problèmes sociaux doivent être résolus rapidement, de préférence avec une rapide interaction en roleplay, ou par l’utilisation d’un simple jet de compétence.
  • L’acquisition de capacités plus exotiques doit coïncider avec le développement de capacités similaires chez les ennemis.
  • En général, les personnages ne sont pas obligés de sacrifier quoi que ce soit pour réussir. En fait l’opposé semble vrai : au fur et à mesure qu’ils réussissent, ils gagnent de plus en plus de puissance. Il peut y avoir des sacrifices temporaires en termes de caractéristiques lorsqu’ils font face à certaines créatures (i.e. drain de caractéristique, drain d’énergie), mais ces effets peuvent être soignés assez facilement. Comme il y a peu de règles pour ce genre de choses, les sacrifices sociaux ou personnels entrent rarement dans l’équation.
  • L’univers de jeu est très générique. Cela crée une opportunité pour que les meneurs de jeu passent du temps à créer leur propre monde, dans les contraintes du système. L’univers de jeu peut à son tour énormément s’adapter aux personnages sans violer aucune des “Lois du monde”. Au contraire de jeux de rôles dotés d’un historique important, comme Légendes des Cinq Anneaux ou même Babylon 5, où les mondes possèdent un arc narratif établi.
  • L’idée que la progression des personnages se produit à intervalles réguliers crée un cadre naturel pour l’histoire, à l’intérieur de la structure du jeu. Les aventures qui durent trois à quatre sessions permettent aux personnages d’avancer dans l’histoire, la résoudre, gagnant le niveau d’évolution suivant comme récompense. Cela nous fournit également un repère pratique pour la continuité du monde. Pendant que les personnages avancent dans des histoires distinctes, le monde peut avancer de même, ajoutant des couches en réponse à leurs actions.

Le cœur du problème

Qu’est-ce que ça signifie pour nos parties de d20 ? Quelles méthodes pratiques pouvons-nous tirer de l’analyse ci-dessus ? Ou sont-ce là les divagations farfelues d’une personne qui n’a rien de mieux à faire ?

L’analyse ci-dessus nous apprend quelque chose de significatif sur les parties de d20 en général. Plus particulièrement, elle souligne la difficulté fondamentale de la maîtrise de parties d’intrigue/de politique avec le système d20. La politique et l’intrigue demandent toutes deux des composants qui manquent au système d20 : des sacrifices pour atteindre un but, et une méthode de manipulation qui soit vraiment interactive. Ces parties font un bide quand la résolution d’une situation de communication précise se joue en un unique jet de dé. De même, les principaux problèmes des parties comportant des conflits relationnels ou des malentendus (en particulier les parties avec des sentiments amoureux) ne peuvent être résolus en un tour de main.

En comprenant le problème, on peut s’approcher d’une solution. Dans le cas de parties politiques ou d’intrigues, nous n’avons pas nécessairement besoin de créer une structure élaborée pour que ces conflits deviennent plus significatifs. À la place nous pouvons utiliser les règles existantes de façon créative. Prenez les exemples suivants :

  1. Imaginons que dans une partie politique, pour convaincre l’acteur principal, on fixe le DD d’un jet de Diplomatie à un niveau très élevé. Mettons 50. Toutefois nous établissons que plusieurs personnages autour de lui sont plus faciles à convaincre (DD 30 à 40) et que pour chacun de ces PNJ qui sont en accord avec les PJ, cela donne un bonus de +2 au jet de Diplomatie. Maintenant les personnages doivent prendre contact et manipuler une variété de personnages, ouvrant des possibilités de nouveaux objectifs et de nouvelles interactions.
  2. Et si nous modifiions légèrement la fonction de la compétence Diplomatie elle-même ? Plutôt que d’améliorer l’attitude de la cible, et si un jet réussi amenait la cible à accepter un échange de faveurs ? La cible ferait X pour les personnages s’ils font Y pour lui ? Maintenant la compétence devient vraiment interactive, créant pour chaque utilisation un objectif secondaire pour les personnages dans leur histoire. Cela introduit également un élément de risque ; si les joueurs ne parviennent pas à accomplir l’objectif secondaire, alors ils doivent essayer à nouveau, avec en principe une pénalité.
  3. Les sacrifices personnels ne doivent pas intervenir seulement sous la menace de la mort ou de démembrement. Les personnages dans le système d20 obtiennent une grande gamme d’objets puissants et intéressants au long de leur carrière. Les obliger à les sacrifier dans l’intérêt général ou pour atteindre leurs buts donne le même sentiment de sacrifice que la mort dans d’autres jeux. Observez les yeux d’un joueur lorsque vous lui demandez de sacrifier son épée de feu bien-aimée pour fermer un portail vers les Abysses.

Nous pouvons aussi utiliser l’idée de la progression des personnages pour créer des opportunités de sacrifice. Imaginons une partie où les personnages doivent constamment choisir entre des occasions de progresser et de s’entraîner, ou prendre le temps de réellement faire avancer leurs autres objectifs. Dans ma tête je vois une partie combinant action et politique, où les personnages prennent le rôle de chevaliers de la cour. Ils peuvent partir à l’aventure ou rester à la cour et jouer avec toutes les autres choses qu’ils ont à faire : intrigues de cour, acquisition de pouvoir politique, etc.

La structure d’histoire en quatre sessions suggérée par les règles de progression mérite aussi un peu d’attention. Elle nous donne un cadre pour construire nos histoires, qui fonctionne dans ce genre-là :

  • Une session pour l’introduction, ciblée sur la création d’un conflit crédible.
  • Deux sessions qui traitent du conflit, une impliquant probablement un voyage et la seconde une sorte d’énorme bataille.
  • Une session dédiée à la résolution, avec le combat le plus important et une opportunité de revenir en arrière et d’observer les conséquences du travail des personnages. Si la partie continue après les quatre premières sessions, la résolution peut, ou non, contenir une piste ou une accroche vers la prochaine aventure.

Le but de cet exercice est de nous donner un moyen d’envisager rationnellement les hypothèses que nous faisons lorsque nous jouons. En confrontant ces hypothèses, nous pouvons les dépasser, et porter notre loisir et nos parties de JdR dans des directions que nous n’avions jamais imaginées.

Article original : Narrativism d20 (p. 28-32 de Signs & Portents n°8)


(1) NdT : Plus que des simples connaisseurs, ces joueurs sont comme des avocats à la recherche de détails de procédures dans des tomes oubliés. Et vous en avez besoin dans vos parties ptgptb. [Retour]

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Cet article fait partie de l'ebook PTGPTB n°12 intitulé Narrativisme, mon amour, que vous pouvez consulter pour de plus amples développements.

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