Scènes de combat dans le Théâtre de l’Esprit

Avec la parution prochaine de D&D 5, j’ai vu quelques questions de rôlistes récents – qui ont seulement l’expérience de la quatrième édition et peut-être de l’édition 3.5. Le sujet des questions est : comment jouer les combats sans utiliser de battle map ou des grilles quadrillées et des figurines.

On appelle parfois ce concept un combat dans le “Théâtre de l’Esprit (TdE)” parce que les descriptions et placements sont visualisés dans l’imagination des participants et pas représentés sur la table. Je me suis dit que j’allais expliquer en quoi consiste le combat à la façon du TdE et comment l’utiliser avec succès.

Je préfère mener les combats dans le TdE. Je ne peux pas toujours le faire dans Pathfinder grog ou D&D 3.5, mais à l’époque de D&D Basic [la “1re édition” (NdT)], ou de la deuxième édition, je n’utilisais que le TdE, tout comme la plupart des autres jeux de rôles proposaient le TdE par défaut, sans aucune alternative. De nos jours, nous l’utilisons plus avec Pathfinder parce mon groupe se lasse de plus en plus des battle maps pour les combats tactiques et le temps que ça prend à gérer. La prochaine édition de D&D (la cinquième) est assez proche de la deuxième édition dans l’esprit, donc je suppose que la plupart de ces techniques se transposeront bien d’une édition à l’autre.

Le Théâtre de l’Esprit permet de gérer les scènes de combat plus rapidement et – franchement – de façon plus intéressante. Le risque principal est que les joueurs se sentent bernés, qu’ils aient l’impression que le MJ a trop de pouvoir, et qu’ils essuient des refus répétés et arbitraires dès qu’ils essaient de toucher un adversaire ou autre. C’est pour cette raison que D&D [à partir de sa troisième édition] a introduit de plus en plus de figurines et des règles conçues au nom de la montée en puissance (empowerment) des joueurs. Rajoutez en prime des dons et des capacités dépendant de la portée, et il devient encore plus difficile d’arbitrer les placements pour la prise en tenaille ou calculer sa portée etc. sans s’appuyer sur une carte tactique.

Voici comment jouer un combat dans le Théâtre de l’Esprit sans réduire la marge de manœuvre des joueurs.

Donnez des informations à vos joueurs

Soyez clair dans vos descriptions. Pour que ça fonctionne, vous devez être clair et les joueurs attentifs, sinon vous aurez beaucoup de “Ben je ne les aurais pas chargés si j’avais entendu qu’on était séparés par un gouffre…”. Décrivez les éléments les plus importants (obstacles, adversaires, leur armement) et ne craignez pas de le répéter à chaque round. Réciproquement, les joueurs devraient donner des détails et se répéter “Ensuite je me sers de mon action de mouvement pour m’écarter du groupe de 10 mètres, afin d’être en dehors de la zone d’effet en cas d’attaque de zone, n’est-ce-pas, tu m’as bien compris, MJ ?”

Même sans utiliser de battle map, tracer rapidement un plan sur un tableau Veleda ou autre peut s’avérer très utile. Dans nos parties récentes de Pathfinder, quand le MJ “fait une carte”, il se contente de dessiner un plan sur un tableau, et au lieu d’utiliser une battle map, nous nous basons sur son croquis et annonçons “Je cours vers la sorte d’autel là-bas”. Si c’est [un gros combat], nous rajoutons quelques symboles, façon schéma d’entraîneur de football, pour montrer les positions des uns par rapport aux autres.

Note du Traducteur

L’auteur précise “Il fut dessiné caverne par caverne, au fur et à mesure de l’exploration des PJ. Les croix ont été faites par le porte-parole du groupe pour indiquer où son personnage allait se rendre ensuite“–”

De façon générale, accordez aux joueurs le bénéfice du doute. Soyez généreux dans vos interprétations ; ce sont des aventuriers qui déchirent et vous pouvez partir du principe qu’ils prendront des décisions épatantes. Vous voudrez être équitable et laisser la possibilité aux joueurs d’annuler une action en cas de malentendu – mais ne soyez pas trop généreux : cela encouragera les joueurs à être attentifs.

Laissez vos joueurs prendre des décisions

Tout d’abord, laissez les joueurs ajouter des trucs dans la narration. J’ai retenu la leçon en jouant à Feng Shui grog : quand les personnages se battent dans une pizzeria, et que l’un d’eux veut se servir d’une roulette à pizza comme arme, le fait que le MJ s’efface a beaucoup d’avantages : cela montre que les joueurs qui rajoutent des éléments au décor y sont attentifs. Je suis devenu un bien meilleur MD à D&D après avoir joué à Feng Shui. Laissez-les improviser leur environnement, en ne mettant votre veto que s’il y a clairement un abus.

Encouragez aussi vos joueurs à expliquer autant ce qu’ils souhaitent faire que les raisons de le faire – leurs intentions et les enjeux. “Je veux me déplacer de 5 mètres” est trop vague. Par exemple “Je veux prendre en tenaille le chef orque avec Jethro, même si je risque de me prendre une attaque d’opportunité” est meilleur. De même, vous en tant que MJ devez affirmer clairement leurs options et leurs enjeux : “Tu peux faire ça, mais tu risques de tomber dans la fosse.”

Dans ce cas, ça peut aider de négocier et d’être précis. “Je veux me balancer sur le chandelier, même si je risque une chute”, dit le joueur, envisageant un maximum de 2d6 points de dégâts s’il se base sur la description de la pièce par le MJ. Par contre, si le MJ pense que la chute causera plutôt 10d6 points de dégâts… Si vous attendez l’échec et la chute du personnage pour avoir cette discussion, le joueur va s’énerver ; si vous énoncez les enjeux dès le début, tout le monde sera sur la même longueur d’onde.

Laissez vos joueurs choisir les conséquences

Laissez vos joueurs choisir les conséquences d’une action, idéalement lors d’un jet de compétence. Si un joueur veut savoir combien de créatures il peut atteindre avec son sort Mains brûlantes, vous pourriez répondre “Deux, mais tu peux tenter un jet d’Art de la magie (ou Intelligence, ou autre) pour essayer d’en atteindre trois, avec le risque de brûler un de tes compagnons au corps-à-corps si tu fais un échec critique”. Je m’en sers actuellement pour des combats navals à notre table de Pathfinder – quand un PJ lance une boule de feu sur l’autre navire, comment suis-je censé connaître l’emplacement de chacun des trente membres de l’équipage ennemi :? Je dis “Fais un jet d’Art de la magie” et le résultat détermine le nombre de pirates rôtis. Nous avons généralisé ce mécanisme : “Il faut obtenir 10 au dé pour réussir, et +1 par tranche de 5 points au-delà.” Il est alors plus facile de faire correspondre des effets à des marges de réussite.

(…)

J’ai aussi utilisé une règle maison (inspirée de la 2e édition de D&D) qui considère la “Chance” comme une caractéristique, pour m’aider à déterminer des éléments comme “Qui se trouve sur la trappe ?”. Si c’est le joueur qui lance le dé et/ou qui prend le risque, il sait que les conséquences dépendent de son dé dans sa main, et pas dans celle du MJ.

Une dernière chose : faites en sorte que les avantages achetés pour le personnage méritent la dépense. Certains sont difficiles à quantifier si on n’utilise pas de battle map (comme le don Se fendre [lunge, à l’escrime] dans Pathfinder). En tant que MJ, gardez ces informations en tête et accordez un avantage aux PJ de temps à autre. Si par exemple vous décrivez que les adversaires des PJ sont hors de portée, mais que l’un des PJ possède le don Se fendre, rajoutez systématiquement dans votre description (une fois par combat) “sauf toi, tu peux les atteindre !” au joueur qui rappelle qu’il a le don en question. Fondamentalement, quelles que soient les conditions d’utilisation du don, laissez les joueurs l’utiliser.

Sélection de commentaires

Centurion13

C’est marrant. À l’époque de l’âge d’or de la deuxième édition, vers 1987, on préférait utiliser le Théâtre de l’Esprit pour tout sauf le combat. Les grilles sur la nappe, les figurines adorablement peintes que je conservais dans un casier à bord et que j’amenais au mess : tout cela apportait une réelle valeur ajoutée au combat, en te permettant de visualiser vraiment où chacun se trouvait par rapport aux autres. Nous tenions beaucoup à avoir une vision commune à ce moment-là : nos vies en dépendaient, en quelque sorte !

Mais je peux comprendre l’envie de s’éloigner de ce genre de choses après des années de mini-maxage et d’optimisation des règles. J’ai toujours trouvé que Rolemaster était un jeu pourri parce qu’il fallait un temps dingue pour créer son personnage (deux heures et plus) – mais un instant pour mourir de façon horrible (à cause des tables de coups critiques). J’ai eu l’impression que AD&D allait aussi dans ce sens après la 2e édition. La quatrième édition a définitivement enfoncé le clou dans le cercueil.

Ernest Mueller

Ouais, on utilisait aussi des figurines à l’époque – ça dépend si tu considères qu’elles passent en priorité. Comme nous faisions surtout du Théâtre de l’Esprit, il semblait plus évident que les figurines servaient à donner une idée générale plutôt qu’à représenter la scène au millimètre près. Par contre, dans les 3e et 4e éditions, les figurines deviennent beaucoup plus présentes et l’histoire (s’il y en a) en découle directement. Ce n’est pas la faute de l’accessoire, mais de la façon dont on l’utilise.

Épilogue

J’ai fait ma première partie chez la Pathfinder Society il n’y a pas longtemps, et on sent sacrément comment le Théâtre de l’Esprit a disparu avec la licence D20/OGL. Et on sort le tapis de jeu, et on sort les figurines… Le MJ pose une figurine pour représenter l’adversaire.

“Alors, qu’est-ce que c’est ?

– Fais un jet de connaissance pour connaître ses faiblesses !

– Non, je veux dire, à quoi ça ressemble ? C’est la même figurine que tu utilises depuis les deux derniers combats, est-ce que c’est le même monstre ?

– Non ! Et ton personnage ne sait pas ce que c’est !

– Je veux dire, est-ce que ça ressemble à un gorille, un zombie, un dragon, un cube gélatineux, un tas de cailloux… ? Tout ce que tu me dis c’est “Il y a un combat, lance ton jet d’initiative”.

– LANCE TON INIT !

S’ensuit une litanie d’échanges tels que “Cette figurine t’inflige 5 points de dégâts”…

Article original : Theater of the mind

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