5 choses qu’un rôliste peut apprendre de Leverage
© 2015 Steve Darlington
NdT : Leverage wiki est une série américaine d’action où Nathan “Nate” Ford – le “cerveau” (mastermind dans Leverage RPG) – rassemble une équipe de spécialistes (voleur, hacker, escroc, gros bras…) pour mener des missions visant à combattre les injustices, à la façon d’un Robin des Bois moderne.
Robin Laws aime faire exploser Hollywood (1) mais je suis plus porté sur le petit écran, du coup nous voilà partis pour le deuxième épisode de ce que j’espère être une longue série ptgptb. Bien sûr, si vous aimez Leverage, essayez de mettre la main sur le jeu de rôle grog, mais la série donne quelques leçons d’écriture qui s’appliquent partout.
1. Montrez-nous les méchants en premier
Bien des aventures de jeux de rôle ont un problème de motivation. Elles débutent lorsqu’un M. Johnson ou un magicien vous embauche, ou lorsque quelque chose d’inhabituel se passe, et quand les emmerdes tant attendues commencent à pleuvoir, les PJ manquent de raisons suffisantes pour jouer aux héros et combattre une chose dotée d’un surplus de crocs ou de tentacules. Quelques JdR incluent la motivation dans l’univers de jeu ; de nombreux joueurs se souviennent d’incorporer ces éléments à leurs personnages ; mais ce genre de raisons ne tient pas longtemps, notamment parce que les joueurs ne se sentent pas réellement concernés.
Prenez Star Wars : la feuille de personnage de Luke nous indique qu’il veut rejoindre l’Empire pour être cool comme Biggs [son ami devenu pilote (NdT)], et l’histoire de son personnage commence avec l’assassinat de ses parents adoptifs et un mystérieux héritage. Cependant la première chose que voient les spectateurs, c’est ce grand sorcier maléfique qui assassine les gardes et enlève la princesse.
Ce n’est pas seulement quelque chose que les personnages ne peuvent pas ignorer, c’est quelque chose de bien plus puissant si vous le faites correctement : vous allez énerver vos joueurs. Et une fois que ce sera fait, ils vont s’impliquer dans votre partie avec une fureur que vous serez peut-être incapable de maîtriser. Leurs persos vont perdre leur esprit, leurs armes et leurs points d’XP pour mettre la main sur celui qui les a mis en colère. Les montagnes russes émotionnelles de Leverage en tiennent compte, c’est pourquoi la série vous accroche avec une grosse décharge d’adrénaline [dès le début de l’épisode].
Bien sûr, la plupart des JdR s’épanouissent grâce à une part de mystère, et vous ne voulez pas que votre scène d’exposition dévoile des indices dont vous pourriez avoir besoin plus tard, mais Leverage montre à chaque épisode que le véritable coupable peut se cacher parmi la foule ou qu’il représente seulement une partie de l’histoire, ou que l’atteindre requiert un plan en plusieurs étapes.
Leverage ne nous montre souvent que les dégâts collatéraux (2), ce qui est un cliché de la fantasy régulièrement oublié. Nos parties commencent souvent quand les villageois engagent les PJ pour combattre les orques, et nous sautons la scène où nous regardons, impuissants, les orques massacrer et violer la population (ou la longue marche à travers le village après les événements, contemplant les visages défaits et les petites, petites tombes). Fini les débuts d’aventure à la taverne, ça ne fonctionne tout simplement pas.
2. Les classes de personnage, c’est important
Oui, nous détestons les classes de personnages, et ce pour de bonnes raisons : on s’y sent à l’étroit, comme si on ne pouvait pas créer un personnage par nous-mêmes et encore plus lorsqu’elles vont de pair avec des niveaux, vous forçant à suivre l’escalier des guerriers vers l’étage des classes avancées de guerriers, et rien d’autre. Mais Leverage aime tellement les classes qu’il les liste dans le générique d’introduction. Mais pourquoi ? La réponse est : parce que ça fonctionne. Dans un récit centré sur l’intrigue, les classes fonctionnent comme un charme et créent en plus naturellement du drame et de la comédie quand elles se télescopent ou doivent être surmontées. John Wick grog fait montre d’une haine déraisonnée envers les jeux équilibrés ptgptb, mais pour moi un jeu équilibré est un jeu où tout le monde a sa “niche de personnage” qu’aucun autre joueur ne peut piquer.
De cette manière, tout le monde a la sensation d’apporter quelque chose d’unique à la table, qui fait que chacun se sent spécial, nécessaire, et dispose d’un temps équivalent pour briller. Que votre système soit “équilibré”, basé sur des classes ou rien de tout ça, posez-vous et déterminez qui est en charge de quoi assez tôt dans votre campagne, voire avant la moindre partie. L’opération peut vous prendre un peu de temps bien sûr, mais au moins si vous pensez à y faire attention, vous allez positionner vos personnages bien plus vite dans les “niches” quand vous les rencontrerez.
Et souvenez-vous que vous pouvez avoir différents types de niches : Leverage présente
- le hacker comme l’Élément comique,
- le gros bras comme le Grognon
- et le voleur en tant qu’Asocial,
… mais vous pouvez aussi bien avoir un voleur Grognon tandis que le guerrier est le Don Juan – et là encore, ces deux propositions fonctionnent à merveille quand elles sont inversées, défiées, échangées ou transcendées. Tant que le guerrier fait le plus de dommages la plupart du temps, ça n’empêche pas de trouver génial la fois où vous ayez sorti un succès critique et que le clerc a décapité l’adversaire. Les archétypes produisent des histoires fortes ; secouer les archétypes engendre des histoires intéressantes et vous pouvez avoir les deux.
3. Les oreillettes sont un code pour “Tout Rendre Méta-jeu”
Il y a un problème avec les personnages spécialisés et il peut être résumé par “Tout le monde fait un jet de discrétion”. Si tous les joueurs n’ont pas pris la compétence Discrétion, un maladroit (ou un mauvais jet) va transformer une reconnaissance silencieuse en une scène burlesque [physical comedy – où les acteurs se vautrent, s’assoient à côté de leur chaise (NdT)]. Mais, d’après la sagesse commune, vous devez emmener l’ensemble des PJ partout, parce que sinon les autres joueurs se sentent mis de côté (“TU N’ES PAS LÀ !”) ou sont bloqués avec des informations limitées qu’ils ne peuvent utiliser parce qu’un foutu idiot a décidé que c’était du “méta-jeu”, et que c’était mal. Si Éric le clerc ne vous a pas dit qu’il y a un levier, vous ne pouvez pas basculer le levier.
Sincèrement, c’est la plus mauvaise idée en jeu de rôle et il faudrait l’achever à coups de bêche. Et vous remarquerez que dans Leverage, ces situations n’arrivent quasiment jamais. Chacun peut commenter chaque scène, parce que tout le monde est connecté par oreillette. Maintenant, vous pouvez le transposer avec un chuchotement magique ou de la télépathie via un pacte de sang, ou en s’envoyant des campagnols messagers ; peu importe la contrefaçon transparente d’un objet réel qui vous inspire, en fait, vous n’avez même pas besoin de ça. Vous pouvez juste décréter que peu importe la raison, tout le monde a le droit de savoir ce que les autres font, et peut en parler à tout moment.
De cette façon, tous les joueurs sont toujours impliqués et tout le groupe n’a plus besoin d’aller ensemble partout. Votre personnage charismatique peut enfin parler au roi pendant que le voleur se faufile par les égouts et tout le monde peut se parler pendant ce temps, sans avoir le voleur qui rate son test de charisme et traite le roi d’abruti ou le séducteur qui rate son jet d’Escalade et se noie dans les égouts. Vos spécialistes en sortent renforcés, votre interaction ne s’arrête jamais et tout le monde en profite. Et oui, parfois cela peut être trop incroyable ou être indispensable pour l’intrigue, mais dans Leverage, on aime ces moments où les héros n’arrivent plus à communiquer, ce qui signifie que les enjeux viennent d’augmenter.
4. Osez les flashbacks
L’immédiateté est importante. C’est pour ça que vous voulez que vos joueurs parlent entre eux. C’est pour ça que nous voulons des scènes où
- les gens arrêtent de penser à tous les détails et agissent,
- arrêtent de se demander ce que leur personnage dirait et le disent,
- arrêtent de déconner et réagissent au monde comme s’il était réel.
Mais nous reconnaissons aussi que nous ne sommes pas des génies et que ce n’est pas un problème de prendre un instant pour penser à la façon de faire la plus cool, la plus rusée, ou la plus drôle. Le combat contre la liche peut être mis en pause et revenir un round en arrière parce que Jane a oublié d’ajouter son modificateur ; la conversation avec le roi peut être rejouée parce que vous ne lui auriez probablement pas dit que les elfes n’existaient pas si vous aviez su qu’il y a des elfes dans l’univers de jeu, et nous pouvons couper cette scène où vous avez oublié que le président était toujours dans la limousine quand vous l’avez projetée sur l’hélicoptère plein de terroristes.
Mais plus nous remontons dans le temps, plus nous avons tendance à nous soucier de la crédibilité de telle ou telle situation, à respecter le plan et à éviter les deus ex machina qui nous permettraient d’échapper aux ennuis, comme l’Astuce de Bill et Ted (3). Tout cela signifie que les intrigues et les plans sont écrits comme des jeux informatiques à l’ancienne. Nous voulons escalader l’enceinte du château, du coup nous allons avoir besoin d’une corde, donc la première étape c’est d’aller acheter une corde. Ou pire, vous arrivez au château et vos personnages auraient probablement pensé à la corde mais les joueurs non, du coup vous devez retourner au village en récupérer.
Non. C’est nul. Vous venez de ruiner votre rythme. À la place, faites un flashback jusqu’au moment où vous y avez pensé et avez acheté une corde. Si ça vous semble être de la triche, faites un flashback vers la raison pour laquelle vous n’avez pas apporté de corde (vous l’avez utilisé pour autre chose, elle a été volée ou elle ne rentrait pas le sac). Le flashback vous permet de ne plus avoir l’air de boulets distraits et de ne plus jouer à un scrupuleux exercice de shopping.
Vous pouvez même être un boulet si ça vous botte : faites carrément un flashback jusqu’à la scène où vous avez jeté la corde de votre sac pour mettre votre ours en peluche. Toutes ces options sont plus intéressantes qu’un Cours de Gestion Détaillée de l’Inventaire et ne vous inquiétez pas si la chronologie est bizarre : vous êtes déjà en train de chambouler le temps au moment où vous commencez à raconter une histoire. Certains des meilleurs flashbacks dans les films n’ont pas de sens : [dans Star Trek II : la Colère de Khan wiki], Chekov semble reconnaître Khan malgré le fait qu’il n’était pas à bord de l’Enterprise dans l’épisode de la série originale où apparaissait le méchant. Le fait qu’Indiana Jones n’ait pas d’armes à feu dans le Temple maudit fait référence à la scène de la fusillade dans l’Arche Perdue wiki qui n’a pas encore eu lieu dans sa vie. Nous, les spectateurs, n’en avons rien à faire.
5. Prévoyez le coup de théatre et devenez génial
Les retournements de situation dans Leverage ne correspondent pas toujours à des “retournements” (twist), étant donné qu’ils ne renversent pas complètement l’intrigue. “Basculement” (tilt) serait un meilleur terme, quand le cours des événements bascule soudain d’une direction à une autre ou que la vision initiale change d’aspect ou dézoome pour révéler un problème différent ou plus grand.
Dans la fiction, le basculement est une astuce rythmique, une manière marrante de jouer sur vos attentes tout en empêchant les gens de sauter directement de A à B. De bons basculements font de grandes histoires et ils peuvent être utilisés pour toutes sortes d’effets différents (dans le genre horrifique, ils peuvent être vraiment effrayants ou perturbants, par exemple Psychose wiki est construit autour de plusieurs basculements d’envergure et inattendus). Dans Leverage, ils sont utilisés pour faire en sorte que l’équipe ait l’air formidable, non seulement parce que nous, les spectateurs, sommes préparés à ce basculement, mais parce que les personnages le sont aussi.
Parfois [nous y sommes préparés] de façon consciente : le spectateur n’a pas la moindre idée que le gentil est en réalité le méchant mais l’équipe le sait et rebascule le basculement après coup (en utilisant des flashbacks) (4). À d’autres moments, ce n’est pas conscient, mais l’équipe a l’habitude de garder la tête froide et de changer ses plans rapidement (Nate dit qu’il commence à partir du plan N et remonte l’alphabet). C’est d’ailleurs parce qu’ils peuvent s’adapter au basculement que nous les aimons. L’idée n’est pas de courir dans tous les sens dans votre partie en tirant sur le visage de tout le monde au cas où ils portent un masque, ou d’essayer de casser les codes du genre. Cela signifie qu’il faut comprendre que, peu importe à quel point vous voulez aller directement de A à B, très peu de JdR vous laisseront faire.
Parfois, en pleine partie, vous allez lancer les dés et faire un échec critique. Et ça rend triste ou fou furieux beaucoup de rôlistes, qui ont l’impression d’avoir échoué d’une manière ou d’une autre (prendre l’entière responsabilité de jeter les dés est la définition élémentaire du roleplay (5)) et ont l’impression que leurs personnages ont l’air faibles. Mais si vous attendez que le basculement arrive, vous pouvez suivre le mouvement et l’utiliser pour attirer les projecteurs vers une situation où vous pouvez continuer à briller – ou pour passer le ballon à un joueur dont le personnage est un expert, et qui peut prendre la suite. Votre échec n’est pas effacé, vous l’avez seulement recadré pour le rendre intéressant.
Vous avez raté ce jet de Discrétion ? Du coup l’aventure bascule sur l’arrivée des gardes et c’est l’heure de gloire du guerrier qui charge et s’amuse, pendant que vous fuyez en criant. Ou, encore mieux – bien que vous ayez probablement besoin d’inclure une règle pour dépenser des points d’intrigue dans votre système, ou d’attendre le prochain bon jet de dé pour basculer dans l’autre sens –, laissez les gardes faire leurs attaques, mais révélez ensuite, via un flashback ou une ellipse, que vous aviez fait exprès d’échouer pour que le mage puisse passer derrière eux ou pour créer une diversion vous permettant d’aller dans l’autre direction. Tilt !
Les basculements et les flashbacks sont des clichés classiques du film de casse, mais un “casse” est juste un autre mot pour le vol d’objet dans un donjon bien protégé. Donc encore une fois, tout comme pour les règles d’Archer en, vous vous rendrez compte que ces règles s’appliquent partout où il y a de l’aventure.
Article original : Five Things Roleplayers Can Learn From Leverage
(1) NdT : Blowing Up the Movies de Robin Laws, est un recueil d’essais cinématographiques à destination des joueurs et MJ de Feng Shui (JdR qu’il a écrit). Laws y décortique les tropes et ficelles scénaristiques qui sous-tendent les films d’action, dans le but de les appliquer dans une partie de JdR. [Retour]
(2) NdT : Usual suspects wiki de Bryan Singer. Si ce n’est pas déjà fait, regardez la scène d’introduction de cet excellent film qui vous montre le méchant et différents éléments qui le caractérisent dans une scène annonçant un Total Party Kill (TPK), pour mieux reprendre ces éléments dans son dénouement. En JdR, vous pouvez reprendre le principe en incluant vos PJ et en utilisant les concepts de flashback et de basculement de cet article pour faire mentir le flashback d’introduction (éviter le TPK). [Retour]
(3) NdT : L’Excellente Aventure de Bill & Ted wiki avec Keanu Reeves et Alex Winter. Deux cancres créent une machine à voyager dans le temps et leur stratégie principale consiste à s’en servir pour récupérer des objets dans le futur pour les avoir sous la main dans le présent quand ils en ont besoin (de la préparation rétroactive tvtropes en somme). [Retour]
(4) NdT : Une technique aussi utilisée dans Mission Impossible : “Mince, Phelps est fait prisonnier ! Ah non, ça faisait partie du plan.”, parce que la série est tournée du point de vue de la victime. Mission Impossible semble inadaptable en JdR, parce que les joueurs passeraient la majorité de la partie à établir le plan, et le reste à l’exécuter parfaitement, ce qui serait ennuyeux. Donc l’utilisation de talents type “capacité spéciale : j’ai tout prévu” permet de découvrir le plan en le jouant, et de conserver improvisations, surprises, réponses, et personnages héroïques. [Retour]
(5) NdT : Base du roleplay, dans la mesure où vous adoptez la posture d’acteur stanislavskien, “Je suis mon perso”, et non “je jette les dés pour voir si mon <pion> est éliminé”. Voir L’Avatar, l’Audience et l’Auteur ptgptb. [Retour]
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Commentaires
GCM (non vérifié)
mer, 26/05/2021 - 07:45
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Article super intéressant.
Article super intéressant. J'utilisais déjà certaines "techniques". J'ai noté les autres. Merci !
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