Comment écrire un JdR Mythique du Nouvel Âge Réminiscent
© 2002 Jonny Nexus
Critical Miss, le magazine pour les rôlistes dysfonctionnels, présente…
Devenez connu comme le Loup Blanc
Vous vous demandez probablement ce qu’est un Jeu de Rôle “Mythique du Nouvel Âge Réminiscent”. En fait, ce n’est pas un terme consacré. Nous (I) l’avons inventé. Nous aurions pu donner à cet article un titre plus spécifique, mais alors nous aurions pu être attaqués en justice. Bon…
Disons que vous voulez écrire un JdR. Et on va dire que vous n’avez pas des tonnes de créativité ou d’inventivité. Vous voulez donner aux gens ce qu’ils veulent. Ou, plus précisément, vous voulez trouver quelque chose dont les chiffres de ventes indiquent qu’il offre déjà ce que les gens semblent vouloir, et leur donner un truc qui y ressemble.
Cet article est pour vous. Voici un guide simple pour écrire en quinze étapes un JdR “Mythique du Nouvel Âge Reminiscent” (II). Nous l’avons illustré par un exemple de concept de jeu, encore que je me sois arrêté à la moitié parce qu’il utilise des stéréotypes assez douteux et en toute franchise, j’ai perdu courage. [NdT : Votre traducteur dévoué, ne reculant devant aucun sacrifice, s’est lui-même fendu d’un exemple tout aussi douteux mais qu’il a mené jusqu’au bout, lui !]
Étape 1 : le Thème du JdR est les Personnages qui sont joués
Dans la plupart des JdR, le thème est lié soit à un univers, soit à un genre. Ainsi à D&D vous pouvez jouer n’importe quel personnage d’heroic-fantasy. Dans Star Wars, vous jouerez dans l’univers de la Guerre des étoiles.
Mais dans un JdRMdNAR, le thème du jeu est que vous jouez tous des personnages d’une certaine nature, que ce soit des magiciens, des rats (III), ou des vendeurs de contrats d’assurance au rabais. Typiquement, c’est une sorte d’“espèce”, mais ça peut aussi être un rôle.
Étape 2 : Appelez le “Quelque chose : l’Autre chose”
…où le “quelque chose” est le type de personnage que vous jouez.
L’“Autre Chose” n’a pas vraiment besoin d’avoir une signification quelconque. Elle est là parce que, en général, vous ne pouvez pas déposer l’appellation “Quelque chose” en tant que telle.
Il est difficile de déposer un mot comme “Magicien”, parce que c’est un mot de tous les jours. Mais vous pouvez déposer une phrase que vous avez composée vous-même, comme “Magiciens : la Guerre Magique”.
Étape 3 : Placez-le dans un monde presque comme le nôtre
Cette étape est cruciale. Votre JdRMdNAR ne doit pas se dérouler dans un univers de fantasy ou de science-fiction. Il sera sur Terre, dans le présent ou un futur proche.
Sauf que ce ne sera pas tout à fait comme notre Terre. Il sera assez proche pour que les joueurs soient un tant soit peu familiers avec l’univers, mais suffisamment différent pour qu’ils aient besoin d’acheter des “Guides” pour chaque région géographique que vous publierez.
En surface, c’est notre monde, mais dans ses profondeurs une société parallèle est cachée aux yeux des gens normaux (c’est-à-dire, fondamentalement, tous ceux qui ne font pas partie des “Quelque chose”).
Cette société a ses propres règles, ses propres dirigeants, ses propres lieux d’intérêt. Les membres de cette société (c’est-à-dire, les “Quelque chose”) connaissent la vraie vérité du monde. Les autres n’en ont foutrement aucune idée.
La beauté de tout cela est de permettre aux joueurs de fantasmer que notre monde réel est en fait le monde du JdRMdNAR, que les “Quelque chose” existent là dehors, ce qui rend l’expérience du JdR plus prenante. Bien sûr, le désavantage est que des joueurs perturbés commencent à penser que le monde réel est réellement le monde du JdRMdNAR, et soient amenés à de hideuses fautes de goût vestimentaire.
Étape 4 : avoir un Objectif “Global”
Il ne suffit pas de créer un simple univers où les personnages luttent pour atteindre leurs buts, quels qu’ils soient. On n’est pas à Traveller grog. Il doit y avoir un objectif global quelconque au jeu. Les “Quelque chose” ne font pas qu’exister. Leur existence à une signification (c’est la Signification, avec un grand S).
Il ne faut pas en faire trop. Les joueurs doivent croire que les personnages qu’ils jouent sont vraiment très importants. Plus le principe en est absurde et grotesque, mieux c’est. Et si vous pouvez les relier à un mythe ou une religion existants, si possible de façon tordue, c’est encore mieux.
Mais nous avons probablement donné trop de règles, et pas assez d’explications. Commençons par construire notre propre exemple.
NOTE : le but de l’exemple ci-dessous est de faire une satire de la tendance qu’ont certains éditeurs à prendre des cultures, des gens, des légendes ou des détails parfaitement normaux, peut-être même communs, et à les Signifier avec un grand S (c’est-à-dire leur associer un niveau cosmique de signification). Nous avons choisi un groupe particulier pour cette caricature. Il n’y a là aucune intention d’attaquer ce groupe d’aucune façon [d’ailleurs le traducteur est lui-même dépendant de l’État].
Étape 1 : les Personnages
Dans notre jeu, les joueurs interpréteront des Fonctionnaires, un ancien peuple qui a coexisté avec le reste de l’humanité depuis l’aube des temps, ou du moins depuis la première circulaire administrative.
Étape 2 : le Nom
Nous appellerons notre JdRMdNAR “Fonctionnaires : l’Admynistration”.
Étape 3 : l’Univers de jeu
C’est un monde comme le nôtre. Mais prenez la mauvaise file d’attente, entrez dans le mauvais bureau et vous découvrirez un monde étrangement différent. Il sera plein d’hommes et de femmes, mais pas d’hommes et de femmes tels que vous les connaissez. Ils sont affairés, indifférents. Ils parlent un langage qui semble fait de mots existants mais qui mis ensemble n’ont aucun sens. La seule chose que vous comprenez est “Revenez demain avec le bon formulaire”. Et après 16h00, ils disparaissent tous comme par enchantement pour réapparaître le lendemain matin à dix heures…
Étape 4 : l’Objectif Global
Alors prenons la Bible, faisons-lui faire une rotation de 180 degrés et tirons-en quelque chose de vraiment stupide.
Au début il y avait le vide. Et le vide était sans forme. Visiblement, il était vide. De toute façon, Dieu – suivant un plan stratégique d’implémentation en 6 jours – se rendit responsable de la création de l’univers, du monde et de l’homme.
Désolé, je dois trop bavarder avec les gars du marketing. J’essaye encore.
Dieu créa le monde, et nous avec. Cela lui prit six jours.
(Je vous passe le détail long et ennuyeux de tout ce qu’il a dit. Si nous écrivions un JdRMdNAR, nous aurions fait une bande dessinée au début pour expliquer tout le bazar, mais nous ne sommes pas en train de la faire, nous n’avons pas de BD, alors basta !)
Les hommes se multiplièrent, et ce fut rapidement un beau bordel. Dès qu’ils étaient en groupe (c’est-à-dire plus de deux), les hommes n’arrivaient plus à s’entendre, et tôt ou tard se mettaient sur la gueule. Dieu leur passa bien une petite douche froide pour les calmer, rien n’y fit. Alors il convoqua un de ses plus zélés serviteurs, Maurice (ce qui était son nom de code : son nom public était Moïse, qui passait mieux à l’époque). Il lui confia le Journal Officiel Divin, qui était composé de 333 tablettes de pierre contant tous les règlements, lois, circulaires et autres amendements qui devaient permettre la bonne entente des hommes sur Terre. Mais Maurice/Moïse jugea que le monde n’était pas encore prêt à recevoir cet enseignement d’un seul coup, et que 333 tablettes de pierre étaient bien trop difficiles à transporter en bas du Mont Sinaï. Aussi en descendit-il 2 à charge de preuves. En secret, il confia les 331 autres à un ordre secret : l’Admynistration, dont les membres étaient les… Fonctionnaires.
Depuis, les Fonctionnaires distillent peu à peu cette connaissance à l’humanité et la guident vers la Société Parfaite, envers et contre tous les désordres de l’Histoire, les adversaires diaboliques qui œuvrent contre cet Objectif et contre tous les plans de diminution de leurs effectifs et autres réductions de budget.
Étape 4a : Contredites l’Objectif Global
Plus tard, vous pourrez sortir d’autres jeux qui se passent dans le même univers, mais dont les Objectifs contredisent l’Objectif du premier jeu. C’est-à-dire que si les personnages ont une appréhension correcte des Pourquoi du monde qui les entoure, ils ont tort dans un autre jeu.
Dans “Retraités : la Cacochymie”, les personnages incarnent des Retraités qui savent que la seule chose qui peut sauver le monde est le Retour au Bon Vieux Temps.
Étape 5 : Un Ennemi Puissant
En lien avec l‘Objectif global, il doit y avoir un peuple, une race ou une entité qui luttent contre l’Objectif quel qu’il soit.
Les Ennemis éternels des Fonctionnaires sont les Libéraux, qui pensent que l’Admynistration est une cabbale monstrueuse qui pousse le monde vers la Stase totale. L’Objectif transcendantal des Libéraux est de… gagner plus de pognon.
Étape 6 : Créez des Groupes/Tribus/Clans/Sectes/Guildes…
Vous devez créer un certain nombre de groupes au sein de l’univers de jeu, chaque personnage n’appartenant qu’à un seul de ces groupes. Le choix du groupe n’influence pas seulement le rôle du personnage dans le monde, mais aussi la personnalité, les capacités et les buts du personnage.
Il y a une raison très importante pour laquelle vous devez avoir plusieurs groupes. Cela vous permettra de publier des Guides du joueur (appelés aussi splatbooks (1)) pour chaque groupe, et de multiplier vos ventes d’autant. Et une fois que vous avez fait le tour des groupes, vous pouvez même écrire un livre pour les personnages qui n’appartiennent à aucun groupe (vous aurez besoin d’un nom spécial pour ces personnages, comme s’ils formaient une sorte de… groupe).
Les Hénarques n’appartiennent à aucun groupe en particulier, mais forment une cabbale secrète qui s’infiltre dans les autres groupes.
Premièrement, vous devez donner un nom aux groupes.
Au début les Fonctionnaires étaient unis mais, avec le temps, ils se sont scindés en différents Mynistères.
Ensuite, venez-en aux groupes eux-mêmes (il vous en faut au moins une demi-douzaine, sinon plus). Nous ne donnons pas ici la liste complète des Mynistères, mais voici quelques exemples.
Les Postiers : ce sont les messagers de l’ordre et leur influence s’étend partout à travers le pays, jusque dans les plus petits villages. Un Postier est jovial et aime bien boire un petit coup en passant. Mais juste un.
Les Contrôleurs : ils sont les gardiens de l’Admynistration, s’assurant que chacun a bien les autorisations nécessaires pour faire ce qu’il fait. Un Contrôleur est austère et sévère.
Les Conducteurs : ce sont les pilotes de l’ordre. Ils sont les seuls à maîtriser les différents moyens de locomotion. On ne les voit que rarement car ils sortent très peu de leurs cabines de commande. Un Conducteur est mystérieux et en retard.
Étape 6a : Le Groupe Disparu
Il y a toujours un groupe qui n’existe plus, et qui est aujourd’hui entouré de mystère et de légende.
Il y a longtemps, le Mynistère des télécommunicateurs s’occupait des transmissions au sein de l’Admynistration. Mais il a été démantelé par une violente attaque des Libéraux et seuls les Postiers ont survécu. La seule trace qu’il reste aujourd’hui des Télécommunicateurs est un abonnement téléphonique indéchiffrable, outrageusement cher dont personne ne sait exactement à quoi il sert. Des rumeurs courent sur le fait que les Libéraux prépareraient une nouvelle offensive sur les Postiers survivants.
Étape 6b : Le Groupe Maléfique
Il y a toujours un Groupe Maléfique (dans notre exemple un Mynistère) qui travaille activement contre l’“Objectif” décrit à l’étape 4 (de préférence, il travaille pour les Ennemis définis à l’étape 5).
Le Mynistère du Budget est censé gérer l’argent de l’Admynistration. En réalité, il est corrompu et travaille pour les Libéraux à réduire toujours plus les fonds disponibles pour les autres Mynistères.
Étape 7 : Pouvoir Exceptionnels
Les personnages – qui, après tout, sont tous membres d’une race ou d’un peuple spécial – ont des capacités plus nombreuses et plus puissantes que les gens normaux. Votre but est essentiellement que les Grosbills puissent ignorer tous les aspects “Angoisse existentielle”, “Objectif” ou “conflit moral” de l’univers de jeu, et puissent créer des bêtes de combat à la place.
Les Fonctionnaires ont plus de RTT que les autres et une meilleure retraite (comparativement à leur salaire), ainsi que dans certains cas, des pouvoirs propres à leur Mynistère (les EDFiens ont un rabais sur leur facture d’électricité, les Conducteurs ont des billets gratos…). Tous les Fonctionnaires ont le puissant pouvoir de Grève. Il leur permet de plonger leurs adversaires (tout le monde, en fait), dans une stase intemporelle.
Étape 8 : pas d’Avantages ni de Désavantages
De nombreux JdR utilisent le concept d’Avantage/Désavantage pour donner du relief au personnage. Ce n’est pas le cas pour un JdRMdNAR. Vous ne devez pas inclure de telles règles dans votre livre de base.
Elles trouveront leur place dans le Guide du joueur que vous sortirez trois mois plus tard.
Étape 9 : Faites une fiche de personnage pourrie
Ne vous préoccupez pas de faire une fiche de personnage particulièrement utile dans le livre de base.
Vous pourrez toujours en publier une meilleure dans le Guide du joueur, et des fiches encore meilleures dans les suppléments dédiés aux différents groupes.
Étape 10 : Employez une terminologie archaïque
Lorsque vous écrivez vos règles, la dernière chose à faire est d’appeler un chat un chat. Le dictionnaire des synonymes est votre ami.
Si vous voulez un attribut qui mesure la force, ne l’appelez pas “force”. Trouvez un mot obscur à la place, qui n’est plus utilisé dans une conversation courante depuis le XVIIe siècle.
Dans Fonctionnaires : l’Admynistration, l’attribut pour la force s’appelle la Fougue, on appelle l’intelligence, l’Esprit, et l’habileté est renommée la Grâce.
Étape 11 : N’appelez pas le groupe des personnages un “groupe”
N’appelez jamais le groupe, un “groupe”. Utilisez un nom classieux à la place.
Dans Fonctionnaires : l’Admynistration, les personnages forment un Kabinet.
Étape 12 : Phrases Accrocheuses
Dégottez quelques phrases accrocheuses pour décrire le jeu, quelque chose de poétique, peut-être de l’époque de Baudelaire.
Les risques du métier : son menton a soudainement quitté la paume de sa main droite posée grâce à un coude et sa tête est venue frapper lourdement le bureau. Une fois encore, un fonctionnaire s’est tué au travail. [Les Nuls, presque à l’époque de Baudelaire]
Étape 13 : GN
Sortez plus tard une version GN (2) qui utilise la règle de Pierre-papier-ciseaux wiki.
Étape 14 : les T-shirts
N’oubliez pas de sortir des T-shirts, avec des dessins obscurs du livre de règles. Dans la seconde édition remplacez les illustrations douteuses (mais éventuellement les plus croustillantes) par celles qui peuvent faire vendre.
Étape 15 : la Deuxième Édition
Et enfin, la deuxième édition. Assurez-vous que la première édition contienne suffisamment d’erreurs et de limitations pour pouvoir lancer une deuxième quelques années plus tard.
Article original : How to write a “New-Age Mythic” game
(I) NdA : Merci aux divers membres de l’équipe qui ont contribué par leurs réflexions et leurs idées. [Et pour la trad du titre, à la parodie des Inconnus sur la secte du grand $kippy, nous guidant vers “une totale liberté d’esprit cosmique vers un nouvel âge réminiscent” et file ton pognon. (NdT)] [Retour]
(II) NdA : À partir de maintenant, nous le remplacerons par le sigle JdRMdNAR. [Retour]
(III) NdA : J’avais écrit ça pour rire, mais j’ai découvert depuis qu’une célèbre maison d’édition proposait vraiment un supplément qui vous permet de jouer un rat. [Retour]
(1) NdT : De to splatter (éclabousser, répandre). Désigne la myriade de suppléments archipointus avec lesquels vous allez inonder les étagères des collectionneurs. [Retour]
(2) NdT : Deux exemples vécus d’une partie de GN Vampire avec Mes mésaventures de Grandeur nature ptgptb et Toujours plus de mésaventure de Grandeur Nature ptgptb. [Retour]
Pour aller plus loin…
Cet article est rassemblé avec d'autres articles de considérations sur le thème de la création de JdR dans l'ebook PTGPTB n°17 -Écrire son jeu de rôle.
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