Vous avez le droit de garder le silence…
© 2007 M J. Young
…Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous.
Suite au décret de la Cour Suprême des États-Unis familièrement surnommé Miranda (1) et à la sempiternelle répétition de cette phrase dans quantité de séries policières,
“Vous avez le droit de garder le silence. Si vous renoncez à ce droit, tout ce que vous direz pourra être et sera utilisé contre vous devant une cour de justice. Vous avez le droit à un avocat et d'avoir un avocat présent lors de l'interrogatoire. Si vous n'en avez pas les moyens, un avocat vous sera fourni gratuitement. Durant chaque interrogatoire, vous pourrez décider à n'importe quel moment d'exercer ces droits, de ne répondre à aucune question ou de ne faire aucune déposition.”
ces mots sont peut-être le passage le plus connu du droit américain, que vous viviez en Amérique ou n’importe où dans le monde. Ces mots témoignent simplement de la garantie de protection offerte par la Constitution des États-Unis, reprise de nos jours dans la plupart des pays : le droit de ne pas vous auto-incriminer, et le pouvoir de refuser de dire quoi que ce soit qui pourrait vous impliquer dans un crime.
Ce droit est aujourd’hui tellement bien ancré qu’il est facile d’oublier que ça n’a pas toujours été le cas.
Concentrons-nous un peu sur un sujet plus sérieux que le partage d’idées pour des jeux : la loi. J’ai déjà beaucoup écrit sur la loi, sur d’autres sites, notamment une série de trois articles sur le très bon site australien PTGPTB.org qui a été plus tard republiée sur Gaming Outpost : La Loi et l’Ordre dans les mondes imaginaires ptgptb. La première partie analyse la manière dont naissent, justifient leur existence et évoluent les lois et les gouvernements. La deuxième partie ptgptb traite de la procédure civile et pénale et des différences selon les lieux ou circonstances. La troisième et dernière partie ptgptb présente surtout les systèmes pénaux, le traitement réservé aux personnes reconnues coupables de crimes. Il y a dans ces trois articles assez d’informations pour créer votre propre système juridique pour n’importe quel monde imaginaire, en le rendant à la fois intéressant et cohérent. Maintenant que je vous ai renvoyé à cette série d’articles, je n’ai pas besoin de revenir sur tout cela.
Les mots « vous avez le droit de garder le silence » soulèvent une question : les personnages de votre monde en ont-ils le droit ? S’ils ont des ennuis juridiques (vous ne jouez sûrement pas dans un monde sans aucune loi), les personnages peuvent-ils refuser de dire quoi que ce soit, garder leurs secrets, qu’ils soient coupables ou non ?
Je suis assez vieux pour me souvenir d'un temps où Miranda n’était pas dans les tables de loi. On n’entendait pas cette phrase dans les séries policières comme Dragnet (1951-1959).
Dragnet : deux officiers de police de Los Angeles. Le mot « dragnet » signifie « souricière », dans le sens de piège à criminels.
Les gens avaient le droit de garder le silence mais n’avaient pas la garantie que la police leur rappellerait ce droit ou le respecterait. La police essayait souvent de faire parler les suspects, par l’incitation, la ruse, la contrainte ou tout autre moyen à sa disposition (2). Même depuis la mise en place de Miranda, ces tactiques continuaient d’être utilisées pour obtenir des informations de quelqu’un qui ne voulait pas parler. Il y a eu un cas précis où les agents qui transportaient un suspect se sont mis à discuter devant lui des conséquences terribles qu’il y aurait si un enfant trouvait l’arme utilisée pour le crime, apparemment cachée quelque part dans le quartier. Leur seul but étant de faire avouer au suspect où se trouvait l’arme.
Dès que le suspect avoua où elle se trouvait, ils ont fondé leur dossier sur cette arme – et le dossier a été rejeté par le tribunal car, selon Miranda, à partir du moment où l’homme avait dit qu’il ne souhaitait pas parler sans la présence d’un avocat, la police n’avait pas le droit de l’inciter à parler. « Vous avez le droit de garder le silence »… et cela n’a pas toujours empêché la police d’employer tous les moyens à sa disposition pour vous faire parler. Maintenant, si.
Plus précisément, le droit de garder le silence n’a pas toujours existé. C’était même le contraire pendant la quasi-totalité de l’Histoire : presque tout le monde pouvait être contraint de témoigner contre soi-même. L’exemple le plus connu et le plus impressionnant est celui du procès de Jésus de Nazareth durant lequel, d’après l’Évangile selon Matthieu, le grand prêtre Caïphe a dit : « Je t'adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu. » Ce serment était un ordre si strict que, dans le contexte de l’époque, ne pas répondre aurait été considéré comme un mensonge et un faux témoignage sous serment. C’est en se basant sur sa réponse qu’il a été condamné à mort, pour blasphème [par les prêtres (NdT)] puis pour trahison par le gouverneur romain Pilate. Il n’avait pas le droit de ne pas réponse à cette question.
Ce n’est pas la seule fois où quelqu’un n’a pas eu le droit de garder le silence. Ce genre de situation s’est répétée encore et encore à travers les siècles et, même avec une vision optimiste de l’avenir ça continuera de se répéter. Dans le film Star Trek 6 : Terre inconnue, lorsque Spock a besoin d’arracher la vérité à la traîtresse vulcaine, il utilise sa technique télépathique de fusion mentale pour fouiller les souvenirs de la conspiratrice. Et lors de la capture des autres traîtres, il annonce avoir obtenu des aveux complets de cette vulcaine alors qu’il s’agissait d’un témoignage forcé, une violation évidente de son droit de garder le silence.
Spock (Leonard Nimoy) pratiquant l'intrusion mentale.
Même dans la réalité, de nos jours, les tribunaux s’interrogent sur la teneur de ce droit protégeant les citoyens de l’auto-incrimination :
- La police a-t-elle le droit de prendre vos empreintes digitales ?
- Peut-elle exiger des échantillons de sang ou d’urine pour détecter des substances illégales ?
- Peut-elle utiliser vos cheveux, ongles, vêtements, à la recherche de preuves microscopiques vous reliant à un crime ?
- Est-ce une violation de ce droit de prendre des échantillons d’ADN pour les comparer aux preuves trouvées sur la scène de crime ?
Toutes ces questions ont été abordées dans les tribunaux lorsque des avocats ont soutenu que ces preuves équivalaient à des témoignages forcés et, aux États-Unis en tout cas, ces questions ont été rejetées car il a été déterminé qu’il s’agissait de faits matériels et non de témoignages forcés. Par contre, les tests au détecteur de mensonges et les sérums de vérité ne sont pas admissibles car considérés comme des violations de ce droit fondamental [y compris en Belgique, en France, en Suisse… (NdT)].
Je ne dis pas que vos personnages devraient ou ne devraient pas avoir ce droit dans le monde que vous créez. Je dis que vous devriez décider si c'est le cas et ce que cela signifie, pour eux et pour le reste de la société dans laquelle ils évoluent.
- Les gens sont-ils torturés pour obtenir des aveux ?
- Est-ce parce qu’ils n’ont pas le droit de garder le silence ou parce qu’ils l’ont mais que les autres ne respectent pas ce droit ?
- Est-il normal que les personnages psioniques fouillent l’esprit des suspects à la recherche de preuves ?
- S’ils disent y trouver des preuves, quelle valeur a leur témoignage ?
- S’ils ne sont pas autorisés à témoigner, la police a-t-elle le droit d’utiliser des informations obtenues de cette façon comme point de départ pour trouver d’autres preuves ?
- Est-ce une technique uniquement employée pour savoir si « C’est pas le coupable, il faut chercher ailleurs » ou « C’est le coupable, commencez l’enquête » ?
Utiliser des méthodes illégales pour démarrer une enquête et trouver de nouvelles preuves (légales celles-là) est ce que la jurisprudence américaine appelle « les fruits de l’arbre empoisonné ». Aux États-Unis, toutes les preuves ainsi obtenues sont écartées du procès car la police ne les aurait pas obtenues sans les premières informations obtenues illégalement.
Vous avez le droit de garder le silence ; si vous renoncez à ce droit, tout ce que vous direz pourra être et sera utilisé contre vous (3). Peut-être n’avez-vous pas ce droit.
- Peut-être que la procureure peut vous appeler à la barre, vous demander si vous l’avez fait et vous contraindre à répondre.
- Peut-être que les mages peuvent utiliser des sorts de détection de vérité ou des sorts de contrainte pour vous forcer à avouer. Peut-être que les médecins peuvent utiliser un sérum de vérité pour vous obliger à parler.
Si vous n’avez pas le droit de garder le silence, cela fait une grande différence dans la façon dont la loi vous traite. C’est une part important de votre univers de jeu, ne la négligez pas.
Article original : Game Ideas Unlimited: Silence
(1) NdT : Le surnom Miranda vient du criminel Ernesto Miranda, dont la condamnation pour viol et enlèvement sur la base de sa seule confession écrite a mené à ce que la Cour Suprême écrive noir sur blanc cet arrêt, selon la page Wikipédia dédiée. [Retour]
(2) NdT : Entre autres méthodes d'interrogatoires... lire En Garde à Vue ptgptb pour une liste complète pour vos PJ policiers [Retour]
(3) NdT : Le texte de la "lecture des droits" varie en fait d'un État à l'autre, car on s'est aperçu de problèmes de compréhension de la part de personnes arrêtées : handicapées (comment les lire à un sourd?), avec un mauvais niveau d’anglais, ou un faible niveau d’éducation. Il est parfois simplifié et plus direct ; dans un cas on a rajouté l'avertissement "Je ne suis pas votre ami." [Retour]
Pour aller plus loin…
- Cet article est repris, avec d'autres sur le thème de la police et la justice, dans notre e-book 30! V'la les flics !
Mention légale importante
Nous vous encourageons à faire un lien vers cette page plutôt que de la copier ailleurs, car toute reproduction de texte qui dépasse la longueur raisonnable d’une citation (c’est-à-dire, en règle générale, un ou deux paragraphes) est strictement interdite. Si vous reproduisez une grande partie ou la totalité du texte de cette page sans l’autorisation écrite de PTGPTB (version française), et que vous diffusez ladite copie publiquement (sites Web, blogs, forums, imprimés, etc.), vous reconnaissez que vous commettez délibérément une violation des lois sur le droit d’auteur, c’est-à-dire un acte illégal passible de poursuites judiciaires.
Ajouter un commentaire