T'as mis du wargame partout dans mon JdR !
© 2015 Troy E. Taylor
Lorsque ma campagne (maison) de Tyranny of Dragons (1) s’est approchée de sa conclusion, j’ai vu qu’on m’offrait une opportunité assez rare dans la narration d’un JdR.
En effet, c’était l’occasion de voir comment pourrait se jouer une bataille entre deux armées au grand complet. D’habitude, les batailles rangées ne servent que d’arrière-plan pour les activités des personnages-joueurs. Mais cette fois, les deux niveaux de l’histoire convergeaient.
Dans cette aventure, les armées rassemblées des dragons du bien et de l’Alliance des Seigneurs allaient affronter les dragons maléfiques et le Culte du Dragon près d’un sinistre volcan endormi nommé le Puits des Dragons [pendant que les PJ essaient d’interrompre l’invocation de Tiamat, la déesse des dragons maléfiques, dits « chromatiques » (NdT)].
Ou, comme l’a observé un des joueurs :
- C’est notre baroud d’honneur, les humains et les elfes unis face aux forces du Mordor pendant que les aventuriers essaient de détruire l’Anneau Unique ?
- Oui, c’est un peu ça.
- Cool !
Le destin des aventurières – allaient-elles réussir à interrompre l’invocation de Tiamat – restait encore à résoudre. Mais le résultat de cette bataille allait quand même jouer un rôle dans la voie que prendraient « mes » Royaumes Oubliés.
Même si Tiamat était vaincue, quelle forme prendrait la Côte des Épées si les plus grandes armées de ses cités étaient battues ? Que se passerait-il si les armées l’emportaient tandis que les PJ échouaient devant la reine dragon ? Gagner la bataille en perdant la guerre devenait assez probable, et problématique.
Et ça, c’est un excellent point de départ pour d’autres possibilités narratives.
Choisir un système
N’étant pas wargamer, j’ai choisi un système de wargame que j’avais déjà dans ma collection. C’était le système The War Machine de la boite D&D Règles Compagnon grog de 1984 (2).
Elle a une version simplifiée, que je pensais suffisante pour mes besoins. En gros, chaque armée est représentée par une carte de personnage avec un score de bataille pré-calculé qu’on ajoute à un d100 à chaque tour de combat.
Comme chaque joueuse dirigeait une armée générée à l’avance, j’ai passé un moment à écrire les caractéristiques de chaque armée. Non seulement ça permettait de différencier les factions entre elles, mais ça a même donné des opportunités de roleplay. Au fur et à mesure de la bataille, on entendait des choses comme « L’armée naine charge tête baissée, bien sûr. », « Mes elfes voudraient tirer des flèches depuis le château flottant », « Ces géants des nuages peuvent chevaucher des dragons, non ? - D’accord, partons là dessus »
Les règles de la 5e édition collent assez bien au modèle de The War Machine. Cependant, comme ces armées apparaissaient à la fin d’une campagne d’assez haut niveau (14 et plus), les dés de vie [une mesure de la puissance des monstres dans D&D, analogue aux niveaux des PJ (NdT)] des diverses combattantes atteignaient le plafond de la mécanique d’échelle de ce système (Je crois que ces règles marchent mieux avec des armées dont les combattantes sont de niveaux inférieurs).
Et pour l’essentiel, on improvisait. Je ne voulais pas ralentir pour vérifier les règles, alors quand une question se posait, on trouvait un consensus et on continuait vite.
Mais il y avait une certaine fraicheur dans cette activité. Essayer un nouveau système de règles, sans s’inquiéter de le suivre au pied de la lettre, c’est libérateur.
Une visite des Contrées du Mitan Occidentales
Un autre sujet était d’introduire le décor de cet immense champ de bataille (plus précisément une série de batailles étalées sur presque 1000 km, du sud d’Iriaebor au Puit des Dragons dans les Contrées du Mitan Occidentales de Féérune). Avec le livret d’univers de la 2e édition des Royaumes Oubliés, je me suis assuré de lire un peu de la description de chaque ville où les armées se sont battues.
Le Général Gardecorbeau se sert du temple abandonné de Waukyne à Iriaebor comme quartier général. Les Capes Rouges d’Asbravn veulent rejoindre la bataille, même si elles sont clairement surclassées. L’armée de Longuebraise traverse le terrain décharné de la Bataille des Ossements. Les Zhents insistent pour que l’armée fasse un détour et brise le siège de Sombrefort. Les halfelins de Bulborp ont vu leur village se faire ravager, mais refusent de déménager vers la ville de Hluthvar, récemment libérée et mieux protégée - parce que bien sûr ce sont des halfelins obstinés.
Ce genre de chose aide à donner du caractère à la bataille, voire souligne aussi que ces armées ne se battent pas seulement pour vaincre le Culte du Dragon.
(J’ai emprunté cette technique à [la série de documentaires sur la Guerre de Sécession] The Civil War, Wiki de Ken Burns. Avant chaque bataille, dont les lieux mentionnés ne sont aujourd’hui plus que des noms pour nous, il décrit un détail important du champ de bataille pour le rendre plus mémorable.)
Comment ça s’est passé ?
Finalement, les grandes armées se sont livré bataille. Les dragons ont surgi dans la bataille de chaque côté et se sont neutralisés les uns les autres. Nous étions surpris de voir combien ce fut rapide et dévastateur. Mais comme les dragons se sont concentrés les uns sur les autres, il n’y a pas eu beaucoup de dégâts collatéraux. (La prochaine fois, je peux vous assurer que le terrain sera lacéré par leur souffle.) Puis vint la boucherie : quand l’infanterie a dû batailler sous un barrage de projectiles et de magie. Et bien que cela se soit joué à peu de chose, l’Alliance des Seigneurs a remporté la victoire. Mais à quel prix ? Toutes les armées des grandes cités-états ont subi de graves pertes. À l’avenir, il faudra s’attendre à un retour du désordre sur la Côte des Épées.
Mais ce sera pour la prochaine aventure.
Si vous avez réussi à incorporer du wargame ou du jeu d’escarmouches dans votre campagne de jeu de rôles, merci de partager ça dans les commentaires ci-dessous !
Sélection de commentaires
black campbell
Beaucoup de jeux se concentrent (à raison) sur les actions des personnages-joueurs plutôt que sur les manoeuvres d’armées et autres. Dans beaucoup de cas je me suis retrouvé à bricoler sur le tas un système de combat de masse pour des systèmes qui n’en avaient pas, pour éviter que ce soit réduit à une simple décision du MJ. Certes, je sais comment je voudrais que ça finisse, et on pourrait se concentrer sur la mission des PJ de [insérez l’objectif stratégique qu’ils doivent accomplir], pour que ce soit leurs efforts qui fassent toute la différence… Mais j’aime l’idée que leur présence sur le champ de bataille pourrait en modifier l’issue, sans qu’elle représente la totalité de la bataille.
Généralement, je prends un système qui prend en compte le nombre de troupes de chaque côté, ainsi que la puissance générale de leurs armes (Et merde, ils ont un tank!). Et faire un jet élémentaire pour voir comment ils s’en sortent les uns contre les autres.
Exemple 1 : dans le système FATE, grog c’est plutôt facile : créez chaque force sous la forme d’un personnage qui aurait un Aspect ou deux que les joueuses pourraient invoquer (après tout, c’est elles qui sont au générique du film) et peut-être leur donner un coup de pouce pour la réussite de leur mission perso : prendre ce blockhaus et sa mitrailleuse, détruire le générateur de bouclier… Jouez ça comme un combat normal, avec un certain nombre de stress et de conséquences. Et bim !
Exemple 2 : Pour notre partie de Battlestar Galactica grog (avec le vieux système Cortex), on a vu plein de batailles avec des nombres énormes de chasseurs qui s’affrontaient. Par simplicité, je fais tirer par chaque camp une attaque contre défense basée sur leurs compétences de pilotage. Si un camp est plus grand que l’autre, je le fais passer à un plus gros dé (Notre groupe aérien d’une cinquantaine de chasseurs affronte un véritable essaim cylon, d’environ 300 appareils… donc un rapport de 6/1. Les Cylons font donc monter leur dé de 1d12, pour leur agilité, à mettons 1d12+1d4, plus leur compétence de pilotage…). Si ça dépasse la défense d’en face, la différence donne le nombre de pertes. On la refait dans l’autre sens pour voir comment se comporte le camp d’en face. J’utilise les règles d’échelle pour avoir une notion du temps : à l’échelle personnelle - celle des PJ - les tours font environ 5 secondes comme d’hab ; mais à l’échelle véhiculaire, des escadrilles etc, les tours durent environ une minute ; et pour les duels d’artillerie entre cuirassés c’est à peu près 10 minutes.
Simple et rapide, pas une simulation super-précise, mais suffisante pour gérer l’action générale pendant que les PJ font leur truc… et sans que la partie s’embourbe.
J’ai fait pareil pour notre partie de Hollow Earth Expedition grog, quand on a vu des forces maoïstes et nationalistes chinoises se battre autour de nous alors qu’on essayait de piller une tombe. Combien de Points de Santé a chaque armée ? Leurs commandants font un jet d’Art de la guerre et le nombre de succès donne la perte de Santé de l’armée. Disons que chaque échange dure environ 15 minutes pour un combat au niveau de la compagnie ou du bataillon, et plutôt 30 minutes à partir de la division. [Pour en savoir plus, black campbell a détaillé son système avec plus de précision sur son blog en anglais (NdT)]
Roxysteve
Par une drôle de coïncidence, j’ai mené ma première bataille rangée à Savage Worlds la semaine dernière, pour le grand final de la campagne Les Derniers Fils grog de Deadlands Reloaded, et mon retour est très mitigé.
Un des joueurs était content. Une autre trouvait ça bof. Le troisième, très bof.
L’expérience ne m’a fait ni chaud ni froid, et j’essaierai d’éviter autant que possible ce genre d’épisode à l’avenir : je préfère partir sur du vrai wargame à petits hexagones (ce qui est faisable à Savage Worlds, mais pas forcément une très bonne idée : j’utiliserai peut-être un vrai wargame pour gérer la bagarre). Il y avait simplement une charge trop lourde sur le MJ (moi) par rapport aux joueurs. C’est moi qui faisais tout le boulot.
De toute façon, mon expérience de joueur a démarré avec les jeux de plateau et les wargames puisqu’il n’existait pas encore de JdR à l’époque (quoique, Diplomatie wiki comptait peut-être, vu la façon dont on y jouait), alors c’était presque naturel de passer par Traveller. On pouvait trouver au début des années 1980 une gamme fournie de wargames dans l’univers de Traveller, alors un combat de masse avait plus de chances d’être joué comme un scénario pour les wargames Dark Nebula ou Mayday. D’ailleurs, on peut encore trouver tout ça en PDF si on veut revivre cet âge d’or.
Je crois que ce qu’il faudrait, ce serait une approche similaire au combat de masse de Savage Worlds, mais qui se jouerait plus comme Trillion Credit Squadron (3), où chaque camp aurait des « pions » représentant de façon abstraite les unités qui se font face. Je n’ai jamais été fan de Trillion... mais après les événements de vendredi à Medicine Wheel [Non, nous ne savons pas de quoi il parle. Peut-être que ce qui se passe à Medicine Wheel reste à Medicine Wheel ? (NdT)], j’aurais envie de quelque chose de plus impliqué que ce que propose Savage World, et qui permettrait une observation directe par tous les belligérants de la situation tactique pour qu’ils puissent intervenir intelligemment.
Deimos
Un article excellent, plein de bonnes idées. En tant que MJ / wargameur / GNiste, j’applaudis des deux mains. Toute bataille doit avoir un objectif ; les deux côtés peuvent en avoir des différents tant qu’ils entrent en conflit. Perdre quelques combats et devoir choisir où déployer ses ressources (aider les elfes dans leurs heures noires, ou soutenir nos alliés nains?), ça peut ajouter beaucoup de tension (Vous avez oublié les halfelins ? Eux ne vous pardonneront jamais).
Ces grandes batailles ont de grands enjeux, mais ce sont aussi d’excellentes opportunités de parler du monde où on joue. Des alliances à l’équipement des troupes, en passant par les généraux, le train de ravitaillement et les soldates de base. On peut en parler, leur parler, voir quels dieux iels prient avant la bataille, de quelles préparations ils ont besoin et comment se porte leur moral.
Le moral des soldates est d’une importance capitale (autant si ce n’est plus que les armes), avant, pendant et après un combat. C’est là que les héros peuvent briller, puisque ce sont des personnalités connues : s’ils se battent au premier rang, ils seront encouragés et célébrés. Si la magicienne renverse la situation à elle seule, elle sera crainte mais respectée. Tandis que si la roublarde mène un raid de nuit, peut-être qu’elle recevra quelques grommellements de respect, mais les honnêtes soldats ne l’apprécieront guère. Si votre cause ne parle à aucun de vos soldats (« Pourquoi on va sauver les nains, d’abord ? Ils partagent jamais la bière ! »), vos chances de succès seront minces.
Au cours d’un combat, les stratégies et les actions décisives sont bien plus excitantes que les nombres et les feuilles de personnages. On peut appliquer la même chose aux héros : je préfère décrire trois tours de combat intense - où ils sont attaqués de toute part, avec la confusion, le bruit et le danger - plutôt qu’un suivi des actions au tour par tour.
Concernant le système, le plus simple sera le mieux. Tire deux dés et prends le meilleur, choisis si c’est un d8, d10 ou d12 en fonction des circonstances et du classique pierre-ciseaux-papier (la cavalerie bat les archers qui bat l’infanterie qui bat la cavalerie), fais trois jets et chaque échec est une blessure / perte de moral, chaque unité ayant 3 PV… N’importe quel système peut marcher, mais s’il est rapide et léger, le combat sera plus facilement rapide et intense.
Article original : Troy’s Crock Pot: You’ve got your wargame in my rpg
(1) NdT : Tyranny of Dragons est une des premières campagnes officielles sorties pour la 5e édition de Donjons & Dragons. Jamais traduite en français, elle est composée des deux volumes Hoard of the Dragon Queen et The Rise of Tiamat ; les personnages-joueurs y combattent le Culte du Dragon qui tente de faire revenir Tiamat, la déesse des dragons du mal. [Retour]
(2) NdT : Au milieu des années 1980, il existe deux versions parallèles de D&D : AD&D, la version avancée voulue par Gary Gygax, et la version basique ou « BECMI » écrite par Frank Mentzer. Cette dernière est publiée entre 1983 et 1985 sous la forme de cinq boites qui suivent la montée en niveau des PJ. Pour accompagner cette évolution des PJ, chaque boite apporte de nouvelles règles : la boite Compagnon traite des niveaux 15 à 25, et introduit les règles de gestion de fief et de combat de masse.. [Retour]
(3) NdT : Trillion Credits Squadron est un « scénario » atypique pour le jeu de rôle space-opera Traveller, où chaque joueuse peut dépenser mille milliards de crédits pour acheter et entretenir une flotte spatiale, transformant le jeu de rôle en wargame interstellaire.. [Retour]

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