Théorie des niveaux d’immersion multiples en GN
Cet article est extrait du livre en ligne As LARP Grows Up - Le livre de Knudepunkt 2003 ("Tandis que le GN grandit"), compilation de conférences du festival de GN Knudepunkt 2003 au Danemark. Ce festival annuel se tient depuis 1997 dans les pays scandinaves sous divers noms (Knutepunkt, Knutpunkt; Solmukohta). Knudepunkt, et ce livre, ont pour but de favoriser la créativité, l'innovation et l'échange d'idées. Rien n'est plus pratique qu'une théorie - telle est l'idée de base de cet ouvrage. Dans ses pages, vous trouverez des idées, des conseils et des solutions pratiques à vos questions sur le GN.
Prémisse
Malgré ce que beaucoup d'écoles de jeux de rôles Grandeur-Nature (GN) proclament, il n'est pas possible de définir simplement les joueurs comme étant « immersifs » et « non-immersifs ». Le vétuste Modèle à trois volets ne convient pas davantage au paradigme actuel du GN. Par conséquent, notre théorie propose un nouveau modèle, fondé sur l'idée que chaque partie de GN est composée de plusieurs couches de différents éléments, et que l’on peut créer une modélisation des joueurs selon qu’ils veulent et/ou sont capables d’être en immersion dans ces éléments - ou pas.
Le cœur de cette théorie doit beaucoup au classique cercle herméneutique (1) utilisé dans la critique littéraire. Il traite la partie de GN comme le « sujet » et les joueurs comme ses interprètes (2) , les plaçant sur une trajectoire d’approche circulaire du sujet en question. La façon dont la théorie de la dissonance cognitive est appliquée aux croyances est également une autre forte influence.
L'objectif principal de ce théorème est de fournir une alternative à l’échelle de valeurs en GN, dans laquelle un joueur capable de s’immerger est souvent considéré comme « bon » et un joueur non-immersif comme « faiblard » ou moins capable. Au lieu de cela, je propose un modèle pratique, qui associe certains types de joueurs à des pratiques de jeu qui leur correspondent, et vice versa.
Terminologie et critères
Dans toutes les formes de GN, il existe trois niveaux possibles d'immersion. Nous avons :
1) Immersion dans le personnage – P (C pour Character), le sens communément utilisé par le mot «immersion». La capacité à « devenir » un personnage, à intégrer ses modes de fonctionnement, son éthique et sa personnalité.
2) Immersion dans l’univers de jeu – U (R pour Reality), la localisation de soi-même dans l’environnement convenu de la partie. Cela comprend à la fois
- l'acceptation des causalités diégétiques ptgptb [« il y a une pancarte sur le sol qui dit ici gouffre infranchissable, donc je ne peux la franchir », NdT] ; et
- l'acceptation comme « vérité », dans les limites des contraintes de la partie, du potentiel d'événements hors de l’ordinaire, (comme l'existence de la magie, ou de technologie science-fictionnesque).
3) Immersion narrative - N, l’acceptation de l'existence d'éléments narratifs dans la partie, et la volonté de les traiter comme des événements réels, plutôt que comme une histoire imposée de l'extérieur [p. ex. : celle qu’un orga vient vous expliquer, NdT]. Les éléments les plus importants sont les intrigues de la partie et la valeur dramatique [et/ou narrative] de chaque événement.
La principale différence entre le GN et d'autres formes de jeux de rôle, c'est que dans le premier cas, il existe une véritable possibilité pour une immersion dans l’univers. Dans les autres JdR, on peut parfois simuler l'existence d'une situation différente de l'environnement réel, mais cela est fait pour répondre aux besoins des personnages, plutôt que pour essayer d’offrir une expérience d'immersion.
Notre théorie traite principalement des joueurs et des parties de GN, mais elle peut tout aussi bien être extrapolée pour décrire les participants de la plupart des autres formes de jeux de rôle (3) .
Typologie des joueurs
La typologie de base des joueurs est construite en combinant les trois critères d'immersion et leurs contraires.
1) L’Optimisateur (powergamer) (P- U- N-)
L’Optimisateur utilise le GN comme une excuse pour sa propre satisfaction ; il voit l’intérêt d’une partie dans la réalisation de ses désirs personnels, et non pour vivre l'expérience d'une situation alternative. Ce niveau de (non-) immersion est optimal pour des « jeux de rôles » sado-masochistes de base [où l’on se contente de se déguiser et de donner des coups, NdT], mais dangereux et imprévisible en situations de jeu. Il est extrêmement axé sur ses objectifs en tant que joueur. Il est en général plus réticent qu’incapable de participer en immersion.
Résumé: « Je veux ... »
2) L'Acteur (actor-player) (P- U- N+)
Les Acteurs sont capables de se plonger dans l'intrigue et la dramaturgie d'une partie, mais pas dans leur personnage ou dans l’univers de jeu. Ils sont sur scène, considérant les autres joueurs comme leur public. Leur principal objectif est de renforcer l'histoire avec ce qu'ils perçoivent comme le plus approprié.
Plus à l'aise dans le théâtre d'improvisation (ou dans un bac à sable ptgptb) que dans une partie, ils peuvent cependant s'avérer extrêmement utiles quand ils sont recrutés - comme joueurs semi-autonomes - pour interpréter des Personnages-Non-Joueurs importants. Ils sont en phase avec les besoins de la partie, mais si on ne les surveille pas étroitement, ils peuvent finir par faire des choses comme tuer les personnages des autres joueurs sans arrière-pensée, au nom de l’intérêt dramatique (4) . Résumé: « La seule chose qui serait parfaitement adaptée maintenant ... »
3) Le Simulateur (P- U+ N+)
Le Simulateur est immergé dans l’univers d'une partie et sa narration. Sa relation avec le personnage est néanmoins extérieure, et est fondée sur une évaluation de la situation et des hypothèses de base sur les thèmes de la partie, plutôt que sur une compréhension des motivations intérieures du personnage. Vu de l’extérieur, la différence est souvent minime.
Un Simulateur est généralement capable de profiter pleinement de la plupart des GN, à moins que les parties en question soient très axées sur le ressenti de l'expérience.
En réalité, un Simulateur peut souvent être un joueur plus fiable qu’un joueur en immersion dans le personnage pour des parties orientées sur l’intrigue (5).
Résumé: « Ce gars-là ferait sans doute cela. »
4) Le Joueur-Extension du personnage (P+ U+ N+)
Le Joueur-Extension est complètement plongé dans tous les aspects d'une partie. A partir du matériel donné, il crée la personnalité de son personnage, et devient pour toute la durée de la partie cette personne comme partie prenante dans l'histoire. Ses réactions sont basées sur une extrapolation du matériel fourni, et même si le joueur les exprime à la première personne, elles sont essentiellement liées aux besoins de l'histoire. Cela signifie que quand il joue son personnage, il semble très « réel », mais il est très lié aux éléments prédéterminés, et donc est souvent perdu lorsque la situation n'est pas prévue dans les informations d'introduction de la partie ou ses prolongements. C’est le joueur idéal pour les parties décrites avec beaucoup de détails, et de loin le type de joueur le moins susceptible de se plaindre de la linéarité d’un scénario.
Résumé: « Je fais cela, parce que ... »
5) L’Intégriste (Fundament player) (P+ U+ N-)
L’Intégriste est à fond dans son personnage et accepte l’univers de jeu, mais pas son intrigue ou son déroulement. Au lieu de cela, il prend les informations du background, les analyse et ensuite (re-)construit la personnalité du personnage en fonction de ces informations. Le résultat final est un personnage « complet » avec des valeurs et une logique interne que le joueur suit pendant la partie. Les problèmes surviennent seulement quand les modes de pensée du personnage et les plans du créateur de la partie ne correspondent pas. Dans ces situations, le joueur intégriste continue de suivre les réactions « naturelles » de son personnage au lieu de suivre des instructions extérieures [celles des orgas… et des autres joueurs (NdT)]. Pour qu’il applique tous les « stimuli », les orgas devront les intégrer dans la trame diégétique de la partie [c-à-d devront trouver une justification dans l’univers de jeu. Ex : remplacer « la suite du scénar implique que tu partes par là » par « c’est le moment de répondre à l’appel de Théoden par là! » (NdT)].
C’est le type de joueur que les autres joueurs appelleront très probablement « bon joueur », et que les orgas appelleront « problématique », voire « dangereux ».
Résumé [parlant en personnage]: « Je fais cela, parce que c'est ma nature de le faire »
6) Le Rêveur (escapist) (P+ U- N-)
Un Rêveur réalise ses fantasmes à travers un personnage. Il peut accepter l’univers d'une partie et/ou son intrigue, mais seulement si elles répondent aux besoins du personnage. Il « traduit » les éléments de la partie dans son intérêt afin que le personnage et ces éléments correspondent. Il traite le personnage comme une seconde personnalité, et ses apparitions dans la partie comme une vie parallèle. Il est habituellement très attaché à une gamme limitée de types de personnages, et farouchement protecteur de ceux qu'il accepte.
Ce sont les meilleurs joueurs imaginables… quand les organisateurs de parties prennent en compte leurs désirs à l’avance, de préférence à l'étape de planification initiale. Sinon, ce sont les plus problématiques. Ils sont capables d'immersion de personnage d’une manière presque psychotique qui ferait tripper un membre de l’école GN de Turku.
Résumé: « Je veux qu’il se passe ceci. »
Ces six types de joueurs sont les plus fréquemment rencontrés dans un GN organisé. Deux autres combinaisons sont possibles, mais ne sont normalement que des phases transitoires et temporaires :
7) l'Explorateur (P- U+ N-), est un joueur qui accepte l’univers de jeu, et rien d'autre. On le rencontre fréquemment chez les personnes qui observent une partie en jouant un personnage à moitié présent (un personnage qui n’est pas inclus dans les intrigues, et seulement utilisé comme une excuse pour éviter la présence de personnes hors-jeu dans la zone de jeu.)
8) Le Conteur (P + U- N +), on le rencontre normalement immédiatement après une partie. C’est l'état dans lequel les joueurs en immersion de personnage continuent d’y rester partiellement, et qui essayent de conclure les intrigues laissées ouvertes quand la partie s’est terminée. C’est commun même parmi les joueurs qui n’ont pas été en immersion dans leur personnage ou dans l’intrigue pendant la partie.
Les relations entre les modèles des six joueurs les plus communs peuvent être combinés en un système, représenté par un cercle d'immersion. Un joueur est placé quelque part le long du bord du cercle, et pour les besoins du créateur de la partie, il est défini comme un membre d'un des 6 groupes ci-dessus, avec des penchants possibles pour l'un des deux types de joueurs adjacents. Si un joueur change de modèle, ce sera probablement vers l’un de ces groupes plutôt qu’un changement plus radical.
L’exception à cette règle est l'adaptation d’immersion temporaire, qui est le processus consistant à choisir consciemment un niveau d'immersion moins intense, afin qu'il corresponde aux exigences d’une partie ou d’une autre forme de roleplay. Il peut être observé chez des joueurs qui ont une grande expérience de l’immersion et qui participent à des parties exclusivement conçues pour divertir. Agir autrement perturberait la partie.
De mon point de vue, c'est le seul véritable critère pour définir si un joueur est bon ou mauvais : la capacité à ressentir la dynamique interne d’une partie, et de régler son propre comportement pour s’y adapter. Dans le cas de joueurs qui ne sont pas en immersion, on peut trouver un critère similaire dans la volonté de réussir dans les limites fixées pour la partie, en soutenant l'illusion d'une immersion commune, même s’ils ne s’en imprègnent pas eux-mêmes.
Typologie phénoménologique
1) Au sens diégétique. Parmi les six types de joueurs de base, deux (le Joueur-Extension et l’Intégriste) peuvent être considérés comme diégétiques, deux (le Rêveur et le Simulateur) comme semi-diégétiques et les deux derniers, a-diégétiques ou pseudo-diégétiques.
2) Au sens relation personnage/joueur. Deux des types de joueurs sont créatifs par nature (le Rêveur et l’Intégriste), deux ont une nature de spectateur (le Simulateur et le Joueur-Extension) et deux sont des acteurs (l’Acteur ou l’Optimisateur). Parmi eux, seuls les deux premiers ressentent les choses comme leurs personnages. Les autres, en fonction de la situation, les vivent à travers leurs personnages ou simplement par eux-mêmes.
De l’utilité d’une typologie et conclusion
Lorsque l’on choisit des joueurs pour un GN, il est essentiel de prendre des gens capables d'ajuster leur niveau d'immersion pour répondre aux besoins de la partie. Si la partie n'est pas conçue explicitement comme un moyen de communiquer une expérience d'immersion, les Joueurs-Extension et les Simulateurs sont interchangeables et conviennent à la plupart des rôles. Les Rêveurs sont un apport extraordinaire pour n'importe quelle partie s’ils sont gérés à l'avance, tout comme les Acteurs - si on leur donne assez d’instructions précises. Les Intégristes sont le mieux utilisés quand on leur donne des personnages contenant à peu près les mêmes quantités d’interprétation, d'amélioration de l'intrigue et d’informations apparemment sans importance. Sauf à obtenir des avantages très substantiels, évitez les Optimisateurs.
Pour appliquer ces modèles, regardez tous les personnages de votre partie. Ils ont tous un facteur de participation analysable, sur une échelle qui va de « n’a rien à faire » à « complètement programmé ». Lorsque vous voyez sur quelle ligne le personnage se situe, vous avez suffisamment d'informations de base pour trouver le type de joueur qui lui correspond.
Article original : The multi-tier game immersion theory
(1) NdT : Le cercle herméneutique(wiki-en) représente les allées et venues entre une partie et le tout, p.ex. un texte et l’ensemble de l’œuvre dont il est un constituant. [Retour]
(2) NdT : observez les deux sens du mot interprète : les joueurs de GN sont les acteurs ou exécutants d’une partie, mais ils traduisent l’intrigue, ils se l’expliquent et la commentent [Retour]
(3) NdT : cette théorie peut être extrapolée… y compris pour les JdR en ligne multijoueurs ; où l’immersion dans la réalité virtuelle peut être très forte [Retour]
(4) NdT : rapprocher cette description de la posture de metteur en scène dans le GNS3 [Retour]
(5) NdT : rapprocher cette description de la posture du pion dans le GNS3 [Retour]
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