Cinq représentations courantes et nuisibles du handicap
© 2018 Fay Onyx
Le handicap est une condition humaine très courante. De nombreuses personnes de tous âges ont des corps atteints de handicaps, des esprits neurodivergents ou des maladies chroniques. Presque toutes les personnes vivant jusqu’à un âge avancé connaissent un jour ou l’autre une forme de handicap. C’est pourquoi le handicap est une condition importante à inclure dans la fiction. Cependant, de nombreuses représentations du handicap perpétuent des messages nuisibles (1). Je vais identifier les cinq représentations les plus nuisibles et proposer des suggestions pour les éviter.
1. C’est le personnage Méchant qui a un handicap
Les personnages porteurs de handicaps sont anormalement nombreux dans le camp des méchants, avec comme exemples notoires Dark Vador et le capitaine Crochet. Les handicaps de ces Méchants sont utilisés pour les rendre plus sinistres et intimidants mythcreants (en). Pour ce faire, on met généralement l’accent sur le handicap du personnage pour en renforcer l’altérité, en s’appuyant sur l’idée que les corps handicapés sont cassés, déformés ou moins humains. C’est ce qu’illustre la description que fait Obi-Wan Kenobi de Dark Vador : « C’est plus une machine qu’un homme maintenant. Il est malhonnette et mauvais. ».
En raison de la manière dont le handicap est utilisé pour rendre les méchants plus sinistres, il est courant que ceux-ci aient des handicaps qui impliquent une technologie très visible ou audible. La comparaison entre Dark Vador et Luke Skywalker mythcreants (en) en est un exemple classique. L’armure de Dark Vador intègre de nombreux appareils médicaux, qui caractérisent fortement son apparence et sa voix [et pas dans un sens positif, puisque sa voix devient mécanique, et son apparence effrayante (NdT)]. En revanche, Luke Skywalker a une main prothétique qui ressemble exactement à une main en chair et en os.
L’utilisation du handicap à des fins dramatiques stigmatise ainsi la technologie médicale et adaptative comme quelque chose qui rendrait ses utilisateurs ou utilisatrices intrinsèquement moins humain-es.
Il y a une déclinaison de cette représentation : celle du personnage « malade mental » utilisé si souvent dans les comics, les films d’horreur et les thrillers. Le célèbre ennemi juré de Batman, le Joker, est un exemple classique de la manière dont on peut entremêler la violence et les stéréotypes de maladie mentale dans ces représentations. Ici, la maladie mentale devient un outil qui fait paraître le méchant plus imprévisible et menaçant, ce qui favorise le mythe selon lequel les personnes au cerveau divergent seraient intrinsèquement dangereuses.
Il est intéressant de noter qu’un grand nombre de ces « malades mentaux » ne présentent pas les symptômes de maladies réelles. Au lieu de cela, ces personnages sont catégorisés comme « malades mentaux » à cause du mythe selon lequel un comportement imprévisible, étrange et violent serait fondamentalement lié au fait d’avoir un cerveau divergent. Comme ces Méchants ne présentent pas de symptômes réels, leurs représentations sont centrées sur le concept générique et stigmatisant mythcreants (en) de « folie ».
Que faire à la place
Si vous souhaitez créer un-e Méchant-e en situation de handicap, il est important de reconnaître que les personnes handicapées sont surreprésentées dans les rôles de méchants. C’est particulièrement nuisible s’il s’agit du seul personnage handicapé de l’œuvre. Veillez à ce qu’il y ait des personnages handicapés non-ennemis. L’importance de ces PNJ compte également : ceux qui ont un rôle plus important et qui contribuent de manière significative à l’intrigue auront un impact plus grand.
Réfléchissez aussi soigneusement à la raison pour laquelle le ou la Méchant-e a un handicap et le rôle de ce handicap dans l’histoire. Le handicap, qu’il soit physique ou mental [ou psychique (2)], ne doit en aucun cas être utilisé pour représenter la nature maléfique du méchant mythcreants (en) ou pour le rendre plus sinistre et intimidant. Je recommande plutôt de faire du handicap une simple réalité avec laquelle le méchant vit. Son handicap doit l’affecter, mais il ne doit être ni la cause ni le symbole de sa méchanceté.
La comparaison entre le handicap du personnage méchant et ceux des autres personnages est également importante. Veillez à bien réfléchir aux handicaps les plus visibles. Quels personnages utilisent des prothèses, des appareils de mobilité ou des technologies médicales ? De manière générale, évitez de donner aux méchant·es les handicaps les plus visibles ou une grosse quantité de technologies d’assistance.
Lorsque vous créez un·e méchant·e neurodivergent-e, choisissez-lui un diagnostic précis et étayez-le par des recherches. Il est ainsi plus facile de séparer son état de sa méchanceté. N’oubliez pas que les personnes dotées d’un cerveau neurotypique [La neurodivergence / neuroatypie, opposé à neurotypique, désigne toute personne ayant un fonctionnement neuronal hors normes (NdT)] peuvent avoir un comportement violent, bizarre et imprévisible. Alors ne rendez pas un personnage neuroatypique juste pour expliquer une prise de décision inhabituelle. De même, pour les personnages neurotypiques, gardez à l’esprit qu’un manque d’informations conduira certain-es lecteurs ou lectrices à supposer que ces personnages souffrent de troubles mentaux, même s’ils n’en ont pas. Indiquez explicitement quand un personnage imprévisible a un fonctionnement neurotypique. Par exemple, un [PNJ] psychologue pourrait évaluer les motivations d’un Méchant imprévisible et déclarer, en commençant son analyse du comportement inhabituel, que le méchant ne semble pas souffrir d’une maladie mentale.
2. Le handicap qui n’est qu’esthétique
Trop souvent, un personnage handicapé acquiert une magie ou une technologie qui lui confère les mêmes capacités qu’une personne valide. La main biomécanique de Luke Skywalker dans Star Wars en est un exemple-type. Comme Luke, une fois que ce personnage a acquis sa magie ou sa technologie, son handicap n’a plus d’impact significatif sur sa vie. À l’extrême, ce schéma peut aboutir à ce que le handicap soit traité comme un choix esthétique n’ayant aucun impact sur l’histoire, où un personnage est doté de parties du corps magiques ou mécaniques juste pour avoir l’air plus coriace.
Ces personnages ne sont pas représentatifs des expériences vécues par les vraies personnes handicapées. Dans le monde réel, le handicap a un impact sur la vie quotidienne, que ce soit à grande ou à petite échelle. Les personnes handicapées se heurtent à des obstacles, comme des bâtiments inaccessibles aux fauteuils roulants. Nous devons faire des compromis, par exemple choisir de prendre ou non des médicaments mythcreants (en) dont les effets secondaires, tels que la nausée ou la somnolence, créent de nouveaux problèmes. Et beaucoup d’entre nous doivent gérer soigneusement leurs ressources physiques et mentales ; par exemple, une personne ayant une énergie limitée (3) peut choisir de ne pas faire de courses afin de pouvoir préparer son dîner.
Concevoir la magie ou la technologie d’un personnage de manière à « compenser » son handicap limite également les capacités des personnages handicapés que n’ont pas les personnages valides. Cela envoie le message que les personnes handicapées sont incapables d’accomplir des choses sans pouvoirs de fiction, que le handicap est une chose terrible qui définit toute la vie d’un personnage, et que devenir valide est un objectif essentiel dans la vie de toute personne handicapée.
Que faire à la place
Le défi consiste ici à trouver un équilibre où le handicap affecte la vie du personnage sans éclipser tout le reste. Si le personnage dispose de magie ou de technologie mythcreants (en), il est logique qu’il les utilise pour répondre à ses besoins d’accessibilité. Il n’y a rien de mal à ce qu’un personnage ait une prothèse ou un dispositif d’assistance. Pour qu’ils aient l’air réel, plutôt que d’être un moyen de transformer un personnage handicapé en un personnage valide, il faut comprendre les bases du fonctionnement de l’appareil afin que ses avantages et ses limites soient clairs.
Par exemple, donner à un personnage aveugle un appareil générique qui lui « permet de voir » revient à effacer le handicap de celui-ci. En revanche, donner à un personnage aveugle un appareil sonar spécifique avec des limites et des avantages associés [par exemple] au sonar est une façon plus réaliste et plus équilibrée de représenter le handicap. Un appareil de ce type pourrait avoir une limite de distance d’un kilomètre à l’intérieur des villes, être bloqué par les fenêtres et être incapable de lire du texte sur des surfaces planes, tout en étant capable de détecter des objets dans des conditions de faible visibilité telles que l’obscurité, le brouillard et la neige tombante.
De tels détails permettent également plus de cohérence sur ce que le personnage peut faire lorsqu’il rencontre des situations nouvelles. Voici quelques bonnes questions à poser :
- Comment fonctionne cet appareil ?
- Quels sont ses avantages et ses limites ?
- A-t-il des effets secondaires ?
- Quels sont les coûts cachés ? Doit-il être entretenu ou rechargé ?
- Le personnage peut-il l’utiliser en permanence ou doit-il l’enlever à certains moments ?
Ne faites pas du handicap le centre des pouvoirs et des capacités du personnage. Dans une histoire où la plupart des personnages n’ont pas de capacités extraordinaires, ne donnez pas à un personnage un superpouvoir juste pour compenser le fait qu’il est handicapé. Ils n’ont pas besoin de pouvoirs spéciaux pour atteindre leurs objectifs ou pour leur donner de la valeur. Dans les histoires où les personnages ont des capacités extraordinaires, ne choisissez pas une capacité pour votre personnage qui compense parfaitement son handicap. Au contraire, donnez-lui une capacité intéressante qui correspond à l’histoire ou à sa personnalité.
Une fois la capacité spéciale choisie, il est temps de déterminer comment le perso répond à ses besoins d’accès. Comme pour les appareils, réfléchissez à ce qu’il peut et ne peut pas faire avec ses capacités. Il peut peut-être utiliser son pouvoir d’une manière intelligente pour s’aider lui-même, ou obtenir ce dont il a besoin grâce à ses capacités ordinaires et à son entraînement. Par exemple, avec de l’entraînement, de vrais aveugles peuvent utiliser un sonar TED pour percevoir le monde, et des sportifs paraplégiques peuvent utiliser leur force pour monter et descendre des escaliers dans un fauteuil roulant manuel. Faites des recherches sur ce que les personnes réelles peuvent faire, et ne partez pas du principe que chaque obstacle rencontré par une personne handicapée doit être résolu par des pouvoirs spéciaux dans la fiction.
Gardez également à l’esprit qu’il est acceptable pour les personnages de rencontrer des obstacles qui ne peuvent être directement surmontés. C’est une réalité que les personnes handicapées connaissent. Tous les bâtiments ne sont pas accessibles aux fauteuils roulants. Il est normal que les personnages handicapés aient des limites − tous les personnages ont des limites. Ce qui compte, c’est de représenter ces limites de manière réaliste sans rendre le personnage impuissant.
3. Le personnage handicapé qui est sans-défense
La tendance répétée à associer handicap et charité dépeint les personnes handicapées comme pitoyables, vulnérables et pathétiques. Le personnage de Tiny Tim dans [le conte de Dickens] Un chant de Noël wiki en est un exemple typique. Malheureusement, ce stéréotype fait qu’il est trop facile de présenter les personnages handicapés comme des victimes sans défense. En effet, à la télévision, les personnages handicapés sont plus susceptibles de mourir que leurs homologues valides.
Dans le monde réel, les personnes handicapées sont plus susceptibles de subir des violences que les personnes valides. En fait, il existe une longue histoire de violences contre les personnes handicapées dans de nombreuses cultures occidentales. Cependant, dépeindre les personnages handicapés comme des victimes passives sans pouvoir d’action propre mythcreants (en) n’est pas une représentation exacte de cette réalité. Elle perpétue le mythe selon lequel les personnes handicapées seraient impuissantes (ou seraient incapables d’accomplir des choses).
Le « handicap engendrant de l’impuissance » peut même concerner des personnages à part ça puissants, si on considère que leur handicap est une faiblesse plus grave que la même faiblesse chez un personnage valide. Par exemple, il est courant qu’un héros d’action valide continue à se battre mythcreants (en) après avoir reçu des blessures graves qui le rendent incapable de marcher. Si on dépeint un héros d’action paraplégique sans son fauteuil roulant comme plus impuissant qu’une personne valide gravement blessée, alors on exagère l’impact de son handicap, afin de le faire paraître impuissant. On peut aussi utiliser cette impuissance fabriquée pour faire d’un personnage handicapé un défi pour les personnages valides, qui sont alors chargés de le transporter et de le protéger. Dans ce cas, le personnage handicapé devient un objet ou un fardeau pour les autres personnages.
Que faire à la place
Sachant que les personnages handicapés sont plus souvent victimes de violence, réfléchissez bien à l’ampleur de la violence que vous leur infligez dans votre histoire, et à la possibilité qu’ils meurent. Comme les personnages handicapés meurent plus souvent que leurs homologues valides (4), évitez plutôt [le cliché] de les tuer. Comme il n’y a déjà pas beaucoup de personnages handicapés remarquables auxquels les gens peuvent s’identifier, il est d’autant plus important d’avoir des personnages handicapés vivants avec une perspective significative.
Le type de violence qui touche les personnages handicapés a également son importance. Les représentations de suicides ou de mises à mort miséricordieuses sont particulièrement mauvaises. Cela envoie le message qu’il est pire d’être handicapé que mort. Ce message est particulièrement effrayant lorsqu’on le considère à la lumière de la violence historique perpétrée contre les personnes handicapées (5). Peu importe que l’intrigue ait une excuse pour cela. Changez l’intrigue. Ne faites pas ça.
Cela dit, la plupart des histoires traitent de l’adversité, ce qui implique naturellement que de mauvaises choses arrivent aux personnages. Cela leur donne des obstacles à surmonter. Je ne dis pas qu’il ne doit jamais arriver de mauvaises choses aux personnages handicapés, mais il ne faut pas en faire des victimes sans défense que les autres personnages doivent sauver ou venger. À mon avis, la clé du problème est de présenter les personnages handicapés comme des personnes capables de réagir activement lorsque de mauvaises choses leur arrivent. Il n’est pas nécessaire que toutes leurs actions soient couronnées de succès, mais ils doivent toujours faire quelque chose pour gérer la situation. Enfin, au moins certaines de leurs actions doivent avoir un effet sur l’histoire. C’est ce qui donne du pouvoir à leurs actions et les empêche d’être impuissants.
4. Le Handicap comme source d’inspiration
Internet regorge de citations et de vidéos inspirantes sur le handicap. Bien qu’elles puissent sembler exaltantes de prime abord, elles véhiculent de nombreux messages préjudiciables. Ce type d’inspiration dommageable se retrouve souvent dans des personnages qui sont censés représenter le handicap de manière positive. Des films comme Forrest Gump (6), par exemple, créent une histoire réconfortante en dépeignant des idées irréalistes sur le handicap. Ils diffusent le message nuisible selon lequel les personnes handicapées créent elles-mêmes les obstacles dans leur vie, que les personnes présentant une déficience intellectuelle sont éternellement innocentes, et qu’une attitude positive est la seule chose dont les personnes handicapées ont besoin pour surmonter les obstacles.
Les histoires inspirantes sur le handicap enlèvent également de l’humanité aux handicapés. Par exemple, bien qu’il soit le personnage principal, Forrest Gump n’est pas pleinement défini : plutôt que d’avoir ses propres intérêts et désirs, il est une caricature de l’innocence éternelle qui réagit aux personnes qui l’entourent. Forrest Gump n’est pas destiné à être un personnage auquel le public s’identifie ; il existe en tant que personnage pour donner des leçons aux personnes qui l’entourent. Il s’agit là d’un schéma commun au « handicap comme source d’inspiration » ; les personnages handicapés sont créés non pas pour raconter leur propre histoire, mais pour enrichir l’esprit des gens qui les entourent.
Dans le cas du handicap comme source d’inspiration, il faut se méfier de deux schémas communs :
- Dépeindre les personnes handicapées comme étant courageuses ou inspirantes pour mener à bien leur vie quotidienne. Cela s’accompagne souvent d’une tendance à se focaliser sur les usages que les personnes en situation de handicap font de leur corps, différentes de celles d’une personne valide ordinaire.
L’idée sous-jacente est que la vie des personnes en situation de handicap est si terrible que le simple fait de vivre une journée ordinaire exige courage et persévérance. Cela démontre également que l’on s’attend à ce qu’elles ne soient pas capables de réaliser quoi que ce soit. Il est important de ne pas effacer les luttes et la douleur que connaissent de nombreuses personnes ; cependant, on ne devrait pas traiter comme exceptionnel l’accomplissement d’une tâche quotidienne. - Traiter les réalisations des personnes en situation de handicap comme si elles étaient censées signifier quelque chose quant à la capacité des personnes valides à accomplir des choses. Par exemple, le fait qu’une personne en fauteuil roulant puisse s’entraîner pour devenir une admirable athlète ne signifie pas qu’une personne valide n’a aucune excuse pour ne pas faire régulièrement de l’exercice. Ce type de comparaison envoie le message que le handicap est un terrible obstacle que les personnes en situation de handicap doivent surmonter pour accomplir quoi que ce soit. Cela renforce également l’idée qu’elles seraient moins capables d’accomplir des choses que les personnes valides.
Que faire à la place
Commencez par faire des recherches et présentez le handicap de manière réaliste. Le handicap engendre des vrais défis dans la vie des personnages, mais il doit être clair que beaucoup de ces défis proviennent de la société (comme le manque d’interprètes en langue des signes lors des événements). Une attitude positive ne résoudra pas ces problèmes. Comme l’a si bien dit [la journaliste, comédienne et militante (NdT)] Stella Young (7) : « Des sourires n’ont jamais transformé un escalier en rampe d’accès ». Dans le même temps, le handicap ne doit pas être présenté comme une chose qui détruit la vie et empêche les personnages d’accomplir quoi que ce soit.
Les personnages handicapés doivent accomplir des choses et ces succès doivent être respectés de la même manière que ceux d’une personne valide. Ils ne doivent pas être définis par leur handicap ou être utilisés comme comparaison avec les accomplissements des autres. Pour ce faire, réfléchissez à la manière dont les succès du personnage sont présentés :
- Leur réussite est-elle appréciée à sa juste valeur ou est-elle utilisée pour inspirer les personnes valides ?
- Est-ce qu’on a émis des suppositions sur le handicap et la façon dont ça a affecté la capacité de la personne à atteindre cet objectif ? [c-à-d : a-t-on simplement fait des recherches ? (NdT)]
- Le fait de considérer cette personne comme exceptionnelle implique-t-il que les personnes handicapées ne sont généralement pas capables d’accomplir quoi que ce soit ?
- Le handicap est-il devenu un élément déterminant de sa réussite, sans lequel celle-ci n’aurait pas de sens ?
- Traite-t-on le handicap différemment des autres défis de la vie de cette personne, qui ont aussi affecté sa capacité à atteindre cet objectif ?
Évitez de traiter les personnes en situation de handicap comme si elles étaient intrinsèquement inspirantes du fait de leur handicap. Ne faites pas de fixette sur les différences entre les personnes en situation de handicap et « la » personne valide lambda. Ne supposez pas qu’il faut du courage à une personne en situation de handicap pour vivre une journée ordinaire. Il est aussi généralement bon d’éviter d’utiliser les mots « inspiration » et « courage » lorsqu’on parle de personnes handicapées. S’il est vrai qu’elles sont capables de bravoure et d’accomplir des choses inspirantes, ces mots ont été tellement entachés par un usage abusif et condescendant que de nombreuses personnes handicapées grimacent dès qu’elles les entendent.
Enfin, et c’est le plus important, développez pleinement les personnages qui ont des handicaps. Ils ne doivent pas seulement être là pour donner des leçons aux autres personnages ; ils doivent avoir leurs propres histoires et arcs narratifs. Veillez à ce que leur histoire ne tourne pas entièrement autour de leur handicap. Même si le handicap est un fil conducteur important de leur vie, ils auront d’autres intérêts et relations significatives.
5. Handicap unique
La culture états-unienne a tendance à considérer les identités privilégiées comme la norme [on peut en penser de même de la culture française (NdT)]. Cela signifie que les hommes blancs, hétérosexuels, valides et cisgenres (pour ne citer que quelques identités privilégiées) sont considérés comme le point de départ de tous les personnages. La représentation de la diversité devient alors un processus consistant à remplacer une (ou éventuellement deux) identités privilégiées par des identités opprimées. Les groupes [de personnages], même dans les histoires axées sur la diversité, finissent généralement par être à prédominance blanche et masculine, avec peu, voire aucun, personnage queer, transgenre ou handicapé (8). Star Trek en est un exemple frappant. Les équipes de The Next Generation, Deep Space Nine et Voyager comptaient toutes plusieurs hommes blancs, plusieurs femmes blanches et plusieurs hommes de couleur, avec peut-être seulement une femme de couleur et un personnage handicapé.
La représentation du handicap est donc essentiellement axée sur les hommes blancs, hétérosexuels et cisgenres et sur un nombre plus restreint de femmes blanches, hétérosexuelles et cisgenres. Les représentations de personnes handicapées de couleur et de personnes handicapées queer sont rares. Regardez n’importe quel « Top 10 des personnages handicapés ». Combien de femmes, de personnes de couleur, de personnes transgenres et de queer sont présents ? La plupart des listes comptent plus d’hommes blancs hétéros que tous les autres réunis (sans parler de l’absence totale de personnages queer et transgenres). En outre, il y a un manque évident de personnages ayant des expériences d’oppression complexes et à plusieurs titres, comme les femmes queer, de couleur, et handicapées.
Ce manque de représentation a de graves conséquences. Comme l’a si bien dit huffingtonpost (en) la militante Vilissa Thompson, créatrice du hashtag #DisabilityTooWhite [Handicap trop blanc (NdT)], « je pense que le manque de représentation entrave notre capacité à nous sentir à notre place, à sentir que nos vies et nos histoires sont importantes. Nous nous sentons isolé-es et exclu-es lorsque nous ne voyons pas de personnes qui nous ressemblent, non seulement du point de vue racial mais aussi du point de vue du handicap ». Je pense également que ce manque de représentation est lié aux disparités en matière de diagnostic dont souffrent les personnes de couleur : elles sont diagnostiquées plus tard huffingtonpost (en) et moins souvent que les personnes blanches NCBI (en).
Que faire à la place
Tant que les privilèges seront considérés comme la norme, l’intersectionnalité (9) sera rare. La meilleure façon de remédier à cette situation est de changer le type de personnages considérés comme normaux.
Vous pouvez choisir de « zoomer » sur d’autres expériences, comme celle d’avoir plusieurs identités opprimées.
Pour être honnête, si l’on prend en compte toutes les identités privilégiées dans la culture US (y compris la classe sociale, la religion, l’âge et le type de corps), il y a en fait très peu de personnes qui cochent toutes les cases : beaucoup cumulent au moins deux identités opprimées.
Vous devriez alors examiner l’ensemble de vos personnages. Combien ont deux ou plusieurs identités opprimées ? Comparez ce chiffre au nombre de personnages ayant une seule identité opprimée et à ceux qui sont totalement privilégiés. De même, quel est l’équilibre général de la distribution ? Est-elle majoritairement masculine ? Blanche ? Posez-vous ces deux questions à la fois pour l’ensemble des personnages et pour chacun des personnages principaux.
Si les personnages principaux ou l’ensemble de la distribution sont orientés vers une ou plusieurs identités privilégiées, réfléchissez aux raisons de ce choix. Est-ce inconscient ou est-ce le résultat d’un aspect de l’histoire ou du cadre ? Par exemple, certains décors, comme le Congrès des États-Unis, sont naturellement orientés vers les personnes privilégiées. Cependant, ce cadre est lui-même un choix et doit donc être examiné. La présence de nombreux personnages privilégiés sert-elle la fiction ? Pourrait-on raconter l’histoire avec un cadre plus diversifié ? Quel rôle les personnages aux identités opprimées présents dans le cadre jouent-ils dans l’histoire ? Atteignent-ils leurs propres objectifs ou aident-ils seulement les personnes plus privilégiées ? N’oubliez pas de vérifier toutes les suppositions que vous faites sur l’univers. De nombreux contextes historiques, comme l’Europe médiévale et la Scandinavie de l’ère Viking, sont régulièrement décrits comme moins diversifiés qu’ils ne l’étaient en réalité (10).
Enfin, réfléchissez spécifiquement à la représentation des personnages handicapés. Combien de personnages handicapés y a-t-il, et combien d’entre eux ont d’identités opprimées supplémentaires ? Il est donc important de donner la priorité à la représentation des personnes en situation de handicap de couleur, handicapé-es queer et transgenres, et des personnages ayant des expériences d’oppression complexes et multiples. De nombreuses personnes dans le monde vivent ces expériences croisées d’oppression et de handicap, et nous méritons toutes et tous que nos expériences soient représentées.
Les stéréotypes sur le handicap sont très répandus dans la représentation des personnes handicapées, qu’elles soient fictives ou réelles. Il est donc facile, même pour l’auteur ou l’autrice avec les meilleures intentions, de tomber dans certains de ces schémas. Prendre conscience de ces stéréotypes est le premier pas vers la création de personnages handicapés dotés de toute la complexité des personnes handicapées du monde réel. C’est quelque chose dont nous pouvons tous bénéficier.
Sélection de commentaires
Dave L
Pour résumer :
1. Faites des recherches, des recherches, et encore des recherches
2. Les gens vivant avec un handicap sont des gens
Deux bons points. Un bon article.
Shamanka
Un très bon article.
J’ai, dans mon projet actuel, plusieurs personnages qui pourraient correspondre au problème du « handicap esthétique » de ta liste. J’aimerais les soumettre ici à une « évaluation par les pairs » :
- La première est une femme avec une prothèse de jambe. Elle utilise ses pouvoirs (de contrôle télékinésique du bois) pour la faire plier au niveau du genou et de la cheville, comme la jambe avec laquelle elle est née. Au contraire de la main magique de Luke Skywalker, cette jambe est clairement une prothèse fabriquée dans un bois semblable à de l’acajou, conçue dans la forme d’une armure de plaques. Aussi, comme pour les personnes qui portent des prothèses dans la vie réelle, si elle en fait trop ou passe une mauvaise journée, elle souffre de douleurs au niveau du moignon.
- Le second est un homme qui perd la vue au cours de l’histoire. Ses pouvoirs (qui ne sont pas vraiment de la nécromancie mais ça s’y apparente) lui permettent de ressentir l’emplacement de tous les êtres humains ou morceaux humains vivants ou morts dans un certain périmètre (variable). Les objets inanimés lui sont invisibles sauf s’ils sont enduits de sang ou fabriqués à base d’os, il doit donc utiliser une canne ou l’aide de ses ami·es pour connaître l’emplacement de tout ce qui est inanimé. Et il ne peut lire que des mots écrits avec du sang. Il était déjà capable d’utiliser ces pouvoirs avant de perdre la vue, mais il s’en servait moins.
Je précise que ces deux personnages utilisent leurs pouvoirs de façons qui ne sont pas uniquement liées à leur handicap : elle s’en sert [de sa télékinésie] pour améliorer son tir à l’arc ; il s’en sert [de sa nécromancie] pour prodiguer des soins médicaux.
Vous en pensez quoi ?
Réponse de Fay Onyx
Dans des cas comme ceux-là, une chose importante à faire est de clarifier ce que permet ou pas le pouvoir.
D’après ta description, le personnage aveugle semble un bon exemple de personnage utilisant ses pouvoirs pour s’aider sans effacer son handicap.
En ce qui concerne le personnage féminin avec sa prothèse de jambe, ça dépend vraiment de la façon dont elle est présentée dans ton projet. Dans les situations où la question se pose naturellement (par exemple quand elle en fait trop), si les coûts et les effets secondaires ne sont jamais abordés, alors son handicap est traité de façon cosmétique. Par contre, si elle ressent des effets secondaires durant ces situations, son handicap est traité de façon plus réaliste et respectueuse.
Réponse de Deana
Il y a deux autres choses à garder à l’esprit pour ce qui est du personnage avec une prothèse :
- Certains handicaps nécessitent une thérapie physique permanente
- Sur-compenser peut causer des dommages au membre intact
J’ai de naissance un pied bot bilatéral très prononcé [déformation des deux pieds (NdT)]. L’un était pire que l’autre, mais tous les deux nécessitèrent de nombreuses attelles pour les « redresser ». Ma jambe qui était la plus forte est en fait maintenant celle qui a le plus de problèmes. Mes articulations grincent et craquent sur cette jambe, car j’ai l’habitude d’y mettre plus de poids, ça dégrade le cartilage du genou et de la cheville. Cependant, ma jambe la plus faible se bloque parfois au niveau de la cheville si j’oublie de faire certains étirements pendant plusieurs jours.
Vous devriez faire des recherches sur ce point en ce qui concerne les membres amputés ; ce sont souvent des questions que les gens oublient de poser : Quels exercices physiques/mentaux doit-on faire pour conserver son amplitude optimale de mouvements ? Est-ce qu’utiliser une prothèse engendre des risques pour la jambe intacte ? Qu’en est-il des frottements et des inflammations causées par l’emboîture (ou tout autre embout de prothèse) ? Y a-t-il des risques d’hématomes ou d’escarres à l’endroit du contact entre la prothèse et la jambe ? À ce sujet, définissez où le membre est amputé précisément et discutez avec des personnes qui ont subi des blessures similaires. (D’après votre description, ça semble être soit à la mi-cuisse, soit à la hanche). L’amplitude de mouvement varie en fonction du type de prothèse utilisé et de la façon dont elle entre en contact avec le corps. Vous pouvez aussi contacter une entreprise qui en fabrique pour voir si elle peut vous donner des exemples de différents types de prothèses et systèmes d’attaches.
Un exemple que vous pouvez utiliser pour ajouter un peu de couleur : quand j’étais enfant, nos visites chez le fabricant d’attelles étaient toujours effrayantes. Il faisait sombre en dehors des zones lumineuses qui entouraient les établis. Le personnel du service technique était toujours gentil, mais il y avait ces membres, matériaux et tous ces objets qui pendant un peu partout. Ça sentait l’huile et la sueur.
Le réglage des attelles faisait mal, et quand je devais en porter de nouvelles : la sangle, les genoux et les chevilles étaient lourds, peu flexibles et inconfortables pendant presque un mois.
Le personnel savait en général assez bien s’organiser pour qu’il n’y ait qu’un ou une seule patiente à la fois, mais ça arrivait qu’il y ait une autre personne avant nous et je pouvais l’entendre pleurer pendant que j’essayais de retenir mes larmes, à cause de la peur et de la douleur que je savais venir.
J’ai dû subir ça à peu près tous les deux mois pendant environ deux ans et je me réveille encore avec des cauchemars, quarante ans après.
Bubbles
Globalement, cet article est plutôt réussi. Il y a quelques répétitions avec l’article précédent qui parlait de capacitisme/validisme [discrimination sur des critères de capacité physique (NdT)], mais je pense que la plupart des points sont assez importants pour mériter d’être répétés, car il semble que ce ne soit pas toujours compris. J’ai par contre des questions sur les points 2 et 3 :
- À propos du point 2, le « handicap esthétique » : comment ça pourrait s’appliquer dans un contexte de technologie extrêmement avancée ou de puissante magie de guérison ? Vous affirmez qu’il est normal pour des personnages en situation de handicap d’utiliser une forme d’assistance dans la fiction, mais qu’elle ne doit pas effacer tout ce qui concerne leur handicap. Pourtant il me semble très probable qu’il existe [dans la fiction ou dans le futur] quelque chose qui n’ait pas ou peu de désavantages par rapport à ce qui existe dans la vie réelle d’aujourd’hui. Par exemple, vous donnez l’exemple d’une personne aveugle qui utilise un appareil qui « fait voir » ; ça me semble probable que ça existe un jour dans le futur, car la vision artificielle fait déjà des progrès et sera probablement améliorée dans le futur (11). Tout le monde ne voudra pas utiliser cette technologie, mais je crois que certaines personnes seront intéressées. En fait, il est totalement possible que des personnes qui voient voudraient [profiter de ce dispositif pour] avoir une vision augmentée (on se rapproche des idées transhumanistes qui, je crois, ont été discutées dans un autre article). Je pense que le problème est que, si, dans la réalité, une assistance de grande qualité n’existe pas encore, elle pourrait exister dans la science-fiction ou la fantasy : la cohérence interne [à la fiction] serait brisée si de tels dispositifs n’étaient pas utilisés. Je ne pense pas qu’une telle représentation causerait des effets néfastes dans la vie réelle si la différence entre réalité et fiction est bien établie dès le départ.
- À propos du point 3 : même si j’approuve le fait que les personnes en situation de handicap ne devraient pas être dépeintes comme entièrement sans défense, ça me semblerait réaliste et normal que ces personnes soient plus vulnérables et meurent plus souvent dans certaines situations difficiles (guerre, apocalypse, etc.). Cette fois, c’est la différence entre ce qui va se passer et ce qui devrait se passer qui doit être mise en avant. Ça ne doit pas être par fanatisme d’auteur si un plus grand nombre de personnes en situation de handicap meurent dans une œuvre de fiction, ça doit se faire si ça a un sens pour l’histoire.
Il me semble qu’il y a plusieurs sujets interconnectés ici. Déjà, les handicaps, par définition, ça engendre des désavantages.
Il faut noter que je suis plus ou moins d’accord avec l’idée qu’une partie du problème est due au manque d’accessibilité de la société. Et, ce que l’on nomme « handicap » peut aussi être source d’avantage. [Par exemple,] certaines personnes daltoniennes peuvent distinguer des nuances mieux que les autres gens, ce qui s’est avéré utile dans des domaines comme la recherche et le repérage d’avions ennemis (12). Les personnes sourdes de naissance peuvent aussi avoir leurs autres sens plus développés. Les personnes atteintes d’autisme, même celles qui ne sont pas « savantes » pour ainsi dire, ont un style de pensée qui peut être utile dans certains domaines.
Mais les inconvénients existent (comme pour tout le monde, même les personnes sans handicap). Les gens veulent souvent se débarrasser des désavantages pour ne garder que les avantages, mais c’est parfois lié et ça ne peut pas être séparé. D’autres fois, les désavantages sont plus nombreux que les avantages et ça peut faire beaucoup de tort. Ça m’amène à mon second point : il y a des personnes qui veulent un remède, et ce remède peut parfois exister, donc ce n’est pas problématique de le dire dans une fiction. L’article Disability Culture Meets the Transhumanist Condition lesswrong présente des arguments fascinants sur le sujet.
C’est une façon intéressante de voir les choses. Aimeriez-vous être capable de voir toutes les longueurs d’onde du spectre électromagnétique ? Ressentir les champs magnétiques comme le font d’autres animaux ? Ou même voler ? Tout le monde n’en a pas envie, mais certaines personnes aimeraient bien. Cette façon de penser explique pourquoi certaines personnes non-voyantes aimeraient voir, certaines sourdes aimeraient entendre, certaines paralysées aimeraient se déplacer sans assistance. (J’ai entendu que les personnes sourdes qui veulent le rester sont celles qui le sont de naissance : c’est vrai ?)
Enfin, même si la justice sociale est quelque chose d’important, c’est tout aussi important que l’histoire soit cohérente. Heureusement, on peut avoir les deux : si la justice sociale peut exister dans la vie réelle, elle peut aussi exister dans la fiction. Mais il faut prendre en compte le contexte du monde fictif, différent de notre réalité.
Réponse de Fay Onyx
En ce qui concerne le « handicap esthétique » et les univers avec beaucoup de magie ou de technologique, vous avez raison de dire qu’il serait logique que les gens s’en servent pour résoudre des problèmes de handicaps. Dans un contexte où les capacités de guérison sont améliorées, il y a en fait souvent un glissement [dans la définition] de ce qu’est un handicap par rapport à une maladie ou état temporaire. Ça ne veut pas dire que le handicap disparaît totalement. De plus, il est probable que des coûts, effets secondaires et limites aient encore lieu pour de nombreux cas.
Harry Potter est un bon exemple de ce point de vue sur la magie : même si la magie guérit les maladies chroniques et les pathologies que la médecine moldue ne peut pas soigner, il reste de nouvelles maladies chroniques et pathologies magiques – comme la lycanthropie – que la magie n’est pas en mesure de totalement soigner. Par contre, il existe des potions spécifiques pour soulager les symptômes les plus importants.
En ce qui concerne la technologie : les coûts, effets secondaires et limites sont hautement probables, car la biologie et la technologie ne fonctionnent pas du tout pareil. Geordi La Forge wiki, un personnage de Star Trek, en est un bon exemple (même s’il n’est pas exploité à la perfection).
[Né aveugle, il reçoit très jeune une prothèse visuelle et devient pilote et ingénieur], il a un spectre visuel bien plus grand que les autres personnages [humains] et peut voir dans des conditions où il est impossible pour les autres d’y voir quoi que ce soit. Il ressent des effets secondaires, comme des maux de tête. De plus, si je me souviens bien, ses implants optiques sont plus vulnérables aux infections, ce qui peut engendrer des effets secondaires plutôt désagréables.
Réponse de Bubbles
Ce sont de bons arguments. Mais je me demandais à quel point la technologie pouvait être limitée dans certaines situations (dans un contexte de magie, il y a souvent bien plus de libertés qui sont prises). Ce que je veux dire c’est que, dans des situations futures, la technologie pourrait avoir progressé au point qu’il n’existe plus de handicaps significatifs. Pour ne prendre qu’un exemple : des recherches de bio-impression wiki d’organes sont déjà en cours [dans la vie réelle]. Ce n’est pas impensable qu’un jour, des organes (comme des yeux) ressemblant vraiment bien aux organes « naturels » soient créés et utilisés. Dans ce cas, une personne non-voyante serait capable de voir comme n’importe qui, sans désavantages (ni avantages, même si bien sûr c’est possible que, dans ce cas, tout le monde améliore sa vue). Tout ça est très hypothétique, mais si une telle technologie avancée existe dans l’histoire [fictive], c’est difficile de se dire que les [autres] technologies en charge d’aider les personnes handicapées auraient des limites. Pour reprendre l’exemple de Star Trek, je connais mal la série mais je sais qu’il y a des réplicateurs (mentionnés dans un autre de vos articles) : y a-t-il une limite qui rend impossible de [dupliquer et] produire des organes ? (Au passage, si on cultive des organes à partir des cellules du patient receveur, le rejet n’est pas un problème.)
Réponse de Fay Onyx
Ce qui est ou non un handicap est principalement une question sociale et sera tributaire des traitements médicaux disponibles. C’est ce que je veux dire quand je dis que la définition du handicap peut varier selon les circonstances. Par exemple, dans Star Trek, le capitaine Picard a un cœur artificiel. Mais en dehors d’un épisode où il faut le remplacer, il ne vit aucun effet secondaire : je ne le considère pas comme un personnage handicapé.
Par contre, ça me semble important de garder à l’esprit que, même si la technologie s’améliore, l’évolution ne va pas que vers le haut : le développement des antibiotiques a provoqué l’apparition de bactéries résistances, au final les antibiotiques doivent [en réaction] alors être de plus en plus puissants. L’utilisation de la technologie peut créer inévitablement des conséquences. Par exemple, la perte de qualité sonore lorsque l’on est passé des lignes téléphoniques fixes aux téléphones portables. On peut espérer que des progrès pourront améliorer ça, mais le fait est que l’on ne vit pas une amélioration constante, c’est plus complexe.
Cependant, peu importe votre opinion sur la technologie, tous les handicaps ne sont pas des problèmes médicaux qu’il faut corriger ou guérir. Certaines formes de handicaps font partie de la diversité humaine, [une diversité] qui devrait continuer à exister. C’est particulièrement flagrant quand on parle de la diversité des esprits humains. Même dans un environnement avec une technologie médicale parfaite, ou une magie capable de tout et sans effets secondaires, il devrait toujours y avoir des personnes autistes, des personnes avec TDAH [Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (NdT)], des personnes anxieuses et d’autres formes de diversité mentale. Peut-être que ce cadre utopique dispose de meilleurs aménagements et traitements pour certains obstacles liés à la diversité mentale, mais celle-ci sera toujours présente.
Je suis plutôt d’accord avec votre argument sur la diversité mentale qui doit toujours rester présente. Mais dans ce cas, je n’appelle pas ça des « handicaps ». Le mot « handicap » a une connotation parfois négative, ça se focalise sur ce qu’une personne ne peut pas faire. Si ces troubles présentent à la fois des aspects positifs et négatifs, alors ce sont juste des traits de caractère propres à certaines personnes. Mais, si les aspects négatifs sont plus forts que les positifs dans un état – même mental –, pourquoi pensez-vous que ça ne devrait jamais être guéri ?
Encore une autre question : J’ai entendu dire que, par exemple, même s’il y a des personnes sourdes qui ne veulent pas de « remède », les seules qui n’en veulent pas sont en fait celles qui sont sourdes de naissance. Ce que ça sous-entend, c’est que si on perd l’ouïe plus tard dans la vie, on sait ce qui nous manque, contrairement à quelqu’un qui serait sourd de naissance. (C’est une question très controversée mais je souhaite partager l’opinion des autres, je n’exprime pas là ma propre opinion.) Connaissez-vous quelqu’un qui serait devenu sourd et qui ne voudrait pas de « remède » ; ou quelqu’un dans la même situation mais pour un autre handicap ? Si non, qu’est-ce que ça signifie d’après vous ? Je demande par curiosité.
Réponse de Fay Onyx
Utiliser le mot « handicap » pour parler de diversité mentale est compliqué et c’est une construction sociale. Dans une société utopique, aucune personne avec un cerveau [et raisonnement] divergent ne serait considérée comme handicapée, car la société serait accessible. Par contre, le monde réel stigmatise encore ces personnes-là, et [la société] ne fait pas en sorte de les inclure. C’est pourquoi elles sont considérées comme handicapées. La représentation [dans la fiction] est une chose qui compte aux yeux des personnes du monde réel, on juge donc cette représentation en fonction de si elle montre avec justesse ou non le capacitisme vécu par les personnes réelles en situation de handicap. Une fiction parlant de diversité mentale dans une société utopique serait donc une représentation qui a du sens.
Je n’ai pas beaucoup de contact avec la communauté sourde, mais je sais qu’il y a des personnes sourdes qui ne veulent pas de « guérison ». C’est très insultant de dire que c’est parce que ces personnes « ne savent pas ce qu’elles manquent ». Ce que j’ai compris de cette situation, c’est que c’est une question de culture et de langue : si tout le monde aux USA apprenait la Langue des Signes Américaine dès la naissance, alors l’expérience de la surdité dans ce pays serait très différente.
Réponse de Bubbles
Je sais que ce n’est pas le bon endroit pour en parler, mais je voulais répondre à votre dernier argument à propos des personnes sourdes qui ne veulent pas « guérir », car je ne veux pas créer d’incompréhension. J’ai conscience qu’il y a des personnes comme ça. Mais ma question était : toutes les personnes sourdes qui ne veulent pas de « guérison », sont-elles sourdes de naissance ? Ou y en a-t-il qui ont perdu l’ouïe bien plus tard dans leur vie et aimeraient rester sourdes ?
Réponse de Fay Onyx
Comme je le disais, je ne connais pas bien la communauté sourde [et mal-entendante], donc je ne peux pas répondre à votre question, je peux juste vous dire qu’il y a environ 1 million de personnes sourdes rien qu’aux USA. L’idée que tous les individus sourds qui ne veulent pas de guérison soient tous sourds de naissance me semble assez improbable étant donné la diversité humaine et le nombre de personnes concernées.
Pour être honnête, je connais des personnes neurodivergentes [c-à-d qui ont un fonctionnement cognitif différent (13) (NdT)] qui ne sont ni sourdes ni mal-entendantes mais qui trouvent la Langue des Signes plus facile à utiliser que le langage oral, surtout quand elles sont en situation de stress ou de gêne. Il y a sans doute plusieurs raisons qui font qu’une personne ne souhaiterait pas être guérie, même si elle est née entendante.
Si ça vous intéresse d’en savoir plus sur la présence de personnes et personnages en situation de handicap dans la SF et la fantasy, je vous suggère de regarder [le projet anglophone] Disabled People Destroy Science-Fiction. [Un magazine qui a été financé participativement en 2018 (NdT)]. On peut trouver, dans leurs premières actus Kickstarter (en), plusieurs textes écrits par des personnes en situation de handicaps.
Réponse de Dvärghundspossen
Salut Fay Onyx, je viens de découvrir ton blog passionnant.
Je suis sujet à un trouble apparenté à la schizophrénie (je ne coche pas toutes les cases mais ça y ressemble) qui me fait parfois vivre la réalité comme UN VÉRITABLE SCÉNARIO D’HORREUR. Il n’y a RIEN d’amusant. Ce n’est pas une petite différence bizarre ou intéressante qui devrait faire partie de l’humanité, pour contribuer à la diversité. C’est un vrai handicap et ce serait encore un handicap même s’il n’y avait aucun préjugé dans la société.
Ça ne veut pas dire que vivre en utopie n’améliorerait pas les choses. Dans le monde actuel, très imparfait, dans lequel nous vivons, je vais beaucoup mieux, mes symptômes sont bien plus légers et gérables depuis que j’ai trouvé un emploi stable et que je n’ai donc pas eu à faire face à l’angoisse de ne pas avoir d’emploi (l’angoisse amplifie tout [ce que je vis]). Dans une société excellente, je pourrais aller plutôt bien, mais probablement pas aller parfaitement, car je pense qu’au final mon cerveau est juste mal connecté. Mais même si les symptômes légers sont moins problématiques que les symptômes sévères, ils restent problématiques – ce ne sont pas juste une petite bizarrerie sympa qui ferait de moi quelqu’un d’intéressant et de différent des autres.
Je comprends bien que les gens qui parlent de neurodiversité comme tu en parles ont les meilleures intentions du monde, mais ce genre de discours efface en fait beaucoup de ce que peuvent endurer les personnes avec une vraie maladie psychique.
Au fait, pour ce qui est des handicaps physiques, il existe aussi des gens qui disent que ce ne sont que des différences, et qu’aucun état n’est pire qu’un autre, et il y a d’autres personnes qui s’opposent fortement à ce discours en disant que ça ne fait qu’effacer leurs douleur et problèmes.
C’est un jeu délicat d’équilibre [de discours].
Réponse de Fay Onyx
Dvärghundspossen,
Pardonne-moi si tu as eu l’impression que j’ai invisibilisé ton vécu dans mes commentaires. Il me semble que ces commentaires parlent d’un contexte précis où, dans une société future, des remèdes médicaux existeraient pour absolument tout traiter. Dans cette société fictive, tous les handicaps pour lesquels les gens demandent des remèdes seraient donc guéris.
Il y a deux façons de vivre le handicap et d’en parler :
- Comme une limite, qui rend la vie difficile. Comme tu l’as précisé, une société tolérante pourrait aider mais n’empêcherait pas que ce soit un défi permanent [pour vivre avec un handicap] ;
- Comme une différence, qui ne créerait pas de limites dans le contexte d’une société tolérante.
Certaines situations de handicaps ne correspondent qu’à une seule de ces catégories, alors que d’autres rentrent un peu dans les deux. J’ai un problème de dos qui relève clairement de la première catégorie. Mais, certains types de neuroatypie rentrent plutôt dans la deuxième. L’autisme en est un exemple vraiment flagrant : de nombreuses personnes autistes ont énormément insisté pour faire connaître cette vision du handicap, car c’est très important à leurs yeux et pour [partager] ce qu’elles vivent.
Ces deux façons de vivre un handicap existent et sont valables. Je trouve que parler de l’une (limite ou différence) sans mentionner la deuxième donne aux gens l’impression que leur douleur et leur vécu sont invisibles. Excuse-moi si c’est ce que tu as ressenti en lisant cette conversation.
Ce que j’essayais de faire dans ces commentaires c’était de répondre au cas d’une hypothétique situation où les gens qui vivent le handicap comme limite ou douleur auraient un moyen de guérir. Dans ce cadre, je ne parlais donc pas des personnes qui vivent leur neuroatypie comme une différence, qui n’a pas besoin d’être guérie.
En général, parler en même temps de ces deux façons de vivre un handicap et trouver un équilibre est très délicat, surtout dans une discussion qui prend une certaine orientation.
Bunny
Des conseils pour dépeindre un personnage albinos avec respect ?
Réponse de Fay Onyx
C’est toujours délicat de faire des recherches sur un trouble quand on n’a pas beaucoup de vécu personnel dans ce domaine. Ça peut être difficile de voir le lien entre toutes les informations médicales qui sont publiées et la vie quotidienne. L’une des meilleures ressources que je connaisse pour avoir un aperçu de la vie quotidienne des autres, c’est Youtube : il y a une communauté incroyable de personnes en situation de handicap qui y partagent leurs pensées et leur vécu.
Si vous en avez les moyens, je vous suggère de payer les services d’un ou une consultante spécialisée pour vous aider à travailler sur vos idées (je connais plusieurs personnes touchées d’albinisme qui travaillent comme consultantes).
C
En lisant cet article, j’ai immédiatement pensé au personnage [du « Grand Méchant »] Davros dans Doctor Who. Même si j’adore cette série, j’ai trouvé une scène de la saison 9 vraiment gênante : lorsque le Docteur vole le dispositif de mobilité de Davros, son genre de « fauteuil roulant », et c’est présenté comme une farce amusante. [Ce morceau de scénario] était plutôt mal écrit et je pense que les personnes impliquées dans cette scène n’ont compris ni les conséquences, ni à quel point ça n’a rien de drôle de s’enfuir avec le fauteuil roulant, les béquilles, la canne, [ou tout autre dispositif] de quelqu’un. Même si c’est un comportement conforme au personnage du Docteur, cette scène n’était pas nécessaire. Il aurait pu forcer Davros à avancer lui-même son propre fauteuil, sous la menace d’une arme [même s’il est convenu que les ennemis récurrents du Docteur savent que celui-ci a le code de ne jamais se servir d’une arme (NdT)].
Il y a aussi Rocket Raccoon, dans Les Gardiens de la Galaxie, qui dit à Quill de lui apporter la prothèse de jambe de quelqu’un pour plaisanter, et lui demande « Il avait l’air de quoi en sautillant ? ». C’est encore une scène mal écrite, pour la même raison que l’autre exemple. Rocket fait la même chose plus tard dans [le film] Infinity War quand il demande le bras métallique de Bucky. Une fois de plus, ça correspond au caractère de Rocket, mais de mon point de vue ces scènes n’étaient pas nécessaires dans les films.
Ce qui est vraiment gênant, c’est que si je parle de ces deux problèmes, on m’accuse d’être « Social Justice Warrior (14) rabat-joie qui n’aime pas s’amuser ».
Réponse de Fay Onyx
Je comprends ! Depuis une dizaine d’années, les militant·es pour les droits des personnes handicapées ont fait beaucoup pour sensibiliser à la question du capacitisme. Ça commence à bouger dans de nombreuses communautés, mais il y a encore énormément de personnes et groupes de personnes qui ne connaissent même pas les notions de base liées [à la discrimination qu’est] le capacitisme. Quand on s’adresse à ces groupes de personnes, essayer de parler de cette discrimination est difficile.
Réponse de Bubbles
Je ne vous qualifierais absolument pas de « SJW rabat-joie » et vous avez certainement de bonnes intentions. Mais peut-être que les gens se plaignent de vos opinions car, comme vous l’avez dit, les actions font sens au vu du caractère des personnages. Le problème, c’est la façon dont le scénario lui-même parle de ces actions : je pense que les actions des personnages peuvent avoir lieu, mais qu’il faudrait les traiter de façon sérieuse plutôt qu’amusante. Bien sûr, s’il y a d’autres actions que le personnage peut faire à la place, si ça a un sens, on peut les utiliser à la place.
Réponse de Cody
En ce qui concerne Rocket, je crois que le scénario avait été pensé pour montrer que ce personnage est un total abruti et que cette scène avait pour but de le montrer comme un harceleur plus que comme un moment amusant. Même si cette scène précise n’était pas nécessaire, je pense qu’il était nécessaire de montrer que c’était un enfoiré sans respect pour autrui. Ça aurait sans doute pu être montré d’une meilleure façon, mais je crois qu’il fallait ce genre de scène dans les films pour montrer que la façon dont il traite les autres fait partie de ce qui le définit.
Sam Beringer
J’ajouterais [à la liste de l’article] le handicap « tragique/suicidaire » dans lequel le personnage en situation de handicap présente une dépression ou des pensées suicidaires en lien avec son handicap. Un parfait exemple serait Jérôme du film Bienvenue à Gattaca wiki qui montre son amertume vis-à-vis de sa paralysie et qui [attention, divulgâchage !] finit par se suicider à la fin du film.
Ça donne l’impression que le handicap serait un sort pire que la mort, et ça contribue à ce que beaucoup perçoivent les personnes handicapées comme pitoyables. Ça a aussi des conséquences terribles : les personnes souffrant de troubles psychiques, comme l’autisme, ont historiquement souvent été tuées par les personnes chargées de prendre soi d’elles (aidants, aidantes).
Réponse de Fay Onyx
Tout à fait ! Ça me frustre beaucoup de voir le handicap traité de cette façon dans Bienvenue à Gattaca. C’est une des plus mauvaises représentations du handicap.
J’ai un peu hésité à ajouter une catégorie dédiée au handicap tragique/suicidaire, car c’est très intense pour moi d’écrire à ce sujet (beaucoup de célèbres militant·es handicapé·es se sont fait expliquer qu’il aurait mieux valu pour elles et eux d’être morts, c’est vraiment terrible). Au lieu d’en faire une catégorie à part entière, j’en ai un peu parlé dans les autres catégories comme celle du « personnage handicapé sans-défense », mais je parle de d’autres thématiques (comme « le handicap amer » et « le handicap comme métaphore »), des thématiques dont je parle aussi dans d’autres articles sur mon propre site WritingAlchemy.net (en). Plus tard, j’aimerais développer et peaufiner ces catégories dans un nouvel article « Cinq autres représentations courantes et nuisibles sur les handicaps. »
Réponse de Dave L
[Dans la catégorie tragique/suicidaire, il y a le personnage de Star Trek nommé] Work qui a voulu se suicider à cause d’une paralysie, mais en trouvant un remède il a finalement évité la tentative de suicide.
J’ai vu des personnes qui, étant soudain placées en situation de handicap, ont souffert de dépression, voire sont devenues suicidaires. Mais j’en ai vu plusieurs surmonter leur dépression, souvent à l’aide d’une thérapie adaptée.
Mais dire à quelqu’un qui vient de subir un coup particulièrement dur « Ta vie craint. Tu serais mieux mort·e » c’est peu glorieux. On se tourne vers les histoires pour nous inspirer et nous guider. Ou juste pour une heure ou deux de plaisir mental. On n’a pas besoin qu’on nous dise de nous suicider, peu importe la raison. Surtout si on est, à ce moment, dans un état de vulnérabilité.
Si, en raison d’un handicap soudain ou pour toute autre raison, vous pensez être dans un état qui peut vous pousser à vous faire du mal, vous n’avez pas à affronter ça dans votre coin. Consultez les aides disponibles. Il y a [plusieurs organisations et associations capables de vous écouter et vous aider, cherchez « prévention suicide » sur Internet pour en trouver une proche de chez vous ou trouver celle qui vous convient le mieux. Vous n’êtes pas seul·e.]
Bess Marvin
Est-ce qu’Edward Elric, de Fullmetal Alchemist, serait un bon exemple de représentation d’un handicap ? La série animée montre souvent toutes sortes de situations qu’il traverse avec sa prothèse de bras et de jambe, et comment il doit s’adapter à son handicap. On le voit faire de la rééducation physique avant d’obtenir ses prothèses, qu’il doit ensuite entretenir. On voit aussi sa prothèse de jambe être rallongée quand il grandit, et que, quand il va dans un pays très froid, il a besoin d’un nouveau type de prothèse, car son modèle actuel cause des engelures sur sa peau, à l’endroit où la peau est en contact avec la prothèse métallique. Il doit aussi peser le pour et le contre de se battre avec ses prothèses, car elles sont pratiques pour bloquer les coups mais il sait qu’encaisser les attaques peut les endommager grandement.
Réponse de Cay Reet
Je n’ai pas vu cette série mais, d’après ce que tu en dis, ça semble être une bonne façon de représenter un handicap. Les inconvénients ne sont pas passés sous silence, des façons de se réadapter sont montrées (surtout dans le cas où le handicap n’est pas de naissance, que ça survient au cours de la vie), mais il y a aussi des avantages (qui peuvent aussi souvent être passés sous silence). Dans l’ensemble, le personnage a clairement accepté son handicap et fait de son mieux pour en tirer le meilleur possible, ce qui envoie un bon message au public.
William Ablan
Dans mon premier roman de la série des Lawman, on rencontre Will Diaz, un détective qui gère aussi un petit bureau de shériff. Will est sans doute l’un des meilleurs flics qu’on pourrait rencontrer. Il est très fort et rapide. Il est honnête, travaille dur, est un bon mari et un bon père. Mais le handicap de Will est dans sa tête : officier de police depuis des années, il a aussi été soldat et a traversé une guerre, ou deux, ou trois, et ses handicaps se montrent désormais d’eux-mêmes dans sa vie. Will souffre d’un intense trouble de stress post-traumatique (PTSD), mais il apprend à vivre avec. Si vous lui demandez s’il est handicapé, il vous rira au nez. Mais, il souffre bel et bien d’un handicap. Les dommages psychologiques qu’il a subis l’empêchent de vivre ce que beaucoup considéreraient comme une vie normale. Il garde une grande réserve sur ses émotions et est très attentif à qui il laisse entrer dans son entourage proche. Par exemple, en dehors du service, il n’entrera pas dans un bar pour boire. Il considère ces lieux comme son champ de bataille et ce n’est que dans le cadre de ses fonctions qu’il accepte d’y entrer sans problèmes. Mais jamais en dehors de son service.
Il a été trahi de nombreuses fois et il s’est construit comme un mur autour de lui. Il a parfois réussi facilement à s’éloigner de certaines personnes (comme sa mère, son père, son frère, sa sœur et la vie qu’il connaissait). Il est très vigilant sur ce qui l’entoure et, bien qu’il ait appris à ne pas réagir de façon excessive peu importe la situation, il peut sombrer dans l’excès inverse en ne réagissant pas du tout face à un danger. Il y a eu deux évènements dans le premier roman où il aurait pu utiliser la force pour maîtriser un individu suspect, mais il a choisi de ne pas l’utiliser. Son propre psy a fait remarquer qu’il serait peut-être incapable de défendre sa propre vie ou celle de quelqu’un d’autre, et qu’il devrait se pencher sur cette question. Sur ce sujet, ses troubles affectent certainement sa vie.
Réponse de Michael Campbell
J’avais un oncle qui avait combattu au Vietnam. Il ne pouvait jamais ôter ses chaussures, sauf dans sa maison. Il n’a jamais réalisé que ça pouvait être un symptôme jusqu’à ce qu’il se retrouve dans un temple bouddhiste au Vietnam, des années plus tard dans le cadre d’un documentaire, et qu’on lui a demandé de se mettre pieds nus pour entrer dans le temple. Il s’est alors soudain rendu compte qu’il n’arrivait pas à le faire et que c’était dû à une peur irrationnelle. Apparemment, chez les Homo sapiens, la mémoire l’emporte sur la rationalité.
Article original : Five Common Harmful Representations of Disability
(1) NdT : au sujet des signes que votre histoire est discriminante, Fay Onyx recommande l’article Five Signs Your Story is Ableist mythcreants. Les cinq signes mentionnés par l’article sont :
- L’utilisation des handicaps physiques pour susciter le rire, par exemple en jouant de la difficulté d’ouvrir une porte ou tenir des cartes pour un personnage avec un crochet à la place de la main ;
- Le handicap montré comme une terrible tragédie dont il faut absolument se sortir ; par exemple en centrant un film sur – et en créant un contraste énorme entre – la vie réelle d’un personnage handicapé moteur frêle et sa vie virtuelle de héros de guerre ultra-musclé ;
- Le handicap disparaît comme par magie ; par exemple, un personnage handicapé qui ne le reste que pendant un épisode et rien dans l’épisode ne le montre en train de s’adapter et vivre avec, il est plutôt montré comme vivant quelque chose de terrible – mais heureusement hop ça disparaît à la fin de l’épisode !
- Les troubles mentaux et neuroatypiques sont menaçants ; par exemple tous les Méchants sont évadés des hôpitaux psychiatriques – lieux d’abus inhumains ; les « fous » sont violents et dangereux même s’ils sont en fait juste excentriques ou ont des comportements anormaux pas forcément liés à des troubles ;
- Les personnages (plus souvent les ennemis) font semblent d’avoir un handicap ; par exemple cela leur permet de se faire passer pour quelqu’un d’innocent ou fragile jusqu’au moment de la grande révélation. [Retour]
(2) NdT : un handicap mental désigne un arrêt du développement du cerveau et des fonctions cognitives (par exemple la maladie génétique de la trisomie 21 impacte la vie dès la naissance) ; un handicap psychique désigne un trouble invalidant dû à une maladie mentale (troubles bipolaires, dépressions, etc., maladies multifactorielles pouvant se déclencher à tout âge). Les personnages de fiction ont bien plus souvent des handicaps psychiques (sur- et mal représentés et) plutôt que de handicaps mentaux. Voir visuel sur Handeo.fr. [Retour]
(3) NdT : À propos d’énergie limitée, nous vous renvoyons au concept de La Théorie des cuillères : chaque personne a un nombre limité de cuillères (représentant l’énergie). Certaines personnes en ont moins que d’autres et doivent faire des choix dans les actions qu’elles vont pouvoir ou non faire pendant la journée ; les actions (que ce soit se lever, s’habiller, faire la vaisselle, aller discuter, aller travailler, etc.) ont des coûts en cuillères différents les unes des autres. Ce sont en gros des Points d’Action appliqués aux tâches de la vie réelle, et ces Points d’Action ne sont récupérables qu’avec du repos. Cette théorie explicite avec un exemple concret ce que vivent des personnes en situation de handicap, de maladie chronique, de dépression, de grande fatigue ou de neuroatypie par exemple. Pour en savoir plus sur cette théorie, rendez-vous sur la page Wikipedia « Théorie des cuillères. » – [Retour]
(4) NdT : Dans l’article lié Bury Your Disabled du site TvTropes : 4 clichés scénaristiques récurrents où les personnages en situation de handicap finissent par mourir :
- « L’accident » : la personne meurt de causes naturelles, souvent à cause de complications liées à son handicap ;
- « Le meurtre » : elle est tuée de manière violente car considérée comme une victime facile ne pouvant se défendre à cause de son handicap ;
- « Le suicide » : elle ne peut supporter son handicap et préfère la mort à cause de son handicap ;
- « La mise à mort miséricordieuse » : un autre personnage pense (ou l’a entendue dire) qu’elle serait mieux morte que vivante.
Dans toutes ces situations, les scénaristes ont décidé de tuer le personnage handicapé car celui-ci est handicapé. Le but est de créer un moment émouvant, triste, ou choquant : « Oh ce petit enfant chétif en fauteuil roulant était trop bon pour ce monde cruel, sa mort fut une libération pour lui… [Retour]
(5) NdT : Les personnes adultes en situation de handicap ont statistiquement plus de risques de subir des violences (voir « Conditions sociales « dans l'article Wikipédia Handicap). [Retour]
(6) NdT : Dans le film Forrest Gump wiki (1994), le protagoniste du film est un « simple d’esprit » avec, enfant, un appareil lui maintenant les jambes… jusqu’à ce qu’il s’en libère en se mettant à courir pour fuir les autres enfants qui le persécutent. Il traverse ensuite des évènements de l’Histoire des États-Unis où Forrest inspire et sauve à chaque fois les autres personnages (valides) du film.. [Retour]
(7) NdT : Pour Stella Young, le handicap comme étant une source d’inspiration (pour les valides), est du « porno inspirant » où les personnes sont réduites au statut de corps handicapé. Nous vous recommandons de regarder sa conférence TED (en anglais, sous-titrée en français) de 9 minutes : « I'm not your inspiration, thank you very much ». [Retour]
(8) NdT : Sur l’évolution de la représentation des personnages LGBTQIA+ dans les JdR, lire notre traduction de Altersexualité et personnages queer dans les JdR. [Retour]
(9) NdT : L’intersectionnalité est un concept sociologique et militant qui désigne en un seul mot le fait qu’une discrimination ne vient jamais seule : les facteurs sociaux et systèmes d’oppression sont liés les uns aux autres (sexisme, racisme, validisme, etc.). Par exemple et pour simplifier : une femme noire subira à la fois sexisme et racisme, une femme noire transsexuelle vivra encore une autre discrimination, ajoutez-lui un handicap ou une religion minoritaire, et vous obtenez des discriminations subies qui se cumulent. L’exemple des femmes noires est mis en avant dans les luttes féministes afro-américaines, mais on pourrait prendre l’exemple d’une personne âgée handicapée (victime d’âgisme+validisme), ou d’un ouvrier trans gay (transphobie+homophobie+classisme). [Retour]
(10) NdT : et même si la présence d’un personnage différent est peu probable, pensez à ce qu’il peut apporter à l’histoire par sa différence de perspectives, s’il lui est possible d’être là. L’ajout de personnages « maures » dans Robin des Bois, Prince des voleurs et parmi les Vikings du 13e Guerrier renouvelle le genre. Un relecteur de l’article a introduit un PJ samouraï-ambassadeur dans sa campagne de Trois Mousquetaires – et pourquoi pas, il y eut une délégation du Siam en 1686 – avec de très intéressants chocs culturels. Vive la diversité ! [Retour]
(11) NdT : Les appareils qui « font voir » sont nommés « prothèses visuelles ». À ne pas confondre avec « prothèse oculaire » qui désigne un œil de verre (un substitut qui ne permet pas de voir mais qui a juste l’apparence d’un œil pour les personnes à qui il manque un œil – ce qui n’est pas forcément courant : beaucoup d’aveugles ont encore leurs yeux intacts visuellement, parfois c’est juste la rétine qui est abîmée, c’est donc interne et invisible pour autrui). On peut lire l’histoire des prothèses visuelles et une possible évolution de celles-ci sur LesProthesesVisuelles.wordpress.com/introduction. [Retour]
(12) NdT : D’après des scientifiques de Cambridge, certains individus daltoniens seraient capables de discerner plusieurs types de vert kaki, alors que des personnes qui ont leurs cônes rétiniens intacts ne le peuvent pas. Cette information est également mentionnée sur la page francophone Daltonisme wiki. [Retour]
(13) NdT : La neurodivergence, ou neurodiversité, désigne toute personne ayant un fonctionnement neuronal et/ou cognitif différent de la « norme ». Les personnes neuroatypiques peuvent avoir des traits autistiques, mais pas seulement, ce terme inclut également les personnes avec des troubles de l’attention, sujettes à la dépression, ayant un trouble dys, des troubles anxieux, bipolaires, des addictions, de l’hypersensibilité, etc. ; voir l’article Wikipédia « Neurodiversité » pour plus de précisions. [Retour]
(14) NdT : Le terme Social Justice Warrior, souvent abrégé en SJW, est utilisé pour « accuser » quelqu’un qui défendrait à l’extrême ses valeurs. Le terme a pris il y a quelques années une connotation négative, et est maintenant utilisé comme une insulte, allant même jusqu’au harcèlement, envers des militant·es. On vous invite à lire l’article Wikipedia. [Retour]
Pour aller plus loin…
- N’omettez pas les Blessures subies par les personnages, réfléchissez à leurs conséquences sur leurs capacités et leur vie.
- Pensez aussi au fait que les handicaps peuvent être temporaires (c’est le cas de certaines maladies chroniques, qui peuvent laisser un peu de « répit » entre deux périodes intenses pour le corps ou l’esprit). Plus couramment et anodin dans un jeu : les objets et équipements peuvent devenir temporairement handicapants, par exemple une armure lourde est un problème, c’est encombrant et inconfortable. Votre personnage pourrait faire le choix chaque matin de mettre son armure (et être plus lent) ou de ne pas la mettre (et être plus vulnérable et trouver un lieu où la stocker).
- N’oubliez pas que le monde du JdR est un espace où se réfugient de nombreuses personnes en situation de handicap, vous pourriez croiser – sans même le savoir – des rôlistes concerné·es par les thématiques de l’article que vous venez de lire, comme en témoigne l’article Bien jouer avec son prochain.
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