Comment faire plein de brouzoufs en écrivant des histoires de nelfes et de nains

Écrivez de la fantasy au kilomètre

Avant de commencer un roman de fantasy bon marché, il faut un bidule. Vous savez, un truc, un machinchose. Un anneau pour les gouverner tous, ou le bébé dont on a prédit qu’il serait la chute de la Mauvaise Reine, quelque chose approchant. Une ficelle du métier. Un macguffin (1). Ensuite, vous avez besoin d’une intrigue. Ce n’est pas vraiment un roman si vous n’avez pas de trame, pas vrai ? Heureusement, vous n’avez pas trop à bosser, vu que tous les romans de fantasy bon marché ont la même intrigue. Il y a un gros méchant bourrin, voyez-vous, et il va conquérir le monde. Il est vraiment mauvais, maléfique et méchant, et s’il domine le monde tout le monde va être triste. Il n’y a qu’une chose qui peut l’arrêter.

Le bidule bien sûr. Le macguffin.

Bon, le machin tombe entre les mains d’une bande de gars bien. Un groupe de gars bien, c’est mieux qu’un seul héros. Pourquoi ?

Jamais entendu parler de produits dérivés ? Voyez, si le roman a du succès, vous pouvez vendre les droits pour le cinéma, les dessins animés du samedi matin, les jeux, les personnages articulés, les peluches, les serviettes en papier, plein de pacotille avec les noms et les visages de vos personnages dessus. Mais il vous faut plein de personnages pour vous en sortir. Vous avez remarqué qu’il y avait beaucoup plus d’objets sous licence Musclor que Conan ? Un seul perso, ça ne le fait pas.

D’accord, il n’y pas grand-chose du domaine de la fiction littéraire qui ait assez de succès pour obtenir une licence juteuse – vous y arriveriez mieux en commençant un dessin animé, un groupe de rock ou un truc du genre, quelque chose d’important dans la culture américaine – mais il faut être prévoyant. Et si jamais votre bouquin a du succès, on parle d’un paquet de picaillons, croyez-moi.

Vous voulez une bande de gentils. Assurément.

Revenons à l’intrigue. Les bons ont le macguffin. C’est la seule chose qui peut arrêter le méchant. Pour stopper le méchant, ils doivent aller du point X au point Y. Pourquoi doivent-ils aller de X à Y ? Kestanaafout’ ? Il vous faut une explication pipeau, mais l’important est qu’il s’agit d’une quête héroïque. Vous ne pouvez pas avoir de quête si vos personnages ne font pas un voyage.

Voyez-le sous cet angle. Supposons qu’ils peuvent vaincre le méchant en restant à la maison en fumant des cigares et en buvant un cognac au coin du feu. Il n’y aurait pas beaucoup de matière à faire un roman, n’est-ce pas ? Non, il faut que vous envoyiez les gentils dans la nature hostile, où ils devront affronter le mauvais temps, des monstres vicieux, les sbires du méchant et d’autres joyeusetés variées.

Rappelez-vous, “L’aventure, c’est quelqu’un d’autre qui en bave sévère au loin”. Il faut qu’on arrive à étaler ce truc sur environ 75 000 mots, alors nous allons avoir besoin de plein de trucs sur les gentils qui souffrent, mais qui réussissent à surmonter courageusement les obstacles.

Donc, vos personnages n’aimeront peut-être pas, mais il faut qu’ils aillent au point Y. Pas de sort de vol non plus : on veut voir leurs chaussures crottées, leurs dents qui claquent et ainsi de suite. À vaincre sans difficulté….

Finalement, ils arrivent au point Y et nous avons la grosse, la spectaculaire confrontation avec le méchant. Tolkien l’a salopée. J’veux dire, Frodon arrive au Mont du Destin, il fait faire trempette à l’anneau (plouf), et c’est fini. Genre anti-paroxystique. Il aurait dû y avoir une grosse baston entre Sauron et Gandalf, avec Frodon qui sauve le monde au dernier moment. Avec plein de trucs magiques et rutilants.

Au passage, il ne vous est jamais venu à l’esprit que Le Seigneur des anneaux est une allégorie d’un match de basket ? J’veux dire – Frodon a la balle ; dribble, dribble ; Gollum tente de la choper mais – attendez – Frodon garde le contrôle ! ; et dribble, dribble, dribble ; Frodon se rapproche du panier, heu, du Mont du Destin, l’attention de Sauron est ailleurs et la majeure partie de l’équipe locale marque les Gondoriens ; Frodon se dirige vers le panier ; dribble, dribble ; il tire ! Il marque ! GOOOAL ! L’anneau est dans le Mont du Destin! La foule est en délire !

C’est tout ce qu’il y a à dire

Vous voyez comme c’était simple ? C’est simple. Vraiment. Tout ce dont vous avez besoin, c’est un macguffin, une bande de gentils et un récit de voyage. N’importe qui peut écrire un roman fantasy bon marché. Maintenant que vous savez comment faire, pourquoi n’en écrivez-vous pas un ?

Écoutez, quand vous aurez fini avec votre roman, je vais vous dire quoi faire. Envoyez-le à Beth Meracham à Tor Books. Elle adore recevoir de la prose semi-illettrée, encore brute de décoffrage, de personnes enthousiastes, mais voulant devenir écrivain. Et si vous l’écrivez à la main ou sur une vieille machine à écrire à laquelle il manque la moitié des touches, c’est encore mieux. Oh, et ne vous préoccupez pas de la grammaire ou de l’orthographe hein, j’veux dire : ils servent à quoi les éditeurs ?

N’hésitez pas à envoyer votre manuscrit à Beth, même s’il est mal écrit. C’est sa vie. Il n’y a rien qu’elle aime autant que d’être harcelée pendant des heures dans les conventions de science-fiction par des auteurs d’heptalogies non publiées qui n’ont jamais entendu parler de savon. Elle adore ça. Elle s’en gorge. Faites-moi confiance là-dessus.

Article original : How to Make Big Bux Writing Elfy-Welfies

(1) NdT : Le MacGuffin est un concept du cinéma d’Hitchcock. C’est un objet matériel et généralement mystérieux qui sert de prétexte au développement d’un scénario. Exemple: une formule. Un collier. Un document secret… [Retour]

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Pour aller plus loin… panneau-4C

Cet article fait partie de l'e-book n°11 Le JdR, de l'Art ou du cochon, compilation téléchargeable rassemblant les articles de PTGPTB sur les rapports de JdR/Art.

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Commentaires

C'est exactement ce que j'ai pensé de Shannara.

Suite à la BA de la série, j'ai lu les 3 tomes et la préquelle (il y a d'autres séries dérivées qui sont peut-être mieux : https://fr.wikipedia.org/wiki/Shannara) me disant que l'auteur n'allait tout de même pas refaire le même scénario à chaque fois... ben si.

Il est possible de résumer l'histoire des 4 bouquins en deux phrases : Le dernier druide (super balaise, manipulateur et mystérieux qui dit rien) va chercher un péquin (moyen ou spécial), dans une auberge, pour tuer le grand méchant sorcier pas beau mais supra balaise. Avec d'autres, (avec ou sans objet pour tuer le grand méchant) ils forment une communauté, et après le sacrifice (héroïque) de quelques uns, sauvent le monde.

Auteur : 
Archaos

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