Création de scénario en noeuds 2

Vers la première partie

5e partie : Intrigue contre nœud

Comme je l’ai noté plus haut, l’approche linéaire donne le contrôle au créateur du scénario en privant les joueurs de celui-ci.

Par exemple, si on devait recréer notre scénario pour Las Vegas Unité Anti-Terroriste en utilisant l’approche linéaire, on pourrait contrôler attentivement le cours des événements :

Un indice dans le bâtiment de self-stockage (NŒUD BLEU) mène les PJ à l’appartement de Yassif Mansour (NŒUD A) où a lieu une fusillade de tous les diables avec les kamikazes. Mais Mansour n’est pas là et il y a des preuves qu’une bombe encore plus dangereuse se trouve à Vegas ! Leur seul espoir est de pister le ripoux Frank Nasser (NŒUD C) et le forcer à se mettre à table en interrogatoire. Mais arriveront-ils au Bellagio à temps ?

C’est évidemment une façon efficace pour le scénario de se dérouler : tout s’emboîte naturellement jusqu’à la confrontation réjouissante avec le Méchant et sa Grosse Bombe. On pourra certainement argumenter pour renforcer cette linéarité afin de s’assurer que les PJ ne vont pas se débarrasser de Mansour et de la Grosse Bombe à mi-chemin du scénario, et terminer ainsi à plat.

Mais en formulant cet argument, je pense qu’on passe à côté d’autre alternatives tout aussi valables.

Par exemple : les PJ suivent les indices du bâtiment de self-stockage et se dirigent vers le Bellagio. Là-bas, ils capturent l’infâme terroriste international Yassif Mansour et désamorcent la Grosse Bombe. On dirait bien que c’est une affaire ficelée mais ils découvrent alors la vérité : il y a d’autres bombes ! L’attentat du Bellagio n’était que la partie émergée de l’iceberg et même derrière les barreaux, Mansour est sur le point de transformer le Strip de Vegas en Boulevard de la Terreur !

(Et dans un scénario plus réactif, on pourrait même ajouter la possibilité que Nasser, s'il n'a pas été exposé, parvienne malgré tout à libérer Mansour de sa cellule.)

Ce que je veux démontrer, c’est que quand on crée des nœuds intéressants, on découvre généralement que ces nœuds peuvent être mélangés dans n’importe quel ordre, en théorie, et pourtant amener à un résultat intéressant. Les PJ pourraient même décider de se séparer et de suivre deux pistes en même temps (comme dans les vraies Unités Anti-Terroristes).

En tant que MJ, je trouve ce genre de scénario plus intéressant à maîtriser parce que je suis aussi choqué et surpris de voir comment les événements se déroulent à la table de jeu. Et en tant que joueur, je les trouve plus intéressants parce que j’ai la possibilité de faire des vrais choix pertinents.

Bien sûr, on peut arguer qu’il n’y a pas de « vrais choix pertinent » ici puisqu’il y a trois nœuds dans le scénario et que les PJ passeront par chacun des trois nœuds quoi qu’ils fassent. Dans une perspective plus large, l’ordre exact dans lequel ils passeront par chaque nœud n’est pas important.

Ou peut-être que si ?

Même dans ce scénario court et simple, les choix des PJ peuvent avoir un impact significatif sur la façon dont les événements se dérouleront. S’ils se rendent au Bellagio après qu’ils ont trouvé dans quelle chambre se trouve Mansour, par exemple, il leur sera beaucoup plus facile d’affronter les terroristes sans se faire détecter par les terroristes. S’ils doivent mener une fouille d’envergure dans l’hôtel, d’un autre côté, il se peut que les terroristes leur aient tendu un piège ; Mansour pourrait avoir une occasion de se faire la belle ; ou quelqu’un aurait eu le temps de passer un coup de fil pour prévenir les terroristes restés à l’appartement.

Et dans des scénarios plus complexes, bien entendu, il y aura de contextes plus cruciaux pour faire des choix. Par exemple, une chose aussi simple que l’ajout d’une ligne temporelle à notre scénario-exemple peut faire une grande différence : si les interceptions de communications de la CIA indiquent un risque élevé d’attaque terroriste à Vegas prévue pour 18 :00, alors les PJ, qui se trouvent dans le bâtiment de self-stockage avec de nombreuses pistes à suivre, vont se retrouver face à un choix cornélien.

  • Est-ce qu'ils vont au Bellagio parce que c’est une cible hautement probable, malgré le fait qu’ils ne savent pas exactement ce qu’ils devront chercher une fois sur place ?
  • Est-ce qu’ils vont à l’appartement de Mansour dans l’espoir d’y trouver plus d’informations sur l’attaque de Bellagio ?
  • Est-ce qu’ils se séparent et suivent les deux pistes en tandem ?
  • Est-ce qu’ils font appel à la police de Vegas pour faire évacuer le Bellagio pendant qu’ils suivent la piste de l’appartement ? (Est-ce que cette option est même assez sûre s’ils ont des preuves de l’existence d’une taupe au sein des forces de l’ordre ?)

Qui plus est, quand un scénario isolé est inséré dans le contexte d’une campagne plus vaste, les choix qui sont fait au cours du scénario peuvent avoir un impact plus large. Par exemple, si Mansour est averti de l'arrivée des PJ parce qu’ils mènent leur enquête tambour battant, et que cela lui permet de s’enfuir, cela signifie que Mansour pourra réapparaître plus tard comme un opposant. De même, s’ils ne trouvent pas ou ne suivent pas les pistes qui mènent à Nasser, la présence persistante d’une taupe acquise aux terroristes au sein des forces de l’ordre de Las Vegas peut générer des problèmes à répétition dans leurs enquêtes.  

(Et si le Bellagio se fait dynamiter, il y aura bien évidemment des répercussions à long-terme sur la campagne.)

D’un point de vue plus terre-à-terre, le fait que les joueurs se voient offrir le siège du conducteur importe, d’une certaine façon. Même si le choix n’a aucun impact à long terme sur la conclusion finale du type “les gentils gagnent, les méchants perdent”, le fait que les joueurs ont décidé comment les gentils l’emporteraient a son importance. Si je ne dois retenir qu’une seule bonne raison [de donner les rênes aux joueurs], d’après mon expérience, c’est plus marrant pour tous les participants. Et on en garde un meilleur souvenir.

 

6e partie : Création alternative de nœud

D’un autre côté, il faut dire quelques mots de la Grande Conclusion. Il y a pléthore de scénarios qui ne se prêtent pas à un mélange de nœuds d’importance égale : parfois, le laboratoire du Dr. No est intrinsèquement plus important que la bibliothèque de Strangeway. Et le saint des saints de l’Architecte nécessite le Maître des clés(1)

Donc abordons quelques structures de nœuds alternatives.

CONCLUSIONS

Dans ce schéma, chaque nœud de la deuxième strate contient un troisième indice qui mène au nœud-dénouement D. La fonction est assez parlante : les PJ peuvent planifier leur propre progression à travers nœuds A, B et C tout en étant gentiment dirigés vers le grand dénouement situé dans le nœud D.

(Note : Ils ne sont pas dirigés vers D. D représente plutôt la destination qu’ils souhaitent atteindre et les autres nœuds leur permettent de comprendre comment s’y rendre.)

Un “problème” possible avec cette structure est qu’elle permet aux PJ de contourner certains contenus : ils pourraient facilement se rendre au nœud A, trouver l’indice pour poursuivre au nœud D et terminer l’aventure sans passer par les nœuds B ou C.

Bien que cela remette sur le tapis la possibilité de créer du contenu inutilisé, je mets le mot “problème” entre guillemets car c’est en réalité louable à bien des égards : quand les PJ font le choix d’éviter quelque chose (soit parce qu’ils ne veulent pas l’affronter ou parce qu’ils ne veulent pas gaspiller leurs ressources) et échafaude un plan pour le contourner ou faire sans, c’est - d’après mon expérience - presque toujours le déclencheur d’un moment intéressant à la table de jeu. Et ce contenu n’est pas “gâché” : il est là pour une bonne raison (même si son rôle est maintenant atrophié par rapport à l’énergie que vous avez dépensée pour le préparer).

Par conséquent, il peut aussi être intéressant de garnir les nœuds-entonnoirs afin d’encourager les PJ à les explorer. Pour créer ces récompenses, on peut fusionner les carottes et les bâtons : par exemple, l’indice du nœud A peut être un plan du nœud D (utile tactiquement pour planifier des assauts). L’indice du nœud B peut être un indic qui leur parle d’une entrée dérobée qui n’apparaît pas sur le plan (une autre carotte). Et le nœud C peut inclure un escadron d’hommes de main qui viendront en renfort pour D si les PJ ne leur règlent pas leur compte à temps (un bâton).

(Ce dernier exemple montre aussi qu’on peut créer du contenu à usage multiple. La question sera alors de savoir comment utiliser l’escadron d’hommes de main qu’on aura préparé plutôt que de se demander si on pourra s’en servir.)

LES ENTONNOIRS

On peut étendre les principes fondamentaux d’une conclusion structurée à l’utilité générale de la méthode de l’entonnoir :

Chaque strate de ce schéma (A, B, C et E, F, G) constitue un environnement libre de toute contrainte pour une enquête ou une exploration qui mène progressivement au goulot (D ou H). Celui-ci contient les germes du prochain environnement libre.

Généralement, je trouve ce genre de structure utile pour les campagnes où on souhaite une surenchère d’enjeux ou d’ennemis. Par exemple, les PJ pourraient commencer en enquêtant sur les dealers du coin (A, B, C) dans le but de trouver qui fournit la drogue pour tout le quartier. Lorsqu’ils auront identifié le distributeur local (D), les contacts de ce dernier les mènent dans une enquête d’envergure sur des gangs dans toute la ville (E, F, G).

Les informations obtenues sur les gangs les conduiront à la famille criminelle des Tyrell (H). Débarrasser la ville de cette famille propulse les PJ dans un groupe inter-agence national contre la mafia (une nouvelle strate d’investigation libre). Le paroxysme sera la découverte qu’en réalité la mafia est secrètement contrôlée par les Illuminati (un autre goulot).

(Les Illuminati, bien entendu, sont contrôlés par des aliens reptiliens. Les reptiliens par les Célestes. Et les Célestes par le réseau conscient des trous noirs au centre de notre galaxie. La conscience du trou noir, pendant ce temps, a subi une bifurcation schizoïde causée par une incursion de l’Alliance Andromédienne… une minute, j’en étais où?)

Je trouve ce type de structure particulièrement adapté aux campagnes de D&D. Il n’est pas souhaitable de voir des personnages de niveau 1 “griller les étapes” tout à coup pour se retrouver en face des [grands méchants monstres] flagelleurs mentaux, donc on peut utiliser les “goulets d’étranglement” ou les “passages” de la structure en entonnoir pour les faire progresser d’un niveau à un autre. Et s’ils affrontent un passage qui est trop dur pour eux à ce moment-là, pas de problème : ils seront juste contraints de rebrousser chemin, trouver des ressources (augmenter leur niveau) et revenir quand ils seront prêts.

Un autre avantage de la structure en entonnoir, c’est que, en termes de préparation, on obtient des morceaux que l’on peut traiter raisonnablement : puisque les PJ ne peuvent pas progresser vers la strate suivante tant qu’ils n’ont pas atteint le goulot de l’entonnoir, il n’y a besoin de préparer que la “strate” en cours de la campagne.

LE MILLE-FEUILLES

Dans un schéma en mille-feuilles, on retrouve la même idée de progression que produit le schéma en entonnoir, mais vous permet en plus d'alléger ou de renforcer la structure du scénario.

Dans la structure la plus primaire d’un scénario en mille-feuilles, chaque nœud d’une “strate” donnée fournit des indices qui mènent à d’autres nœuds de la même strate mais qui pointent également vers un nœud d’une seconde strate. Une exploration complète de la première strate ne donnera pas au PJ trois indices menant vers n’importe quel nœud de la seconde strate. Au contraire, ils auront accès à trois indices menant chacun à un nœud de la seconde strate. Par conséquent, la Réciproque de la Règle des Trois Indices implique que les joueurs atteindront probablement au moins un nœud de la seconde strate. Et à partir de là ils peuvent commencer à rassembler des indices complémentaires de la seconde strate.

Dans une structure en mille-feuilles, les déplacements entre différentes strates sont courants alors que dans une structure en entonnoir, il est peu probable que les PJ reviennent sur leurs pas une fois passé le goulot de l’entonnoir ; une fois atteint le nœud E, ils ne retourneront généralement pas au nœud C puisque celui-ci n’a rien à leur offrir.

Les mille-feuilles ont la particularité d’être des structures plus larges que les entonnoirs mais ils permettent clairement au MJ de limiter l’étendue du travail de préparation (il n’y a besoin de préparer que la prochaine strate) tout en permettant aux PJ de se déplacer dans un environnement plus réaliste. On voit souvent la structure sous-jacente du mille-feuilles apparaître naturellement de l’univers de jeu.

 

7e partie : encore plus de schémas de nœuds différents

 

STRATES ÉTENDUES

Au cas où ça n'ait pas été clair, j'ai utilisé des strates à trois nœuds dans les exemples précédents parce que c'est un nombre qui évoque bien la structure. Mais il n'a rien de magique. Dans ces exemples, chaque strate constitue un environnement interconnecté (soit littéralement, soit métaphoriquement) à explorer, ou dans lequel mener des enquêtes. Ces environnements peuvent être aussi vastes que vous le souhaitez.

Tant que chaque nœud comporte un minimum de trois indices et qu'il existe au moins trois indices qui pointent vers celui-ci, la Règle des Trois Indices et sa réciproque seront naturellement satisfaites et vous garantiront une navigation fiable à travers la strate. Mais lorsque vous augmentez le nombre de nœuds, vous avez alors la possibilité de faire varier la densité d'indices : certains lieux à forte densité d'indices pourraient contenir six ou dix indices pointant tous dans des directions différentes.

Cependant, il est évident que plus une strate est étendue, plus le travail de préparation est important.

CULS-DE-SAC

Dans une structure de scénario d’enquête, les culs-de-sac mènent généralement à la catastrophe. Ils signifient que les PJ se sont trompés ou ont échoué à tirer les bonnes conclusions, et maintenant l’histoire va droit dans le mur. Il devrait y avoir un indice à suivre, mais ils ne le trouvent pas. Ils n'ont donc nulle part où aller et l'aventure entière va tomber à l'eau.

Mais lorsqu'ils sont proprement gérés dans une structure en nœuds, les culs-de-sac ne sont pas un problème: si une piste n'a rien donné, les PJ ont toujours d'autres indices à suivre.

Dans cet exemple, le nœud E est un cul-de-sac. Les indices des nœuds B et C suggèrent d'aller y jeter un œil, mais il n'y a rien à y trouver. Peut-être que les indices étaient erronés, ou que les méchants se sont déjà fait la malle. Ou encore, ça avait l'air d'une bonne idée mais ça n'a abouti à aucune information utile. Ou encore, c'était un piège délibérément conçu pour prendre les PJ au dépourvu.  Les possibilités sont quasi illimitées.

L'astuce pour placer un cul-de-sac est de considérer les indices qui y pointent comme des « indices bonus ». Ils ne comptent pas dans les trois indices que doit contenir chaque nœud. Sinon, vous risquez de créer des chemins dans le scénario qui peuvent aboutir à des situations où les PJ ont moins de trois indices. Ce ne sera peut-être pas une catastrophe, mais selon la réciproque de la Règle des Trois Indices, ça pourrait bien le devenir.

D'un autre côté, comme vous pouvez le voir, vous n'avez pas besoin d'inclure trois indices pointant vers un cul-de-sac. C'est une impasse, donc il n'y a pas de quoi s'inquiéter si les PJ n'y vont pas.

Bien sûr, si vous placez moins de trois indices pointant vers un cul-de-sac, vous augmentez les risques de préparer du contenu qui ne sera pas découvert. Mais cela signifie aussi que la découverte du cul-de-sac peut constituer une récompense spéciale : un trésor supplémentaire, un savoir perdu ou une arme spéciale pour contrer leurs ennemis.

Ceci nous amène à un point plus général : les culs-de-sac ont beau être des impasses logistiques, cela ne signifie pas qu'ils doivent être ennuyeux ou dénués de sens. Bien au contraire, en réalité.

Dans la même veine que les culs-de-sac, vous pouvez aussi utiliser des lieux contenant moins de trois indices. Structurellement, ces lieux fonctionnent généralement comme des culs-de-sac. Par là je veux dire que les indices qui y pointent doivent être des « indices bonus » pour que la structure reste fiable.

L'exception à ce principe est que vous pouvez généralement avoir un nombre de nœuds à deux  indices égal au nombre d'indices disponibles dans un nœud de départ. Par exemple, dans le diagramme de la structures multi-strates, les trois nœuds [G, H, et I] de la strate finale ne contiennent que deux indices chacun car le nœud de départ en contient trois. S'il n'en contenait que deux, la même structure pourrait avoir des problèmes.

BOUCLES

Dans cette simple structure en boucle, les quatre nœuds contiennent trois indices, chacun pointant vers un des trois autres nœuds. L'avantage d'une telle structure est que les PJ peuvent entrer dans le scénario par n'importe quel nœud et naviguer dans la boucle en entier.

Évidemment, ceci n'est utile que si les PJ ont plusieurs façons d'entrer dans la boucle. Dans un scénario du commerce, la question pourrait être de fournir au MJ plusieurs accroches d'aventures à utiliser (chacune proposant une approche originale de l'aventure). Dans une campagne faite maison les indices menant aux nœuds A, B, C et D pourraient être disséminés dans un bac à sable : quels que soient les indices que commencent par suivre les PJ, cela les amènera dans cette partie du contenu qu'ils pourront explorer entièrement.

 

8e partie : Conception « freeform » dans le Cloud

Toutes les structures que nous avons proposées jusqu'ici sont basiques et systématiques. Mais rien ne vous oblige à rester symétrique. Le nœud A peut avoir deux indices qui pointent vers le nœud B alors que le nœud C peut n'avoir que des indices pointant sur A.

À plus grande échelle, vous vous retrouverez probablement à mélanger des agglomérats asymétriques de structures disparates.

Par exemple, une grosse partie de ma campagne actuelle est construite sur une approche d' « empilement de strates » : un réseau interconnecté d'organisations criminelles permettent aux PJ de cheminer en remontant la « chaîne de commandement ». Mais cet empilement de strates les oriente naturellement vers diverses conclusions préalables, et j'ai également inclus des boucles conçues pour ramener les PJ à des points en amont de ces goulets d'étranglement.

Cette approche peut sembler jargonneuse, mais il suffit juste d'accepter les principes fondamentalement flexibles de la conception par nœuds, de disséminer les indices généreusement, et de vérifier les angles morts pour éviter de créer des zones problématiques.

Quand je regarde mes notes pour cette campagne, j'en viens à voir ce concept comme un « cloud »: des douzaines de nœuds contenant tous des indices et liés par d'autres indices. Même sans compter toutes les façons différentes qu'ont les PJ d'approcher chacun des nœuds, les relations complexes qui émergent de la structure en nœuds rendent possibles des centaines de chemins.

Mais je n'ai pas eu besoin de réfléchir à cette complexité émergente pendant la conception d'un scénario à l'échelle d'une campagne : tout ce que j'ai eu à faire, c’était de concevoir l'organisation criminelle, de la diviser en morceaux de taille adaptée aux nœuds, et de disposer les indices nécessaires pour naviguer depuis et vers chaque nœud.

Au moment où j'écris ceci, mes joueurs sont à mi-chemin de cette partie de la campagne. Elle a recelé d’innombrables surprises autant pour eux que pour moi, et ces surprises me mènent à une réflexion finale concernant les forces des structures en nœuds : c'est souple pendant la partie.

Parce que chaque nœud est en pratique un contenu modulaire, il devient très facile de réarranger des nœuds à la volée. Par exemple, lorsque les PJ ont pillé une base ennemie et balayé la moitié de leurs effectifs avant de devoir battre en retraite, je n'ai eu aucun mal à jeter un coup d'œil à ce que j'avais sous la main, choisir un nœud plein de méchants, et les faire venir en renfort.

Autrement dit, ce fut aussi facile pour moi d'appeler des renforts que pour les PNJ de décrocher le téléphone. Les structures en nœuds vous donnent, par défaut, la boîte à outils scénaristique dont je parlais dans [l’article non traduit] Dont Prep Plots. Et la fonction structurelle sous-jacente de ce nœud n'avait pas changé : les PNJ offraient toujours les mêmes indices qu'ils étaient conçus pour fournir, dans leur nœud d'origine.

 

9e partie : types de nœuds

Jusqu'ici, j'ai été plutôt vague concernant ce que j'entends exactement par « nœud », principalement parce qu'il n'y a pas de définition absolue du terme.

En termes génériques, on peut considérer un nœud comme un « point d'intérêt ». C'est un endroit (littéral ou métaphorique) où quelque chose d'intéressant peut se produire et où (dans la plupart des cas) on peut trouver des informations à propos d'autres choses intéressantes.

Dans mon expérience, les nœuds les plus utiles sont modulaires et indépendants. Je considère chaque nœud comme un outil que je peux saisir pour résoudre un problème. Parfois le nœud approprié est évident. (« Les PJ cherchent des informations sur des activités récentes de gangs, et je dispose d'une Table de résultats de la récolte d'information sur l'activité récente des gangs. Et voilà. ») Parfois, il faut choisir entre deux outils. (« Les PJ ont fait chier Mr Tyrell. Est-ce qu’il envoie une bande d'hommes de main ou bien un assassin ? ») Mais quand je pense à une aventure, j'ai tendance à la diviser en sous-parties utiles et discrètes.

Les parties qui deviennent trop grandes ou trop complexes sont généralement plus utiles divisées en nœuds plus petits. Les parties trop petites sont généralement plus utiles si on les regroupe en nœuds plus gros. L’ « idéal » consiste à identifier le compromis le plus utilitaire.

Pour prendre un exemple extrême : « l'ensemble des forêts du royaume de Numbia » est probablement trop vaste pour un seul nœud. D'un autre côté, il serait certainement trop minutieux de considérer 86213 nœuds distincts chacun désigné par « un arbre de la forêt d'Arden ». Est-ce que le nœud approprié est « la forêt d'Arden » ? Ou est-ce qu’il vaut mieux douze nœuds différents désignant chacun un endroit différent de la forêt d'Arden ? Je ne sais pas, ça dépend de la façon dont vous utilisez la forêt d'Arden.

Pour rentrer plus dans les détails, voici le genre de choses que je considère comme des nœuds :

Lieux : Un endroit où les PJ peuvent physiquement aller. Si on considère un indice comme quelque chose qui vous « dit où aller ensuite », informant les PJ du lieu particulier où ils doivent se rendre, c’est l'interprétation la plus littérale du concept. Une fois les PJ arrivés, ils trouvent généralement plus d'indices en fouillant le lieu. 

Personnes : un individu particulier auquel les PJ devraient s'intéresser. Cela peut être quelqu'un qu'ils ont déjà rencontré ou quelqu'un qu'ils doivent rechercher. Les PJ obtiennent généralement des indices des personnes en les observant ou en les interrogeant.

Organisations : les organisations peuvent être considérées comme des ensembles de lieux et de personnes (voir le paragraphe nœuds imbriqués ci-dessous), mais il n'est pas rare qu'une organisation entre en tant que telle dans le collimateur des PJ. Une organisation peut être formelle ou informelle, reconnue ou pas.

Évènements : Quelque chose qui arrive à un certain moment, et généralement à un certain endroit. Bien que les PJ aient souvent pour tâche d'empêcher un événement particulier de se produire, lorsqu'un événement est utilisé en tant que nœud (c'est à dire quelque chose dont on peut obtenir des indices), il est alors plus typique que les PJ assistent à l'événement.

D'un autre côté, obtenir des indices sur un événement peut amener les PJ à s'intéresser au lieu où il doit se dérouler, à l'organisation responsable de sa tenue ou aux personnes censées y assister.

Activité : Quelque chose que les PJ sont censés faire. S'ils sont censés entendre parler des plans d'un culte pour accomplir un rituel d'invocation, c'est un événement. Mais si ce sont les PJ qui doivent accomplir un tel rituel, alors c'est une activité. Les indices pointant sur une activité peuvent dire aux PJ exactement ce qu'ils sont censés faire, ou peuvent leur dire qu'ils doivent faire quelque chose, ou les deux.

NŒUDS IMBRIQUÉS

En résumé, à son niveau le plus fondamental, un nœud est une personne, un lieu ou une chose.

Comme suggéré plus haut, cependant, les nœuds peuvent être relativement complexes en tant que tels. Par exemple, le Temple du Mal Élémentaire dans son intégralité (contenant des centaines de lieux clés) peut être considéré comme un unique nœud. Des indices trouvés au village de Hommlet et dans la campagne environnante guident les PJ là-bas, ils sont alors libres d'explorer ce nœud/donjon comme ils le souhaitent.

De la même façon, dès que les PJ commencent à s'intéresser à la corporation Tyrell, ils peuvent apprendre des choses sur le PDG James Tyrell, sur le siège social, leur complexe de livraison, la ferme de serveur qu'ils louent, et la fête de Noël qui a lieu chaque année à la demeure Tyrell. Toutes ces choses peuvent être considérées comme des « sous-nœuds ». C’est essentiellement une question de choix personnel que ces « sous-nœuds » soient immédiatement apparents ou qu'ils aient besoin d'être découverts à travers leur propre sous-réseau d'indices.

Pour résumer, il est possible d'avoir des nœuds imbriqués. Vous pouvez planifier votre campagne au niveau macroscopique (la corporation Tyrell, le projet MK-ALTER, la ville de Chicago, et l'agence de détective Kronos), vous demander comment ces macro-nœuds interagissent entre eux, puis développer chacun d'entre eux en une structure par nœuds en tant que telle. Répartissez quelques indices menant à d'autres macro-nœuds à l'intérieur de chaque réseau de sous-nœuds et vous pourrez obtenir des intrigues hautement complexes à partir de briques élémentaires simples et faciles à utiliser.

 

(1) NdT : référence à Matrix : reloaded [Retour]

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