Une autre sorte de courrier aérien

Notre premier jour (ou nuit, pour être plus précis) dans les rues du [quartier le plus mal famé] South Bronx fut plutôt surréel. Nous étions trente bleus en attente d’affectation, donc on nous avait défini trente patrouilles. L’appel avait lieu à 17h35 et il fut aussi chaotique que ce à quoi vous pouvez vous attendre.

On fit l’appel et on nous assigna nos postes. On distribua des mauvaises photocopies de plans du district, ainsi qu’une liste des patrouilles ; on nous indiqua les heures de repas et on nous précisa l'état du secteur. Nous devions battre le pavé et faire connaître notre présence à toutes les personnes mal intentionnées. Ou un truc débile comme ça. Un meilleur conseil aurait été “Sachez où vous mettre à couvert et surveillez vos arrières.”.

J’ai eu de la chance. En fait ma patrouille était adjacente au commissariat. Tandis que je partais pour rejoindre mon poste, d’autres étaient encore en train d’essayer de trouver le leur sur la carte. Certains se trouvaient même à un kilomètre voire plus vers le nord. Une longue marche ou un voyage en bus allaient probablement être de mise.

Ma ronde cette nuit-là était sur la 161e rue Est, en gros du bloc du poste de police jusqu’à la frontière que l’on avait en commun avec le 44e district à l’ouest. Il faisait froid, et seuls un lampadaire ici ou là, ou un taxi de passage, m’éclairaient. On me lança une première bouteille dessus environ 30 minutes après le début de ma patrouille.

Je n’avais rien vu arriver. Bordel, je ne savais même pas qu’on me l’avait lancée avant qu’elle n’explose à 4 ou 5 mètres de moi dans de multiples éclats de verre. En regardant autour, je ne pus deviner qui l’avait lancée. Il n’y avait pas un rat aux alentours. J’en avais les poils qui se hérissaient tant c’était flippant.

Peu de temps après, la radio à ma ceinture s’affola. Les bleus en patrouille pédestre dans l’une des cités signalèrent qu’un petit évier en porcelaine venait de s’écraser sur le trottoir à côté d’eux. D’autres s’étaient pris  des batteries. Un éclat de tube néon jeté d’un toit blessa même un collègue. Personne ne se préoccupa de mentionner ses lancers de bouteilles à la radio. Cette nuit-là, j’appris un nouveau mot d’argot de flic : “Courrier aérien”. Il y eut beaucoup de courrier aérien cette fois-là.

On apprit à ne pas marcher trop près des barres d’immeubles, à regarder plus souvent au-dessus et autour de nous avant de regarder en face. On apprit que certaines personnes savaient qu’on était des bleus. Ils voulaient donner le ton, ils voulaient nous intimider. Bordel ! Ils voulaient nous blesser.

Notre sergent passa le reste de la nuit à fusionner les patrouilles. La sécurité par le nombre. Les patrouilles en solitaire étaient terminées pour cette nuit, à de rares exceptions. J’étais l’une d’elles : il avait oublié que j’étais dehors jusqu’à ce que je revienne au poste à la fin du service.

Au moins, aucune des trois autres bouteilles n’atterrit aussi près que la première.

Article original : A Different Kind of Air Mail

 

Des pigeons imaginaires

“Sécuriser le commissariat” est probablement l’un des postes les plus ennuyeux auquel un flic puisse être affecté. C’est à toi de t’assurer qu’aucune personne non autorisée ne puisse directement aller jusqu’à l’officier d’accueil. C’est un peu comme être hôtesse d’accueil à Carrefour, mais avec un pistolet et sans le caddie.

J’ai fait ma part de “sécurisation du commissariat”. La plupart du temps c’était barbant et monotone. Toutefois, quelques instants sortent du lot.

Je passai le temps [devant l’entrée du poste de police] en discutant avec un des gars de la brigade de détectives. C’était un vieux de la vieille, avec toute la panoplie, y compris un cigare mâché, et qui terminait la plupart de ses phrases d’un “de mon temps”. À part ça c’était un chic type, un des rares, parce qu’il aimait bien transmettre son savoir aux petits nouveaux du district et que ce genre d’informations valait le coup (1). Quoi qu’il en soit, pendant qu’on parlait, des particules sableuses nous tombaient régulièrement dessus. Je n’y ai pas prêté attention de suite, mais à la troisième reprise j’ai fait la remarque : “Ça doit être fatigant d’avoir tout le temps des pigeons devant la fenêtre de la brigade.”

“Fiston, il y a pas de pigeons sur ce bâtiment. Est-ce que tu fais référence à cette merde qui n’arrête pas de tomber ?

– Ouais, quoi d’autre ferait tomber de la poussière depuis les rebords de fenêtre ?

– Très bien. Regarde droit devant toi et tourne-toi à  une heure. T’vois les cités à environ 800 mètres ? T’vois ? Bien. Déplace ton regard vers le toit. Qu’est-ce que tu vois ?

– Je vois quelqu’un qui joue avec un briquet. Ouais, l’éclat d’un briquet.

– Nan fiston, ça, c’est le canon d’un fusil 22 long rifle. Ils tirent sur le poste. À cette distance ils ont de la chance de toucher le bâtiment tout court. C’est de là que vient ta poussière ; les balles qui tapent au-dessus de nous. Bordel, les balles n’entament même pas les fenêtres. C’est pas bien méchant. C’est ce que font certains pour s’amuser la nuit par ici.

– OK… Euh.. On pourrait poursuivre notre conversation à l’intérieur si ça vous dérange pas.”

Et c’est ce qu’on a fait.

Article original : Of Three Legged Dogs and Non Existent Pigeons

(1) NdT : Lire Mort de plaisir (ptgptb) pour d’autres genres d’informations utiles lors des interactions avec les cadavres. [Retour]

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Pour aller plus loin… panneau-4C

- Cet article est repris, avec d'autres sur le thème de la police et la justice, dans notre e-book 30! V'la les flics !

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