Créer des jeux de rôle en des temps troublés
© 2018 Kyra Magrann
Dans un climat politique marqué par la montée du fascisme, les néo-nazis, les violences de la police des frontières envers les clandestins, la dégradation du système de santé, le capitalisme, le racisme, le sexisme, l’homophobie, le capacitisme [discrimination envers les handicapés (NdT)], le réchauffement climatique… est-ce que les jeux de rôle ont la moindre importance ?
Ne devrions-nous pas consacrer chaque instant de notre vie à tenter d’améliorer ce qui ne va pas aux États-Unis en ce moment ?
Je peux facilement avoir le sentiment que créer des jeux de rôle n’est pas la chose la plus importante à faire en ce moment. Ne devrais-je pas participer à des actions pour la protection de l’environnement et faire du porte-à-porte pour soutenir les candidats qui ont ma préférence aux élections locales ?
Oui mais voilà, lorsque vous créez des jeux de rôle, ou lorsque vous y jouez, vous faites du militantisme.
Les histoires ont une influence sur la culture, elles la changent.
Raconter des histoires de façon collaborative est au cœur des jeux de rôle. Les histoires, c’est important. Lorsque l’une d’elles prend une place dominante, les normes culturelles évoluent ; c’est ainsi qu’intervient le progrès social. Nanette en, une émission spéciale d’une heure sur Netflix, s’intéresse au pouvoir des histoires qui proviennent des minorités et comment raconter la vôtre peut avoir un effet curatif sur votre culture et vous. En racontant des histoires, même dans un jeu de rôle, nous avons la capacité de faire évoluer les mentalités.
Et c’est bien pour ça qu’il est si important de nous interroger sur les histoires que nous racontons !
Les jeux portent des messages
De nombreux jeux de rôle racontent activement des histoires parlant de créer et de gérer le changement. Dog Eat Dog ptgptb [Colonisation], Kagematsu [où l’on joue un ronin en temps de guerre], War Birds [la situation des femmes pendant la Seconde Guerre mondiale], Night Witches [aviatrices soviétiques de la Seconde Guerre mondiale], Harlem Unbound grog [les USA ségrégationnistes], Monsterhearts ptgptb [centré sur des relations entre adolescents surnaturels], Steal Away Jordan ptgptb [esclavagisme], A Cozy Den [où l’on peut incarner des femmes-serpents queer]… Ces jeux se concentrent sur les expériences vécues par des minorités et des populations marginalisées. Ils ont pour objectif d’éduquer, de modifier grâce au jeu la perception que peuvent en avoir les autres.
Vous n’apprendrez pas forcément comment on se sent en tant qu’homosexuel en jouant une fée [terme désignant également en argot un homme gay et efféminé (NdT)] dans Monsterhearts mais vous gagnerez en empathie envers les personnes qui ont l’impression d’être des monstres ou des marginaux parce qu’elles sont adolescentes et queer.
Dans Dog Eat Dog, vous pourrez apprendre le fonctionnement des systèmes d’oppression que les colonisateurs ont mis en place de tous temps.
Ce genre de jeux peut mettre en avant des points de vue différents dont vous n’étiez pas forcément conscient, susceptibles de modifier la perception que l’on a de ces thématiques et de ces identités.
Il existe toutes sortes de formes de militantisme
Je ne peux plus participer à des manifestations en raison de ma fibromyalgie – mon corps ne supporte plus les activités comme défiler ou tenir des pancartes. MAIS je peux contacter mes députés, signer des pétitions, faire des dons, attirer l’attention des gens sur les réseaux sociaux ou lors de discussions en réel et continuer à me faire entendre – surtout lorsqu’il s’agit d’atteindre des proches ou des personnes que je connais et qui me causent du tort sans s’en rendre compte.
Faire connaître des jeux créés par des personnes de couleur, transgenres, atteintes de handicap ou de genre non-binaire… les soutenir, acheter leurs jeux – voilà de l’activisme dans le domaine du jeu. En particulier des jeux qui diffusent un message d’inclusivité ou proposent une expérience correspondant à celle d’une minorité !
Il faut quand même s’amuser, même quand le contexte politique est difficile
Jouer, c’est RIGOLO. On a tous besoin de décompresser et on ne peut pas être des militants 24 h/24 sans s’épuiser et se lasser. Passer du temps à jouer avec des amis peut s’avérer réparateur et ressourçant, histoire de pouvoir combattre l’oppression les six autres jours de la semaine.
Les jeux de rôle peuvent rassembler
Les jeux de rôle sont une forme d’art assez unique impliquant une communication avec d’autres êtres humains dans un cadre interactif. Cette capacité à communiquer avec autrui et à partager des histoires est très puissante. Nous faisons partie d’une communauté et nous devenons plus forts en laissant davantage de gens d’horizons variés partager leurs histoires. Faites-vous des amis, constituez des communautés et faites-les avancer.
En partageant vos expériences, de jeunes joueurs et joueuses vont se reconnaître dans votre travail, améliorant ainsi la communauté. Organisez des parties qui favorisent l’inclusion et racontez des histoires qui donnent la parole à des gens différents. Les jeux de rôles nous font partager la langue commune des conteurs, et plus nous pourrons fournir d’outils permettant de raconter des histoires offrant des points de vue divers, mieux ce sera !
Créer des jeux dans le climat politique actuel, qu’en pensez-vous ? Avez-vous récemment joué à des jeux qui ont pu changer votre point de vue sur une minorité ? Faites m’en part dans les commentaires.
Sélection de commentaires
Katrina Ostrander
Je joue à des jeux de rôle et j’en écris, je fais aussi du bénévolat pour la section locale du parti que je soutiens. Les JdR me servent à m’échapper de la réalité et également à toucher les autres pour changer leur cœur et leur esprit. Je participe également à des actions locales pour inciter les citoyens à voter, car une fois les cœurs et les esprits changés, une fois les batteries émotionnelles rechargées, il me semble qu’il est aussi nécessaire de voter pour permettre certains types de changements.
Roxysteve
Je vais résumer ce que je pense :
Non, les JdR ne sont pas si importants que ça, et tout le monde, à tous les niveaux, devrait s’engager pour mettre en œuvre les changements souhaités au lieu de se plaindre d’un besoin de changement.
Mais ce n’est pas soit le militantisme soit le JdR. Vous pouvez faire les deux.
J’ai un avertissement : comme je le dis à tou·tes les jeunes rôlistes (soit : beaucoup de gens) qui envisagent de déménager hors de l’État, qui ont des études à suivre ou un engagement professionnel, la vraie vie l’emporte toujours sur le jeu..
Si vous avez à choisir entre vous impliquer dans la politique locale parce que votre ville a un réel besoin d’amélioration (ainsi que pour votre développement personnel) et [l’aventure D&D] La Tombe de l’horreur, vous ne devriez pas avoir besoin qu’un dinosaure rôliste sexagénaire vous explique que le choix qui contient des dés polyédriques n’est pas prioritaire. Faire le contraire, comme tant de mes jeunes amis, c’est se diriger vers un avenir de misère. C’est amusant de reporter à plus tard la vraie vie mais ça te revient en pleine face avec un grand “Wech” !
ONEOFUS
Par où commencer ? Je consulte ce site [Gnome Stew] depuis ses débuts et je trouve qu’il a effectué un virage spectaculaire depuis un an environ avec des articles de ce genre.
Ce sont des articles putaclic visant à détourner l’attention des discussions sur les JdR (ce qui est, ou au moins était, le propos du site) en jetant au lecteur de l’idéologie plutôt que du contenu.
Prétendre qu’acheter un JdR ou y jouer constitue de l’activisme, c’est de l’exagération. Affirmer qu’en se forçant à jouer le rôle d’un individu opprimé on va automatiquement créer de l’empathie est une gageure, surtout avec l’analogie de Monsterhearts. Au bout du compte, les jeux de rôles contiennent le mot “jeux”. Vous prétendez qu’ils doivent permettre de s’amuser mais vous rajoutez une couche de prétention, créant de la sorte la barrière à l’entrée que vous prétendez vouloir abattre. Comment être inclusif en créant un idéal d’exclusion ?
John Arcadian (réponse à Oneofus)
Gnome Stew se consacre à la publication d’excellents articles sur le jeu de rôle et notre périmètre a changé avec les transformations du milieu (et le changement de propriétaire). Alors que nous nous consacrions presque exclusivement aux conseils aux meneurs·euses, nous nous sommes diversifiés pour parler des jeux de rôles en général ; et parler des réalités sociales gravitant autour de l’activité rôliste, ça contribue à la rendre meilleure. Certains articles échapperont à une approche étroite du loisir ne parlant que des JdR parce que notre loisir n’est pas étroit. C’est une mosaïque de tables innombrables jouant à de nombreux types de JdR avec de nombreux types de personnes.
Nous voulons nous adresser à tous ces gens car, comme vous le dites, le jeu de rôle est notre dénominateur commun. Nous jouons tou·tes à des JdR mais nous les utilisons différemment, et négliger de larges pans de ce qu’ils représentent pour certains et certaines, et comment nos parties touchent les gens, serait rendre un bien mauvais service à toutes celles et tous ceux qui y jouent.
Les JdR ont un grand pouvoir. J’ai donné une conférence Tedx Talk (en) pour expliquer comment le jeu de rôle m’a aidé à devenir un individu plus sociable et m’a fourni un espace pour interpréter d’autres rôles. Il y aura d’autres articles traitant des aspects sociaux et de l’impact des JdR. Il y aura d’autres articles sur des astuces débiles pour trafiquer des plans. Il y aura d’autres articles essayant de toucher d’autres publics et tentant de faire de notre loisir un endroit plus accueillant pour celles et ceux qui ont du mal à y voir une place pour eux. Ces articles ne pourront pas correspondre à une définition étroite. Pour abattre les barrières, rien ne sert de limiter nos sujets ; il s’agit au contraire d’élargir notre vision et d’avoir une multitude d’articles, écrits par une multitude de personnes différentes.
Article original : Making roleplaying games in troubled times
Pour aller plus loin…
Pour en finir avec Steal Away Jordan discute du sujet “Peut-on tout jouer (ici l’esclavage), au nom de la prise de conscience ?”
Notre traduction L’importance des minorités traite également de la mise en lumière de minorités et nous fait prendre connaissance de la notion de normalisme, entre autres.
Cet article est repris avec d'autres sur le thème JdR et Thèmes adultes dans l'ebook n°27 : 18 ans et +
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