Les 7 Maximes de l’OSR

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Dans les années 2000 et 2010, il y a une décennie, je faisais partie d’un mouvement inspiré par les vieux jeux de rôle : l’Old School Renaissance ou « OSR » (1). Le mouvement OSR n’a toujours pas été vraiment défini, ou du moins ses définitions ont toujours été contradictoires surtout maintenant qu’il devient un objet de vénération nostalgique.

Il me semble trivial de remarquer (mais je suis sûr que d’autres me contrediront avec ardeur) qu’un des emblèmes de l’OSR fut la création de maximes instructives visant à édicter le style de jeu désiré. Ce style de jeu demandait qu’on mette sur un piédestal les choix des PJ, et l’exploration d’un univers très contrôlé par l’arbitre [terme souvent employé dans l’OSR pour appeler les Meneur.euses de jeu (NdT)].

On a généralement donné les maximes de l’OSR aux nouvelles recrues ; elles subsistent encore dans les communautés « post-OSR », où elles sont trop souvent répétées comme des vérités inaltérables, limpides et évidentes pour tout le monde.

Elles ne le sont pas et ne l'étaient pas. Comme la plupart des maximes, des aphorismes et des fragments incisifs de bon sens, ces essences de sagesse OSR sont utiles… jusqu’à un certain point, et ils servent surtout de pense-bêtes pour les gens qui savent déjà ce qu’ils veulent.

tarasque ?

Trampier, dans le bestiaire monstrueux d’AD&D1

De nos jours, on dirait que le post-OSR passe beaucoup de son temps à réinventer ce qu’on écrivait dans des blogs en 2010, ou à découvrir par hasard les mêmes solutions bien connues pour déclarer qu’on a « réparé » l’OSR. C’est en partie à cause d’un manque d’information pour les nouveaux venus dans ce genre de jeux, exacerbé par le manque de citations parmi les centaines de rétro-clones qui se revendiquent de l’OSR.

On n’est pas aidé : même s’il existe des documents utiles et des introductions salutaires comme les Philotomy's Musings, le Petit Guide du Jeu de Rôle à l’Ancienne en de Matt Finch [il existe une version française de ce texte dans les appendices du jeu Sword & Wizardry White Box grog (NdT)], ou les Principia Apocrypha de Milton, Lumpkin et Perry - le gros de la sagesse OSR n’existe que dans des posts de blogs épars et dans l’esprit des gens qui ont pratiqué ce style de jeu dans les 20 dernières années. Plus personne ne lit de blogs, et même si ce n’était pas le cas… ces blogueurs ou blogueuses, auteurs et autrices, arbitres et joueur.euses ont tendance à se rabattre sur des maximes quand on leur demande d’expliquer des éléments de ce style de jeu, et ce n’est pas la façon la plus efficace de transmettre des pratiques et des connaissances.

Pire, au fur et à mesure que la création originale des maximes s’estompe, embrumée par nos mémoires imparfaites et corrodées par des répétitions dogmatiques, ces maximes commencent à être traitées comme si elles avaient la force de lois naturelles, plutôt que des suggestions ou des explications de choix de création, et de culture du jeu. Le pouvoir de la nostalgie et de l’orthodoxie transforme les simplifications - et les résumés de concepts plus grands et complexes - en définitions. Celles-ci sont souvent mal interprétées ou appliquées à des cas qui inversent leur sens original et malmènent le style de jeu qu’elles étaient censées faciliter.

On ne peut pas revenir en arrière

Les maximes ont un tel pouvoir dans le mouvement OSR à cause de ses confrontations avec l’histoire sinueuse des débuts de Donjons & Dragons.

On affirme souvent, et de façon erronée, que le but de l’OSR était de faire du jeu de rôle à la façon de quelque table idéale du passé : le sous-sol de Gygax à Lake Geneva, ou « D&D tel qu’on était censé le jouer ». Certes, il y en a sans doute qui ont essayé, mais cette prétention et tous les efforts qui ont suivi sont principalement une invention nostalgique, un mélange de déformations et de biais cognitifs parmi lesquels :

  • la nostalgie,
  • le biais du survivant,
  • l’abstraction sélective,
  • le sophisme de l’homme masqué
  • et l’effet de halo.

Le problème est que, même quand on peut apercevoir sa silhouette à travers

  • les souvenirs erronés,
  • les vantardises
  • et les mensonges produits lors de procès autour de propriétés intellectuelles,

…le style de jeu des premiers JdR évoluait constamment. Dès le départ, le style de jeu de D&D était la proie de conflits internes et de transformations continues, y compris même dans l’édition de 1974. Par exemple, le « Système de combat alternatif » à lui seul suggère une manière de jouer totalement différente des règles de combat de Chainmail wiki que le jeu était censé utiliser à l’origine.

Pire, en fonction des expériences et influences précédentes de chacun et chacune, une grande variété de styles de jeu et de philosophies créatives peuvent rentrer dans l’appellation « Old School ». Les blogueur.euses, arbitres, forumistes et auteur.trices de l’OSR ont eu du mal à expliquer précisément ce qu’elles et ils voulaient ; ce n’était pas uniforme chez elles et eux de toute façon (2).

Au lieu de représenter une « redécouverte » d’un ensemble pleinement fonctionnel de règles, procédures, schémas conceptuels et culture de jeu de l’âge d’or de Gygax qui aurait été perdu ou détruit d’une manière ou d’une autre par une cohorte toujours grandissante de méchant.es (les Hickman, les Blume, Lorraine Williams, Patricia Pulling et la panique satanique, Dungeons & Beavers, Hasbro, les gens qui font des GN Vampire, le jeu organisé (3), ou… comme toujours… les jeunes), l’OSR a toujours été un espace d’invention, d’adaptation et de réévaluation.

Le style de jeu OSR, pour autant qu’il existe, était une nouveauté, puis a évolué avec le temps dans les années 2000 et 2010. Il est partiellement issu – et a été influencé par - les premiers textes de JdR et les expériences de campagne au long cours de ses membres. Il a intégré, nécessairement, les diverses idées et textes sur les JdR de 1974 à nos jours. Les maximes percutantes permettaient de prendre cet assemblage d’idées et d’expériences de centaines de personnes, étalées sur des décennies, et de l’ancrer dans de vagues déclarations de principes.« Des décisions, pas des règles » est une phrase qu’on partage comme une poignée de mains secrète, même si son sens n’est pas vraiment clair. De telles déclarations sont géniales pour former une identité de groupe. Elles sont bien plus agréables et pérennes que s’énerver contre une série de méchant.es et les accuser d’avoir brisé un idéal nostalgique… mais elles n’expliquent pas vraiment comment jouer.

7 Maximes à décoder

La différence entre les maximes et les aphorismes, c’est que les premières se présentent comme de petites vérités, ayant presque la force de lois naturelles. Les seconds demandent plutôt à leur audience d’y réfléchir, et sous-entendent souvent des paradoxes ou complexités qui sont absentes des maximes. Et c’est ce qui fait des maximes d’excellents outils pour former une identité de groupe, mais les rend moins efficace pour l’enseignement ou pour donner à leur audience un début de compréhension approfondie.

Les maximes qui suivent étaient courantes dans la sphère OSR et continuent à être citées dans beaucoup des discussions sur les styles de jeu OSR et post-OSR. Je n’ai généralement pas listé leurs auteurs originaux, même si je suppose que la plupart sont parties d’un billet de blog ou d’un fil de forum précis, surtout parce que je suis paresseux et parce qu’elles sont toujours présentées hors de leur contexte original. Sans celui-ci, leur sens a changé avec le temps. Chacune de ces maximes est une tentative de condensation et de simplification de concepts complexes, voire de disputes entre de nombreux autres contributeur ou contributrices. À la place, tout ce que je peux proposer, c’est mes critiques de ces maximes (basées sur les usages que j’ai pu observer) suivi de mon interprétation personnelle. Parce que j’étais là quand la plupart de ces maximes ont été pondues ou, a minima, je regardais par des trous de serrure en me tenant dans l’ombre. Généralement mes interprétations sont positives.

I. « Des décisions, pas des règles »

[La phrase Rulings, not rules est parfois utilisée en anglais dans le texte même par des rôlistes francophones (NdT)]

Peut-être la plus… décisive… de toutes les maximes OSR. Ce n’est pas celle qui cause le plus de confusion, mais elle est souvent poussée à l’extrême, présentée comme un appel à la suppression de toutes les règles ou pour justifier un contrôle absolu de l’arbitre, sans prendre en compte ni les attentes des joueurs.euses ni la cohérence.

Certes, les jeux d’aventure fantastique sans règles (souvent appelés la scène “FKR” [pour Free Kriegsspiel Revolution (NdT)]) ou ceux avec des systèmes ultra-légers, toujours plus épurés, sont devenus assez populaires aux ères de l’OSR tardif et du post-OSR (en gros de 2016 à nos jours). Mais l’OSR, les vieux systèmes de jeu dont il s’inspire et l’exploration de donjon (dungeon-crawling) telles que je les défends, reposent sur la cohérence et la prévisibilité de règles connues.

Pour la majorité des événements du jeu, le style OSR dépend à la fois de procédures et de mécanismes - surtout les plus communs, attendus, répétés et centraux ; et ces règles fournissent aussi souvent des modèles - ou au moins donnent des références - pour prendre des décisions adéquates.

Telle que je la comprends, cette maxime a plutôt deux sens proches :

  • Les JdR devraient donner aux personnages l’opportunité d’agir au-delà des situations déjà prévues par les règles. Ceci est accompli par des choix de l’arbitre, des décisions ad hoc qui devraient (voir le point suivant) devenir des règles maison constantes si la situation se reproduit.
  • Les parties OSR, Classiques et d’exploration de donjons nécessitent toutes un haut niveau de confiance entre joueur.euses et arbitre. Les premiers doivent avoir confiance en l’arbitre pour tranchera équitablement les situations inattendues, et les arbitres doivent faire confiance aux joueur.euses en donnant des chances raisonnables de succès aux solutions inattendues qu’ils et elles proposent.

    Les uns et les autres devraient éviter de rediscuter ces jugements, ou d’exiger qu’ils s’appuient sur le texte des règles. Le méta-jeu et l’exploitation de la lettre des règles peuvent être considérées comme de la tricherie ou un manque de fair-play quand elles vont à l’encontre de « l’esprit » de l’univers de jeu ou cassent la cohérence de la fiction. L’arbitre peut alors les rejeter même si les règles telles qu’écrites les autorisent (on pensera par exemple au « railgun paysan » (4)).

II. « La réponse n’est pas sur ta feuille de personnage »

Similaire à « Des décisions, pas des règles » dans son intention et ses effets, cette maxime rejette la possibilité d’une résolution des énigmes et problèmes en jeu par les règles (ou, plus précisément, par les mécanismes). Les joueur.euses sont censé.es prêter attention à leur environnement imaginaire et poser des questions. Ensuite, ils ou elles peuvent résoudre les problèmes en décrivant les actions des personnages qui utilisent les ressources décrites pour vaincre les obstacles avec logique, au lieu de faire un jet de compétence à partir de leur feuille de personnage. Le personnage OSR trouvera des passages secrets en tapant les murs avec sa perche de 3 mètres de long à la recherche d’un bruit creux, pas en faisant un jet de « perception » (9).

Certes, il n’est pas faux de considérer que c’est un aspect du style OSR, mais la maxime emploie des absolus qui ne correspondent pas aux systèmes de règles ou à l’expérience de la plupart des jeux de style OSR. Donjons & Dragons a accumulé de plus en plus de compétences à chaque édition, mais même les toutes premières éditions proposaient des jets pour détecter les passages secrets et éviter les pièges. Quand on ajouta la classe de voleur.euse dans le premier supplément, les tests de compétence devinrent un élément de jeu bien établi. De même, les sorts et l’équipement ont toujours été des « outils » que les joueurs devaient noter sur leur feuille de personnage et utiliser pour surmonter des épreuves en jeu. Énormément de sorts (surtout ceux qui prennent leur nom d’un des personnages des débuts, comme le Disque flottant de Tenser [qui permet d’y poser des charges lourdes]) sont des solutions à des problèmes apparus en jeu.

Alors que signifie cette maxime ? Au lieu d’être un refus de la complexité des personnages, elle concerne plus la conception des scénarios et le cœur du gameplay :

  • L’aventure devrait présenter des obstacles complexes mais toujours logiques et s’attendre à ce que les joueurs et joueuses les résolvent en raisonnant logiquement et en utilisant les objets du monde qui entoure leurs persos, de façon intéressante et inattendue.
  • L’arbitre et l’auteur.e de modules devraient donner des indices assez librement quand les actions des PJ pour les obtenir sont logiques. On répondra à des solutions logiques aux obstacles et énigmes, sans cacher des indices ou la réussite derrière des jets de dés et des tests superflus.
  • En plus de ces deux buts ou pratiques, les meilleures solutions que les joueur.euses peuvent trouver sont celles qui ne demandent aucun jet de dé ou test, et ne gâchent pas de ressources telles que l’équipement, les points de vie ou les sorts. Ce genre de résolution ouverte est une composante essentielle du JdR et ne doit pas être éclipsée par le combat ou les interactions avec les PNJ, ni contournée par des jets de compétences.

III. « Le roleplay, pas le roll play »

[Le « roll playing » se traduirait par « jouer à faire rouler des dés » (NdT)]

dans une caverne, des trolls ? anthropophages

Encore une illustration de Trampier

Une autre composante essentielle du style OSR, quoique cette maxime soit bien plus ancienne que celui-ci (elle serait apparue en 1980 ?) et ait été reprise dans de nombreuses cultures ludiques.

Dans le contexte de l’OSR, des plus anciens systèmes de règles, et des explorations de donjons, c’est une maxime intéressante parce que ces JdR sont souvent inspirés par la compréhension originelle des jeux de rôles comme une extension des wargames. Or ces derniers sont la quintessence du roll play.

La fréquente apparition de cette maxime dans les milieux OSR puis post-OSR (ainsi que dans des communautés traditionnelles contemporaines pour des jeux comme la 5e édition de D&D) est une réponse à des mythes fondateurs de l’OSR. Dans le contexte de l’OSR et du post-OSR, « Le roleplay, pas le roll play » a tendance à ne pas signifier grand-chose d’autre que du mépris pour la supposée focalisation des éditions [de D&D] suivantes, sur l’optimisation de personnages et sur le combat tactique, centré sur les Dons. Mais en tant que dogme, cette maxime est plus pernicieuse que les autres parce qu’elle est plus vague et plus méprisante envers les autres styles de jeu. Il est évident qu’on fait souvent rouler les dés dans l’OSR ou l’exploration de donjons, et même plus souvent que dans certains autres styles de jeu.

Ceci ne veut pas dire qu’on ne peut pas lire « Le roleplay, pas le roll play » sous un angle positif. En général, c’est une bonne idée de se passer des lancers de dés inutiles et de simplifier une partie : cela accélère le rythme. Mais trop de simplification, trop de « minimalisme » peut faire perdre quelque chose. Je ne parle pas tellement d’abandonner des règles, mais plutôt d’un manque d’assistance aux arbitres :

  • pas assez d’exemples de monstres ou de liste d’équipements dans le livre de règles,
  • ou la tendance des scénarios « pour tous systèmes » à ne pas se demander quelle serait la difficulté de modéliser mécaniquement des attaques ou effets de monstres étranges et complexes.

À partir d’un certain point, exiger trop de roleplay et pas assez de roll playing va à l’encontre des conventions de l’exploration des donjons, qui est essentiellement basée sur la prise de risques et la gestion de ces risques. Cet excès de minimalisme apparait aussi dans les discussions de « vides fertiles », l’utilisation des « blancs » laissés par les auteur.es de jeux (très communs dans les premiers JdR), « trous dans les règles » que l’arbitre doit combler, souvent avec l’aide des joueur.euses. De tels vides sont utiles quand ils indiquent les phases de jeu (comme la négociation avec des monstres, ou le contournement d’obstacles autrement que par le combat) qui sont censés être joués librement et dont la résolution se fera de façon ouverte… mais quand ces vides sont partout, on n’a plus un jeu, mais au mieux une prose médiocre en forme de manuel d’instruction ou de fascicule (5).
Il y a des leçons plus intéressantes à tirer de roleplay vs roll-play

  • Éviter des jets de dés superflus est plus qu’avoir des règles simples, c’est aussi un aspect du Jeu de Rôles. Dans le cas des jeux à l’ancienne, d’exploration de donjons ou OSR, dont le cœur est la résolution de problèmes (et non, par exemple, l’émulation d’un genre littéraire et la création d’une histoire), ça signifie qu’il faut éviter que chaque solution nécessite un jet de dés. Quand les joueur.euses trouvent un bon plan, où rien n’est risqué ou soumis au hasard, l’arbitre ne tire pas de dés et ne demande pas aux joueur.euses de le faire. Selon les termes de la maxime, le roleplay leur a permis de surmonter l’obstacle ou la difficulté. Bien sûr c’est une compétence à acquérir pour l’arbitre, et une compétence clé : savoir quand faire un jet ou pas ; et ça nous amènera à la maxime suivante.
  • Ça ne vaut généralement pas le coup de demander un jet quand il n’y a pas de risque élevé ou de conséquences graves. Si le but du « jeu de rôles » dans un donjon est d’être assez préparé.es et retors.es pour que les dés n’aient jamais à rebondir sur la table, il ne serait pas juste que les arbitres imposent des jets au moindre risque ; surtout quand les joueurs ont été amené.es à croire par le méta-jeu qu’il n’y aurait pas de risque - comme quand les persos sont en ville et non dans le donjon ou la nature sauvage), ou quand ce sont des risques que les PJ n’ont pas l’opportunité d’anticiper ou de prévoir par des indices (à quelques rares exceptions près).

IV. « N’arrangez pas les dés ! »

Compte tenu des conseils apparus dans ces maudits manuels pour MJ des années 90 [ou plutôt 2000 (NdT)] comme Dirty MJ grog [publié en 2010 (NdT)] et XDM [Pour X-Treme Dungeon Mastery, coécrit par Tracy Hickman et son fils Curtis en 2009 (NdT)] , qui encourageaient à piéger vos joueur.euses pour les forcer à découvrir l’intrigue exactement comme vous l’avez prévue, cette maxime peut être discutée, que ce soit en style « tradi » ou dans la 5e édition et autres espaces de jeu « tradi contemporains ».

C’est aussi une des seules maximes de cette liste avec laquelle je suis entièrement d’accord. Avec quelques « mais ».

Ne pas arranger les dés repose sur une espèce d’arbitre idéal, qui n’a jamais descendu les 2⁄3 d'une bouteille de vin espagnol au cours d’une partie, n’a jamais de drôle de journée au boulot qui les affecte pendant la partie… Cela part du principe que l’arbitre ne commet jamais d’erreur qui emmènerait la partie dans une direction où tricher aux dés semblerait nécessaire pour rester équitable. Ce genre de chose arrive vraiment, quoique moins souvent si on évite de pousser les joueur.euses sur des rails narratifs.

Ne pas arranger les dés a un corollaire plus important dans « Le roleplay pas le roll-play » (voir ci-dessus). Il y a aussi une interprétation plus récente, mystique, religieuse… Appelons-la « Le pouvoir divinatoire des dés » ou « Le culte des Appendices du Guide du maitre ».

Cependant, voici ce qui donne selon moi du sens à cette maxime :

  • N’arrangez pas les dés… Vraiment. C’est une espèce de petit test des concepts précédents… Arbitrer ne devrait pas générer d’antagonisme, et arranger les dés a généralement pour but d’adoucir les tendances antagonistes des arbitres… tout en donnant à l’arbitre une espèce de pouvoir absolu mais masqué : celui d’infliger de bons et mauvais événements selon ses caprices. Si vous tirez constamment des dés et que ces jets de dés ne sont que de simples suggestions, alors c’est en fait l’arbitre et non les dés qui décident des résultats importants. Ceci crée de la méfiance chez les joueurs et les joueuses, qui perdent la sensation que leurs choix comptent, et cela donne souvent une impression de favoritisme.
  • La confiance dans l’arbitre et la confiance dans « l’intégrité » des dés sont importantes parce que les joueuses ont besoin de savoir que l’arbitre leur présente le monde de façon compréhensible, afin de jauger les risques avant de jeter les dés. Une des compétences d’un.e arbitre OSR ou Classique est d’avoir suffisamment d’autorité pour s’en tenir à ses décisions et au scénario écrit, que les circonstances soient bonnes ou mauvaises. Arranger les dés donne souvent l’impression que l’arbitre essaie de diriger le jeu dans un sens précis, tout en prétendant que ce sont les dés qui lui forcent la main. Au contraire, assumer ses choix et accepter la réponse de l’univers, entretient et renforce la confiance entre les participant.es et envers l’intégrité de l’univers. Tout ceci est utile dans un jeu qui fait courir de grands risques aux personnages, parce qu’aux moments où ils meurent ou échouent, l’arbitre a besoin d’être vu.e comme un.e juge équitable, quelqu’un qui ne se met pas en travers des victoires des joueuses, mais impose quand même les conséquences logiques de leurs erreurs. Personne ne veut « perdre » dans un jeu injuste (6).
  • Comme je l’ai noté plus haut, quand on n’arrange pas les dés, il est important de savoir quand demander un jet de dés. C’est souvent mieux de simplement ne pas les lancer s’il y a des conséquences qu’on voudrait éviter, plutôt que de changer le jet après coup. Et si on s’en rend compte trop tard, il vaut mieux reconnaitre son erreur plutôt qu’essayer de tromper les joueuses.
  • En tant qu’arbitre, ne vous appuyez pas non plus sur les dés pour tout. La raison pour laquelle il ne faut pas arranger les dés, c’est d’assurer l’intégrité, la clarté et la cohérence de l’univers et des règles (par exemple, les épées font 1d8 points de dégâts). Le hasard c’est bien, ça fait partie de ce qui rend les jeux drôles, de ce qui les différencie d’un simple récit. Mais même si les tables aléatoires peuvent être inspirantes, elles ne remplacent pas l’intelligence de l’arbitre ou de l’auteur.e dans la création d’un univers. Créer des donjons aléatoires sans les remanier ensuite aura tendance à créer des attractions de fêtes foraines (funhouses) incohérentes et/ou extrêmement insipides [p.ex. des donjons dont chaque pièce contient un défi original, souvent un piège, sans cohérence avec les autres pièces ; un exemple est La Montagne au plumet blanc grog (NdT)].

    D’autre part, proposer quelques tables aléatoires pour remplir cinquante pièces ne créera pas un scénario utilisable. En cours de partie, il doit aussi y avoir de la place pour que l’arbitre dise simplement « non » afin que le cadre de jeu ait du sens. Même sans arrangement, tirer les dés pour chaque absurdité en utilisant la règle populaire « 1 rate toujours et 20 réussit toujours » retire 1) à l’arbitre la responsabilité de décider d’une réaction raisonnable de la part de l’univers de jeu, et 2) aux joueuses la responsabilité de surmonter les obstacles du jeu. Bien sûr, il vaut mieux dire simplement qu’il n’y a aucune chance de réussite que d'arranger ce genre de jet.

V. « Jouez avec le monde, pas avec les règles »

Voici une maxime moins répandue, du moins sous cette forme. Parfois elle est formulée autrement, ou sous la forme de maximes proches comme « Créez des situations et pas des histoires » ou « des bacs à sable, pas des scénarios sur rails (7) ».

Cette maxime affirme que le but du jeu est de donner la possibilité aux joueurs de faire des choix, et à créer un univers ou un scénario où « tout est possible », parce que ce qui n’est pas dans les règles écrites respecte des schémas logiques ; par conséquent les joueurs vont pouvoir déduire de leur connaissance du monde réel ce qui se passera probablement. Par exemple : l’eau descend les collines et les loups (ou leur équivalent) mangent de la viande.

Cette maxime parle aussi de création d’univers : elle affirme que l’aventure n’est pas une narration dans un univers, mais plutôt l’ensemble des interactions des joueurs [à travers leurs PJ] avec cet univers. Les aventures ne progressent pas de façon prévisible, mais par une succession d’explorations de sites qui vont conduire à l’augmentation régulière de la puissance des personnages, et leur implication dans les secrets de l’univers, ses factions, et ses événements à grande échelle.

Ces deux idées peuvent provoquer beaucoup de confusion. La maxime ne les aborde qu’à peine, et l’idée d’un bac à sable et d’une liberté absolue pour les PJ a tendance à être intimidante. L’arbitre peut ressentir le besoin de créer tout un monde avant la première partie, ou de préparer un nombre énorme de sites. De même, l’idée d’une liberté absolue peut pétrifier les joueurs. C’est déjà assez dur de savoir ce qu’on veut faire de sa vie dans le monde réel, mais un.e rôliste sait à peine ce qui est possible dans un nouvel univers. Qu’est-ce qui est attendu des joueurs et de leurs personnages ? Comment s’y prendre ?

Ce n’est pas comme cela qu’on commence une bonne campagne, et il est intuitivement évident pour beaucoup des gens qui entendent ces maximes que cela ne se passera pas très bien. Bien sûr, ce n’est pas ce que signifie la maxime, en tout cas pas exactement :

  • Un bac à sable est ouvert à ce que les joueurs et les joueuses fassent n’importe quoi… mais dans des limites raisonnables inscrites dans la structure et la culture du jeu. Bien sûr, la plupart des joueur.euses n’ont pas de plan au départ, ne connaissent pas l’univers et ne savent pas quoi faire. L’arbitre a besoin d’indiquer par des indices où le groupe peut trouver de l’aventure. C’est pour cela que les rumeurs et les accroches sont un sujet de discussion fréquent dans les espaces OSR et post-OSR : c’est par elles que l’arbitre donne aux joueurs des informations sur les opportunités qui les attendent.

    Mais les accroches et rumeurs ne sont que de simples suggestions, un moyen de donner des informations sans les obliger à lire ou écouter de longues descriptions d’un univers et de son histoire. Généralement ça convient aux joueurs parce qu’ils veulent jouer à explorer des donjons et partir à l’aventure ; les accroches et rumeurs leur proposent cela.

    Bien sûr, il y a celles et ceux qui [face à cette liberté de choix] préféreront que leurs PJ gèrent des pâtisseries ou draguent tous les PNJ possibles. Quand cela arrive, c’est généralement une inadéquation au sein du groupe ou une tentative de tester leur agentivité. J’ai tendance à demander au joueur ou à la joueuse de faire prendre sa retraite au PJ rebelle, qu’il devienne le pâtissier ou le relou du coin, du moins si les buts du joueur ou de la joueuse sortent de ce sur quoi les autres veulent passer les quelques heures de chaque session. Si le groupe entier veut faire des gâteaux de fantasy ou autre chose qui colle mal aux activités typiques des aventurier.ères, peut-être qu’il faut alors trouver un jeu ou un style de jeu plus adapté à ce genre de « tranches de vie ».
  • « Jouer avec le monde » ne devrait pas non plus être intimidant pour l’arbitre. Le plaisir d’un monde ouvert pourrait résider dans ses opportunités infinies. Certes, les PJ peuvent partir faire « n’importe quoi » mais le monde n’a pas à les laisser réussir ou à leur faciliter la tâche. Les dangers sont partout, et l’univers résiste aux volontés des joueurs. L’arbitre ou l’auteur.e n’a pas besoin de créer des « zones » où le danger est adapté à tel niveau de PJ, réduisant ainsi le risque de chaque sortie des PJ à ce qu’iels peuvent vaincre : les mauvais plans n’auront peut-être aucune chance de succès.

    Puisque la plupart des joueurs/joueuses sont logiques et veulent que leur personnage survive, ce n’est pas un problème : iels recherchent les lieux dont iels pensent pouvoir gérer les dangers, au lieu de foncer droit vers l’endroit le plus dangereux dont iels aient entendu parler. Ceci signifie qu’un ou une arbitre futée n’aura pas besoin de tout préparer, seulement le contenu auquel les PJ auront un accès immédiat pour une ou deux parties, avec assez d’options pour qu’il y ait un peu de variété. Bien sûr, quand les PJ commenceront à avoir la bougeotte ou à surestimer les capacités de leurs personnages, il sera utile d’avoir une vague idée de ce qui se trouve au-delà de cette zone immédiate.
  • L’échelle du monde est grande, on ne joue pas une histoire donnée ou pour atteindre une condition fixée par les règles. Le but est plus de vivre ce que propose l’univers de jeu, en étant aidé par la structure que les règles créent.

    Ceci devient très important quand on considère le taux comparativement élevé de mort de personnages-joueurs dans la plupart des JdR Classiques, OSR ou post-OSR. Une forte mortalité est admise parce qu’il y a tout un monde à explorer, un monde qui peut évoluer et changer quel que soit le destin d’un personnage donné. La joueuse ou le joueur n’a qu’à promouvoir un compagnon d’armes ou tirer un nouveau PJ (ce qu’on peut faire sur un coup de tête de toute façon, par exemple pour que son PJ prenne sa retraite et ouvre une pâtisserie) afin que l’« histoire » continue.

    Ceci parait infaisable ou contre-intuitif dans beaucoup de jeux de rôles contemporains, où le personnage individuel est conçu comme une pièce centrale, avec des arcs narratifs et des historiques personnels qui mettent en placent une narration précise pour toute la durée de la campagne, Mais dans l’OSR et les styles de jeu proches, le focus est plus sur la découverte de l’histoire des personnages au fur et à mesure qu’on le joue : même une mort prématurée peut devenir un aspect de l’histoire des personnages survivants.
  • Enfin, et à plus petite échelle, jouer l’univers et non les règles fait référence à la façon qu’ont les jeux OSR et assimilés d’encourager les joueurs à trouver des solutions en-dehors des règles pour atteindre leurs buts, à l’aide d’éléments d’univers précédemment découverts et de descriptions fournies par l’arbitre. Ce qui n’est pas la même chose que le réalisme. Ce qui peut être considéré comme raisonnable dans un monde fictif n’est pas limité par ce qui est réaliste. Idem pour les connaissances, innovations et bricolages des joueur.euses. Des solutions de simple « logique de jeu » fonctionnent sans qu’on ait à déterminer scientifiquement quelles seraient les chances de succès dans une modélisation du monde réel. On n’a pas besoin de regarder la résistance à la tension et les charges maximales par matériau pour déterminer si le groupe peut monter à une corde attachée quelque part : la combinaison de corde et de grappin est suffisante.

VI. « Le combat est une situation d’échec »

Un monstre errant frappe un Guerrier par derrière

Encore Trampier – Manuel des monstres d’AD&D1

Cette maxime est plutôt douteuse, mais permet certainement d’écarter 1) certaines tendances des premiers systèmes de règles et du style de jeu du Donjons & Dragons des débuts, et 2) de rejeter également le reproche récurrent concernant la prééminence du combat dans les jeux OSR - puisque toutes les règles traitent du combat. L’OSR a longtemps nié cette accusation, mais a dû faire avec la grande quantité de règles dédiées, et la tendance des parties à constamment dégénérer en combat. Celui-ci reste, bien sûr, une des façons les plus évidentes de résoudre beaucoup de problèmes typiques des JdR et l’engagement de l’OSR à privilégier les choix des joueuses et les bacs à sable signifie que c’est presque toujours une option.

Dans le Donjons & Dragons des débuts, il pouvait y avoir une certaine vérité dans l’idée que le combat était un but majeur, sinon le cœur du jeu… On s’attendait à des groupes de PJ beaucoup plus grands : de 8 à 14 joueurs avec chacun 1 ou 2 personnages et entre 1 et 5 compagnons d’armes. Ces grands groupes peuvent se battre avec beaucoup plus de succès que des groupes de 3 à 8 aventuriers Tradi ou OSR et leurs quelques compagnons d’armes.

De plus, on peut défendre l’idée qu’en écrivant la version originale de D&D, Gygax et Arneson le voyaient comme un supplément, peut-être même un « mini-jeu », pour des situations de wargame plus vastes, ce qui veut dire que les personnages étaient plus proches de pions de wargame que du concept de personnage développé ensuite dans le JdR. Ceci rendait les pertes dans le groupe assez bénignes : ce n’était que de la piétaille dans l’armée des joueurs. Les styles de jeu Tradi (le TSR de l’époque Hickman) et OSR ont géré cette contradiction entre les règles et le fonctionnement d’une partie de façons différentes.

Le Tradi a créé les campagnes linéaires (adventure path) où les combats sont soigneusement structurés dans un but d’équilibre, pour éprouver les personnages sans les tuer.

L’OSR a choisi de garder un environnement plus ouvert et une trame dirigée par les joueurs et les joueuses… et défend cette position en affirmant que « Le combat est une situation d’échec ».

Pourquoi cette position défensive ? Les rôlistes et créateurs Tradi puis Tradi-contemporain (ou OC), qui ont longtemps formé la grande majorité des rôlistes, ont tendance à craindre et moquer les mondes « ouverts » où les joueurs ont une grande liberté. Iels s’inquiètent souvent que les PJ deviennent des « vagabonds meurtriers » (murder hobo) qui vadrouillent en tuant tout ce qu’ils peuvent pour gagner de l’or et des XP. Mais ce n’est pas un problème spécifique aux styles Classique, OSR ou post-OSR. Un monde ouvert peut se défendre contre des bandes de tueurs en maraude (et aura souvent des mécanismes intégrés comme les factions), ou d’un autre côté laisser aux joueuses d’essayer une campagne en tant que bandites ou criminelles. Le « vagabond meurtrier » - pour autant qu’il existe hors des joueurs les plus activement antisociaux, n’est pas une menace dans une campagne en bac à sable.

Dans une campagne linéaire, par contre, des personnages antisociaux sont une menace parce qu’ils transforment les personnages censément héroïques en méchants et démolissent la structure du scénario qui n’a pas d’alternative prévue. C’est le revers de la médaille du danger que les conflits entre PJ posent dans l’OSR et les jeux proches, par opposition à la façon dont ils peuvent facilement être incorporés dans des campagnes linéaires ou des arcs narratifs.

Alors. « Le combat est une situation d’échec » exprime un aspect précis du style de jeu OSR, une adaptation à l’utilisation de règles écrites pour de grands groupes de PJ quand on a des groupes plus petits dans un monde ouvert rempli de menaces asymétriques. Malheureusement, cette maxime s’exprime souvent de façon colérique, dos au mur et réductrice, en contredisant l’expérience de jeu de la plupart des gens : le combat apparait bien en OSR et dans les exploration de donjons, et probablement souvent. Alors qu’est-ce que cette maxime dit au juste ?

  • « Le combat en tant que guerre » est une autre phrase toute faite de l’OSR, née dans un fameux fil sur le forum ENworld en dans les années 2010… l’idée que les nouvelles éditions de D&D offrent un « combat en tant que sport » : des défis tactiques équilibrés qu’on règle à travers les règles du système. Le style de jeu OSR propose plutôt du « combat en tant que guerre » : un conflit où il est dangereux voire mortel de suivre les règles, parce que la force des combattants est asymétrique. De bon.nes joueur.euses devraient accumuler tous les avantages possibles et trouver des solutions comme les pièges, les embuscades ou la tromperie avant de se battre. « Le combat est une situation d’échec » est cependant plus large, et offre la possibilité qu’il vaut mieux gagner sans combattre. La tromperie, les alliances, la corruption ou simplement contourner les ennemis dangereux sont de meilleures solutions qu’un combat dangereux (8).
  • Bien sûr, le vieux D&D et la plupart des jeux OSR et post-OSR ont encore beaucoup de règles de combat. Et puis même mes propres campagnes ont généralement une rencontre de combat par séance. Mon argument a été écrabouillé par la logique et la praxis… ou peut-être que les règles ne sont pas toujours les plus denses autour des éléments de jeu où on s’attend à ce que les joueur.euses passent le plus de temps, ou qui représentent une partie idéale. Les règles sont également nécessaires pour les éléments du jeu qui sont le plus sujets à dispute, et nécessitent une clarté maximale. Dans la plupart des sports, il y a beaucoup de règles sur ce qui constitue une faute, mais ça ne veut pas dire que le principe du basket est de donner des coups de coude et de courir partout en portant la balle.

    Pareil pour les jeux d’exploration de style OSR. Le combat est le principal moment où les joueurs peuvent « perdre », c’est à dire où leurs personnages peuvent mourir, aussi les joueurs essaieront de louvoyer pour éviter les risques, même après que le combat ait commencé. C’est quelque chose que ce style de jeu rejette, puisque le combat est aussi la manière dont les mauvaises décisions et prises de risques se révèlent. Le combat a besoin d’être cadré par des règles parce que, justement, dans le style de jeu OSR, c’est un moment où le choix des joueur.euses est beaucoup plus restreint que dans la plupart des autres situations de jeu. Ces règles détaillées ont un effet préventif : elles occupent cette partie de l’espace de jeu, et empêchent que même les meilleurs plans des joueurs et les décisions des arbitres les plus réfléchies, amoindrissent le danger d’un combat pour la survie des personnages.
  • Peut-être vaut-il mieux formuler cette maxime comme « Le combat est une inévitable situation d’échec » : tout comme la plupart des mains de poker sont suivies, et les joueurs doivent révéler leurs mains. Ce n’est pas le but du jeu ; ce n’est pas la façon idéale pour un joueur de poker compétent de remporter la main, mais ça arrive souvent parce que c’est facile et que les règles poussent vers cette situation ; si les joueurs veulent l'éviter, ils doivent faire un effort.

    Encore une fois, la raison pour laquelle les joueur.euses veulent éviter le combat dans l’OSR et les styles de jeu proches c’est pour éviter la plus grande cause de trépas et de sortie de la partie des PJ. C’est aussi lié à la soit-disant forte mortalité de ces styles de jeu ; mais les personnages ne meurent souvent que quand les joueurs cherchent le combat, prennent des risques excessifs ou sont extrêmement malchanceux.

VII. « Vous devez tenir un décompte précis du temps écoulé »

Page 37 de la première édition du Guide du maitre, Gygax écrit « VOUS DEVEZ TENIR UN DÉCOMPTE PRÉCIS DU TEMPS ÉCOULÉ. » Une citation célèbre et pas seulement parce qu’elle est en majuscules. Mais pour Gygax ce n’est pas une règle générale mais cela s’appliquait spécifiquement au jeu en campagne, aux périodes entre deux aventures, et aux couts d’entretien. Elle ne concerne pas la gestion au tour par tour dans un donjon ou l’ordre d’initiative en combat. Il s’agit plutôt de la logistique de la sorte campagne longue et le genre précis de parties en table ouverte, publiques, que Gygax encourageait. Tenir les comptes et noter sur un calendrier pour suivre les trajectoires des dizaines de PJ qui allaient et venaient dans un même univers pendant des mois ou des années.

Alors… à l’origine, cette maxime ne concerne qu’une petite partie du JdR et a longtemps été traitée dans les espaces OSR comme une espèce de réaction comiquement exagérée de Gygax, un vieil homme qui s’énervait contre des fantômes. Bien sûr, cela montre un autre point de fracture entre les questions de conception de l’OSR et le style de jeu du Gygax des débuts : Gygax considérait que la structure de jeu adéquate, c’était des campagnes longues, publiques, avec certaines caractéristiques des wargames - tandis que l’OSR, surtout au milieu de sa période, tendait à se concentrer sur des aventures isolés ou des univers uniques avec des personnages encore plus nombreux mais moins impliqués via la « convention permanente » en ligne.

Plus récemment, les auteur.es post-OSR se sont mis à des systèmes de règles minimalistes et beaucoup de nouveaux venus issus d’espaces Traditionnels Contemporains se sont intéressées aux anciens systèmes de règles. Dans ce contexte, « Vous devez tenir un décompte précis du temps écoulé » est devenue une vraie maxime. Elle sert à rappeler que l’exploration de style Classique repose avant tout sur le décompte des tours de jeu et autres règles similaires. La maxime elle-même ne permet pas tellement de l’expliquer. Elle a toujours ce caractère étrange datant du coup de gueule de Gygax ; elle peut provoquer de la confusion, en se concentrant sur la minutieuse comptabilité des ressources, des distances parcourues, et du temps en jeu - au lieu d’éléments plus essentiels. Les mécanismes et procédures de décompte des tours, de la navigation dans le donjon, de l’encombrement, de la consommation de ressources et des rencontres aléatoires ont de l’importance en tant que structures fondamentales de l’exploration d’un site ; mais les détails sont malléables et dépendent de nombreux facteurs : les objectifs créatifs, la durée des séances de jeu, la taille du groupe et l’univers fictif.

Pour comprendre « Vous devez tenir un décompte précis du temps écoulé » dans le sens de l’OSR et du post-OSR, prenez en compte ceci :

  • Dans un style de jeu où on surmonte les obstacles par la résolution de problèmes et l’exploration, le premier obstacle est la disposition, la taille et les différents chemins à travers le site (ou donjon) : d’où l’importance de la navigation et l’orientation. Le donjon bien sûr contient des risques statiques : des pièges, monstres, factions et énigmes qui limitent l’accès à ses récompenses - traditionnellement des trésors. Le meilleur moyen de dépasser ou d’éviter ces risques et obstacles est de les contourner en prenant toujours des précautions extrêmes. La plainte fréquente envers les PJ qui tapotent des couloirs gris avec leur perche de 3 mètres de long en est un exemple. Sa réponse est intégrée à la conception des vieux donjons : le risque aléatoire de monstres errants et la consommation de ressources nécessaires, en particulier l’éclairage.

    Même s’il y a des mécanismes derrière les jets de rencontres aléatoires et l’encombrement, ils nécessitent de noter le passage des tours pour savoir quand des monstres menaceront le groupe et quand les ressources seront consommées. Compter les tours avec régularité donne aussi aux joueuses une idée grossière du moment où leurs persos perdront des ressources et rencontreront des monstres errants (ou du moins auront une probabilité de les croiser) et leur permet donc de prendre des décisions sur les risques et récompenses : quelles précautions peuvent-elles se permettre ? C’est la fonction centrale, le « cycle » de l’exploration de donjon, donc « Vous devez tenir un décompte précis du temps écoulé » (ou du moins les règles doivent gérer le passage du temps et l’accumulation de risques) précisément pour éviter une partie ennuyeuse où l’exploration est sans risque ni danger, et n’est plus qu’une perte de temps.
  • Le concept gygaxien originel de « décompte précis du temps » est à l’échelle de la campagne ; de nos jours on l’exprime généralement comme du temps à l’échelle « un pour un ». Cette échelle est une approche des intervalles entre deux séances de jeu dans une campagne, et les jours passent au même rythme dans le monde du jeu et dans le monde réel (sauf pendant les parties). Ceci peut bien sûr poser des problèmes quand une seule séance s’étale sur plusieurs jours dans le temps du jeu, mais c’est une façon intéressante et généralement pratique d’encourager plusieurs groupes de PJ (ou même plusieurs arbitres) à venir à la même table, et pour que chaque joueuse possède des personnages multiples (une « écurie »). Cela n’a cependant jamais été une pratique courante dans l’OSR, malgré un certain intérêt, et cela marche mieux pour des parties régulières et publiques dans une boutique de jeu, ou une grosse communauté en ligne. Pour des parties à la maison avec des joueuses plutôt constantes, ça n’a pas autant d’intérêt et on peut organiser le temps des PJ entre les parties de façon plus abstraite.

    Voilà sept maximes qui étaient courantes dans l’OSR et persistent encore dans les scènes, styles de jeu, et communautés qui en descendent. Comme toute discussion sur ce qu’était l’OSR (ou ce qu’il « est » pour celles et ceux qui pensent que rien n’a changé depuis, genre l’an 2000), mon opinion est personnelle et discutable. C’était simplement ce que je retire de ces maximes et ce que je trouve utile en elles. Même si j’ai partiellement ou ponctuellement tort, je pense que considérer ces truismes OSR de façon moins dogmatique, en les décortiquant pour décider ce qui est polémique, ce qui est une simplification, et ce qui est véritablement descriptif, est utile pour comprendre les possibilités et le futur des JdR d’exploration de donjons.

Article original : 7 Maxims of the OSR

Sélection de commentaires

Trey

Même si j’ai déjà vu des jeux old school (enfin, D&D en général) être accusés d’être focalisés sur le meurtre et le pillage, je n’ai jamais vu personne lier cela à « la possibilité des mondes ouverts où les joueurs ont une grande liberté », que ce soit dans des sources « Tradi » ou qui que ce soit. Tu as des liens pour ça ?

Réponse de Gus L

Je ne dis pas que c’était une vraie conversation, avec deux personnes qui se répondent ; les deux affirmations ici sont des capsules d’un débat sans fin qui a commencé dans Alarums & Excursions [Un fanzine de jeu de rôle publié depuis 1975 (NdT)] et The Strategic Review [Un magazine publié par TSR de 1975 à 76, ensuite remplacé par The Dragon (NdT)] et qui surgit comme un champignon dès qu’on mentionne des bacs à sable ou des campagnes linéaires.

Il y a d’un côté l’argument « Mondes ouverts et liberté des joueur et joueuses », de l’autre « Une campagne linéaire permet aux joueur.euses de vivre une histoire au-delà du pillage mercenaire ». J’ai tendance à voir ça comme un dialogue de sourds : les pro-bacs à sable nient la possibilité que des campagnes linéaires permettent la moindre agentivité et les fans de Pathfinder s’exclament que sans cadrage il ne reste que la violence.

On peut assez facilement trouver ces disputes sur les forums et les réseaux sociaux, encore aujourd’hui. Le subreddit r/DnD, par exemple, a régulièrement des fils « Les joueur.euses ne veulent pas vraiment de bacs à sable ». Encore une fois, ces disputes sont basées sur une incompréhension, comme de dire que derrière chaque campagne linéaire se trouve un arbitre qui suit ses propres fantaisies (probablement perverses). (…)

Trey

Compris. Je crois, cependant, qu’en piochant dans une liste d’arguments qui ont peut-être été employés contre les bacs à sable ou les campagnes linéaires et en les « encapsulant » ainsi, tu as créé un épouvantail qui ne représente pas correctement les vraies motivations et questions. Dire que quelqu’un trouve les bacs à sable trop minimalistes ou (à l’inverse) trop complexes à gérer n’est pas la même chose que dire qu’on se plaint « souvent » de « la peur que les PJ deviennent des vagabonds meurtriers ».

Quoi qu’il en soit, en réponse au combat comme situation d’échec, ton analogie du baseball ne marche pas, parce que les règles du baseball mentionnent les comportements interdits pour explicitement les interdire. Ce n’est pas vraiment le cas pour le combat. Mais même si c’était le cas, les règles des ligues majeures de baseball de 2021 ne consacrent qu’un maigre 14 % de leurs pages à toutes les formes d’actions interdites, soit pas beaucoup. Ta deuxième formulation est meilleure, mais je me demande pourquoi personne ne mentionne ce qui me semble être la raison évidente : D&D est le descendant d’un wargame et ses règles axées sur le combat sont simplement un artefact de son histoire. Un grave échec de l’imagination.

Gus L

Oh je n’essaie absolument pas de mélanger la peur du vagabondage meurtrier (qui je pense est une crainte valide dans certains styles de jeu plus que dans d’autres, même si les trouducs antisociaux sont partout) avec la confusion autour de la nature ouverte des bacs à sable que je vois parfois dans les communautés Tradi-contemporaines et post-OSR. Elles sont différentes.

Je pense que les arbitres de bac à sable ne devraient pas se soucier des « vagabonds meurtriers » - ou plutôt, iels devraient se rendre compte qu’iels ont des outils pour ça - il faut juste que les arbitres s’y préparent.

NdT : dans un bac à sable, l’univers ne tourne pas autour des PJ ; il évolue de son côté. Si les PJ massacrent et pillent, les « factions » réagiront pour régler ce problème.

On doit absolument s’occuper dès le début de la confusion autour de l’aspect ouvert des bacs à sable ; en intégrant des factions, des premiers lieux faciles à découvrir, des accroches, des rumeurs, des directions et des options dans l’univers. C’est pour cela que vanter les mondes ouverts et les bacs à sable n’est pas toujours honnête ou correct. L’auteur.e du scénario ou l’arbitre doit d’abord

  • permettre aux PJ d’entrer dans ce monde,
  • leur donner un sujet de préoccupation (idéalement plusieurs)
  • et des gens qui veulent des choses d’eux

…et ensuite laisser les joueurs et les joueuses décider qui leurs PJ veulent aider, quels endroits les intéressent, etc. L’arbitre peut alors faire réagir le monde avec logique en fonction de ce qu’iel sait, que les joueur.euses ne savent pas. Ensuite les joueuses en découvrent plus sur le monde, s’investissent plus dedans, et fixent mieux des buts et des projets à leurs PJ.

Et puis c’était une analogie avec le basket - mais je suppose que les règles de la NBA ne traitent pas non plus seulement des fautes. Le principal c’est cette idée de règles pour le mauvais comportement, de fautes. Dans les JdR ce n’est pas pareil, mais encore une fois il y a des espaces du jeu qu’il faut délimiter plus solidement, parce qu’il y aura plus de friction et de plus fortes probabilités de perdre. [Les règles] ont besoin d’être plus claires et plus absolues.

Bien sûr, l’héritage du wargame se sent dans le D&D des débuts, mais l’OSR n’était pas le D&D des débuts, c’était un style de jeu construit pour essayer de donner un sens au vieux D&D et à d’autres JdR, depuis la perspective d’une forme idéale de jeu, pas comme un élément d’un héritage plus profond. Le mouvement OSR a choisi de limiter cette lecture historique à plusieurs endroits et de développer un style de jeu à partir du fonctionnement de ces règles, afin d’obtenir un style de jeu qui fonctionne et sonne juste.

Alors ouais, il y a de drôles de bouts de vestiges de wargame (le mouvement en pouces ? Rien que mesurer le mouvement en fait…) mais vu de plus haut, les règles servent à promouvoir certaines façons de jouer. Une d’elles voit le combat comme une sorte d’incarnation du summum du risque, que les joueur.euses essaient constamment de gérer ou d’éviter.

(1) NdT : Les cultures de jeu Classique, Tradi, OSR et néo-Tradi (ici appelée « Tradi-contemporaines ») ont été décrites dans l’article Les Six Cultures de jeu ptgptb [Retour]

(2) NdT : « D&D est peut-être le premier jeu que les joueurs achetaient tout en sachant qu’au moins la moitié des règles devraient être abandonnées ou largement modifiées. » dans Une Histoire du JdR-2 ptgptb [Retour]

(3) NdT : Mais qui sont tous ces gens ?

  • Laura wiki et Tracy wiki Hickman sont respectivement autrice et auteur de jeux, connu.es en particulier pour le scénario original Ravenloft (ensemble) et la campagne Lancedragon (par Tracy Hickman et Margaret Weis). Iels ont participé ainsi au passage de D&D de l’ère Classique - où les donjons étaient rois - vers l’ère traditionnelle, avec plus de personnages hauts en couleurs et de quêtes épiques.
  • Brian Blume wiki en était un des cofondateurs de TSR, à la fois auteur de jeux et investisseur dans la société. Son père Melvin et son frère Kevin sont par la suite entrés aussi dans le capital de la société, finissant par détenir la majorité des parts. En 1985, la famille Blume renvoya Gygax, et nomma comme gérante…
  • Lorraine Williams wiki diriga TSR à partir de 1985. Personnalité controversée pour beaucoup de vieux fans ; la critique la plus récurrente est qu’elle n’était pas une rôliste, juste une femme d’affaires. Sous sa direction, l’éditeur subit d’importants problèmes de liquidités, conduisant à son rachat par Wizards of the Coast en 1997.
  • Patricia Pulling ptgptb est une militante qui, au milieu de la panique morale autour du satanisme des années 1980 ptgptb aux Etats-Unis, attribua le suicide de son fils au fait qu’il jouait à Donjons & Dragons. Elle fonda Bothered About Dungeons & Dragons et publia de nombreux textes anti-JdR.
  • Dungeons & Beavers est le surnom moqueur de Warlock, une variante de D&D jouée à l’université CalTech - dont la mascotte est le castor (beaver). Cette variante apporte un système de points de magie et des règles pour monter à de très hauts niveaux. Elle fut publiée dès 1975, soit un an après la sortie de D&D ; une réédition plus complète, The Complete Warlock, fut publiée en 1979.
  • Le « jeu organisé » est le fait qu’un éditeur ou son fanclub officiel (par exemple pour D&D l’Adventurers League - anciennement RPGA) encadre des parties d’un JdR. Typiquement, cela permet à n’importe quel membre d’arriver avec sa fiche de personnage à n’importe quelle table officielle, typiquement dans une boutique de jeu ou en convention, pour jouer avec des inconnu.es et avec des règles communes. Ceci a participé à une certaine diminution du pouvoir des MJ sur leurs groupe, au profit de la liberté de création des PJ, et à l’apparition de la culture de jeu dite néo-tradi. D’un autre côté, cette énorme centralisation façon « championnat de wargame » ou « Everquest sur table », a du mal à s’imposer en France - lire Les Envahisseurs bastion. [Retour]

(4) NdT : Le railgun paysan est une hypothèse d’exploitation des règles à la lettre : on dispose de nombreux paysans sur une ligne. Chacun prépare la même action : dès qu'il reçoit un petit objet, le faire passer à son voisin. Quand on donne l'objet au premier paysan de la ligne, il réagit en le donnant au deuxième, et ainsi de suite. Les réactions prenant place sans délai à D&D5, l'objet peut être transmis du début de la ligne à sa fin en moins d’un tour de jeu de 6 secondes. À la fin de la ligne de paysans, l’objet a acquis une vitesse formidable, digne d’un canon électromagnétique ! [Retour]

(5) NdT : voir des exemples de dialogues dans Action dans le Théâtre de l’Esprit ptgptb [Retour]

(6) NdT : c’est un reproche que l’on peut faire à l’ensemble des JdR « narrativistes » ou « émergents », où tout est à créer. Dans cet article ptgptb, Zak Smith cite une de ses joueuses :

-Moi : “Bon, maintenant tu dois décrire ton personnage en 50 mots. Tout ce que tu veux.
-Mandy : Fait chier.”

D’une certaine manière, cette demande crée une difficulté sociale ou mentale particulière chez les gens. Un problème que « Choisis une race, choisis une classe » ne crée pas.

[Retour]

(7) NdT : lecture complémentaire : Le Pari de la table rase ptgptb, ou comment risquer de tuer tous les persos pour plus d’émotions fortes.[Retour]

(8) NdT : Justin Alexander a écrit plusieurs articles pour expliquer comment préparer des situations, pas des intrigues linéaires ptgptb [Retour]

(9) NdT : ici l’article complémentaire est Scènes de combat dans le Théâtre de l’Esprit ptgptb [Retour]

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