Validisme dans les JdR : les monstres validistes

Deuxième article d’une série intitulée « Parlons du validisme dans les JdR. ». Vers le premier article et la raison d'être de la série.

De quoi parle-t-on ?

Les caractéristiques associées à des handicaps spécifiques sont souvent utilisées pour rendre les monstres et les créatures mauvaises encore plus sinistres, terrifiantes ou dégoûtantes. Par exemple, on utilise souvent pour donner à des démons un air « déformé » ou « malformé » : des membres à la forme « anormale », des bosses, etc. Or, ce sont des caractéristiques liées à des handicaps réels et en donnant ces caractéristiques à des monstres, cela stigmatise les personnes possédant ces traits. C’est particulièrement le cas lorsque la caractéristique liée à un handicap sert à rendre le monstre ou le méchant encore plus intimidant.

Non seulement cela renforce les préjugés envers les handicaps, mais il en résulte aussi du harcèlement et de la maltraitance envers les personnes qui possèdent ces caractéristiques. Par exemple, Elsa S. Henry, une grande militante pour la reconnaissance du handicap et créatrice de jeux de rôles [Sa bibliographie comprend des contributions à plusieurs jeux de rôle, et une boite à outils sur l’accessibilité (en) pour le JdR Fate grog (NdT)], a grandi en se faisant traiter de « méchante sorcière » par ses camarades de classe à cause des stéréotypes qui entourent la cataracte comme étant un symbole de malignité (elle a raconté cette histoire sur le podcast Modifier : Accessibility with Elsa S Henry [L’accessibilité avec Elsa S. Henry].

Vous trouverez dans la liste suivante de nombreuses caractéristiques inspirées par les handicaps les plus communément associés aux monstres / créatures mauvaises pour les rendre plus intimidant.es. Ces caractéristiques ne sont pas intrinsèquement négatives ; les personnages peuvent les avoir ; mais les traiter comme étant monstrueux.euses est problématique.

  • Des yeux blancs ou atteints de cataracte ;
  • Des articulations qui se plient de façon inhabituelle ;
  • Des membres qui n’ont pas une forme « normale » ;
  • Les dos bossus ; et autres morphologies qui sortent de la norme ;
  • Les types de corps stigmatisés (être gros ou décharné…) ;
  • Une respiration sifflante ou difficile ;
  • Des appareils médicaux - comme un masque respiratoire ;
  • Des maladies ;
  • De grosses cicatrices, plaies ou excroissances ;
  • La maladie mentale et la neurodiversité (1) ;
  • Des handicaps faciles à reconnaître - comme être sourd ou aveugle ;
  • Un handicap de développement mental, qu’il soit intellectuel ou cognitif (ce qui est souvent camouflé derrière le terme « faible intelligence »).

J’aimerais souligner que certaines catégories que j’ai citées plus haut sont très larges et sont plus ou moins problématiques. Il y a des cas qui tombent dans ces catégories sans être un problème. Par exemple, on pourrait qualifier un monstre qui a des jambes de crabes et des tentacules de pieuvre comme ayant des membres "hors normes". Toutefois, puisque que ces membres ne sont pas censés être similaire à ceux des êtres humains, ils ne perpétuent pas de stéréotypes sur le handicap et donc on peut parfaitement jouer avec.

L’idée derrière cette liste est de fournir un point de départ pour examiner nos pratiques. À chaque fois qu’un monstre possède une caractéristique tirée d’une de ces catégories, la prochaine étape est de découvrir si cette caractéristique est liée à un véritable handicap ou un stéréotype concernant un handicap. Si c’est le cas, il vaudrait mieux la remplacer par quelque chose d’autre.

Quand on vérifie si un monstre est validiste, voici une seconde liste de mots et de concepts dont il faut se méfier. Ces mots font appel à des stéréotypes négatifs sur l’une ou l’autre forme de handicap quand ils sont adressés à des personnes ou des animaux. À chaque fois que ces mots apparaissent, il est intéressant d’examiner ce qui se passe.

Attention : les adjectifs suivants sont généralement considérés comme insultants dans ce contexte.

  • Malformé.e
  • Tordu.e
  • Cassé.e
  • Déformé.e
  • Défiguré.e
  • Fou/folle

De plus, on devrait examiner n’importe quelle caractéristique ayant l’air « contre nature » au cas où elle aurait une ressemblance avec un handicap existant. Si nous voulons rendre un monstre contre-nature, partons plutôt loin, hors du domaine de ce qui est possible biologiquement.

Que faire à la place ?

Et donc que faire si le monstre que vous voulez utiliser a une caractéristique associée à un handicap ? On a tellement l’habitude de voir des descriptions validistes des monstres que je recommande de ne pas prendre de risque et de supprimer la caractéristique problématique. C’est d’autant plus le cas si cette caractéristique est là pour rendre le monstre plus intimidant.

Il est quand même possible de donner des handicaps aux monstres, cependant je vous recommande la plus grande prudence. Avec les monstres et les méchants il est bien trop facile de représenter le fait de porter un handicap d’une manière négative. Par exemple, un monstre aveugle est souvent décrit en train de trébucher et de se cogner sur les objets autour de lui, de la même manière qu’une personne voyante le ferait si elle était temporairement incapable de voir. C’est un stéréotype, pas une représentation correcte de ce qu’est être aveugle.

Quand on enlève une caractéristique, il peut être utile d’en rajouter une en remplacement. Pour celles et ceux qui ont besoin d’inspiration pour rendre leur monstre effrayant sans utiliser des caractéristiques validistes, voici quelques idées.

  • Des caractéristiques qui brouillent les sens des personnages, comme un monstre qui se déplace uniquement sous terre ou qui brille tellement que les personnages ne peuvent pas le regarder (ce que l’on ne voit pas peut être plus effrayant que ce que l’on voit (2)
  • Des éléments de body horror qui ne soient pas basés pas sur le handicap, comme des trucs qui ne sont possibles que pour des cadavres
  • Des traits incongrus et qui ont l’air innocents, qui entrent en contraste avec les caractéristiques monstrueuses (c’est sûrement pour ça que les enfants glauques sont tellement populaires dans les films d’Horreur)
  • Le pouvoir de blesser les protagonistes d’une manière inhabituelle, comme drainer leur énergie
  • Des caractéristiques ou des parties du corps bestiales, y compris d’animaux bizarres du monde réel
  • Des armes intégrées - comme des piquants, des griffes ou des crocs
  • Des moyens de se protéger - comme une armure, de la résistance ou de la régénération
  • Des aptitudes supérieures ; une force ou une vitesse extrême
  • Des poisons si puissants qu’une simple éraflure est dangereuse (je vous recommande d’éviter les maladies infectieuses)
  • Des avantages clairs, comme ne pas souffrir de pénalités sur un terrain donné, ou la capacité d’atteindre les personnages tout en restant protégé.e : du coup les personnages ne peuvent pas atteindre le monstre sans se mettre en danger (par exemple : un monstre qui nage et qui attaque à distance)
  • La capacité d’attraper, d’envelopper ou d’encercler quelqu’un (par exemple, des essaims, une meute ou des monstres gélatineux)
  • La capacité de se camoufler pour se cacher ou de se déguiser en quelque chose qui peut attirer les personnages.

Article original : Addressing Ableism: Ableist Monsters

Sélection de commentaires

FayOnyx (sur l’objet de cet article)

L’idée c’est que quand on utilise un handicap pour rendre un monstre effrayant, on montre que ce handicap et les personnes qui le portent sont effrayantes. Des personnes porteuses de handicap se font harceler à cause de ce type de message négatif, ce qui est un problème quotidien pour certaines d’entre elles. Cette discrimination peut prendre des formes plus subtiles ; par exemple lorsque des personnes qui travaillent dans les métiers de services s’adressent à des personnes accompagnantes, au lieu de s’adresser directement à la personne porteuse de handicap.

De nombreux monstres dans les JdR utilisent des caractéristiques inspirées de véritables handicaps de cette manière négative. Du coup, ce qu’on fait c’est d’altérer ces caractéristiques afin qu’elles ne renforcent plus les stéréotypes négatifs auxquels nous sommes habitué.es. L’objectif est de rendre le JdR plus inclusif envers les personnes porteuses de handicaps (étant donné que cela concerne un adulte sur quatre aux USA, ça fait beaucoup de gens).

Est-ce que c’est plus clair avec cette explication ?

Bwgustaf

Si on parle de science-fiction, comment est-ce que tu traiterais le monstre classique « cerveau dans un bocal » ? Mon idée était de faire des cerveaux qui se déplacent des héros, et les méchants seraient les cerveaux immobiles. Est-ce que tu aurais d’autres suggestions qui ne s’appuient pas trop sur de la philosophie existentialiste (puisque c’est là que la tête sans corps a commencé à se transformer en archétype de l’Horreur) ?

Fay Onyx (en réponse à Bwgustaf)

Merci pour ta question ! Le cerveau en bocal est un cliché compliqué. C’est clairement quelque chose qui n’est pas possible pour les humains actuellement. Cependant, le cerveau en bocal est souvent décrit en reflet des opinions et des stéréotypes que l’on a sur ce que c’est d’être handicapé.

En plus, dans beaucoup d’histoires des personnages deviennent des cerveaux en bocal à la suite d’un traitement médical pour les sauver d’une blessure ou d’une situation mortelle. Sachant cela, je les traiterais comme je traite n’importe quel personnage handicapé.

Ce que j’éviterais de toute façon :

  1. N’importe quoi qui évoquerait l’idée qu’il vaudrait mieux qu’ils soient morts.
  2. Des descriptions qui caractérisent l’équipement médical qui les maintient en vie comme effrayant ou contre-nature.
  3. Des descriptions comiques qui transforment en blague les difficultés d’accessibilité qu’ont ces cerveaux.
  4. Les rendre impuissants.
  5. Les méchants ayant des capacités restreintes par rapport aux héros ou ayant davantage d’équipement médical. J’éviterais de distinguer les héros en leur donnant plus de capacité de mouvement, parce que c’est un tel cliché que d’avoir les méchants ayant des handicaps plus visibles que les héros. Peut-être qu’il faudrait utiliser quelque chose qui est directement relié à ce qui fait d’eux des héros ou des méchants ? (Font-ils partie de différents groupes ? Est-ce que leurs pensées sont affichées visuellement ?)

Dans ce cas-ci, l’horreur corporelle des cerveaux en bocal (ne pas avoir de corps) est fictive mais est quand même connectée à un ou plusieurs handicaps réels [tels le syndrome d’enfermement wiki où la personne est complètement paralysée, cf le film Le Scaphandre et le Papillon (NdT)]. Voir le Set qui a donc un impact sur leur représentation et l’attitude que l’on peut avoir à leur égard.

Personnellement je ne mettrais pas l’accent sur l’horreur corporelle ; j’essaierais plutôt de représenter ces cerveaux comme des gens comme les autres. Ce sont des personnages complexes dont l’existence n’est pas limitée (ni définie par) leur handicap.

Dans une histoire comique, ils pourraient juste être des personnages décalés qui font partie de l’histoire. Si c’est plutôt pour une histoire d’Horreur, j’introduirais des éléments effrayants séparément. Par exemple, peut-être que ces entités ont un contrôle puissant sur l’environnement physique ou peut-être qu’il y a dans l’espace des lumières si brillantes qu’il est difficile d’y voir quoique ce soit. Je pense que cela dépend beaucoup de ce que tu veux faire et de leur rôle dans l’histoire. Une fois que tu sais quel est leur rôle, tu peux te baser sur ça pour chercher comment ils peuvent le remplir sans tomber dans des stéréotypes blessants.

(1) NdT : Le concept de neurodiversité a été publié pour la première fois en 1998 par l’écrivain Harvey Blume. On peut le définir comme étant « un concept dans lequel les différences neurologiques sont reconnues et respectées comme toute autre variation humaine. Ces différences peuvent inclure les personnes reconnues dyspraxiques, dyscalculiques ou dyslexiques, avec un trouble du déficit de l'attention (avec ou sans hyperactivité), avec des troubles du spectre de l'autisme, avec une maladie de Gilles de La Tourette ou d'autres. » C’est un concept utilisé par les militants pour la reconnaissance des droits des personnes autistes en particulier mais il représente aussi plusieurs autres particularités. [Retour]

(2) NdT : retrouvez ce conseil, ainsi que ceux qui suivent, dans nos traductions en rapport avec l’Horreur, comme L’Horreur dans la vision de l’esprit, Comment faire peur aux gens, Cauchemars et éclats de verre [Retour]

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