Apprenez à expliquer les échecs

Ars Ludi

Si vous voulez être un bon MJ, une des choses les plus importantes que vous pouvez faire est d’apprendre à expliquer les échecs.

Les personnages-joueurs échouent tout le temps. Ils essaient de sauter sur des chevaux au galop (Oups ! Piétiné !), de convaincre des marchands obstinés de leur faire une petite rallonge de crédit (regard taciturne, menaces voilées de faire appel à la milice de la ville), ou visent des cibles minuscules à des distances improbables (Raté ! Raté ! Raté ! Recharge ! Raté ! Raté !).

Parfois (rarement) les joueurs tentent des choses qui semblent tout simplement folles, mais la plupart du temps ils essayent des choses dont ils pensent leur personnage capable. Ils essayent simplement de déployer leur concept de perso. Bien sûr que mon pirate peut agripper une corde et se balancer jusqu’à l’autre navire – c’est ce que font les pirates !

C’est là qu’interviennent les dés. La plupart des jeux de rôles contiennent des chances d’échec, car sinon le succès n’est pas vraiment intéressant. Où est le challenge s’il n’y a aucun risque ?

Lorsqu’un joueur tente de faire quelque chose dont il pense son personnage capable, mais qu’il échoue, cela amoindrit un petit peu sa confiance dans le concept du personnage. Les joueurs aiment leurs personnages (pas votre partie) donc si cet amour fragile entre joueur et personnage est brisé, ce joueur pourrait bien s’en aller. Danger, terrain miné !

Cela arrive dans à peu près toutes les parties, à un niveau plus ou moins important. Alors comment traiter ce problème récurrent ? Vous l’avez deviné : en apprenant à expliquer un échec.

Mais attendez : quid d’expliquer un succès ? Ne vous inquiétez pas de ça, c’est facile. Si les joueurs ne peuvent pas imaginer comment ils réussissent une action, ils ne l’auront probablement même pas tentée avant.

Mettez en valeur un échec : jouez-le haut en couleurs ; ne le jouez pas terne

Un échec doit être grand. La pulsion primaire du MJ est de passer sur un échec, d’acquiescer à un jet de dé raté et de poursuivre pour épargner la honte au joueur. Grossière erreur. La pire insulte que l’on puisse faire à un personnage dans l’univers de jeu est qu’il n’ait pas d’impact. Il est préférable de foirer à en faire couler le Titanic plutôt que de n’avoir aucune influence (notez que nous parlons ici du personnage qui foire, pas du joueur).

Lorsqu’un personnage échoue, insistez dessus. Amplifier l’échec dans l’univers de jeu. Démontrez que le personnage a de l’impact, même si ce n’est pas celui qu’il espérait. Une explosion d’énergie qui rate son but ne s’évanouit pas dans la nature, elle entaille le bâtiment plus bas dans la rue, faisant voler en éclats les fenêtres et pulvérisant des nuages de béton dans l’air. Le pirate ne fait pas que rater la corde et tomber. C’est toute la vergue qui casse, faisant s’effondrer sur le pont du navire les gréements et les voiles, envoyant les gens courir dans tous les sens.

Un gros déboire peut plus désavantager un personnage qu’un échec du type “Faisons comme s’il ne s’était rien passé” mais il recentre l’attention de la partie sur ce personnage, ce qui est ce que la plupart des joueurs veulent le plus. Oui, c’est un revers, oui, le personnage est vraiment dans la mouise, mais il est sous les projecteurs. Oubliez les points de vie, le mana ou l’équipement : la seule ressource qui importe dans une partie est le temps de jeu.

La même chose s’applique aux événements négatifs sur lesquels les joueurs n’ont aucun contrôle, comme prendre des dégâts. Lorsqu’un personnage prend un coup critique, ne dites pas “Ooohh, critique, 26 points de dommages en plus, désolé mon gars”, mais dites “Le loup déchiquette sauvagement ton bras et ses énormes crocs acérés le déchirent – tu prends 26 points de dégâts”. Une partie tient au fait de faire une description plutôt que de ne pas en faire, mais un autre aspect est la mise en valeur de ce qui se passe mal, plutôt que son passage sous silence. Ne vous excusez pas. C’est dans le péril qu’est le défi. Les héros doivent se relever et faire face au péril. Ce loup est en train de te bouffer méchamment mon gars ! Tu as intérêt à te bouger les fesses !

Cela aurait pu arriver à tout le monde…

Lorsqu’un personnage échoue dans une tâche qu’il (selon son concept) aurait dû réussir, mettez en cause la situation, pas le personnage.

La poisse est votre amie. Même le plus capable des personnages peut vraisemblablement tomber sous les coups de l’infortune, alors soulignez les circonstances, non pas le manque de compétence. Inventez des choses. Lorsque le pirate saute pour attraper la corde, il ne fait pas que glisser et échouer. C’est la corde ou toute la vergue qui se rompt de façon inattendue. Lorsqu’un héros macho a des problèmes pour grimper un petit muret, cela veut dire que les briques se désagrègent sous ses mains, des gravillons lui tombent dans la figure, ce que vous voulez. L’échec ne vient pas de l’incompétence du personnage, c‘est juste la malchance ou des circonstances imprévues.

Ou alors peut-être le personnage possède-t-il d’autres aspects qui peuvent expliquer après coup cet échec ? Si un autre trait important est la cause de l’échec, alors le concept du personnage n’est pas mis en défaut. Cet As du pilotage fait un mauvais jet de dé et plante son appareil lors d’un atterrissage a priori facile ; mais vous rappelez à tout le monde qu’il est déjà connu pour être un casse-cou et qu’il a probablement tenté un truc de fou. Il n’a pas échoué à une tâche facile : il a transformé cette tâche facile en tâche difficile (rien de cela n’est prévu dans les règles, c’est juste une façon d’expliquer un échec). D’habitude, une fois que vous introduisez une possibilité comme celle-ci, le joueur va vous suivre et vous aidera à y donner corps puisque vous re-décrivez alors ce que leur personnage était en train de faire.

Note de bas de page : Assurance contre l’échec

“Attendez”, dites-vous, j’ai une meilleure idée ! Je vais simplement toujours laisser les joueurs réussir les actions qui sont importantes pour leur concept. Génial !!! (Oui, je sais que vous n’avez pas réellement dit ça, mais comme c’est moi qui écris ce texte, je peux utiliser tous les contradicteurs rhétoriques que je veux).

Certains systèmes incluent de telles “assurances contre les échecs” dans leurs règles. Dépensez un Point d’Héroïsme [à Warhammer (grog), par exemple (NdT)], et relancez le dé. Achetez un trait qui permet de relancer les dés pour tout ce qui est central pour votre personnage (les Diplomates peuvent relancer tous les jets ratés de diplomatie, simplement parce qu’ils sont bons là-dedans.) Prenez 10 [au système d20 – prenez le temps pour assurer une réussite moyenne] : en d’autres termes, choisissez de neutraliser les mauvais jets s’ils vont à l’encontre du concept de votre personnage. Je dirais que cette tendance s’est accrue tandis que certains RPG se mettaient à donner plus d’importance au concept des personnages qu’à la victoire tactique.

Réussir là où vous vous attendiez à échouer (et vice-versa) est une partie du plaisir du jeu de rôle. Ce n’est pas une activité planifiée, c’est de la créativité de groupe en réaction à des stimuli aléatoires (les dés). Enlevez trop d’incertitudes, et vous perdez une partie de cet ingrédient magique.

Sélections de commentaires

The Stray

Nous avons un personnage nommé Porte-Poisse dans notre campagne de Mutants & Masterminds, qui a le trait Contrôle de la Chance avec le défaut Retour de flamme, ce qui fait que chaque fois qu’elle utilise son Contrôle de la Chance, je peux utiliser un Diktat du MJ contre elle. Cela signifie habituellement que quelque chose d’assez mauvais arrive à son personnage. Parfois je n’ai même pas à utiliser le Diktat contre elle… Elle fait un mauvais jet de dé juste au mauvais moment pour se le prendre en pleine face.

Après avoir lu cet article, je commence à comprendre pourquoi ce personnage est le chouchou du joueur. C’est parce qu’elle a son moment de gloire… bon ou mauvais.

Drew

Ce que je préfère, c’est d’utiliser quelque chose d’absurde, que ce soit lié au personnage ou à la situation. Ton hacker s’est effectivement introduit dans le réseau, mais il y est coincé parce qu’il a perdu tant de temps à tester la complexité inattendue du système, en oubliant de récupérer cette info qu’il cherchait. Cet échec critique du coup dans le dos était juste un aléa inévitable quand on essaye de poignarder quelqu’un qui est déjà engagé au corps-à-corps ; la cible a bougé, exposant l’épaule de ton allié.

Je crois que j’aime ça parce que j’ai choisi de jouer des personnages “à défauts”. Même si je tire de bonnes caracs, je vais donner des défauts. Un clerc avec une crise de foi… un barde baratineur qui ne semble pas pouvoir s’empêcher de dire la vérité à des moments inopportuns… un Dingue (à Rifts) avec quelques troubles de personnalité AVANT les implants, sans parler de ce qui se passe après… un Malkavian qui croit qu’il est un Mage, et même échange ses services contre [des objets chargés en Quintescence] dont il est le seul à croire qu’il en a besoin.

L’absurde est drôle, et cela crée des opportunités à tout le monde, pas seulement le personnage directement victime de la situation absurde.

higgins

Eh bien, le JdR Conspirations a une solution très intéressante : demandez au joueur “Hé, ton personnage est un expert dans ce domaine ! Pourquoi a-t-il raté une tâche aussi simple ?”

R00kie

Certaines de mes parties préférées ont été dues à l’échec d’un seul personnage. J’ai toujours pensé que si quelqu’un rate quelque chose, vous passez rapidement à la suite après une brève description ; mais s’il rate à un moment dramatique, ou lorsque les chances étaient vraiment de son côté, vous devez rendre cet échec mémorable.

Dans une campagne de Traveller, un joueur a déclaré que son perso essayait de ramasser du combustible à l’extérieur d’une étoile, d’une manière particulièrement stupide, afin d’impressionner un vaisseau voisin. Le joueur m’a décrit la chute vers cette étoile en décélérant à 5G. Sa compétence était ridiculeusement élevée, mais il s’arrangea pour faire un échec critique. Normalement je ne demanderais pas un jet de dé pour ramasser du combustible ; c’est une action de routine ; le jet de dé était pour impressionner les gens.

J’envisageai rapidement les options – déclarer qu’il n’avait pas réussi à impressionner qui que ce soit n’était pas satisfaisant. – le faire plonger dans l’étoile aurait mis fin plutôt soudainement à la campagne, et le faire s’écraser sur l’autre vaisseau ne semblait simplement pas crédible, vu son niveau de compétence. Alors j’ai fait paniquer le pilote de l’autre vaisseau, qui voyait un zinzin foncer dans l’étoile à une vitesse hallucinante. L’accident n’était pas la faute du PJ – l’autre pilote a paniqué et s’est mis dans le chemin, mais c’était vraiment mémorable et a braqué les projecteurs sur le PJ.

Il s’est avéré que cela a fait dérailler ma campagne de la meilleure façon. J’ai pu mettre mes joueurs devant un dilemme avec deux vaisseaux percés tombant dans une étoile, et le faire suivre avec une histoire de revanche qui faisait intervenir les frères de l’autre pilote, et une intrigue pour faire échouer l’enquête du gouvernement sur l’accident. La campagne que j’avais prévue n’a en fait jamais été jouée – en partie parce que les PJ n’ont jamais réussi à faire réparer leur vaisseau – mais les joueurs se sont formidablement amusés.

Pete

Dans notre groupe, une des scènes les plus mémorables fut quand mon roublard rata un jet de pickpocket contre un ogre soûl, parce que le MJ décrivit l’échec ainsi : “Ta main est restée coincée dans la ceinture de l’ogre et il se retourne vers toi”… À ce moment j’ai dû essayer de baratiner tout en retirant ma main, pendant que tout le reste du groupe était mort de rire.

Cela me rappelle aussi un blog quelque part sur l’utilisation de l’effet John Woo. Un échec-rien-ne-se-passe est trop ennuyeux ; une sorte de conséquence involontaire devrait arriver pour ajouter un élément de surprise/tension/action. Votre balle rate le méchant mais brise le vase inestimable du roi ; un coup d’épée raté la coince dans le pilier de pierre derrière vous.

Du point de vue du joueur, je pense que cela ajoute beaucoup d’amusement et d’historique de personnage à la partie. La prochaine fois que mon roublard essayera de voler quelqu’un, tout le monde lui criera dessus.

Article original : Learn To Explain Failure

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Pour aller plus loin…

Cet article fait partie d'une compilation sur la malchance rôliste et ses multiples avatars : l'ebook n°13 : Fatal Fumble

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