Critique : Monsterhearts
© 2013 Shut Up & Sit Down
NdT : Monsterhearts a été traduit en français par la Boite à Heuuhh.
Quinns : Bienvenue pour notre deuxième critique de jeux de rôle indépendants ! La dernière fois nous avions examiné Shooting the Moon, un adorable jeu sur l'amour. Alors pour notre seconde partie, quoi de plus adapté que Monsterhearts grog, le jeu le plus sombre que Shut Up & Sit Down n’ai jamais testé ?
Monsterhearts est un jeu sur « les vies compliquées de monstres adolescents », où 2 à 4 joueurs incarnent une coterie [des personnalités que les circonstances réunissent (lycée, fac, événements) (NdT)] de sorcières, de vampires, de fées, etc. en pleine poussée de croissance et allant à la même école. Le travail du Maître de Cérémonie est simplement de « rendre leurs vies intéressantes ». Ce qui, comme nous l’avons constaté, est la part la plus facile du jeu.
Leigh : Dire que nous « jouons » des monstres n’est qu’une partie de l’histoire, n’est-ce pas ? L’identité monstrueuse de chaque adolescent est aussi allégorique que tout le reste. Ou plutôt, les traits caractéristiques, forces et faiblesses de ces créatures comme elles sont décrites par le folklore ont beaucoup en commun avec la matière des drames d’adolescents. Le fantôme qui rôde dans les interstices, se sentant invisible. Le loup-garou effrayé de la puissance de son côté sombre. Le vampire qui ne peut s’empêcher de manipuler les autres.
Quinns : Oui. C’est une métaphore ! Sauf que… ce n’en est pas une ?
Leigh : Non, non, une allégorie. Les personnages sont vraiment des monstres, sauf que euh…
Quinns : Mais tous les adolescents ne sont-ils pas des monstres ? Quoi qu’il en soit, la façon dont ce jeu est conçu me fascine. En jouant un personnage qui est un monstre et un adolescent, vous rentrerez toujours dans la case la plus naturelle pour chaque scène. Un instant, vous pourrez vous retrouver à jouer le rôle d’une véritable terreur de la nuit. Mais l’instant suivant, vous serez tremblant et vulnérable.
Leigh : C’est un exercice de jeu de rôle particulièrement osé, puisqu’une fois que vous avez choisi votre classe de personnage, le plaisir et le défi viendront de décrire une jeune personne pour qui il est raisonnable d’avoir certaines envies irrépréssibles, des côtés sombres et des besoins insatisfaits. Les monstres agissent de manière intense lorsque leurs besoins ne sont pas comblés, tout comme parfois les adolescents.
Quinns : Comme il convient pour un jeu parlant d’adolescents, je m’attends à être excessivement enthousiaste durant cette critique, mais si je devais choisir un élément de la conception de Monsterhearts dont je suis tombé amoureux, ce serait le fait qu’il n’y ait pas d’histoire. Ou plutôt, que l’histoire soit les personages-joueurs eux-mêmes.
Tous les jeux de rôle que j’ai testé avaient un Maître de Jeu prescrivant une aventure à tous les joueurs comme une ordonnance médicale. À l’inverse, Monsterheart veut que vous gardiez l’histoire « sauvage », vivante, et non contrainte par les idées d’une seule personne. Le rôle du MJ est simplement de cadrer les scènes, puis de les clore lorsqu’elles ont fait leur temps. Et j’ai passé un très bon moment à faire ça. J’étais en même temps le réalisateur et le public.
Et comme je le disais, c’était si facile. Pendant la création des personnages, la minuscule quantité de travail préparatoire que tous le monde doit faire - décider du passé de nos personnages - a des conséquences incroyables. Dans notre partie, Dan a dû choisir deux personnages pour son archétype d’Ange Déchu : l’un qui lui rappelait le paradis et un autre que Dieu préférait a son perso. Une fois que vous avez fait cela pour le monstre de chacun, le moment ou vous commencez, l’histoire est comme une fusée quittant la rampe de lancement. Vous êtes tous juste si… monstrueux.
Leigh : Dan devait choisir deux personnages pour son passé d’Ange (et moi, en tant que Fantôme, devais décider d’un personnage qui connaissait les circonstances de ma mort) à cause du système d’Ascendants, un mécanisme intéressant d’influence sociale qui voit les personnages gagner des pouvoirs additionnels ou des vulnérabilités les uns par rapport aux autres. On peut utiliser ses ascendants comme des points de vie, n'est-ce pas ?
Quinns : Ouiii. Le système d’ascendant est l’une des nombreuses touches qui montre que Monsterhearts permet de simuler des adolescents et pas juste des monstres (ou des adultes), donnant une dimension unique à ce qui était déjà une approche rafraîchissante du jeu de rôle narratif.
Chaque Personnage-Joueur monstrueux commence la partie avec des ascendants sur d’autres PJ, comme une pathétique monnaie d'échange sociale. Vous leur plaisez ; vous savez quelque chose sur eux ; ils vous doivent une faveur. Et ses ascendants peuvent être utilisés pour augmenter vos dégâts supplémentaires lorsque vous les combattez, octroyer des bonus ou des malus sur leurs jets de dés ou même agrémenter les demandes que vous leur formulez en leur octroyant un point d’expérience.
Leigh : Tu as pourtant raison. C’est facile. La dernière fois que nous avions parlé de jeu de rôle, je t'avais dit que l'idée que M. le Maître du Donjon m’apprenne combien de coffres il y avait dans la salle et combien de liches il y avait entre moi et les coffres avait fini par m'ennuyer, mais tu as conduit nos aventures avec beaucoup de grâce à l’aide d’un système qui cherche essentiellement à donner aux personnages autant de chances que possible d’être eux-mêmes. Nous avons ainsi eu le personnage de Kieron qui a presque tué quelqu’un avec une saucisse et a tenté de mettre le feu à la forêt, et Paul qui a eu les yeux plus gros que le ventre avec notre prof, M. Stephens. Et moi monologuant… mais seulement un petit peu.
Quinns : Mais seulement un petit peu. Nous nous sommes donc lancés dans les JDR indés comme alternative à l’image traditionnelle du jeu de rôle. Ils reposent moins sur la montée de niveau et le pillage de coffres pour y dénicher des culottes magiques. MAIS, mais, j’ai le sentiment que le système de Monsterhearts (essentiellement tiré d’un autre JdR nommé Apocalypse World grog) a trouvé un équilibre entre ces deux extrêmes, l’idée que les jeu de rôle doivent parler soit de muscles, soit d’Émotion.
Leigh : Oui, il y avait définitivement plus de « jeu » que dans Shooting the Moon qui était franchement léger. Pas que je m’en plaigne, cela m’a permis de maintenir les choses passionnantes alors que nous jouions avec cinq personnes et de fournir des enjeux. Pas les enjeux du type « flèche dans le cœur », mais tu vois le genre.
Quinns : C’est vrai. Nous avons donc là un jeu avec de l’amour, mais aussi des combats et des morts. Un jeu avec du sexe et des points d’expérience. Et ça fonctionne - tout simplement ! Je n’ai jamais pensé que ces JdR indépendants étaient un outil parfait pour initier au jeu de rôle. Mais je pense que Monsterheart est la meilleure façon de quitter les campagnes de D&D et d’aller vers quelque chose de plus adulte.
Et en tant que jeu, le test grandeur réelle ultime du système de Monsterhearts nous a été donné par Kieron qui jouait une âme damnée, quelqu’un qui a signé un pacte avec une puissance obscure et qui commence à…
Leigh : Passons au sexe !
Quinns : Dans une minute ! Donc Kieron a appris qu’il pouvait gagner des points d’expériences dans presque toutes les scènes. Il commença donc à le faire. Ceci mena rapidement son personnage à être expulsé de l’école pour finir interné sous sédatif à l’hôpital, mais ça n’a pas cassé la partie.
Au lieu de cela, nous avons eu une scène incroyable où Kieron a puisé dans ses réserves de points d’expérience pour donner des ascendants à son dieu sombre afin de se libérer de ses entraves, soigner sa côte cassée et s’enfuir en courant dans la forêt. Avant la fin de la soirée, il était devenu le méchant sympathique de l’histoire. Menant à des scènes aussi géniales que celle où son plan d’incendie criminel fut contrarié lorsqu’il se rendit compte qu’il n’avait pas les 20£ nécessaires pour acheter un bidon d’essence. En traitant l’histoire d'une façon qui, dans tout autre JdR, aurait été vue comme un manque total de politesse, il a juste rendu l’histoire meilleure.
Leigh : Si même Kieron n’a pas réussi à casser la partie, alors je suppose que ça fonctionne.
Quinns : Exactement. Doit-on tracer un cercle de convocation et invoquer Paul ?
Leigh : La craie et la cire sont prête. Salut Paul ! Passons au sexe.
Paul : Ho, j’ai encore été invoqué. Ça fait mal à chaque fois.
Donc, ce que je pense être aussi intéressant est que l’on s’est assis avec ce qui est essentiellement un soap opera surnaturel où le MJ n’est pas tant un maître de jeu qu’un simple réalisateur vous poussant dans certaines directions. J’ai eu le sentiment qu’il s’agissait d’une partie fortement dirigée par les joueurs, et nous avons tout de suite commencé à être méchants les uns envers les autres. Ça nous a en fait pris… un peu de temps avant d’en venir au sexe. Je peux cependant vous renvoyer la question et demander : à quel point votre attirance pour ce jeu, pour vous autres, était ce thème adulte du sexe, du danger, et tout le toutim ? Ensuite j’en viendrai au sexe. C’est promis.
Leigh : Je pense que si nous voulons croire en un univers où les hormones sont déchaînées et les ténèbres intérieures foisonnent, ce serait invraisemblable pour tout le monde de le censurer comme si nous étions des enfants, vous voyez le truc ? Je travaille dans les jeux vidéo. Je suis tellement habituée à les voir foirer le thème sexuel. Je pense que pas mal d’entre nous étions tellement enthousiastes à l’idée que nos personnages effrayants pouvaient Faire l’Amour que cela a vraiment mis de l’électricité dans l'air. Paul, parle-nous de ton personnage et de son expérience, car ce fut un des moments majeurs de la table pour moi.
Quinns : Oui ! Plus de fausse pudeur, comme sur le podcast. Donnons aux gens ce qu’ils… méritent ? Non. Veulent ? Non. Bref, ils l’auront de toute façon.
Paul : Bien. Je pense que Leigh à soulevé un argument intéressant. Ce fut une partie qui a bouilli et mijoté vers une situation… torride ? Possiblement parce que je me retrouvai soudain à jouer à un jeu vraiment adulte avec cinq personnes dont une seule avait déjà joué avec moi. Mais vous avez raison sur le fait que l’ambiance de cette partie n’a pas fait foirer ce crescendo, et bien que ce soit un jeu qui puisse parler de sexe, il n’est pas nécessairement sexy. Car le sexe n’est pas toujours une bonne chose.
Leigh : Mensonge ! Ok ne fait pas attention à moi, je t’écoute.
Paul : Donc mon personnage, avec cette terrible passion (très affichée) pour son professeur, s’est finalement arrangé pour manipuler ce pauvre homme intimidé vers une situation où il se retrouvait lui, le prof, avec lui, le jeune élève, élégant, égocentrique et légèrement magique, seuls ensemble dans une maison. Mon personnage pensait donc se diriger vers la réalisation de l’un de ses fantasmes d’adolescent mais, de la manière dont les choses sont arrivées, cette situation déjà sombre et légèrement sinistre ne fit qu’empirer. Ça ne s’est pas déroulé de la façon dont il le prévoyait et - comme peut être la plupart des adolescents le découvre -, la réalité d’une situation sexuelle peut être bien pire que le fantasme. Mon personnage est parvenu à séduire son professeur et ce fantasme d’une beauté cristalline s’est fracassé comme un lustre tombant au sol. Maintenant, il y a beaucoup de morceaux à ramasser.
Quinns : Ce qui est une autre règle que j’adore. Si un joueur échoue à un jet (dans ton cas, le jet pour séduire Mr. Stephens), le MJ est encouragé à choisir immédiatement une « action de MC » dans une liste, ce qui garde l’histoire en mouvement sans le moindre effort. Un des effets est que la manœuvre réussit mais il faut en payer le prix. Un autre est qu’il se produit le contraire de l’effet désiré. Un autre encore, dans le plus pur style des histoires d’ados, est que vous avez réussi bien au-delà de ce que vous souhaitiez.
Et si personne d’autre ne veut le dire, alors je vais le faire ! Car dans ton cas, cela mena M. Stephens… arg, je ne peux même pas me forcer à l’écrire alors même que j'ai joué la scène avec toi !
Paul : Enfin, quand tu dis « j'ai joué la scène »…
Leigh : Oh la la. On dirait que je vais devoir vous donner un coup de main, bande d’Anglais. Bon, l’un des côtés tristes et difficiles d’une histoire de passage à l’âge adulte, c’est lorsque l’on apprend que les adultes ont eux aussi de lourds fardeaux, eux aussi des aspects tordus à l’intérieur d’eux-mêmes, parfois bien pire que les nôtres. M. Stephens répondit finalement au désir que Dani - le personnage de Paul - avait éveillé en lui. Et ce fut un genre de truc gros, douloureux et adulte pour lequel Dani n’était probablement pas prêt. Parce que bien sûr, c’est mal pour un professeur de se trouver dans cette situation avec un jeune élève. C'était un truc profondément immoral, tout en étant triste et vrai.
Sur une note plus légère, Kieron a couché avec mon personnage – Alice, qui est morte-vivante et n’a aucun véritable ami - afin de récupérer un téléphone portable. Qui l’eut cru.
Paul : Et alors, qu’est ce qu’il a fait avec ce téléphone ?
Leigh : Il l’a sacrifié à son dieu Infernal.
Quinns : Nous sommes tous passés par là.
Leigh : Je veux dire, ce n’était pas si terrible au final. Nous avons partagé un secret après cela. Seigneur, je me retrouve encore à écrire comme une lycéenne parlant à son journal intime, rentrant dans cette farce du : « mais c’est vraiment un type bien même s’il m’a volé mon téléphone. » Je veux dire. Ça ne m'est jamais arrivé. Enfin pas exactement. Hum, je devrais signaler que le truc du « partage de secret » est l’« action sexuelle » du fantôme. Nous en avons tous un. La mienne est que si vous fricotez avec moi, vous devez me dire quelque chose que personne d’autre ne sait, et vous pouvez me demander tout ce que vous voulez. Les actions sexuelles sont toutes tellement intéressantes, elles encouragent ce type d’interaction dans la partie. Ça vous incite à explorer des trucs sombres.
Paul : Bref, en dépit de tous ces trucs d'ados, c’est en fait un jeu vraiment adulte, n’est-ce pas ? Pas simplement adulte comme dans « interdit au moins de 18 ans », mais les concepts avec lesquels il joue, les implications, les thèmes. Je ne suis en fait pas sûr que ce soit un jeu que je recommanderais pour des adolescents, mais c’était étrangement fascinant et, bien que nous ayons joué une seule séance, qui s'est avérée vraiment sombre, c’était déjà en train de devenir compliqué. Qu’est-ce que vous en pensez les gars, maintenant que nous l’observons avec une bon recul de deux semaines?
Leigh : Je veux juste savoir quand est-ce que l’on va rejouer. Je n’arrête pas de penser à Metatron, Dani, Alice, Mara et… Kieron… euh… ah, oui, son nom est Luther, pas Kieron. Sérieusement, ce fut une soirée incroyablement chouette, tout particulièrement si vous jouez avec des personnes qui sont à l’aise avec eux-mêmes et, idéalement, avec vous.
Paul : C'est bien vrai, n’est-ce pas ? C’est bien différent que de tabasser des dragons dans le Temple de la Déesse de la Lune.
Quinns : Tu as dit que tu avais aimé cette aventure. Mais oui, j’ai beau m’être agité en tout sens pour louer le système de Monsterhearts dans cette critique, le plus important est que je pense que c’est la séance de JdR la plus amusante que j’ai vécu cette année. Si vous avez des amis mélodramatiques, ce jeu vous fera vivre les meilleurs moments de votre vie.
Leigh : Ou de votre MORT. Hoooouuuuuu! La voix s’évanouit.
Article original : RPG Review: Monsterhearts
Pour aller plus loin…
Cet article est repris avec d'autres sur le thème JdR et Thèmes adultes dans l'ebook n°27 : 18+
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