Mort de plaisir
© 2012 Erik Tenkar
Je me souviens bien de ma première “mort à l’arrivée [de la police] dans une maison” pour des causes naturelles. De certaines façons, c’était plus perturbant que mon premier “mort à l’arrivée” qui avait reçu une balle dans la tête.
L’appartement était au 3e étage d’un immeuble qui en comptait cinq sans ascenseur. C’était la fin du printemps, donc quand je suis arrivé sur les lieux avec le sergent, il faisait encore jour (à ce moment-là mes heures étaient de 17:30 à 2:00 – autrement connues sous le nom de “six à deux”). L’ambulance était déjà arrivée et repartie quand on est arrivés. La voiture de patrouille sur les lieux est partie à notre arrivée, vu que je devais apprendre le protocole à respecter en présence d’un cadavre.
La victime était morte dans le lit de sa chambre, sur le dos. Cet homme avait la cinquantaine bien tassée. C'était un hispanique de teint clair qui avait ce qui semblait être un seul testicule de couleur bleu-noir mais de la taille d’un gros pamplemousse. On ne pouvait pas le louper : il était totalement nu. Apparemment, il avait succombé à une crise cardiaque pendant qu’il se donnait du plaisir.
Le sergent et moi, gênés, avons regardé le corps pendant un moment. Les causes pouvaient bien être naturelles mais ça, ça n’avait rien de naturel.
“Ok, on va chercher les objets de valeur. Liquide, bijoux, chèques, etc. Tout ce qu’on trouve doit être étiqueté et renvoyé au commissariat. Tu crois que tu peux t’en occuper ?” me demanda-t-on.
Avant même que je n’aie la possibilité de répondre, il continua :
“Commence par le placard. Je m’occupe de l’armoire.”
On n’avait que cette pièce à fouiller puisque l’appartement était en colocation et que c’était sa chambre. Ça ne pouvait pas être bien difficile, pas vrai ?
Le premier objet de valeur que j’ai trouvé était un de ces bidons d’eau livrés à domicile, le genre de bidon qui contient 20 litres d’eau. Celui-ci était rempli de pièces de monnaie.
“Sergent ?” demandai-je. “Qu’est-ce qu’on fait avec ça ?
– Putain ! On dirait bien que tu vas compter des pièces jusqu’à la fin de ton service !”
Il riait en coin tout en le disant. J’entrevoyais une longue nuit devant moi.
En fouillant plus profondément dans le placard, j’en ai tiré un gros sac plastique qui semblait contenir plusieurs choses. Je le saisis et le tirai dehors… J’en retirai quelque chose qui me dégoûte encore. Je le laissai tomber sur le sol et ça atterrit avec un léger bruit sourd.
“C’est quoi, ça ?
– C’est un putain de gode poisseux qui ressemble à un pénis de 30 cm !” m’exclamai-je.
Le sergent me regarda, puis il regarda le truc puis le sac que je portais.
“Y en a d’autres dans le sac ?” demanda-t-il.
J’acquiesçai.
“Ok. Remets-moi toutes ces merdes dans le placard. On a fini. Presque fini.” Il marqua un temps. “Il faut encore que tu retires l’alliance de son doigt.”
Je sentais la bile me remonter dans le gosier à cette seule idée.
“Sergent, on SAIT où il a mis ses mains. Je dois attendre la famille, de toute façon. Pourquoi est-ce que je ne leur demanderai pas de le lui enlever ?”
– Ça pourrait marcher. Hé ! Où est-ce que tu vas ?
– Aux toilettes parce que je sais où j’ai mis mes mains et ça me rend pas super jouasse.”
S’échapper de là-dessous
Après m’être lavé les mains (oui, on était encore dans l’appartement du gars qui avait un scrotum décoloré de la taille d’un pamplemousse), mon sergent m’expliqua le reste de la procédure pour gérer les décès récents.
La famille du défunt était arrivée (ils attendaient dans le salon) et je devais amener l’un d’entre eux dans la chambre du défunt pour lui faire enlever son alliance (parce qu’on savait où il avait mis ses mains mais eux n’avaient pas besoin de le savoir). Une fois la famille partie (et s’ils tardaient un peu trop, on m’avait dit de les y pousser), je devais attendre le “fourgon à viande”. C’est le mec du bureau du légiste qui embarque les cadavres récents. Je pouvais attendre des heures puisque dans une ville de huit millions d’habitants, des gens meurent en permanence et les “fourgons à viande” roulent 24 h/24.
Au moment de partir Le sergent m’indiqua qu’un flic du CPOP [Community Patrol Officer Program, sorte d'officier de police de proximité (NdT)] viendrait déposer l’étiquette de l’orteil. C’est le morceau de papier qu’on voit dans les films et dans les séries policières, attaché au gros orteil d’un cadavre. On ne peut pas déplacer un corps sans la bague au doigt de pied. Après avoir rempli le papier et avoir fait signer le gars du “fourgon à viande”, je devais garder le talon et le remettre au brigadier du poste à mon retour. Oh, et il allait aussi m’apporter un scellé de porte, que je devais fixer sur la porte et sur le montant une fois que le cadavre aurait été embarqué.
Je commençai à comprendre que les macchabées représentaient une montagne de boulot.
La famille déguerpit rapidement. Ils étaient gentils et désolés, ce qui m’a fait me sentir coupable puisque ce n’était pas vraiment la faute de qui que ce soit que le gars soit mort. Je leur ai dit que les gars du SAMU l’avaient déshabillé afin de tenter de le sauver mais qu’il était déjà trop tard. La couverture permettait de conserver sa dignité. Ils n’avaient pas besoin de son auto-satisfaction comme dernière image de lui. Maintenant que j’y pense, moi non plus, mais au moins, ce n’était pas un membre de ma famille.
Je m’installai sur le sofa, devant la télé. Pour un appartement du Sud du Bronx, c’était plutôt propre et pas sur-infesté de cafards. Non pas qu’il n’y en avait pas, mais contrairement aux appartements les plus répugnants, ceux qui se trouvaient là évitaient la lumière et les espaces ouverts.
Environ une heure plus tard, le flic arriva avec l’étiquette d’orteil et le scellé. Il faisait ce boulot depuis dix ans et y prenait un authentique plaisir. Ça ne le dérangeait pas non plus de donner des conseils gratuits à un bleu et je lui saurai toujours gré de l’avoir fait.
“Juste pour info, il va te d’mander de prendre la partie inférieure. Ne le fais pas !”, me dit-il.
J’ai fait une grimace, pas certain de savoir à quoi il faisait allusion.
“Quand la goule de chez le légiste se pointera, il te dira qu’il a besoin d’aide pour transporter le corps. T’inquiète, il va le mettre dans la housse lui-même, mais il va te demander de l’aide pour le porter. Il te conseillera de porter la partie inférieure, parce que c’est la plus légère. Ne le fais pas.
– Mais, si c’est plus léger, il me fait une fleur…, laissai-je échapper tout en l’observant faire non de la tête.
– Si tu prends le bas, il va laisser le corps glisser et le barda va t’envoyer valdinguer en bas des marches. Lui, il se tapera le cul par terre de rire pendant que t’essaieras de te dépêtrer de dessous.”
Je pensai que c’étaient sans doute des conneries pour rendre parano un bleu. Mais peut-être pas. Je me suis dit que j’attendrais le gars du légiste et que j’aviserais alors.
Le “fourgon à viande” est arrivé en fait environ 15 minutes après le départ du flic. Je suppose que peu de gars sont morts dans le Bronx ce jour-là.
La goule (et le mec en était une, si vous voulez savoir) mesurait 1,65 m, costaud et tout. Sérieusement, on aurait dit un gros pot à tabac. Droit au but dès son arrivée, je lui montrai la chambre et il s’empressa d’emballer le défunt. On aurait dit qu’il avait fini en moins de deux minutes. C’était vraiment rapide.
Il le fit rouler hors de la chambre sur une de ces civières pliables qu’on voit dans les ambulances. Je posai le scellé sur la porte et je donnai l’étiquette d’orteil à la goule, qu’il mit dans une poche de la housse funéraire, puis me donna le reçu. Là, le moment arriva.
“Écoutez, je peux pas utiliser la civière pour descendre le gars par l’escalier, donc il va falloir qu’on le porte. Vous pouvez prendre la partie inférieure, c’est plus léger.”
Putain de merde ! Le flic du CPOP avait raison ! Ce connard voulait me voir valdinguer à la renverse dans les escaliers avec “M. Je-Me-Suis-Branlé-Jusqu’à-La-Mort” qui me retombe dessus ! Pas prêt d’y arriver.
“Non, non, c’est bon, je suis resté assis dans les parages pendant des heures, je suis plutôt frais. Je vais prendre la partie supérieure.
– Sûr ? La partie supérieure, c’est parfois piégeux. Le bas, c’est mieux.” S’il avait été un chat, il aurait eu ce regard faussement penaud qui dit “Je viens de bouffer le canari”.
“Je prends le haut. Mais n’allez pas trop vite, hein : j’aimerais pas le laisser tomber.”
Sélection de commentaires
Erik Tenkar
C’est pas le genre d’histoire que je raconte en famille (en général ils préfèrent quand il y a de l’action), mais j’ai remarqué que peu de romans/films/séries montrent le boulot de flic tel qu’il est vraiment.
Ceci étant dit, si vous trouvez The Job en DVD, sautez dessus. Dennis Leary en inspecteur de la police de New York, c’est très proche du vrai boulot stupide de flic par rapport à ce qui passe habituellement à la télé. C’est hilarant et les histoires sonnent très vrai.
Articles originaux : Pleased to Death et Getting out from under
Pour aller plus loin…
- Cet article est repris, avec d'autres sur le thème de la police et la justice, dans notre e-book 30! V'la les flics !
Mention légale importante
Nous vous encourageons à faire un lien vers cette page plutôt que de la copier ailleurs, car toute reproduction de texte qui dépasse la longueur raisonnable d’une citation (c’est-à-dire, en règle générale, un ou deux paragraphes) est strictement interdite. Si vous reproduisez une grande partie ou la totalité du texte de cette page sans l’autorisation écrite de PTGPTB (version française), et que vous diffusez ladite copie publiquement (sites Web, blogs, forums, imprimés, etc.), vous reconnaissez que vous commettez délibérément une violation des lois sur le droit d’auteur, c’est-à-dire un acte illégal passible de poursuites judiciaires.
Ajouter un commentaire