Mon Meccano pour votre campagne

Structure. C’est mon grand leitmotiv pour le JdR ces temps-ci, le concept qui m’intéresse le plus : comment améliorer la “forme” d’une campagne. Comment contrôler l’évolution des personnages, de l’intrigue, de l’interprétation ; comment tout mettre en place avant que la campagne ne commence, pour qu’elle n’ait plus besoin que d’une légère poussée de temps en temps. On peut envisager la question de la structure dans tous les aspects d’un JdR, la création de personnage par exemple – que sont les classes et niveaux sinon une structure déterministe qui modèle et guide la construction et l’évolution des PJ ? Dans cet article, toutefois, je m’intéresse surtout à la création d’intrigues – comment utiliser les idées et principes de l’écriture de fiction et de l’écriture de scénarios pour développer et élaborer une campagne avant même que la première séance ne commence.

(Je crains que cet article ne traite des campagnes avec des intrigues et des drames. Si vous préférez les parties réalistes et sans intrigue, je doute que vous vous amusiez beaucoup en lisant ceci. Merci néanmoins de m’avoir consacré votre temps.)

Voler aux films

Alors que toute écriture solide de fiction dépend, dans une certaine mesure, de la structure, le domaine dans lequel la structure est appliquée le plus vigoureusement est probablement l’écriture professionnelle de scénarios de cinéma. On a écrit des livres rien que pour expliquer comment structurer et dessiner une intrigue, en particulier Screenplay de Syd Field. Ce livre contient des instructions définitives et incontestables sur le moment où placer les événements dans un film, à la minute près ! Même à un niveau moins poussé, beaucoup de grandes maisons de production comme Disney apprennent à leur scénaristes et metteurs en scène à suivre certaines structures, et à ne s’essayer à s’écarter des lignes directrices qu’avec précaution.

Pourquoi cette insistance sur la recette ? Parce que ces recettes et ces techniques ont prouvé, à maintes occasions, qu’elles plaisaient au public. Ce sont ces structures qui nous donnent des films amusants, mémorables – que ce soit des divertissements légers ou de l’art sérieux. Touchez à cette recette, et les gens ont l’impression qu’il manque quelque chose ; ils parlent d’une “fin insatisfaisante” ou d’un “second acte poussif”.

En JdR, bien sûr, nous avons plus de possibilités de nous amuser et d’expérimenter, ne serait-ce que parce que les auditeurs sont aussi les acteurs, les scénaristes et les metteurs en scène du film que nous construisons à la table de jeu. En particulier, nous pouvons être plus audacieux dans nos intrigues. Je n’ai jamais maîtrisé une campagne que Disney aurait approuvé quel que soit le public. Mais ces idées de structure peuvent encore être utiles, et en les étudiant – et en regardant beaucoup de films – les MJ peuvent toucher les joueurs à un niveau plus ou moins inconscient et rendre la campagne plus motivante et plus satisfaisante.

La Cité de l’oubli

Comme exemple, je vais construire une campagne utilisant ces méthodes au fur et à mesure.

Je vais m’attaquer à une sorte de campagne d’“horreur – super-héros”, prenant des idées à Batman, Spawn, aux pulp comics (1) et au Monde des Ténèbres de White Wolf. Cela se passera dans une ville sombre, dangereuse : La Nouvelle-Jérusalem – pleine de crime organisé, de méchants monstrueux et de héros tout aussi monstrueux, de créatures hideuses et de mystère.

Je vais également inclure un peu de mysticisme et des thématiques chrétiennes, parce que je suis fasciné par la religion. Cette mégalopole sera, dans un futur proche, le lieu de l’Armageddon, la confrontation finale entre Paradis et Enfer. Les PJ feront partie des super-héros bizarres de la ville, et ce seront eux qui décideront de l’issue finale.

Début, milieu et fin

Il y a un indice là – “issue finale”. Parce que la première chose que vous devez faire quand vous commencez à concevoir la structure de la campagne est de décider comment elle se termine (2).

Ce genre de planification est très similaire à la construction d’une maison. Ce peut être une grande maison : elle peut avoir trois étages, une cave, et une piscine. Mais à un moment donné, vous devez arrêter de construire : vous devez poser un toit dessus et rentrer dedans. De la même manière, vous ne pouvez pas structurer efficacement une campagne dont la fin est ouverte, parce que vous ne cesserez jamais de construire une telle campagne. Ces types de parties n’ont pas besoin de structure : elles nécessitent un grand terrain de jeu, ouvert et plein de possibilités, chacune d’elles pouvant être considérée [autrement dit un bac à sable (NdT)]. Avec une campagne structurée, vous rassemblez les meilleures possibilités, les plus intéressantes et vous les apportez dans la nouvelle maison.

Donc nous devons commencer par les bases. Début, milieu, fin : où nous commençons, où nous aboutissons, et comment nous y allons. Vous devez avoir une idée des trois – vous ne pouvez pas vous contenter d’ignorer le milieu. C’est l’erreur la plus facile à faire, un problème que j’ai avec la plupart de mes créations et de mes écrits.

Le début comporte à la fois l’arrière-plan de la campagne et sa “scène d’ouverture”. Vous devez décider de quoi sera faite la campagne, où elle se tiendra, quelle est la situation au début de la campagne – et le plus important, quel type de personnages sera approprié. Une partie du début sera visible aux PJ et aux joueurs – mais si, comme moi, vous aimez bien les mystères et les coups de théâtre, vous avez aussi besoin de créer dès maintenant une partie des secrets et des révélations du jeu. Ne les utilisez pas pour quoi que ce soit ; trouvez simplement quelques idées et mettez-les de côté.

Ensuite vient la fin, parce que vous ne pouvez déterminer le voyage qu’une fois que vous connaissez la destination. Comment voulez-vous que la campagne aboutisse – une fin heureuse, ou une sombre ? Une grande scène de combat ou une réconciliation émouvante ? Que va-t-il arriver aux PJ ? Peu importe que vous n’ayez même pas de PJ à ce moment, tant que vous avez des idées de où ils finiront.

Enfin, le milieu. C’est là que la plus grande partie de l’intrigue se déroule ; c’est là que les changements, les révélations et les coups de théâtre se produisent. C’est également là que la plupart des événements de la campagne arrivent. Cette section doit être au moins aussi intéressante que les deux autres, et probablement encore plus ; c’est votre deuxième acte et s’il est faible ou poussif, le public (les joueurs) ne se sentira pas concerné ou intéressé par la fin.

Une fois que vous avez pris quelques notes sur ces trois étapes, jetez les idées de tous côtés. Soumettez ces idées à un ami qui ne jouera pas ; volez sans états d’âme des idées d’autres sources. Alors, commencez à changer les idées de place pour voir où est leur bonne place – relèvent-elles de la mise en place, de la progression ou du dénouement ? La plupart des idées relèvent du début ou du milieu, pas de la fin : vous ne souhaitez pas amener de nouveaux éléments juste avant le paroxysme (je reviendrai plus tard sur ce point). La fin est le moment où les idées sont combinées et exposées. Déterminez quels morceaux vous voulez vraiment conserver, et rejetez tout ce qui ne conviendra pas.

C’est aussi à ce moment que vous trouvez des idées sur les PNJ principaux. La plupart d’entre eux doivent être présentés dans la section de commencement de la campagne – mentors, alliés, peut-être des grands méchants récurrents. Certains apparaîtront plus tard dans la campagne – tout particulièrement si ces gêneurs de PJ tuent votre Grand Méchant tôt dans l’aventure, et que vous avez besoin d’un remplaçant. Encore une fois, on ne doit introduire que peu, voire pas du tout, de PNJ à la fin de la campagne.

La Cité de l’oubli

Bon, la fin est évidente ici – c’est la Grande Épreuve de Force. Je veux quelque chose d’épique – des armées d’anges et de démons s’affrontant, la ville en flammes, toutes les amorces d’intrigues et les événements étant résolus en autant de tragédies. Et des explosions… Beaucoup d’explosions.

Pour le début, j’ai besoin d’élaborer quelques idées sur la Nouvelle-Jérusalem – les gangs, les grands méchants, les fondements du pouvoir et les sociétés secrètes dans les coulisses. Quelques monstres, héros, méchants, gangsters et membres de la Mafia, des flics (honnêtes ou pourris), des journalistes, etc. seraient des PNJ évidents. Je veux inclure un grand méchant quelque part par ici, mais je n’ai pas encore d’idées ; je vais laisser ça de côté pour l’instant.

C’est dans le milieu que toute l’aventure a lieu – les confrontations avec le Mal et les trucs qui explosent. Je veux que les choses se dégradent au fur et à mesure que le scénario progresse ; alors que le Jour du Jugement Dernier approche, le poste de police explose, des immeubles s’effondrent, des méchants et des héros meurent. Une partie de ceci arrivera aux PJ ; d’autres événements arriveront à cause des PJ. Je ne sais pas ce que seront ces événements, pour le moment – je sais juste que je veux augmenter la tension (3) à mesure que l’on s’approche du grand final.

Hmmm… En pensant à augmenter la tension, il me vient à l’esprit que si je commence avec les PJ en tant que super-héros, cela fait débuter la campagne à un niveau déjà plutôt élevé, et je veux me laisser de l’espace pour évoluer durant la phase qui constitue le milieu de ma campagne. Donc à la place, pourquoi ne pas faire commencer les PJ comme des gens normaux, et les faire devenir des super-créatures pendant que la campagne progresse ?

Voilà mon milieu : le développement des personnages alors qu’ils gagnent des pouvoirs et apprennent des secrets, avant de découvrir la vérité sur la ville. Ces quelques idées fixées, je reviens en arrière et j’arrange un peu les idées de base.

Bon, le fantastique est un peu plus secret, au lieu de vous sauter aux yeux ; il y a des rumeurs et des légendes urbaines, mais pas de batailles télévisées entre des super-phénomènes au journal de 20 heures. Les PJ peuvent être des flics, des journalistes, des escrocs et d’autres qui s’élèvent contre le vice et la corruption de la Nouvelle-Jérusalem, mais se rendent compte de leur impuissance à y faire face – jusqu’à ce que quelqu’un leur offre de la puissance.

C’est mon Méchant caché, le Pendu – un croisement entre le Spectre et le Joker. Il s’affirme comme le mentor des PJ et leur allié, et s’arrange pour leur faire gagner des super-pouvoirs – mais il les utilise en fait pour qu’ils l’aident à gagner l’Armageddon.

Parce qu’il est en réalité le Diable. Et ils lui ont vendu leur âme sans le savoir.

La troisième fois est la bonne

Parler du début, du milieu et de la fin nous amène joliment au conseil de structure suivant. Et il s’agit probablement de l’idée la plus grande et la plus importante, ainsi que de la plus facile à appliquer – tellement importante que je l’écris en italique :

Tout ce qui est important se décompose en trois parties.

Pensez à une blague, n’importe quelle bonne blague : il est probable qu’elle implique trois personnes, ou trois événements, ou trois idées. Toutes les bonnes histoires ont trois actes – début, milieu, fin. Tout film d’action a trois grandes scènes de combat ; tout film romantique a trois grandes disputes. Bon sang, il y avait trois souris aveugles dans la comptine [Three Blind Mice, une comptine pour enfants similaire à Une souris verte, NdT], pas deux ou quatre. Les êtres humains sont programmés pour reconnaître des schémas et y répondre – c’est gravé dans nos neurones. Un événement n’est que cela : un événement isolé. S’il arrive deux fois, c’est une coïncidence. Mais trois fois c’est un triangle, une forme, un schéma et nous sautons dessus et le rendons important. La même chose se produit avec la structure des histoires. Tout ce qui compte arrive trois fois ; cela n’arrivera pas exactement de la même manière à chaque fois, mais nous aurons le schéma.

La première fois que le méchant apparaît, il n’est personne, juste un sale type. La deuxième fois, il est une menace, mais qui n’en vaut pas la peine. Collez-le sur la route des PJ encore une fois, et ils jureront sur la tombe de leur mère de l’arrêter ou de mourir en essayant. Si vous voulez que les PJ fassent attention à un PNJ, faites-le apparaître trois fois. Si vous voulez qu’ils s’attachent à leur quartier général de super-héros, focalisez-vous dessus trois fois.

Trois est le nombre magique – ni plus, ni moins. Après trois occurrences, ils ont le schéma, et toute autre répétition ennuie. Après la troisième fois, vous devez apporter des modifications majeures à l’idée en question avant que vous ne la représentiez.

Quand vous développez la campagne, utilisez trois séances comme votre période de développement de base. Les trois premières séances de la campagne sont primordiales ; c’est le moment où les joueurs sont excités et ouverts à de nouvelles choses, où ils cherchent toujours le schéma. C’est à ce moment que vous leur montrez le décor, leur donnez une idée des thèmes, les habituez à leur personnage ; c’est à ce moment qu’ils apprennent à faire attention au scénario. La quatrième séance est le moment où vous commencez à faire changer les choses : vous augmentez la pression d’un cran. Vous jouez avec ça pendant trois séances, et alors vous remontez la pression de nouveau.

Vous pensiez qu’on s’en lasserait rapidement, non ? Mais non. Si vous avez peur que ce soit le cas, tout ce que vous avez à faire est, dans la troisième séance, de changer le moment où le rebondissement ou le changement de direction se produit.

Parfois il vaut mieux que trois choses normales arrivent avant une quatrième chose étrange ; parfois il vaut mieux que le troisième événement casse soudain le schéma avec un rebondissement. C’est comme cela que fonctionnent les comédies, vous vous arrangez pour que le public s’attende à ce que le personnage de l’Irlandais soit semblable à l’Anglais et à l’Américain, mais oups ! il s’avère que l’Irlandais casse le schéma à mi-chemin ! Donc placez le rebondissement au milieu de la troisième séance, plutôt qu’au début de la quatrième.

Si vous voulez devenir réellement structuré, vous pourriez casser chaque acte en trois sous-actes, et alors chaque sous-acte en gros morceaux de trois séances. Vingt-sept séances est une longueur convenable pour une campagne. Mais même moi je pourrais atteindre ma limite avant d’arriver si loin…

La structure en trois parties est simple à exécuter et incroyablement efficace. Si vous ne tirez rien d’autre de cet article, souvenez-vous juste de cette règle-là.

La Cité de l’oubli

Bon, j’ai menti ; je vais casser le premier acte de ma campagne en trois sections de trois séances.

Dans la première section, nous rencontrons les PJ, et établissons le cadre et le ton de la campagne. Les PJ veulent tous nettoyer la ville ou se venger des criminels qui ont dérangé leur vie. Pendant trois séances, ils étudient quelques mystères et participent à quelques combats, et les joueurs prennent leurs marques avec leurs personnages ; de la même manière, ils en viennent à connaître quelques-uns des PNJ récurrents. Je leur fournis aussi des indices sur l’étrangeté de la ville, et des aperçus occasionnels d’une silhouette dans l’ombre avec un nœud coulant autour du cou.

Mais après trois séances, les PJ n’ont toujours pas accompli grand-chose ; ils ont réglé quelques crimes mineurs, mais ils savent que cela ne résout pas le problème.

Dans la deuxième série de trois séances, les PJ tombent face à face avec l’étrange – les super-phénomènes, les monstres, la folie et même quelques “héros” bizarres. Leurs investigations révèlent des secrets, mais aucune autorité officielle ne les croira – pire : ils les croient, mais refusent de les aider. Les PJ ne vont nulle part, et maintenant ils savent qu’ils pourraient être capables de faire plus s’ils arrivaient à traverser le décor. À la fin de la troisième séance, le Pendu apparaît et leur dit qu’il a besoin de leur aide – et s’ils peuvent l’aider, il peut les aider…

Dans la dernière série de trois séances, les PJ partent dans une ou deux “quêtes” pour le Pendu, et en apprennent davantage sur les secrets de la Nouvelle-Jérusalem. Dans la séance finale, il leur fait subir des rituels et des épreuves pour leur donner des pouvoirs surnaturels (et, secrètement, pour revendiquer leurs âmes). À la fin de la séance, les personnages survivants obtiennent des pouvoirs. Je discute avec les joueurs pour concevoir des super-pouvoirs appropriés et angoissants, et nous passons au deuxième acte de la campagne.

Plateaux et pentes

J’ai parlé plusieurs fois de “monter la pression”, et cela constitue le sujet du prochain conseil de structure : établir des plateaux et créer des pentes.

Un plateau est une situation initiale, une idée stable. Ces premières séances où vous développez le style de la campagne ? C’est construire un plateau, créer dans l’esprit des joueurs une idée de ce dont la campagne parle. Ces périodes de stabilité vous donnent une chance d’explorer la campagne et le décor, et forment les fondations pour les événements et les intrigues.

Une pente est un changement ou un bouleversement. Vous attrapez le bord du plateau et le bousculez un bon coup. Vous mettez la pression, vous changez les paramètres, vous placez les choses dans une nouvelle dynamique – et ce faisant, vous établissez un nouveau plateau. La transition vers le prochain acte est une pente, et de plus petites pentes vont aussi se produire à l’intérieur de chaque acte.

Pour garder le contrôle et créer un bon rythme, utilisez la structure en trois parties. Il faut faire durer l’exploration d’un plateau pendant au moins trois séances, bien sûr. Vous pouvez continuer plus longtemps, si tout le monde s’amuse, mais vous risquez de perdre le rythme. Si vos joueurs souhaitent rester sur un plateau, déterminez quel est l’élément qu’ils aiment particulièrement – alors penchez le plateau, mais conservez cet élément plaisant durant la transition vers le plateau suivant.

Ce schéma – établir une situation stable, l’explorer, la modifier fondamentalement, puis créer une nouvelle situation stable – se répète encore et encore dans une campagne structurée. C’est l’essence de l’intrigue ; et nous tentons de la codifier plutôt que de tomber dessus au hasard. Nous contrôlons également la dynamique ; en tant que MJ, vous décidez de combien de temps garder le plateau stable et comment le pencher, puis œuvrez avec les joueurs pour établir le nouveau plateau.

La Cité de l’oubli

Comme nous pouvons le voir, l’exemple ci-dessus suivait d’assez près un schéma plateau/pente ; habituez-vous aux choses, puis montez la pression. La plus grande pente était à la fin du premier acte ; à ce moment, les PJ ont leurs pouvoirs surnaturels et le moyen de changer les choses.

Dans cette section du milieu, nous voulons que la problématique continue selon le même schéma, mais nous voulons pousser le son encore un peu plus fort. Les pentes de la première section étaient petites ; maintenant nous voulons de plus grandes pentes, et des plateaux plus inhabituels.

Le premier plateau verra les PJ explorer leurs pouvoirs et rencontrer quelques monstres d’égal à égal. Montez la pression ; maintenant ils doivent sortir et s’impliquer, en résolvant des crimes et en combattant leurs ennemis.

Le deuxième plateau les verra devenir des personnages importants dans la pègre de la Nouvelle-Jérusalem. Je vais aussi profiter de l’occasion pour laisser filtrer quelques indices sur l’Armageddon et les vrais secrets de la Nouvelle-Jérusalem.

Pour la troisième plate-forme – je colle à la structure en trois parties –, je n’augmente pas seulement la pression mais je secoue aussi l’ensemble. Mettre en place quelques grosses intrigues, quelques grandes réussites ; les PJ commencent à vraiment faire la différence, défont leurs ennemis et changent le visage de la ville. Je prolongerai en fait cette section pendant plus de trois séances, parce que je veux que les joueurs se sentent sûrs d’eux et prennent plaisir à contrôler la situation.

Mais lorsque cette section se termine, je les jette sur une pente abrupte – j’explose la moitié de la ville, je tue des PNJ importants, je leur balance dix tonnes de méchants sur le dos, et peut-être même qu’un PJ y reste. L’Armageddon est en route.

Présages (foreshadowing)

Le dramaturge russe Anton Tchekov (La Cerisaie) a dit un jour quelque chose comme ça : “Si vous voyez un revolver sur le mur pendant l’Acte I, ça serait mieux qu’il serve à tuer quelqu’un dans l’Acte III”. Il s’agit d’une annonce : donner dans les premières scènes des indications et des allusions à des événements qui arriveront dans les scènes suivantes. On en revient encore à la problématique en trois parties ; pour que nous fassions attention à un événement ou à un tournant de l’intrigue, nous avons besoin de le voir trois fois. Ou plutôt, nous devons en voir les prémices deux fois avant qu’il n’arrive réellement.

Vous pouvez annoncer presque chaque événement – depuis l’apparition d’un cousin perdu de vue depuis longtemps, jusqu’à la destruction d’une planète. Cela empêche les PJ de se sentir grugés par l’intrigue, comme si vous faisiez apparaître les choses de nulle part juste devant eux ; après tout, vous les avez prévenus deux fois que la ville allait être déchirée par des émeutes raciales.

La difficulté est de trouver où et quand “placer” vos annonces dans la campagne ; cela dépend tellement de l’intrigue, du ton, de vos joueurs et d’un tas d’autres facteurs.

Quoi qu’il en soit, vous pouvez utiliser votre bon sens ; il n’est pas bon de lâcher des indices dans les deux premières séances si les événements annoncés n’apparaissent pas avant la séance finale six mois plus tard.

De même, dans le cas où la révélation de l’événement est importante, les joueurs ne seront pas contents si vous ne lâchez des indices qu’une séance à l’avance. Une bonne astuce est de diviser en trois la durée de la campagne avant l’événement, puis de placer les annonces aux points de division. Donc si vous voulez une révélation pour la séance 9, vous l’annoncez dans les séances trois et six.

Là où le jeu de rôle prend sa dimension propre sur ce sujet, et bat l’écriture, c’est que vous n’avez pas à placer délibérément des annonces dans la campagne ; vous pouvez simplement réutiliser des idées que vous aviez rejetées plus tôt. Si les joueurs décident qu’une personne ou une idée est intéressante, replacez-la plus loin et rendez-la plus importante : ce chauffeur de taxi amical se révèle être le génie du crime qu’ils pourchassaient depuis le début ! Très peu d’éléments de votre campagne devraient être à jeter : chaque personnage, lieu et idée peut être modifié dans les coulisses pour le rendre utile ou important plus tard, et les joueurs ne sauront jamais que vous n’aviez pas prévu cela de cette manière depuis la première séance.

La Cité de l’oubli

Étant très dépendante des révélations et des coups de théâtre, cette campagne a besoin de beaucoup d’annonces. Quelques exemples :

Le Pendu apparaît dans la séance 6 pour offrir des pouvoirs aux PJ. Je décide de le faire apparaître durant un instant dans la séance 2 – un reflet bizarre dans un miroir qui disparaît quand vous regardez pour voir qui est là. Dans la séance 4, un voyou mentionne qu’un homme avec un nœud coulant est un revendeur de super-pouvoirs et un personnage qui fait peur dans le milieu du crime. Les PJ sont à point pour rencontrer le type à la séance 6.

Bien sûr, le Pendu est en réalité le Diable, et je ne peux pas faire sortir ça de nulle part. Cette révélation vient tard dans le troisième acte de la campagne – mais je ne peux pas réellement faire d’allusion à ceci avant que les PJ aient une chance de le rencontrer. Donc je vais mettre deux fois des annonces dans le deuxième acte.

Tout d’abord, il y a un combat dans l’église St-Augustin tôt dans l’acte, où le Pendu est censé aider les PJ – mais il ne se montre pas, car il ne peut pénétrer sur un sol sacré. Les PJ ne savent pas que c’est la raison, mais cela place un germe de doute. Alors vers la fin du deuxième acte, les PJ rencontrent le fantôme du Fléau, un “combattant du crime” décédé ; le fantôme leur dit qu’il ne connaît pas de repos car il a vendu son âme à Satan, mais il n’a jamais l’opportunité de leur dire qui est réellement le Diable.

Pendant le premier acte, les PJ enquêtent sur un chef de bande appelé l’Assassin Aveugle et le trouvent plutôt sympa. Maintenant, j’ai besoin d’un représentant du Paradis pour la bataille finale à la fin de la campagne ; utiliser l’Assassin Aveugle pour ce rôle est un bon “recyclage”. Donc je décide que l’Assassin est en réalité l’archange Michel, ici pour combattre le Pendu pendant l’Armageddon – et probablement aussi combattre les PJ. Tant que j’y pense, j’ai besoin d’un lieu pour cette bataille finale, pourquoi ne pas reprendre l’église St-Augustin ? Elle fait une deuxième apparition tôt dans le troisième acte, quand les PJ la désacralisent accidentellement pendant une bataille ; maintenant elle est toute prête pour la confrontation de la dernière séance.

Les faiblesses de la structure

J’ai déployé tout mon lyrisme à propos de la construction d’intrigues structurées depuis quelques milliers de mots maintenant. Je pense que ça contribue à des campagnes satisfaisantes. Mais je serais négligent si je ne soulignais pas les deux défauts majeurs de la technique.

La première est la prévisibilité – non de l’intrigue, nécessairement, mais du développement de l’intrigue. Si vos joueurs arrivent à sentir vos schémas, ils commenceront à avoir l’impression qu’ils savent ce qui va arriver ensuite. Ils pourraient ne pas savoir quel coup de théâtre arrivera à la fin de la séance, mais ils seront sûrs qu’il va y en avoir un – parce que c’est le même schéma que vous avez utilisé auparavant.

Ce n’est pas forcément une mauvaise chose, bien sûr. Je veux dire, nous savons depuis le début que Roméo et Juliette se termine tragiquement, mais ça ne le rend pas pour autant moins intéressant. Quiconque habitué à ce type de structure sait que la plupart des films suivent le schéma, et peut deviner quand les coups de théâtre se produiront. Mais si le coup de théâtre est intéressant, cela ne fait rien que vous ayez su que quelque chose allait arriver. Si l’intrigue et les idées de la campagne sont agréables, vos joueurs ne devraient pas vraiment se faire de souci s’ils peuvent commencer à voir la structure derrière les intrigues. Cependant s’ils le font, commencez à brouiller un peu les choses : annoncez des choses qui s’avéreront être des événements absolument anodins ; développez quelque chose pendant quatre séances plutôt que trois. Chambarder les détails n’invalidera pas les principes de base.

Un plus grand problème est la linéarité – qui conduit les joueurs à avoir l’impression que vous contrôlez l’intrigue et leurs personnages, et qu’il n’y a pas de moyen de s’éloigner de votre intrigue. C’est toujours un problème pour n’importe quelle pièce ou campagne riche en intrigues, bien sûr, mais la structure peut l’aggraver – parce qu’il y a un plan, peu importe à quel point il est sommaire. Et sortir de la structure de l’intrigue peut affaiblir ou endommager le plan et l’intrigue principale.

Il n’y a pas de vraie solution ici ; si vous ne voulez à aucun moment diriger l’intrigue ou les personnages, pour commencer vous ne structurerez pas les campagnes comme ça. La meilleure chose à faire est de rendre votre campagne tellement passionnante que les joueurs se moquent d’être poussés dans une direction, et ne veulent pas partir en vadrouille dans un autre pays pour éviter leurs problèmes. Oui, c’est une campagne sur des rails, mais les wagons sont vraiment confortables, et la destination est vraiment intéressante ; dites-leur qu’ils vont apprécier la balade et que les actions de leurs personnages comptent réellement.

Et pensez-le aussi ; même une campagne structurée et dirigée tourne autour des PJ. Ils devraient être les stars de la campagne, et tout ce qu’ils font est important pour l’intrigue.

Envoyez le générique

En résumé, il y a trois règles de bases pour créer une intrigue structurée :

  • Tout faire trois fois pour intéresser les joueurs.
  • Laisser les joueurs se mettre à l’aise, puis changer les paramètres.
  • Annoncer tout ce qui est important dans la campagne (et réutiliser les idées dès que c’est possible).

Toutes les autres règles de structure dans l’écriture de scénarios ne sont en fait que des variations sur ces thèmes. Bon sang, les annonces ne sont qu’une variation de la règle des trois parties. Utilisez ces règles pour développer l’intrigue principale de la campagne (et les intrigues mineures) et vous devriez vous retrouver avec une suite d’événements qui satisfont les joueurs, et qui est plus facile à maîtriser – car tant que vos idées sont intéressantes, la réalisation se fait presque d’elle-même.

Article original : Construct Your Campaign - With Meccano!

(1) NdT : Les pulp comics sont des BD fantastiques ou de super-héros qui fleurirent à partir des années 1950, imprimées sur du papier bon marché, à base de pulpe de bois… [Retour]

(2) NdT : Ceci se rapproche du “concept”, l’idée nécessaire à la création de scénario ptgptb. [Retour]

(3) NdT : Cet article ptgptb développe justement la tension et son évolution dans le cadre d'un scénario. [Retour]

Note: 
Moyenne : 6.3 (4 votes)
Tags: 
Nom du site d'Origine: 
Traducteur: 

Pour aller plus loin… panneau-4C

Toutes les campagnes obéissent à des recettes et des trucs. Ils sont tous dans l'ebook n°10 : Bâtir une campagne mythique

Share

Ajouter un commentaire

Mention légale importante

Nous vous encourageons à faire un lien vers cette page plutôt que de la copier ailleurs, car toute reproduction de texte qui dépasse la longueur raisonnable d’une citation (c’est-à-dire, en règle générale, un ou deux paragraphes) est strictement interdite. Si vous reproduisez une grande partie ou la totalité du texte de cette page sans l’autorisation écrite de PTGPTB (version française), et que vous diffusez ladite copie publiquement (sites Web, blogs, forums, imprimés, etc.), vous reconnaissez que vous commettez délibérément une violation des lois sur le droit d’auteur, c’est-à-dire un acte illégal passible de poursuites judiciaires.