La Forêt Infinie
© 2010 Steve Darlington
La Boite à Jouets de Campagne n°30
En quelques mots
Les univers fantastiques sont souvent un lieu d’affrontement entre la nature et le progrès. Et si la nature gagnait ?
L’histoire
Il est assez facile d'interpréter le Seigneur des Anneaux comme une sorte d'attaque contre l'industrialisation, avec les elfes des bois, les hobbits jardiniers et les arbres eux-mêmes, unis contre les rejets de fumée, le défrichage et la poudre à canon qu'utilise Saroumane. Comme toujours avec les tropes, c’est amusant de les inverser. Cela ne veut pas dire que vous devez faire des elfes les méchants (bien que les cataclysmes qui altèrent les mondes de Fantasy soient presque toujours provoqués par les forces du mal) mais les gens pourraient avoir du mal à les voir autrement.
Imaginez ça : après avoir constamment vu les actions des hommes détruire leurs demeures forestières, plongeant leurs minuscules nations dans des guerres sans fin et utilisant leur technologie (et la magie qu’ils y lient) pour ravager la terre, les elfes décident que c’en est trop. Un sort de tremblement de terre plus tard, et le monde est redevenu comme à son origine. Chaque parcelle de terre est recouverte d’arbres et d’herbes plus hautes que n’importe quel homme. Toutes les routes sont déchaussées, des arbres en colère réduisent en gravats toutes les cités, les champignons et les spores étouffent les marais qu’étaient les donjons.. Et ainsi les hommes insensés ne sachant qu’exploiter la terre à leur guise sont dispersés aux quatre vents.
Les survivants seraient ceux qui, de toute façon, n’ont jamais eu besoin de terres (comme les nains) et ceux des humains assez vifs d’esprit pour comprendre que les elfes sont leur seul espoir. Soudain, les elfes sont non seulement de retour, mais ils sont dominants parce que ce sont les seuls qui savent comment vivre dans ce monde démentiel. Les humains sont comme des enfants, incapables de voyager (les chevaux ne peuvent se déplacer à travers les forêts denses, et seuls les elfes peuvent charmer un aigle géant), incapables de se procurer de la nourriture (car ils n’ont pas les compétences pour abattre un oiseau à l’arc à travers la canopée), incapables de trouver un abri (ils ne savent pas que le galbe de la feuille de vigne grimpante géante fait un lit douillet pour tout elfe). De tels enfants ont besoin d’être protégés, pour leur propre bien. D’être rassemblés et mis à l’abri du monde jusqu'à ce qu'ils apprennent à faire leur vie sans se blesser eux-mêmes. Les elfes sont-ils les méchants ? Où ont-ils juste créé un monde où ils dictent les règles? Y a-t-il une différence ?
Style et Structure
Ici il y a deux inversions. Premièrement, la nature est plus forte que le confortable monde technologique. Deuxièmement, les elfes ne sont pas une puissance mourante ou éphémère, mais en première position et, en vertu de leur adaptabilité au monde naturel, ils mènent la danse. Du point de vue des humains, cela peut les amener directement dans un monde post-apocalyptique où ils sont esclaves d’envahisseurs « extraterrestres ».. Ce qui est sympa, mais si vous insistez trop là-dessus, vous risquez de perdre la finalité première de votre propos. C'est-à-dire qu’il est important que quels que soient les PJ, qu’ils apprennent par eux-mêmes à connaître leur nouveau monde et ses lois. Ainsi ne rendez par les elfes trop puissants ou dominateurs. Au lieu de cela, inversez simplement les rôles : les humains sont maintenant comme les elfes avant ; rares, étranges, souvent perplexes et toujours en marge de la société. L’oppression arrive ensuite naturellement – elle n’a pas besoin d’être imposée au premier plan.
A moins bien sûr, que vous décidiez de le faire.
Évidemment, ce type d’apocalypse peut être inséré dans une campagne préexistante, ou commencer à partir de zéro avec les mises en gardes habituelles.
La première [idée] a plus d’impact parce que les joueurs savent intimement comment c’était avant – mais de même, ils peuvent se sentir trahis s’ils n’ont aucun moyen d’arrêter une telle transformation ou d’y être impliqués. Un compromis peut être que la transformation ait lieu sur une seule zone, comme cela si les joueurs en ont ras le bol d’être des impasses de l’évolution, ils peuvent fuir vers une terre où les choses sont comme avant. Une telle quête pourrait constituer le socle de toute la campagne (comme la recherche de Dryland dans Waterworld).
PJ et PNJ
Être un humain dans un tel univers n’est tout de même pas très drôle – mais pourrait être amusant à interpréter. Ce serait facile parce que comme les joueurs se rueraient sur leurs idées de jeu habituelles (« nous nous procurons des chevaux pour le trajet») leurs personnages seraient également déconcertés par la nouvelle marche du monde. La forêt infinie fournie aussi de nouvelles façons de considérer les autres races : Toute inimitié nain-elfe s’aggrave puisqu’il n’y a pas de terrain d’entente entre eux, seulement des individus avec des haches et d’autres avec des forêts qui ne doivent pas être abattues. Les races parcourant librement les plaines, comme les hommes-loups, pourraient complètement disparaitre, tandis que les espèces jusqu’ici inconnues dans votre univers de campagne peuvent tout à coup avoir une chance d’occuper une place centrale, parce qu’elles voient si bien dans la pénombre de la forêt, ou bien que leur grande agilité fait d’elles des grimpeurs-nés dans les branchages.
Les rôles changent aussi. Les classes d’amoureux de la nature – vos druides, rôdeurs et barbares – sont désormais tout le temps dans leur élément, et passent de péquenots des bois à sauveurs de l’humanité (et meilleurs émissaires chez les elfes). Pendant ce temps les voleurs qui ont besoin de ruelles et les mages de bibliothèques ou de laboratoires ont des soucis. Comme peut-être les prêtres, parce que si les arbres détruisent chacun de Ses temples sur terre, vous aurez du mal à convaincre les gens que votre dieu est vraiment tout-puissant.
Cependant les mages ont de plus gros problèmes que le manque de livres de sorts. Un monde si abondant en arbres deviendra aussi rapidement bien plus riche en oxygène (ce qui par conséquent, permettra à plus de créatures de grandir considérablement)(1). Un monde riche en oxygène est un lieu des plus inadaptés pour lancer des boules de feu. Il pourrait y avoir des lois contre de tels sorts…
Intrigues et Méchants
Ce qui est génial avec une forêt c’est qu'elle fournit un monde en trois dimensions : vous pouvez trouver l'aventure non seulement en la traversant mais aussi en grimpant ou en descendant. En effet, le sol tout entier de la forêt peut être potentiellement considéré comme un donjon : un lieu sauvage gouverné par des charognards et des insectes géants – et tout ce que vous avez à faire pour tomber là est de mal calculer un saut ou de glisser d’un pont de corde. Les donjons sont littéralement toujours à quelques secondes de distance. Bien sûr, cela peut aussi signifier que toute invasion depuis les profondeurs peut se produire partout, à tout moment. Il vaut la peine de considérer comment les elfes noirs de chaque royaume souterrain ont réagi à tout ceci. De même les nécromanciens mettront un certain temps à s'adapter - plus du tout de cimetières. D’un autre côté, les villes reprises par la forêt seront engorgées par les cadavres. La Fantasy traite rarement du genre post-apocalyptique, probablement parce que les nécromanciens pourraient devenir invincibles avec un tel gisement de matière première à portée de main…
Les elfes sont-ils les méchants ? Peut-être. Peut-être ont-ils mis en place l'apocalypse de la technologique humaine, en premier lieu pour qu'ils puissent récupérer leur univers des premiers âges, tout ayant l’air de sauver le monde. Ou peut-être que c’était simplement un accident, et que maintenant ils essaient juste de gérer les choses du mieux qu’ils peuvent, avec les angles morts communs à toutes les espèces dans leur propre environnement.
Ce qui peut être amusant est de continuer l’inversion de trope et de les jouer comme des chefs de mégacorporations dans une sorte d’univers cyberpunk inversé (avec des tiges de haricots géants remplaçant les gratte-ciel). Oui, des humains meurent mais c’est le prix de la décroissance.
Sources
Waterworld est un film poussif mais c'est un bon exemple de l’humanité essayant de s'adapter à un environnement devenu brusquement complètement différent. Pour appréhender l'étonnante écologie verticale des forêts, essayez Medecine Man de Sean Connery, ou n'importe quel documentaire convenable sur la forêt tropicale. Pour quelques images impressionnantes d'un monde assaini par la nature, voyez la série documentaire Life After People, mais pour ce qui pourrait arriver si cela se passait rapidement, vous aurez envie de lire les numéros 52 et 53 de La créature du marais d'Alan Moore (présents dans la compilation Earth to Earth).
Pour des plantes qui essaient d'exterminer les humains, il y a aussi Phénomènes de M. Night Shyamalan, et pour les humains technologiquement surclassés par le savoir-faire naturel des «elfes» il y a bien sûr Avatar (imaginez, si vous voulez, ce qui arriverait aux humains qui ne veulent pas devenir Na'vi, mais resteraient sur Pandora). Et jetez un coup d’œil à Elric pour un exemple de la façon dont une plus grande race, similaire aux elfes, agirait avec les humains.
Jeux de Rôles
Le décor de Fantasy ultime « avec un changement » est bien sûr Dark Sun. [Dans cet univers, le problème est le manque de vie, mais voyez comment ce petit changement modifie toute l’ambiance et vous verrez ce qu’on peut faire avec la forêt infinie. Le JdR World Tree traite d’un monde à l’intérieur d’un seul arbre mais vous aurez un schéma pour l’aspect « verticalité ».
Si vous voulez faire du Cyberpunk à l’envers, essayez Shadowrun, Cyberpunk 2020 et leurs comparses. Pour de la Fantasy post-apocalyptique, Earthdawn est votre ami (et là les nains dominent car ils ont caché tout le monde à l’arrivée des Horreurs). Bien sûr le plus simple parmi tout ça est d’utiliser cette idée avec D&D et de regarder ce qui arrive quand tous les sorts et compétences uniquement liés à l’extérieur deviennent les plus utilisés de tous (Remarquez par exemple, à quel point Enchevêtrement devient puissant si vous êtes tout le temps en forêt !).
Article d'origine : Campaign Toybox #30: The Forest Infinite
(1) NdT : Steve fait la même erreur que celle qui consistait à dire, dans les années 1980 « la jungle amazonienne – le poumon vert de la planète - diminue, on va tous mourir asphyxiés par manque d’oxygène », avant que l’on ne découvre avec tristesse que cette forêt consomme la nuit l’oxygène qu’elle produit le jour, et que les bois pourrissants produisent du CO2 et consomment de l’O2. Il y a des recherches à faire sur les conséquences d’une reforestation planétaire massive – par exemple le monde pourrait se retrouver beaucoup plus humide et froid, car selon diverses hypothèses, les forêts font pleuvoir. [Retour]
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