Modes de jeu cachés et création, la suite
© 2008 Steve Darlington
J’ai abordé dans le précédent article ptgptb le fait que notre loisir de jeu de rôle contient bien plus que l’activité d’interprétation du rôle (roleplaying), et que ce “bien plus” n’aurait en fait rien à voir avec l’interprétation d’un rôle.
Quelques clarifications :
John Wick a finalement reconnu dans son récent article de blog sur D&D 4e édition ptgptb que tous les jeux de rôles n’impliquaient pas forcément de “jouer un rôle”. Certains ne sont pas loin d’un Talisman [un jeu de plateau à l’ambiance fantasy, premier produit dérivé du JdR (NdT)]. Avec des dialogues. Certains ne sont même que ce genre de choses. J’avais déjà abordé le sujet en 2000 dans cet article ptgptb. Le loisir du jeu de rôle rassemble beaucoup de tendances, depuis le wargame [à l’échelle de] l’escarmouche jusqu’au théâtre expérimental.
Mais il y a une définition encore plus étendue car ça, c’est la définition active. C’est la définition de “ce que font les gens qui s’assoient autour d’une table et essayent de faire du JdR”. Même si cela inclut de raconter des conneries et de faire des blagues en citant les Monty Python.
Mais il y a encore d’autres volets dans le loisir du jeu de rôle. Des choses comme créer de multiples personnages, écrire leurs historiques et les dessiner. Il y a aussi discuter de JdR sur les forums. Et, encore plus important bien sûr : lire des jeux.
Donc voici une définition vraiment utile et pratique de ce que faire du jeu de rôle peut être : c’est TOUT ce que les gens font qui est associé, entoure et encourage l’achat et la possession de produits étiquetés “JdR”.
Bien sûr, cela nous laisse avec un concept indéfini de “ce que l’on appelle JdR”, mais laissons ça de côté pour le moment.
Ce que j’essaie désespérément d’expliquer, c’est que d’un point de vue marketing (qui est pour moi le plus important), il est vital d’inclure tous les usages que l’on fait des JdR. Car c’est le marché qui définit cela. Si une majorité de gens qui achètent les JdR les lisent plutôt qu’y jouent, alors les JdR doivent absolument répondre à cela. En effet, si la majorité des gens achetant des jeux de rôles les utilisent pour caler leurs portes plutôt que pour y jouer, alors vous pouvez me croire sur parole, vous feriez bien de sortir un JdR avec un Unique Pouvoir Amélioré de Butoir de Porte, et des Protections de Cale-Porte Ajustables.
Bien sûr, les grandes gammes le savent déjà. White Wolf a compris il y a bien longtemps que les joueurs voulaient de jolis livres à contempler dans leur salon quand ils ne jouaient pas, et ils ont réussi grâce à cela. D&D est un peu comme un jeu de cartes à collectionner : une partie du jeu est la construction du deck, ou plutôt la construction du personnage, pour avoir le meilleur deck… personnage. C’est sympa de voir que la comparaison avec les JCC a déjà été mentionnée dans la 4e édition. C’est aussi rassurant que la 4e édition se concentre intensivement sur Ce Que Font Vraiment les Joueurs, plutôt que d’essayer de concevoir le jeu sous n’importe quelle autre perspective.
En bref : savoir concevoir un jeu en ayant le client à l’esprit est la compétence la plus vitale qu’un éditeur de jeu puisse posséder, avec un bon marketing. Et les JdR sont ce que le marché veut qu’ils soient ; ils sont ce qui fait vendre le plus d’exemplaires. Plus les éditeurs penseront de cette façon, plus nous aurons de D&D et de Monde des Ténèbres.
Alors peut-être pourrait-on entériner la Théorie de la Conception de Jeu selon Steve Darlington : “La Meilleure Conception de Jeu est la Conception qui fait vendre le plus d’exemplaires.”
Espérons que je devienne célèbre pour cela…
Sélection de commentaires
Dalziel_86
Avec cette définition étendue, si on inclut les JdR sur table joués par OpenRPG, ou d’autres logiciels similaires de conférence [par le Net], alors la distinction entre JdR sur table et JdR en ligne multijoueurs disparaît complètement.
Ash1977law
Pas complètement. Une fois que l’on pourra utiliser OpenRPG pour partager un paquet de chips avec ses potes et leur jeter des dés dans la figure, alors on pourra dire qu’il n’y a pas de distinction – mais pour l’instant ils sont aussi distincts que les romans le sont des films – un média complètement différent, ce que dit Steve. OpenRPG et ses assimilés sont utiles pour tous les aspects du JdR qui se déroulent “sur la table” mais il y a bien plus que ces aspects dans le jeu de rôle – ce qui se passe “autour de la table” est tout aussi voire plus important.
JoeDizzy
Si je te comprends bien, tu es en train de dire que les gens savent ce qu’ils aiment et que les concepteurs de jeux devraient les suivre. Je pense que c’est un de ces petits mensonges que les joueurs aiment à se raconter : “Je sais ce qui est amusant pour moi. Et donc, par extension, je peux exclure tout ce qui n’est pas amusant pour moi”. Je ne pense pas que ce soit vrai ou tout du moins, que cela soit si simple.
Cela va de soi bien sûr, que quand je m’assois à une table pour jouer, c’est moi qui décide si je peux dire si c’est amusant ou non. Mais cela ne me donne aucun pouvoir pour prédire si j’aimerais jouer à quelque chose de radicalement différent. Je peux procéder par déduction, mais cela ne serait pas plus fiable.
C’est pourquoi je pense que la plus grande force d’un éditeur de jeu, c’est de vouloir expérimenter de nouvelles choses que peut apporter un JdR, par opposition à simplement affiner ce qu’il fait déjà. Le prochain “grand coup” – et je ne parle pas des chouchous [expérimentaux ? (NdT)] de RPG.net – déclenchera probablement un changement fondamental de nos attentes vis-à-vis du jeu de rôle. Tout comme Gygax et Arneson ont introduit des éléments fantastiques et de la continuité (et par extension quelque chose ressemblant à une histoire) au wargame avec figurines, ce qui a changé notre compréhension du type de plaisir que l’on peut prendre avec ces éléments. Ce pourrait être une avancée vers le JdR solo, même si je ne l’espère pas. L’un des éléments clés qui définit le JdR sur table a toujours été son aspect social. Mais qui sait… peut être y a-t-il, là également, un plaisir caché inexploité.
Steve Darlington
La création spontanée peut provenir de concepteurs de jeu complètement isolés. Mais tout ce qui ne prend pas appui sur une base de consommateurs est condamné à un moment ou à un autre ; et c’est des consommateurs que peut – et dans la réalité va – souvent provenir la création spontanée.
King Leonard
Une des choses que j’ai remarquées avec intérêt c’est qu’il est question de la “Théorie de la Conception de Jeu de Steve D”, mais pas de la conception de jeux de rôles. Et même si, sous cette forme, on pourrait la trouver réductrice car trop démagogique [ou affreusement commerciaaaale-capitaliste (NdT)], cela pose la question “Mais où exactement se termine le JdR et où commencent les autres jeux ?” De plus, y a-t-il vraiment un intérêt à faire une telle distinction ?
Quand on regarde l’univers émergent des ARG (1), on y trouve des aspects que l’on ne peut quasiment pas distinguer de ce que nous appelons “jeux de rôles”, mais que Dieu vous garde si vous allez dire cela sur un forum ou un blog dédié aux ARG (ils deviennent limite impertinents quand ils disent être tachés par des microbes de geek – quelle ironie !). De façon similaire, un jeu vidéo sur téléphone portable qui superpose une mécanique narrative et d’interprétation de personnage sur un simple jeu du style “Alignez trois objets de la même forme” amène des questions similaires sur la nature du jeu de rôle. Qu’est-ce que les échecs, si ce n’est la simulation des batailles perses ?
Je crois que l’une des meilleures choses que les JdR puissent faire, comme on l’a mentionné ici précédemment, est de sortir de la structure qu’ils se sont eux-mêmes imposés. Ils doivent se penser comme faisant partie du monde plus large des jeux, que cela soient les JdR en ligne multijoueurs dernier cri, le nouveau monde des ARG, les JdR traditionnels, ou même les trucs que l’on peut trouver chez le [magasin de jeux de société traditionnels] Hoyles. On peut être quasiment sûr que c’est comme cela que la plus large communauté des joueurs non-rôlistes les perçoit.
Steve Darlington
Ceci est contredit par la Théorie de Management des Jeux de Steve Darlington, qui dit que la meilleure stratégie d’une entreprise est celle qui m’emploie le plus longtemps.
Article original : Following on from the last post…
(1) NdT : Les ARG (Alternate Reality Game) sont des jeux de “réalité alternative” wiki qui se basent sur le monde réel, en interaction avec les nouvelles technologies (multimédia, e-mail, téléphones mobiles). [Retour]
Pour aller plus loin…
Cet article est rassemblé avec d'autres articles sur le même thème, dans l'ebook PTGPTB n°17 -Écrire son jeu de rôle.
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