Ce que l’on peut apprendre des vieux livres-jeux

NdT. : Les livres-jeux (dont la série des “Livres dont VOUS êtes le héros” est la plus connue) sont des scénarios – préécrits – à choix multiples.

Si vous êtes comme moi, rôliste de la première heure et fan de jeux de rôle, vous avez probablement joué aux livres-jeux de la collection Défis fantastiques (Fighting Fantasy) wiki , fondée par Steve Jackson et Ian Livingstone, durant les années 80. Ces deux auteurs ont diffusé un type de loisir unique sous la forme de livres. Grâce à l’idée de narration non linéaire, ils ont conçu des histoires où les lecteurs et les lectrices (ou les joueurs et les joueuses) peuvent faire des choix, combattre des ennemis (en lançant des dés) et obtenir divers équipements utiles au périple de leur personnage (qui peut être géré à l’aide d’une fiche de personnage). Un de mes livres favoris de la collection est Le Temple de la terreur (Livingstone, 1985).


1re édition française, octobre 1985

Du fait de l’effort inhabituel que les lecteur·trices/joueur·euses doivent mettre dans le texte pour faire avancer le récit (lancer un dé, prendre des notes, lire des pages sans ordre logique, etc.), ce récit s’inscrit dans l’idée de littérature ergodique wiki, d’après le terme proposé par E.J. Aarseth (1). Dans Le Temple de la terreur, on joue un guerrier commençant son aventure au temple de Skelos afin de combattre le sinistre sorcier Malbordus. Reposant sur un système ingénieux basé sur des choix et des numéros de paragraphes, les joueur·euses doivent utiliser leur mémoire, résoudre des énigmes, et être chanceux·ses aux dés pour réussir à vaincre les monstres jusqu’à atteindre le donjon de Malbordus.

Divertissement mis à part, il nous reste une question : quelles leçons peut-on tirer de ce type d’expérience ludique quand on veut créer ou étudier des jeux ? Voici quelques éléments de réponse à prendre en compte :

  1. Ce type de livre est parfait à décortiquer. Pour apprendre de ses échecs, il est essentiel de dessiner un schéma. Ce schéma est le scénario du jeu. Il permet de comprendre les “arbres de décisions multiples” imaginés par l’auteur (2).
  2. Après avoir joué une même aventure plusieurs fois, vous verrez se dessiner autant les points forts que les points faibles du récit. Vous pouvez noter quelle est la fréquence des combats, des dialogues et des exploits pour avoir une idée de la manière d’équilibrer ces différents aspects dans votre jeu [ou partie ou campagne (NdT.)].
  3. Le Temple de la terreur, en particulier, est un exercice de suspension de l’incrédulité (3). Pouvez-vous imaginer un donjon rempli de gobelins, démons, squelettes, dragons et autres êtres fantastiques vivant ensemble de manière saine ? Si vous y pensez de façon rationnelle, cela n’a aucun sens ; mais dans ce format, c’est totalement logique. Le scénario est un peu naïf mais, d’un autre côté, c’est un scénario de fantasy, pour jeune public.
  4. Il y a corrélation entre la façon dont un tel livre est écrit et comment un scénario de jeu vidéo est créé [et cela vaut aussi pour l’écriture d’intrigues de JdR (NdT)]. En gros, les deux sont des récits. Alors étudier différents formats vous aidera à alimenter votre esprit en nouvelles idées, pour vos futurs nouveaux jeux.
  5. C’est amusant ! Alors ne perdez pas de temps. Si vous n’avez jamais joué à un livre-jeu, achetez-en un et essayez. Pendant votre lecture, demandez-vous : pourquoi de tels livres ont connu un si grand succès par le passé ? Où est le plaisir dans tout ça ? Comment peut-on se servir de cette expérience pour créer des jeux pour smartphone, console ou encore des jeux de société ?

Le défi est entre vos mains.

Article original : What we can learn from the old rpg solo adventure books


(1) NdT : Espen J. Aarseeth est enseignant et chercheur dans le secteur des études sur le jeu vidéo et de la littérature numérique. Dans Cybertext—Perspectives on Ergodic Literature (1997), il emploie le terme “ergodique” – à l’origine un terme du domaine des mathématiques – pour la littérature ludique. Ce terme a pour origine les mots grecs désignant “action” et “chemin” ; une littérature ergodique désigne alors un texte qui demande une participation active des lecteur·trices, sans laquelle le texte n’a pas de sens. [Retour]

(2) NdT : Le Sorcier de la montagne de feu prévoit notamment un labyrinthe dont le joueur doit se sortir et où il est vivement recommandé de faire un plan avec les numéros de paragraphe pour pouvoir s'y retrouver. [Retour]

(3) NdT : Une mise de côté de l’esprit critique ; s’impliquer dans ce qui se passe dans l’histoire, par opposition à un regard extérieur/critique. [Retour]

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Pour aller plus loin… hydre

Retrouvez une présentation historique des livres-jeux dans Les Livres-jeux – Introduction à l’interaction ptgptb.

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