Berger sans troupeau

Les années perdues d’un jeune joueur solitaire

Cet article est dédié à ma sœur Sharon, sans la patience de laquelle j’aurais abandonné le JdR il y a des années. 

“OK. Alors c’est moi qui dois faire le Maître de Dragons ?” Cela avait un certain sens à l’époque. Le jeu s’appelait Donjons & Dragons, nous étions deux, alors s’il était le Maître de Donjon, j’étais assez certain que cela ne laissait qu’un emploi pour moi.

Le décor était la salle audiovisuelle du collège, j’étais en cinquième et les règles de D&D s’avérèrent trop complexes pour que mon camarade me les explique pendant la récréation de midi.

Nous revînmes à notre partie de Talisman, mais nos appétits avaient étés stimulés pour toujours.

Fondu enchaîné : une cuisante et chaude journée d’été de la mi-janvier [rappelons que l’histoire se passe en Australie… (NdT)]. La composante monétaire du cadeau d’anniversaire de mes 12 ans froissée dans ma paume moite, mon père avait fait tout le chemin pour me conduire en ville, à la librairie Napoleon Military Bookshop.

En ce temps reculé, c’était le seul magasin en ville qui vendait du matériel pour Talisman, ce que j’étais venu acheter. Et pourtant, pour une raison quelconque, je choisis la boîte rouge à côté de l’extension pour Talisman, celle avec le dragon rouge vif sur la couverture et la déclaration étrange au dos qu’elle permettrait de rendre réelles les visions de votre imagination. Comme sur le chemin du retour, je pressais la boîte lourde et pleine de dés sur ma poitrine, d’une manière ou d’une autre je savais que j’avais trouvé quelque chose de spécial. Quelque chose qui changerait ma vie.

Je lus les livres comme si c’était des tomes vénérables, penché sur eux jusque tard dans la nuit, mon émerveillement et mon excitation grandissant à chaque nouvelle page. Lorsque je lisais le Guide du maître de donjon, j’avais la sensation d’apprendre une sorte de magie, un art secret et mystérieux que seules quelques personnes pouvaient connaître.

C’était aussi un art interdit : le livre du MD était le premier livre que j’aie jamais lu qui conseillait à ses acquéreurs de ne pas le lire ! Lorsque j’atteignis la fin des deux livres, j’avais créé une douzaine de personnages, fait les plans d’un donjon et créé une aventure. Et j’avais été converti aux jeux de rôles pour la vie.

C’est là que je rencontrai un obstacle plutôt grand. Jouer au JdR nécessite d’autres personnes. Et j’étais là, dans l’extase du jeu, impatient de partager mes découvertes – et seul au milieu des incroyants. Je n’avais pas d’autre choix que de convertir d’autres personnes.

Je n’eus pas beaucoup de chance. La plupart des gens ne voulaient pas passer une heure à apprendre un jeu avec deux livres pleins de règles. Ils ne comprenaient pas le concept de jouer un personnage. Même les quelques amis que je réussis à faire au moins essayer n’y firent pas attention, n’accrochèrent pas ou pensèrent que cela n’en valait pas la peine.

J’étais vraiment coincé. Comme résultat, presque toutes les parties que je jouais les deux années suivantes impliquaient moi et soit mon meilleur ami Dan, soit ma malheureuse petite sœur. Ou si nous étions vraiment chanceux, les deux à la fois. Pour survivre aux aventures de base, nous devions généralement jouer trois personnages à la fois. Je me souviens d’une fois où Dan et moi essayâmes de jouer la totalité de la trilogie du Seigneur des anneaux à nous deux. Cela ne marcha pas.

Pour la petite histoire… tour-4C

Bizarrement, j’ai découvert D&D avant de découvrir Tolkien. J’étais à la moitié du Seigneur des anneaux avant de réaliser que les Halflings et les Hobbits étaient la même chose !

Dès lors, mon intérêt pour les jeux de rôles déclina. Il me restait à m’intéresser à la littérature de fantasy (Tolkien m’en détourna pour quelques années), j’étais lassé par les scénarios de baston, et je devenais de plus en plus frustré par le manque de joueurs.

Je commençais à me demander à quoi cela servait d’avoir un jeu tellement formidable si je ne pouvais jamais rassembler assez de gens pour y jouer convenablement. Soudain, les jeux vidéo de SSI comme Champions of Krynn et Heroes of the Lance devinrent bien plus intéressants, le fait que vous aviez toujours six personnages avec lesquels agir n’étant pas la moindre raison. Et ainsi D&D partit dans le tiroir, poussiéreux, mais pas oublié. Je savais toujours que le jeu de rôle allait changer ma vie, j’avais juste besoin de trouver le bon genre, et les bonnes personnes.

Le bon genre arriva sous la forme des Tortues Ninja (Teenage Mutant Ninja Turtles (grog)). Cela remonte à la fin des années 80, une bonne année environ avant que la série télé ne débarque et ne les rende célèbres. Je n’avais pas entendu parler d’elles mais ne fis pas attention parce que le jeu était exactement mon genre : des animaux humanoïdes géants trimballant des uzis et pratiquant le kung-fu au nom de la justice.

C’était le meilleur des BD d’action faciles, exactement ce dans quoi j’étais à 13 ans. Une fois de plus, j’étais de retour dans le jeu de rôle, par la grande porte.

Je produisais personnage après personnage, conçus aventure après aventure, m’immergeais dans le background (je vis même le deuxième film avec Vanilla Ice !). et puis je rencontrais de nouveau exactement le même obstacle – pas de joueurs. À nouveau je dus convertir, et cette fois-ci quelques amis étaient intéressés.

Peut-être que je connaissais plus d’agités du bocal, ou peut-être étaient-ils plus âgés, ou peut-être que c’était l’appel des films – quoi qu’il en soit j’avais à présent deux, parfois trois joueurs réguliers. Nous jouions presque tous les jours à la pause déjeuner, si nous pouvions éviter les bandes de bourrins. Et nous nous sommes amusés à taper bêtement sur des monstres, pendant quelque temps.

Mais alors, nous commençâmes à grandir. Des trucs de binoclards comme les jeux de rôles font de vous une cible facile, et personne n’y tenait autant que moi. Le handball et le foot ont conquis nos pauses déjeuner, et j’en fus réduit à jouer épisodiquement avec Stu dans le train du retour. Et ce, seulement si nous prenions le même train, et nous nous arrangions là aussi pour éviter les bourrins.

Finalement, j’abandonnais aussi TMNT. Oh, je ne cessais jamais d’apprécier le background, ni le punch que je retirais du tirage de personnage ou de la création de scénarios, mais je cessai de jouer vraiment. Trop peu de joueurs, trop peu d’intérêt, trop peu de raisons pour que je persiste à essayer de jouer à des bons jeux. TMNT finit aussi dans le tiroir, et une fois de plus j’étais bloqué. Mais je n’abandonnais toujours pas. Je croyais toujours que le jeu de rôle était quelque chose de bien et qu’il changerait ma vie. Un jour. Peut-être.

Cependant, je me sentais contrarié. Je me sentais comme si j’avais été floué de quelque chose. J’avais trouvé le jeu parfait, mais n’avais jamais croisé plus d’une poignée de gens pour y jouer avec moi, et quasiment personne pour y jouer correctement. Et malgré mes meilleurs efforts pendant ces cinq années, je n’avais jamais eu une seule partie décente, surtout parce que je n’avais jamais trouvé de joueurs satisfaisants.

Des gens qui auraient entendu parler de ce fichu machin, qui seraient dedans, qui prendraient plus soin de leur personnage et de la partie qu’ils ne se préoccuperaient d’obtenir de moi une autre arme magique ou un massacre d‘orques. Des joueurs qui voudraient réellement JOUER ce que je MAÎTRISERAIS, avec exactement le même enthousiasme. Mais je ne les avais jamais trouvés, et ainsi le jeu n’avait jamais atteint son potentiel. Sans joueurs, je n’étais rien ; j’étais un berger sans troupeau, un prêtre sans fidèles, un triste crétin avec un livre de règles, un dé à 20 faces et quelques idées délavées.

Je suis sûr que ce récit est familier à beaucoup de ceux qui ont été les premiers dans leur milieu à découvrir le JdR, et qui ont dû revêtir le manteau de MJ à un âge précoce. C’est là un des problèmes avec les JdR : à moins que vous connaissiez quelqu’un qui joue, votre entrée dans le jeu ne va pas nécessiter de seulement jouer, mais de recruter de nombreuses âmes sœurs prêtes à le faire, et puis de leur maîtriser une partie. Ce n’est pas facile, et ça peut être vraiment ardu, surtout que de nombreux jeunes rôlistes n’ont pas un large cercle de connaissances dans lequel choisir. Si le JdR était à peine moins divertissant, cela n’en vaudrait pas la peine.

Mais mon histoire finit bien. Quelques années plus tard, je devins ami avec quelqu’un qui, ta-dam !, savait ce qu’était le jeu de rôle. Mieux, il jouait régulièrement et il m’invita à le rejoindre ! Le week-end suivant, je faisais pleuvoir la mort dans la peau de Lupis le ranger et je vivais le plus beau jour de ma vie. Je joue avec la plupart de ces types depuis plus de 3 ans maintenant, autant comme MJ que comme joueur. C’est sûr, il se peut qu’ils ne soient pas tous aussi enthousiastes que moi, mais ils sont là, chaque semaine, et nous jouons. Nous nous jouons un rôle. Et j’en ai même rencontré depuis encore plus qui jouent – et jouent intensément, et souvent – et j’ai rejoint d’autres groupes. Maintenant je maîtrise plus que jamais. J’ai obtenu un putain de troupeau, et c’est génial.

Avec eux, je vais dans des lieux nouveaux, j’essaye de nouvelles choses, atteignant de nouveaux sommets de roleplay. Contrairement à toutes les attentes, le jeu de rôle s’est révélé quelque chose d’incroyable, et il a effectivement changé ma vie. Mais de temps en temps je me souviens ce que c’était d’avoir des joueurs mous ou inexistants. Et ces moments-là, je reprends mon exemplaire de Paranoïa (grog) (1) sur l’étagère et rêve de ce que je pourrais leur faire.

Article original : Shepherd without a Flock

(1) NdT : Paranoïa est un jeu qui se passe dans une société futuriste fasciste, où les personnages sont persécutés et tués avec une désinvolture sauvage. [Retour]

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Pour aller plus loin… panneau-4C

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