Le supplément secret de Gygax
© 2013 John ONeill
Il y a quelques temps, Taylor – ma fille de 13 ans – m’a dit que son copain Will avait regardé le célèbre épisode « Donjons et Dragons avancés » de la série Communitywiki et qu’il voulait apprendre à y jouer.
Bien sûr » lui ai-je répondu « Dis-lui de venir à la maison samedi et j’organiserai une petite aventure pour vous deux. » Ils furent rejoints par Drew, mon fils de 15 ans, qui créa un guerrier et même Tim, mon grand de 17 ans se joignit à l’action en générant un lanceur de sort de niveau 1.
Community est une série télévisée humoristique américaine. L'épisode AD&D montre les protagonistes jouant au célèbre JdR, pour remonter le moral à un étudiant de l'université – qu'ils intègrent au groupe pour l'épisode.
C’était il y a plus de six mois. Ce qui avait commencé comme une simple séance autour d’un groupe de jeunes fermiers partis à la rescousse de Jasper - un voleur nain détenu par des maraudeurs gobelins - évolua en une campagne épique, une aventure désespérée pour empêcher une armée de hobgobelins et d’orcs de terminer de construire un chemin de fer qui amènerait la guerre à leur maison du bout du pays.
Je ne me suis pas autant amusé en faisant du JdR depuis des dizaines d’années.
J’avais introduit mes enfants à D&D des années auparavant, mais nous n’avions joué que par intermittence, et la campagne – si elle existait – n’avait jamais vraiment pris de l’ampleur. [Cette fois,] un quatrième joueur venu d’en-dehors du cercle familial nous a amené à programmer les parties le samedi matin, et cela a renforcé l’intérêt de tout le monde.
Les choses avancent plus vite, leurs personnages montent de niveau plus rapidement et ils passent les jours qui séparent les séances à discuter avec excitation, planifier et essayer de combiner les indices qu’ils ont découvert pour révéler le sinistre complot derrière les événements de la campagne.
Cela a aussi influencé la manière dont je mène mes parties. Quand j’étais Maitre du Donjon (MD) pour un groupe de mon âge, en gros dans les années 1980 à 2000, mon trac avant chaque séance était palpable. Chacune d’elles devait être plus complexe et meilleure ; chaque aventure plus ambitieuse et épique que la précédente. Créer un module souterrain amusant de deux heures n’était pas suffisant… Je devais insuffler la vie à toute une civilisation souterraine, lui donner une chronologie crédible et la remplir d’une flopée de héros et de scélérats.
Qui plus est, indiquer à mes joueurs le nombre de pièces d’or dans le butin du dragon mort-vivant n’était pas suffisant. Non, ça c’était pour le MD paresseux. Au lieu de cela, mes listes de trésors détaillées s’étendaient sur 7 à 8 pages (imprimées, bien entendu) et contenait de tout ; des toiles de peintures aux meubles en passant par les chandeliers de bronze, le tout mélangé à des objets magiques bizarres et uniques qui étaient fréquemment inutiles (ou dont le fonctionnement était presque totalement obscur).
C’en était presque devenu une blague : trois séances pour arriver au trésor, une pour le trier et comprendre à quoi servait la moitié des objets.
En somme, tous mes efforts étaient dirigés sur la création de mon monde plutôt que sur ce que les joueurs voulaient faire.
D’accord, les récompenses pour ce genre de sur-préparation obsessionnelle étaient quelquefois considérables. Les souvenirs des incroyables aventures qu’on a partagées sont parmi les meilleurs de ma vie.
Et ces campagnes étaient épiques. Il n’était pas inhabituel qu’une épopée commence dans la ville d’Athènes, mène les personnages-joueurs à l’archipel des Cycladeswiki, chez les gladiateurs des arènes sous-marines des féroces sahuaginwiki, puis au Plan élémentaire de la Glace et au palais du Roi des Géants de givre, pour finir dans une caverne immense au pied d’un volcan, afin d’arracher la légendaire Lance d’Athéna des mains d’un cyclope imposant.
Et c’était l’une des campagnes les plus courtes.
Mais la longueur des préparations qu’exigeaient ces scénarios signifiait que les séances étaient souvent espacées de plusieurs mois…Et même après tout ce travail, j’avais l’impression à chaque fois que je n’en avais pas fait assez, terrifié à l’idée que mes joueurs grattent le vernis de mon monde et se rendent compte à quel point j’improvisais au cours de nos parties.
Jouer avec mes enfants a changé tout cela. Je ne prépare rien à l’avance. Rien du tout. Tout – mêmes les listes de trésors – je l’improvise sur le moment.
Lorsqu’ils me demandent ce que possédait le goblours géant qui a naïvement tenter de les embusquer, je les informe simplement qu’il portait sur lui un couteau en os, une bobine de fil de pêche, 14 pièces d’or, une bourse contenant du fromage moisi et une sculpture en bois à moitié finie d’un buste de cheval.
Ils me lancent régulièrement des regards hébétés. « Comment tu fais pour te souvenir de tout ça sans regarder tes notes ? » me demande-t-ils. Je leur réponds calmement : « C’est l’une des qualités d’un bon MD »
Le but n’est plus d’impressionner mes amis grâce à mon imagination et mon dur labeur. À présent, c’est de m’assurer que mes enfants et leur camarade s’amusent.
Les mots me manquent pour vous décrire à quel point c’est libérateur. En même temps, cela me force à être plus attentif, car dans ce style de jeu l’écoute des joueurs est plus importante que la préparation en amont.
C’est en écoutant, par exemple, que j’ai su exactement quelles rencontres balancer au groupe de persos pendant qu’il se frayait un chemin à travers la foule de l’énorme marché à ciel ouvert de leur village.
Le magicien de Tim est tombé sur un alchimiste qui vendait des ingrédients couteux nécessaires pour concocter diverses potions puissantes. Le guerrier massif de Drew a rencontré un forgeron qui exposait une armure de plate exotique et très chère. Le rôdeur de Will a fait la rencontre d’un homme qui essayait d’écouler le genre d’essence de bois dont il avait besoin pour construire une catapulte lourde. La druidesse de Taylor a croisé le chemin d’un vieil homme qui vendait deux chiots de guerre gigotant ; âgés de 8 semaines à peine mais déjà énormes, amicaux et d’une loyauté indéfectible.
Bien entendu, comme tout bon MD, je leur ai dit qu’ils n’avaient, entre eux quatre, assez d’or que pour un seul achat.
Ce qui n’avait commencé que comme une distraction de 5 minutes prit de l’ampleur pour devenir une aventure excitante d’une heure dans le marché, au fur et à mesure que mes enfants marchandaient, débattaient, faisaient des promesses pour obtenir ce qui les intéressait. Ils se sont ensuite mis à réfléchir furieusement à la manière de mettre la main sur 400 pièces d’or de plus.
Ça été le sujet de toutes leurs conversations pendant la semaine qui a suivi pendant que Will se voyait construire sa catapulte et Taylor essayait de choisir les noms de ses chiens.
C’est étrange, mais je trouve que jouer ainsi me rapproche de la vision originale de Gary Gygax sur le jeu de rôle. Quelle qu’ait été l’étendue de l'imagination ou la créativité que manifestait le Maître, le style de partie qu'il affectionnait avait plus à voir avec le tissage d'une trame captivante pour les joueurs, qu’avec la fidélité aux créations du MD. C'est une évidence pour moi.
Au fur et à mesure que notre campagne titubante prenait de l'ampleur, j'ai commencé à chercher mon inspiration du côté de Gygax. Cela s'est révélé être une excellente idée.
Par exemple, lorsque le moment fut venu pour mes joueurs d'entreprendre leur première véritable expédition dans des étendues sauvages, j’avais de vagues souvenirs que pour sa première campagne Greyhawk – qui servait de décor pour Tomb of Horrors , Le Temple du Mal Élémentaire , Castle Greyhawk , The Lost Caverns of Tsojcanth , Against the Giantsgrog !– Gary Gygax avait fait une utilisation intensive du jeu de plateau Outdoor Survival (1) , édité par Avalon Hill en 1972.
C'est plutôt étrange : assimiler les composants d'un jeu venant d'un éditeur concurrent pour lui donner une position essentielle de ses propres règles.
(Le seul exemple comparable qui me vient à l'esprit, c'est la première édition de Kill Doctor Lucky de Cheapass Games, qui ne s'est même pas encombré d’un plateau dans la boîte. Puisque le jeu est une reconstitution du meurtre qui est investigué dans Cluedo, il était évident qu’on s’attend à ce que les joueurs utilisent le plateau de ce jeu.)
Le fait que Greyhawk se servait de la carte d’ Outdoor Survival était une sorte de secret de Polichinelle parmi les premiers joueurs de D&D – et TSR ne tenta pas de le cacher, allant même jusqu'à l'inclure dans la liste du "matériel recommandé" (avant les dés !) du Volume I de l'édition originale de 1974 de D&D par Gygax et Arneson.
Voici [la traduction d’un scan (NdT)] de cette section du livre de règles :
MATÉRIEL RECOMMANDÉ
Donjons et Dragons (vous l’avez déjà !)
Outdoor Survival (disponible dans votre magasin spécialisé ou directement depuis Avalon Hill Company ,4517 Harford Road, Baltimore Maryland 21214)
Des dés – les types de dés ci-dessous sont disponibles dans la boutique TSR
- 1 paires de dés à 4 faces
- 1 paires de dés à 20 faces
- 1 paires de dés à 8 faces
- 1 paires de dés à 12 faces
- 4 à 20 paires de dés à 6 faces
Le livre de règles de Chainmail pour figurines, l’édition la plus récente (disponible dans votre magasin spécialisé ou directement depuis TSR Hobbies, POB 756, Lake Geneva, Wi. 53147)
- 1 cahier à spirales (pour l’arbitre et chaque joueur)
- Des feuilles de papier millimétré (2mm x 2mm recommandé)
- Des pochettes plastiques transparentes (la meilleure qualité possible)
- Des feuilles de papier à carreaux perforées
- Du matériel de dessin et des crayons de couleur
- Du papier brouillon et des crayons
- De l’imagination
- 1 arbitre patient
- Des joueurs
Outdoor Survival a la réputation d'être un jeu solidement banal. Il a un score déplorable de 4,48/10 chez Board Game Geek et je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui a lu les règles en entier.
Néanmoins, il est devenu au fil du temps l'une des meilleures ventes d'Avalon Hill. Son succès est largement attribué au fait qu'il était distribué en dehors des voies habituelles –dans des boutiques d’articles de plein air et des magasins de sport – et que toute une génération de joueurs de D&D le voyait apparemment comme un outil indissociable de toute grande aventure en milieu sauvage.
Toutes qualités du jeu en lui-même mises à part, c’est un formidable accessoire pour D&D . Lorsque mes jeunes joueurs s’aventurèrent au-delà des limites de leur petit village douillet et des bois alentours, vers la région inhospitalière de la frontière septentrionale, je savais que je voulais marquer le coup. J'ai trouvé une copie d'occasion en très bon état sur eBay pour moins de 20$, j’ai payé pour un envoi en recommandé et ai reçu le colis samedi matin.
Je n’eus que le temps de déchirer l’emballage pour en sortir la boîte. Je la cachai sous la table et lorsque les PJ quittèrent enfin la civilisation pour s’aventurer dans les terres sauvages, j'ai posé devant les joueurs le premier des trois volets de la carte.
Ils l'ont regardée fixement pendant quelques minutes puis m'ont regardé.
"C'est tout ce que vous voyez" leur ai-je expliqué. "Chaque hexagone fait 3 km. Vous pouvez voyager jusqu'à 5 hexagones par jour. Will, place ta figurine sur le bord sud de la carte. Elle représentera votre groupe. Utilise-la pour me montrer votre déplacement exact."
Et c'est exactement ce qu'ils ont fait avec excitation, effectuant leurs premiers pas sur une carte chargée d'histoire, qui a accueilli d'innombrables campagnes de D&D par le passé. Ils débattaient chaque déplacement en observant les montagnes, les forêts, les marécages et les déserts de la carte, à l'affût du danger et de l'aventure.
C'était une manière de jouer qui était complétement différente de la plongée dans des donjons dont ils avaient l'habitude. La possibilité de voir la carte apporta bien plus de réflexion à leurs explorations, augmentant leurs attentes, tout en leur donnant le sentiment qu'ils avaient plus de contrôle.
Cette anticipation était due au danger imprévisible, bien entendu. Chaque fois que les PJ entraient dans un nouvel hexagone, je faisais un jet sur la table des rencontres derrière mon écran. Au cours de leurs premières heures d'exploration, ils sont tombés sur le squelette blanchi d'un lézard colossal, un ours-hibou affamé, un couple d'hippogriffes, un Ent en train de roupiller, un [Géant] verbeeg et une bande de gobelins cruels qui menaient une caravane d'esclaves vers l'ouest à travers une vallée étroite.
Il ne fallut pas longtemps avant que le groupe s’écarte des sentiers battus, manque de se perdre et oublie presque leur but original d’exploration de la zone frontalière. J’ai dû trouver quelque chose qui puisse les captiver plus longtemps ; faire tout le temps des jets sur la table des rencontres aléatoires a son charme, mais cela n'allait pas durer.
Et c'est alors que l'idée me vint. Si les enfants étaient en train de recréer la campagne originale de Greyhawk , foulant le même sol sacré que les premiers rôlistes il y a quatre décennies de cela, pourquoi s'arrêter à la carte ?
Pourquoi ne pas aussi mettre la plus grande aventure de Gygax sur leur chemin ?
C'est ainsi que lorsque les PJ de mes jeunes joueurs atteignirent le bord de la carte ci-dessus, prêts à se lancer dans les plaines marécageuses de l'ouest, impatients de découvrir ce qu’elles renfermaient lorsqu’ils entreraient sur l’autre volet, je leur révélai qu'ils avaient remarqué un sentier qui menait à ce qui semblait être les ruines d'une ancienne forteresse.
Au centre des marais de l'ouest, niché non-loin de la confluence des deux rivières, je plaçai la forteresse du T1-The Village of Hommletgrog(1979) le module d’introduction à la méga-aventure de Gygax, T1-4 – le Temple du Mal Elémentairegrog [1985].
Il leur fallut plusieurs séances pour nettoyer la forteresse des sbires de Lareth le Magnifique, le clerc chaotique-mauvais au service de Lloth, divinité derrière la réapparition du temple. La bataille finale dans les donjons sous les ruines a été délicate, avec son lot de sorts mortels et d'actes héroïques désespérés, mais les PJ s'en sont plutôt bien sortis – et la plupart ont atteint le niveau 4 à son terme.
Vont-ils suivre les indices qui mènent au Temple lui-même, ou préféreront-ils retourner à l'exploration de la carte d' Outdoor Survival ?
Et si c'est le cas, qu'est-ce que je peux mettre sur leur chemin ? Il est trop tôt pour le classique de Gygax Against the Giants, mais peut-être pas Le Château-Fort aux Confins du Paysgrogou peut-être Expedition to the Barrier Peaksgrog...
Quoi qu'il en soit, que l’on joue des modules classiques ou que l’on taille notre propre aventure originale, je suis vraiment reconnaissant envers Gary Gygax pour m’avoir montré la voie à suivre. Encore une fois.
J'ai l'impression de redécouvrir totalement Donjons & Dragons avec mes enfants, d'apprendre de nouvelles manières de s'amuser avec un jeu qui a déjà une place immense dans ma vie.
En ce qui concerne Outdoor Survival , je suis simplement surpris de n'avoir jamais songé à l'utiliser avant. Il aurait pu ajouter beaucoup à un bon nombre de campagnes que j'ai mené au fil des années.
Si tester Outdoor Survival dans votre campagne vous tente, les exemplaires sont bons marchés et abondants, bien que le livre n'a pas été réimprimé depuis presque vingt ans. En ce moment, il y en a 23 à vendre rien que sur eBay [40 aujourd’hui ! (NdT)], dont les prix vont de $5.99 à $29.99 pour un exemplaire d'occasion.
Outdoor Survival a été créé par Jim Dunnigan, fondateur de SPI, et publié par Avalon Hill en 1972. La boîte contient trois cartes en couleurs qui s’imbriquent les unes dans les autres, des cartes, des règles et un tas d’autres trucs auquel je n’ai jamais porté attention.
Article original : The secret supplement : Greyhawk, Gygax and Outdoor Survival
Sélection de commentaires
eeknight
Outdoor Survival est aussi super comme carte alternative pour Starship Troopers d'Avalon Hill. Il faut inventer ses propres règles sur deux ou trois aspects mais c'est très simple.
Je jouais à Outdoor Survival avec mon frère quand on était jeunes. Notre scénario favori était la chasse au prisonnier évadé. [On peut jouer le fugitif, les poursuivants, ou les deux (NdT)]
(1) NdT : d'après la fiche de Boardgamegeek et les critiques- un jeu de plateau simulant la survie dans des régions sauvages. 1 à 4 joueurs de 8 ans et plus; temps de jeu : 30 minutes ; complexité : 3/10. L'idée de base est “Vous êtes seul et perdu; vous devez survivre et quitter la forêt. Il y a 5 scénarios, qui vont du groupe de randonneurs inexpérimentés perdus dans la forêt, au groupe de secouristes qui tentent de retrouver une personne disparue. Pour gagner, il faudra éviter les animaux sauvages, trouver de la nourriture et de l'eau, résister à la nature et aux maladies, et ne pas mourir." Tirage de cartes d'évènements : on peut trouver du miel dans un nid d'abeilles, ou tomber d'une falaise
D'après les commentaires : le hasard est trop important, la simulation simpliste rend la stratégie et la planification minimales, et le perso trop meurt facilement ; le but est donc au moins de voir jusqu'où on peut survivre avant de mourir.
Il a encore ses partisans, avec leurs règles "maison" et leurs scénarios (dont un s'appelle "canibalisme" et un autre "Hunger Games"...)
Il n’y a pas de monstres de Fantasy dans les tables de rencontres aléatoires d’origine. . [Retour]
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