Excusez-moi, je dois y aller 

À un niveau structurel fondamental, les sessions de JdR sont à part, et sont différentes du cinéma, de la télévision et des livres. Cependant, cela vaut toujours la peine d’étudier ces autres formes de création d’histoires, pour l’inspiration. Beaucoup de techniques qu’elles utilisent en surface restent inexploitées par les MJ. Notamment, les trucs utilisés pour comprimer le temps [de l’histoire] et rendre la progression moins ennuyeuse réclament une étude plus approfondie, sinon une copie fidèle.

Par exemple, examinons les différences entre une enquête qui se déroule dans une série télévisée policière, et dans un JdR.

Dans une série policière, chaque rencontre ou interrogatoire fournit quelques informations importantes. Puis le scénario passe rapidement à une nouvelle scène dans laquelle un autre personnage donne encore plus d’informations.

Le plus souvent, les enquêteurs doivent marquer des points en surmontant la réticence de l’informateur à balancer les informations cruciales. Les raisons de cette réticence, et les moyens nécessaires à la surmonter, changeront suffisamment pour dissimuler le schéma et conserver l’intérêt de l’enquête.

On ne peut pas réduire le système à une équation, mais souvent l’informateur :

A) donne un indice

B) élimine une possibilité

et termine en

C) fournissant une troisième pépite d’informations qui oriente les enquêteurs vers la prochaine rencontre

Les interrogatoires de JdR ont tendance à se dérouler en temps réel. En cela, ils ressemblent à de véritables interrogatoires de police : si on leur en laisse l’occasion, les personnages poseront toutes les questions qui leur passeront par la tête, en boucle, en se répétant et en amassant de grandes quantités d’informations auprès de chaque personne interrogée, informations qu’ils tenteront ensuite de filtrer pour en ressortir l’élément crucial.

C’est un défi pour vous en tant que MJ, car vous voulez conserver un sentiment de progression, pour créer de l’excitation et éviter l’ennui et la paralysie. Les joueurs sont facilement perdus dans les scénarios d’enquête. Au contraire des policiers réels, ils s’imaginent leurs personnages inexistants parler à vos personnages inexistants. Ce faisant, ils remplissent les blancs de leur imagination, souvent en se trompant. Plus vous pouvez rédiger et trier à l’avance l’information pour eux, plus ils seront contents, et le rythme du scénario paraîtra plus satisfaisant.

En imitant une astuce de série policière, vous pouvez faire en sorte que chaque interrogatoire soit rapide et abouti. Dans une série policière, personne n’a le temps de parler aux flics (Peut-être que c’est pour cela que les meilleures séries policières se déroulent à New York, où personne n’a de temps pour personne). Un quidam PNJ standard aura encore moins de temps pour l’amas hétéroclite d’excentriques et de demi-hors-la-loi qui compose le groupe moyen d’aventuriers.

Voici un formulaire que vous pouvez utiliser pour chaque personnage interrogé dans un scénario d’enquête :

Raison de la réticence : ____________________

Surmonter la réticence : ____________________

Indice fourni : _____________________________

Possibilités éliminées : ____________________

Contact suivant : ___________________________

Interruption : ______________________________

Comme un scénariste de série policière, vous allez vouloir créer autant de raisons différentes que possible pour envoyer promener les PJ, dans un but de diversité. Pour les informateurs essentiels à l’histoire, ces raisons devront être directement en rapport avec les motivations que vous leur avez fixées. Pour les personnages de passage, vous pouvez choisir des raisons au hasard – ou encore choisir la raison et vous en servir comme point de départ pour construire le personnage.

Quelques exemples :

  • Complicité : l’informateur est impliqué marginalement dans le crime
  • Confusion : l’informateur est coopératif, mais ses perceptions sont faussées
  • Avidité : l’informateur veut recevoir quelque chose avant de parler, et le monnaye cher
  • Culpabilité : l’informateur a fait quelque chose de mal, mais sans rapport avec le mystère, et craint que ce soit l’objet de l’enquête des PJ
  • Hostilité : l’informateur a de bonnes raisons de détester les personnages en tant que groupe
  • Idéologie : l’informateur fait partie d’un groupe ou d’une classe opposée politiquement aux PJ ou à leurs employeurs
  • Loyauté : l’informateur veut protéger quelqu’un qu’il pense (à tort ou à raison) être la cible de l’enquête
  • Paranoïa : l’informateur croit que les PJ sont ses ennemis (réels ou imaginaires)
  • Préoccupation : l’informateur est plus concerné par ses propres affaires ou ses objectifs que par aider les PJ
  • Snobisme : l’informateur se considère socialement supérieur aux PJ ; il regimbe à l’idée de se mélanger à eux

La manière dont les PJ doivent surmonter les réticences de l’informateur dépend de la nature de cette réticence.

  • Complicité : les PJ doivent convaincre l’informateur qu’ils savent ce qu’il a fait et que sa situation peut empirer s’il ne parle pas
  • Confusion : les PJ doivent trier les souvenirs épars de l’informateur, pour en dissocier le fait important
  • Avidité : les PJ doivent payer l’informateur, ou le convaincre que ce sera pire s’il ne parle pas
  • Culpabilité : ils doivent assurer l’informateur que ses peccadilles ne les concernent pas
  • Hostilité : les PJ doivent amadouer l’informateur, ou utiliser son ressentiment contre lui-même en usant d’intimidation
  • Idéologie : on doit démontrer à l’informateur que sa coopération bénéficie à sa faction
  • Loyauté : convaincre l’informateur que la coopération conduira à une meilleure situation pour la personne qu’il protège
  • Paranoïa : soit rassurer, soit terrifier l’informateur
  • Préoccupation : faire la preuve que le manque de coopération jouera contre les affaires ou la cause de l’informateur
  • Snobisme : montrer que la coopération fera partir les PJ plus rapidement

D’autres méthodes de persuasion doivent toujours être possibles. Sinon vous risquez de tomber dans une variante du blocage classique de l’histoire, où il y a une seule manière de récupérer une information précise dont dépend toute l’avancée du scénario. Les PJ devraient toujours pouvoir intimider les snobs, ou acheter les paranoïaques. Pour la variété, assurez-vous qu’aucune tactique unique ne fonctionne pour tous les informateurs.

Structurellement, toute aventure d’investigation consiste en une piste d’indices menant comme des miettes de pain d’une rencontre à l’autre, aussi la nature de l’indice est à votre discrétion.

Le contact suivant place la rencontre dans cette structure, en vous disant vers quelle nouvelle scène le personnage va pointer les PJ. Dans une série policière, les protagonistes trouvent les preuves dans un ordre déterminé. Si vous pouvez préparer plusieurs ordres différents dans lesquels les preuves peuvent être assemblées, vous avez moins de risques de vous retrouver dans une impasse au milieu du scénario (il est utile de mettre les rencontres sur des fiches cartonnées, si vous les mélangez pendant la partie).

Enfin, derrière le libellé interruption, indiquez la raison pour que le PNJ cesse l’entretien une fois que les PJ lui auront extrait toutes les informations et l’amusement nécessaires. Il est plus facile de faire sortir les PNJ de scène dans un univers moderne avec des emplois du temps chargés et des téléphones portables qui sonnent, mais tout personnage non joueur s’estimant un peu devrait, quelle que soit l’époque ou le genre, avoir le désir de reprendre ses activités lorsque vous le voulez.

Les interruptions peuvent être en rapport avec la réticence originale du personnage à parler. Un snob veut chasser des PJ indésirables hors de son manoir le plus vite possible. Un paranoïaque veut échapper à une menace imaginaire. Si les PJ n’ont pas passé les menottes à un personnage impliqué marginalement dans un crime, il va vouloir quitter la juridiction le plus vite possible.

Les interruptions hors contexte fonctionnent également bien et donnent à votre monde un aspect plus réaliste. Des détails routiniers comme des bébés qui pleurent, des éviers qui débordent, des casseroles sur le feu, des chevaux qui s’échappent ou des denrées que l’on doit protéger de la pluie, fournissent les excuses pour qu’un PNJ coopératif termine sa discussion avec les PJ.

Je resterais bien avec vous pour approfondir, mais vous avez toutes les pièces nécessaires pour monter le reste. J’ai une chouette à nourrir. Ou un truc comme ça ! Bon courage pour cette enquête, hein ?

Article original : Pardon Me, I Must Be Going

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