Une épée peut-elle sourire ?

On peut doter les objets d'un historique et d'un niveau de détail comparable à certains Personnages Non-Joueurs, augmentant leur importance dans la narration de la partie (qui est différente de la narration dans le sens traditionnel où les "rythmes" de l'histoire tendent à décrire un motif sinusoïdal, des points forts d'action/de drame qui redescendent ensuite vers la normalité voire tombent encore plus bas jusqu'à la prochaine montée (1) et les emmenant au-delà de leur rôle de simple butin de guerre ou récompense matérielle.

Ajouter des détails et une histoire à n'importe quel objet - en particulier un dédié à un PJ donné qui le ramassera - permet

  • de garder certains joueurs sur la bonne piste - si on donne de bons indices sur l’objet et les incidents [qui lui sont liés],
  • d’ajouter de la saveur et du détail à l'univers de jeu
  • et d’amener quelques complications à des campagnes linéaires.

Ces objets créés exprès ne sont pas seulement des trésors, mais de petits bouts de l'univers de jeu conditionnés sur mesure pour que les joueurs et les joueuses les découvrent (explore).

Pour être clair, [ces objets] ne sont pas des McGuffinswiki [excuses pour l’intrigue (NdT)]. Conçus sur mesure, ils servent à enrichir une campagne. Ils ne sont pas destinés à être au centre de la campagne ni à motiver le groupe à partir vers une quête précise qui constituera le principal de la partie [Quelqu’un a pensé « Anneau Unique » ici ? (NdT). On les crée cependant pour traverser la campagne aux côtés de leurs propriétaires, en espérant que cela ajoute de la richesse de détails à la partie. En un sens, ils ornent une longue campagne et donnent au MJ du grain à moudre.

Les objets particulièrement détaillés, ceux avec un historique, peuvent mener à

  • de nouvelles aventures (qui arrivent aux points bas de la courbe et mènent [la narration] vers les points forts),
  • à une aventure dans l'aventure,
  • ou à moult quêtes secondaires qui s’écartent de l’objectif principal de la campagne ou qui s’y ramènent. C'est une autre ficelle à tisser dans la structure de l'univers de jeu.

Par exemple, prenez un objet très commun, mais aussi très convoité de toute campagne de fantasy : une épée. N'importe quelle épée, après une mode morbide, peut dessiner (ou plutôt tailler) un joli sourire rouge sur quelqu'un n'importe où sur son corps, mais la véritable valeur d’un objet unique avec une histoire attrayante - et une destinée non encore accomplie - est une aubaine pour le MJ. Les MJ devraient faire un effort pour créer des objets personnalisés que les personnages-joueurs peuvent découvrir, rechercher, gagner ou piller durant la campagne. L’objet n’a pas besoin d’être magique ni d’avoir des pouvoirs spéciaux, mais si c’est ces carottes que vos joueur.euses mordront alors pourquoi pas.

Cependant, l’objet doit être visuellement (je veux dire de manière descriptive) intéressant pour au moins un des PJ, cela servant d'accroche initiale [à l’intrigue]. Ça ne coûte rien non plus d’essayer d’adapter l’objet pour des personnages précis d’un groupe, afin qu’ils le ramassent et l’utilisent - tout en essayant d’attirer l’attention des joueurs.

Prenons par exemple un Dao Chinois avec de longs pompons glands et une lame lourde et large, similaire à celle d’une machette :

sabre "dao"

L’épée accrochée sur le mur d’en face était couverte d’un voile poussiéreux de toiles d’araignées. C’est un Dao d’une particulièrement bonne qualité. Vous pouvez distinguer des reflets d’or et d’argent, le scintillement de pierres précieuses, ainsi qu’une étrange lueur vacillante comme d’une flamme, émanant de derrière les toiles et au moins des siècles de saleté par-dessus.

Il y a quelques méthodes pour accrocher les joueur.euses qui sont similaires à celles utilisée dans l’écriture d’accroches d’aventures. En gros, vous devez vous poser ces deux questions :

  • quel type d’arme/objet les joueurs cherchent-ils, ou ont-ils cherché ?
  • est-ce quelque chose qu’ils ou elles peuvent ramasser et utiliser mais aussi en explorer ses utilisations (attrait immédiat), comme une arme ayant des capacités spéciales qui la rendent plus efficace au combat une fois que le porteur ou la porteuse a appris à utiliser ses capacités ?

Bien sûr ce dernier aspect repose presque entièrement sur le système que vous utilisez et sa flexibilité.

Cela nous amène au « Bling ». Le bling étant les détails visuels qui non seulement marquent l’objet comme unique, mais forment aussi la partie voyante de la description qui a pour seul objectif d’attirer l’attention des joueuses avec des détails qui vont les tenter. Commençons par les détails essentiels tel que :

  • De quel matériau est fait l’objet ?
  • Ce matériau est-il extraordinaire ou a quelque chose d’exotique ?
  • Y a-t-il des pierres précieuses ? De quel type ? Comment sont-elles taillées ?
     
  • Y a-t-il des inscriptions ou des incrustations ?
  • Sont-elles des messages ?
  • Si oui, dans quelle langue ?
  • Les PJ peuvent-ils les déchiffrer, ou ont-ils besoin d’un interprète ?
  • Sont-ce des inscriptions magiques ou elfiques ?
  • De quoi est faite la poignée ?
  • Est-ce que les matériaux, le style, la fabrication, donnent des indices sur son origine géographique ou historique ?

La lame du Dao est faite d’argent ; la garde et le pommeau sont d’or, gravé de motifs similaires à des flammes. Il y a des inscriptions semblant écrites en un ancien dialecte nordique. Le long de la lame il y a des incrustations de platine et de pierres de jade, de rubis et de saphirs au bleu profond, disposées de manière alternée et taillées en cabochon [taille arrondie sans facettes. (NdT)].

Les pompons, rattachés au pommeau doré, sont de soie de feu.  À la base de la lame Un gros grenat d’un rouge profond, qui brille de  sa propre lumière vacillante de flamme. La poignée est enveloppée dans une douce peau bleu métallique d’un serpent de mer.

Ces détails devraient distinguer l’épée de tous les trésors que les personnages portent déjà à ce moment de la partie et rester d’une certaine manière unique pour le reste de la campagne. Inventez certains détails devraient exclusivement pour l’objet, en fonction de son histoire ou de son parcours. En cas de doute,  ajoutez des inscriptions  d’un nom ou un proverbe. Une fois les détails ajoutés - dont au moins un qui soit unique -, inventez un bref historique pour terminer l’objet.

Ces détails exclusifs peuvent inclure des cicatrices de bataille qui ont une histoire associée, des armoiries personnelles, des marques du fabricant ou des décorations qui remplissent un rôle donné. Comme pour l’apparence initiale d’un.e PNJ, la description initiale de la forme et de l’état d’un objet influent sur la perception de n’importe quelle « personnalité » perçue ou appliquée. Des imperfections visibles, reliquats de la main de l’artisan ; ou un défaut dans le matériau de base lui-même peuvent marquer l’objet comme unique et peuvent, et devraient, contribuer à son passé.

La lame de l’épée porte une profonde entaille, une vieille blessure de guerre due à un coup puissant. Il y a une parcelle d’écailles beaucoup plus pâles parmi les douces écailles bleu profond de la poignée. Le pêcheur que vous avez questionné à propos de la peau recouvrant la poignée vous mentionne de façon désinvolte un ancien conte de pêcheurs à propos d’un serpent de mer vicieux surnommé « Vielle Cicatrice » à cause des morceaux de peau lui manquant ici et là sur sa peau, conséquences des harpons de marins se défendant.

Lorsque vous écrivez l’historique de l’objet, vous devriez savoir ce que le groupe possède comme capacités ou ressources pour l’examiner. Les médiums et les lanceur.euses de sorts avec des pouvoirs ou des sorts d’augure ou de détection peuvent aider le groupe en percevant des aperçus attrayants, des bribes de dialogue et autres indices sur celui qui l’a fabriqué, qui l’a possédé, où l’objet a été et son histoire unique. Inversement, si vous cherchez à cacher des détails, ces pouvoirs peuvent ruiner la chasse aux indices et déballer toute l’histoire d’un seul coup. Il est alors utile pour le MJ d’être subtil et d’aiguiser ses talents de trucage [de dés] en utilisant à votre avantage les règles de ces pouvoirs.

Pour ce type d’objet du MJ, les capacités d’enquête sont certainement adaptées pour . Utiliser la science, des capacités de laboratoire pour obtenir des informations ou l’alchimie pour les univers de fantasy, à la manière des Experts est une autre dimension dont un.e MJ doit se tenir informé, en particulier dans les univers modernes. Il ne faut pas non plus sous-estimer les recherches bibliographiques ; elles permettent soit au MJ de créer des accessoires liées à l’objet - comme des recueils de légendes ou des listes de collections antiques -, sans oublier les personnages d’antiquaires eux-mêmes qui sont probablement les mieux équipés (sauf certains médiums) pour se plonger dans tels aspects d’une campagne. Ces types de personnages et de compétences sont déjà, ou devraient déjà, motiver les joueur.euses à participer et leur permettra de fouiller plus facilement dans l’historique de l’objet.

L’historique consiste en ces quelques points élémentaires :

  • Où est-ce que l’objet a été fabriqué ?
  • Qui l’a fabriqué ?
  • Qui en a été le dernier possesseur et quel est le personnage le plus important de l’histoire de l’objet ?

Choisissez les individus de l’historique qui ont le plus de poids en termes de jeu. Cela peut être l’artisan, le premier propriétaire, la dernière propriétaire, ou celui qui l’a volé. Globalement, il ne faut créer qu’un à deux [personnages] ; les autres peuvent être créées à la volée avec quelques détails seulement. Les PNJ de l’historique n’ont pas besoin de caractéristiques complètes, seulement de laisser leurs empreintes sur les joueurs. Notez que les personnages principaux de l’historique ont des noms, qui doivent être reconnaissables.

Quand il s’agit de ces types d’objets spéciaux, le MJ doit de nouveau se poser quelques questions pour continuer à alimenter sa créativité :

  • À quel point l’objet est-il reconnaissable ?
  • A-t-il une réputation ?
  • Est-ce que le créateur/propriétaire de l’objet est connu ou y a-t-il un conte, une légende à leur propos et concernant cet objet ?
  • L’objet a-t-il un nom ?

Il peut également s’agir de questions que les personnages/joueur.euses peuvent se poser, donc vous feriez mieux d’avoir les réponses prêtes,  à sortir p.ex. de la bouche de vos PNJ.

La lame a probablement été forgée quelque part au Sud, où l’argent de la meilleure qualité utilisée pour les lames est raffiné à partir du plomb, et où les compétences que demande la confection d’une telle arme ne sont pas rares. Il y aurait un village dans une zone reculée de cette région où on élèverait des vers-dragons qui sécrètent cette soie de feu très rare, mais personne n’a vu une telle soie nouvellement tissée depuis des millénaires.

La prochaine étape est de fusionner ces foutaises de « bling » et les éléments d’historique que vous avez écrit, et d’en faire des en indices. En premier, faites-en sorte que les historiques des PNJ liés à l’objet, les détails importants, les matériaux de base et la fabrication en général vont bien ensemble pour mettre en avant l’histoire de l’objet. Cela ne veut cependant pas dire que tous les détails ont besoin de s’accorder. Vous pouvez les utiliser pour mettre en avant des contradictions évidentes entre les détails, ou les utiliser comme un outil pour mettre les personnages qui les déchiffrent devant un paradoxe. Utiliser les détails de cette façon peut servir à alimenter la curiosité des joueurs, ou aider à les faire prendre le chemin que révèle l’objet.

Les inscriptions sur la lame disent, « Mort à l’Usurpateur du Sud ! ». La peau de serpent de mer provient d’une variété éteinte de serpent de mer connue sous le nom de Saphirs des Mers du Nord, chassés par des pêcheurs entreprenants. Il y a des inscriptions autour du bord du pommeau qui sont usées, très difficiles à lire. Ils mentionnent un nom – Maître Serpent Commandant de… - mais le reste est illisible.

L’historique que le ou la MJ créé peut lancer une quête secondaire (s’éloignant de la trame principale de la campagne),

  • avec une progression parallèle,
  • s’entremêlant avec l’histoire principale,
  • la rejoignant à un moment,

…ou n’importe quelle combinaison des trois. Mêler le passé de l’objet avec la direction de la campagne en cours peut garder impliqué un joueur entêté, en y mélangeant l’histoire de son personnage. Ainsi le PJ fait avancer la campagne grâce à sa curiosité.

Cela peut aussi aider si la trame principale n’intéresse plus les joueurs ; ils s’impliquent alors dans cette intrigue concurrente, et elle les ramène plus tard à l’intrigue principale.

Les points d’intersections avec l’histoire de l’objet peuvent être multiples, et le MJ donnera une petite friandise d’information aux joueurs à chaque fois. Un exemple serait :

Lors d’un voyage vers le sud depuis une frontière nordique, les PJ ont vent d’une vielle légende, ou entendent des bribes de conversation, qui apportent des précisions sur un aspect précis de l’objet. À chaque fois qu’ils s’arrêtent - ou qu’ils ou elles se renseignent - on leur indique une autre direction. L’endroit, où ils pourraient (ou vont) découvrir un nouvel indice, est proche, mais tout de même à l’écart de l’aventure principale.

Essentiellement tandis que les PJ poursuivent leur but principal, ils tomberont sur les endroits où l’objet spécial entre en jeu.

Lors de votre arrêt au village, les poivrots du village vous régalent avec une histoire très ancienne connue dans la région, à propos d’un jeune fils de riche marchand dont les richesses comptaient, dit-on, d’innombrables pierres précieuses peu taillées, qui brillaient de leur propre feu intérieur. Un chef de guerre barbare descendit des montagnes avec ses cavaliers et conquit la toute la région ; la famille du jeune homme fut massacrée et ses richesses pillées. Il fuit alors vers les provinces du Nord en se jurant de se venger lorsqu’il reviendrait…

L’historique de l’objet peut être étendu sur le monde de la campagne, ou s’y rajouter,  comme le ferait un PNJ bien construit. Mais contrairement aux PNJ, ces détails sont passifs du fait qu’ils requièrent que les joueurs et leurs personnages enquêtent ou aient un PNJ qui reconnaît l’objet et partage ce qu’il sait sur lui. De fait, cela ajoute de la saveur plus qu’autre chose, mais cela requiert que les participants s’investissent activement pour y goûter. À l’exception évidemment des capacités surnaturelles que l’objet peut donner.

Ce genre d’objets spécialement conçus donnera des histoires à explorer au groupe et/ou au joueur dont le personnage possède l’objet. Mais ce dernier choix peut éloigner les autres membres du groupe, ce qui - à moins que vous n’essayiez de les monter les uns contre les autres - n’est pas la meilleure idée. Dans ce cas, il vaut mieux fabriquer l’objet pour l’intérêt et l’utilisation d’une seule joueuse et son personnage et il faudrait ajouter des objets pour le reste du groupe ; bien que ces objets ne devraient pas tous être découverts en même temps.

En fait, cela peut être utile que le premier objet mène au second objet, puis à un autre, donnant au MJ un moyen d’attirer tout le groupe avec chaque objet qui donne une seule pièce de puzzle ; menant à une énigme qui les supplie d’être résolue ou une histoire dont ils ne peuvent s’empêcher de vouloir la conclusion. N’oublions jamais que les objets doivent être utiles aux personnages, au-delà de leur historique et des indices. Jouez avec le côté pragmatique des joueur.euses, et en même temps utilisez leur avidité pour les accrocher, et leur curiosité pour les pousser en avant.

Les joueur.euses - et donc leur personnage - tendent à s’attacher aux objets spéciaux détaillés, comme à leur PNJ préféré si l’historique et les détails sont justes comme il faut. Plus tard, Iels feront peut-être face à un dilemme entre choisir de garder l’objet aimé ou l’abandonner pour un objet meilleur - un cas rare où la valeur affective vainc l’aspect pratique. Un objet bien conçu peut contribuer à la qualité générale de la campagne, à condition que vos joueurs s’y laissent tenter.

Article original : Can a sword smile ?

Sélection de commentaires

Scott Martin

J’aime ton article et je suis d’accord avec le fait qu’intégrer un objet en tant que partie du monde de jeu est une excellente manière de rendre le monde plus impliquant  – et ce trésor semble spécial, pas « oh, hum, un autre cimeterre +2 »

Un avertissement que je soulignerai est que l’objet n’entrainera pas forcément l’enquête qu’il mérite. Parfois c’est une question de détail minime : « une teinte rosée » sur la lame qui fera que le personnage s’en débarrassera préventivement au marché parce que, qui veut être connu comme « le Barbare rose » ?

Comme pour les PNJ, vous devez être prêt à laisser l’objet disparaître en arrière-plan si personne ne semble s’intéresser à lui… mais souvenez-vous que vous pouvez toujours ajouter de nouvelles informations tentantes à son sujet plus tard, si vous y tenez toujours . Peut-être que le prochain indice sera celui qui enflammera l’imagination de vos joueurs.


(1) NdT : pour les lecteurs non familiers des arcs de tension, lire La Création de scénarios, deuxième partie ptgptb et les articles associés, voire tout l’ebook n°8, Comment écrire un bon scénario. [Retour]

Note: 
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Pour aller plus loin…

Chez Gnome Stew, un article en réponse : Swords with attitude aka Can a sword pout ? (en)

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