Que signifient tous ces “Crédits” ?

GregCostikyan

Le qui fait quoi dans la création d’un jeu

N.B. : Tout ce qui suit s’applique surtout au secteur du jeu de société plutôt qu’au jeu vidéo, bien que de nombreuses pratiques soient communes.

Par ailleurs, l’anglais fait une distinction nette entre editor et publisher là où le français regroupe ces fonctions sous le terme éditeur. L’editor est celui qui édite le projet dans le sens où il l’améliore et participe à sa conception. Le publisher est celui qui édite le projet dans le sens où il coordonne les différents intervenants pour que le jeu soit publié en temps et en heure. Pour bien rendre cette différence, nous traduirons le terme editor par rédacteur et celui de publisher par éditeur, même s’il est évident que ces choix de traduction présentent quelques approximations.

La plupart des jeux d’aventure ont une sacrée liste de crédits. Il y a l’auteur, bien sûr, mais aussi les développeurs, les rédacteurs, les graphistes, les illustrateurs, les directeurs de production, les testeurs et ceux qui ont testé en aveugle. Que font donc tous ces gens ? Et pourquoi leur nom est-il dans les crédits ?

Il est important de se rendre compte que la conception de jeu est une forme d’art qui se fait en collaboration. Même un livre implique plus d’une personne : certes, l’auteur l’écrit, mais quelqu’un l’édite, quelqu’un d’autre fait la maquette, conçoit la jaquette et un autre dessine l’illustration de la couverture. Toutefois, une seule personne réalise 90 % du travail, et c’est pourquoi seul l’auteur est crédité.

En revanche, un film est le travail de centaines de personnes, et certains génériques défilent pendant plusieurs minutes à la fin du film.

Les jeux se situent entre ces deux extrêmes. Le créateur a la plus grosse part de responsabilité dans son jeu, mais la contribution des autres est si importante qu’il est impossible de l′ignorer.

Les crédits d’un jeu se scindent en trois catégories : la conception, les graphismes et la production.

Crédits de conception

Le premier crédit est habituellement celui pour la conception, et le second est celui pour le développement (1). Quelle est la différence ?

C’est une bonne question car les deux sont souvent confondus. Une digression historique s’impose…

La première entreprise à publier des jeux d’aventure fut Avalon Hill, mais elle ne sortait qu’un jeu par an et ne faisait apparaître aucun crédit. Ce fut en fait SPI, le deuxième grand éditeur, qui établit un grand nombre des procédures et des traditions qui restent d’actualité. SPI institua le duo auteur/développeur.

Elle le fit par nécessité. Aux débuts de SPI, son seul créateur de jeux était Jim Dunnigan, qui avait auparavant travaillé pour Avalon Hill. La stratégie de SPI était de prendre les parts de marché d’Avalon Hill en publiant beaucoup plus de jeux que lui. Là où AH publiait un jeu par an, SPI en publiait un grand nombre…

Beaucoup plus que Jim Dunnigan ne pouvait en concevoir tout seul. Mais SPI n’avait personne d’autre avec l’expérience et le talent nécessaire…

Alors Dunnigan engagea des développeurs. Le principe se déroulait en deux temps. Premièrement, les développeurs permettraient à Dunnigan de créer plus de jeux en prenant en charge une partie du travail. Deuxièmement, ils pourraient apprendre le métier et devenir auteurs en propre. Et, bien sûr, ce fut exactement ce qui se passa.

En principe, l’auteur est le créateur du jeu. Il fait les recherches, pose les bases du système et, d’habitude, écrit le premier brouillon des règles. Les développeurs prennent ensuite le jeu, le raffinent, le testent de façon répétée, corrigent les défauts du système, ajoutent ou suppriment des règles si nécessaire, les réécrivant continuellement.

Mais les rôles se superposent souvent. Quand l’auteur est arrogant ou que le développeur est inexpérimenté, le premier peut faire presque tout le travail avec peu d’assistance de la part du second. À l’autre bout de la gamme, l’auteur ne fait pas grand-chose de plus que passer quelques pages de notes gribouillées au développeur. Il arrive d’ailleurs qu’en fait le développeur mérite bien plus d’être crédité pour le produit fini que l’auteur lui-même.

Crédits de Batailles de Westeros

Page de crédits de Batailles de Westeros

De plus en plus, les jeux sont créés par des auteurs indépendants qui ne travaillent pas dans l’entreprise, et développés en interne par des salariés. Dans une certaine mesure, c’est une idée admirable. Dans l’édition littéraire, une partie du travail de l’éditeur est de mener les livres à travers les étapes de production. À la différence de l’auteur, il sait ce que fait le relecteur qui fait la révision, si une correction d’épreuves est nécessaire ou non, où les épreuves doivent être envoyées, et à quoi ressemble le planning. De la même manière, un développeur interne peut bien mieux coordonner la production du jeu avec les autres employés (les graphistes, les directeurs de production, les commerciaux et autres) qu’aucun auteur extérieur. De plus, le développeur peut prendre des décisions pratiques quand c’est nécessaire : quand le commercial veut changer la quatrième de couverture, ou qu’un illustrateur demande s’il peut utiliser du brun plutôt que du vert pour les extra-terrestres.

Mais l’utilisation de développeurs en interne pour des créations externes est semée d’embûches. La façon la plus facile de le démontrer est de l’illustrer par deux scénarios-types.

  • Scénario A : un auteur de jeu expérimenté et professionnel teste son jeu de fond en comble et peaufine ses règles avec un soin méticuleux. Il l’envoie au développeur de l’éditeur, qui est inexpérimenté, inattentif, ou incompétent. Le développeur réécrit les règles en mauvais français, les rendant incompréhensibles et opère des changements majeurs qui déséquilibrent complètement le jeu. L’auteur externe est confronté à un dilemme. Il peut soit se plaindre, avec le risque que l’éditeur le voie comme un crétin arrogant ; ou il peut ne rien dire, auquel cas son nom apparaîtra sur la couverture d’une bouse.
  • Scénario B : Un auteur paresseux, inexpérimenté ou arrogant soumet un jeu qui est soit complètement naze, soit qui part d’une bonne idée mais qui nécessitera un travail de développement considérable. L’éditeur l’accepte parce qu’il pense qu’il se vendra très bien, ou parce qu’il souhaite conserver de bonnes relations avec l’auteur, ou parce que le directeur de la boîte est incapable de faire la différence entre un bon et un mauvais jeu (un problème courant). Le développeur de la boîte, expérimenté et consciencieux, sera forcé de passer de longues heures à transformer ce brouillon quasi bon à jeter en un jeu peaufiné et publiable. Il sera amer lors de la publication car l’auteur recevra tout les crédits – et gagnera des droits sur le jeu par-dessus le marché. Le développeur ne perçoit que son salaire – et se fait réprimander par la direction pour avoir passé trop de temps sur ce projet.

En dépit des problèmes liés à ce modèle de création/développement, il reste très utile. Les auteurs sont fréquemment trop impliqués émotionnellement et intellectuellement dans leurs jeux pour en voir les défauts ; l’implication d’une personne extérieure expérimentée est souvent très bénéfique. Le développement fait encore office d’apprentissage – et comme il n’y a aucune autre façon pour un auteur de jeu de se faire la main, il est probable qu’il conserve cette fonction.

Assez parlé des développeurs. Les rédacteurs [editors] sont la prochaine étape de la conception. Le rôle de la rédaction empiète parfois sur celui du développement ; parfois, si le rédacteur est particulièrement expérimenté, il écrira la version finale des règles, et peut éventuellement faire des propositions de modifications du jeu. Parfois encore (et dans d’autres firmes), le rédacteur se contente de faire les corrections et les relectures des épreuves. En revanche, les rédacteurs de jeu n’ont généralement pas ce même rôle de responsable de collection et de chargé des relations avec les auteurs que dans l’industrie du livre.

Les testeurs sont des personnes qui jouent au jeu durant la phase de développement. Ils ne sont pas payés ; leur seule compensation est d’être cités dans les crédits et de recevoir un exemplaire du jeu gratuitement. Tous les bons auteurs font un effort pour repérer et garder les bons testeurs ; ils fournissent un service qui n’a pas de prix et suggèrent souvent à l’auteur (ou au développeur) des modifications qui seront intégrées au jeu.

Personnellement, je me méfie toujours d’un jeu qui ne crédite pas ses testeurs. Cela indique soit que la maison d’édition méprise ses testeurs au point de ne pas les citer, soit qu’elle ne s’est pas donnée la peine de tester le jeu. Dans les deux cas, cela ne présage rien de bon pour le jeu.

Les testeurs en aveugle sont des testeurs extérieurs à l’entreprise. Si un jeu est testé en présence de son auteur, il est probable que cela biaise les résultats. Par exemple s’il explique les règles à ses joueurs, il peut ne jamais se rendre compte que la version écrite est incompréhensible. Il est toujours intéressant d’avoir des testeurs à l’autre bout du pays pour découvrir comment ils s’approprient le produit. Tout bon éditeur de jeux a son groupe de testeurs en aveugle favori et entretient soigneusement cette relation.

Les crédits graphiques

La plupart des jeux ont des crédits pour la conception graphique ou la direction artistique. Ils sont souvent attribués au directeur artistique de la boîte, mais celui-ci pourra éventuellement nommer un de ses subordonnés. Le directeur artistique détermine l’apparence du jeu de la même manière que l’auteur du jeu détermine son ambiance. Il passe les commandes pour les illustrations intérieures et celles de couverture, conçoit l’emballage, choisit la typographie et la maquette. Il conçoit et réalise les cartes, les pions et les autres éléments du jeu.

Les meilleurs graphistes font plus que ça ; ils suggèrent une meilleure manière d’organiser les tableaux, de placer l’information, d’utiliser des représentations graphiques pour améliorer la souplesse du jeu. Le meilleur directeur artistique avec lequel j’aie jamais travaillé était Redmond Simonsen, chez SPI ; tous les jeux que j’ai écrits avec lui étaient de véritables collaborations, même s’il était crédité dans la partie graphique plutôt que dans la partie conception. Par exemple, j’avais conçu un petit jeu Porte-Monstre-Trésor en solitaire, dans lequel on dessinait la carte du donjon sur du papier quadrillé. Redmond m’a alors suggéré que nous imprimions de petites salles et des illustrations de couloirs sur des carrés de carton, pour que l’on tire ces cartons au sort pour créer le donjon. Cette suggestion était simple, graphiquement attrayante – et brillante. Le succès du jeu lui est dû plus qu’à ma propre contribution.

Souvent, une liste de plusieurs noms apparaît en dessous du directeur artistique. Ce sont les gens qui l’ont assisté en faisant la maquette, les collages, et peut-être du travail supplémentaire de mise en forme. Rarement, on voit aussi apparaître un crédit pour la typographie.

Crédits de Mice and Mystics

Page de crédits de Mice & Mystics

La plupart des jeux utilisent des illustrations originales pour la couverture. C’est pourquoi ils citent l’illustrateur de la couverture. Il est important de comprendre la différence entre la conception graphique et l’illustration. Un illustrateur réalise l’image placée sur la couverture. Le directeur artistique décide comment cette image sera cadrée, quelle police lui sera superposée et où, etc. Les directeurs artistiques fournissent fréquemment à l’illustrateur une esquisse grossière de l’image qu’ils veulent ; parfois, surtout avec les illustrateurs en qui ils ont confiance et avec qui ils ont déjà travaillé, ils feront une brève description verbale, ou même laisseront l’illustration entièrement à la discrétion de l’artiste. Néanmoins, bien que l’illustration soit de “l’art″ et la conception graphique simplement un “art commercial″, c’est le directeur artistique qui a la maîtrise de leur relation.

De nombreux jeux créditent séparément les illustrations intérieures.

Crédits de production

Souvent, seule une personne est créditée sous la rubrique Production. C’est généralement le directeur de production de la boîte. Il trouve des imprimeurs, des découpeurs à l’emporte-pièce [pour les pions et autres éléments à découper] et d’autres fabricants pour le jeu. Il coordonne le département artistique et ceux-ci pour être sûr, par exemple, que le bon à tirer arrive à l’impression à temps, et que cette dernière respecte exactement les couleurs que le département artistique souhaite. Il assure également la liaison entre les fabricants, les entrepôts et le département des ventes. Il s’assure que les fabricants fournissent les composants du jeu à l’entreposage en temps et en heure. Il s’assure que l’entreposeur sait qu’un nouveau jeu est sur le point d’arriver. Et il vérifie que le département des ventes sait quand le jeu va être envoyé pour qu’il puisse alerter les distributeurs.

Le travail du directeur de production est un rôle clef pour tout éditeur de jeu, mais il ne contribue pas directement au jeu. Aussi, je ne pense personnellement pas qu’il devrait être crédité. Mais vous le trouverez dans de nombreux jeux.

Vous trouverez également des crédits pour l’impression ou le découpage. Ces crédits sont faits à des entreprises plutôt qu’à des individus (par exemple “Imprimé par Reflex Offset, découpage des pions par Modern Album″). Ces entreprises aiment se voir créditées mais, autant que je sache, cela ne sert à rien si ce n’est peut-être à renforcer les liens entre l’éditeur et un fournisseur apprécié.

Crédits de Potion Explosion

Page de crédits de Potion Explosion

Conclusion

Qu’est-ce que tout cela veut dire pour vous ? Si vous aimez la manière dont le jeu se joue, vous devez en créditer l’auteur. Si vous pensez que les règles sont difficiles à lire, vous devez en blâmer le développeur, bien que le graphiste ou le rédacteur puissent aussi avoir leur part de responsabilité. Si vous aimez l’apparence du jeu, si vous trouvez que ces différents éléments fonctionnent bien ensemble, félicitez le concepteur graphique. Si vous aimez la couverture, cherchez d’autres œuvres de l’illustrateur. Si les pions ou les marqueurs sont mal découpés ou qu’il manque la page 17, allez vous plaindre au directeur de production.

Mais rappelez vous toujours que ce sont des personnes qui font les jeux.

Les éditeurs ?

Ils ne font que les vendre.

Article original : What those credits mean

(1) NdT : Dans le milieu de l’édition, on parle de rédacteur (editor) ; développeur est plutôt employé pour les jeux vidéo. [Retour]

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Pour aller plus loin…

Cet article est inclus dans l'ebook PTGPTB n°19, la deuxième partie du rassemblement d'articles sur la création de JdR : Créer son JdR : l'avis des pros.

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