Le jeu de rôle et la droite chrétienne aux États-Unis
© 2004 David Waldron
La formation d’une communauté (roliste) en réaction à une “panique morale”
Note de l’auteur : ceci est vraiment un travail en cours et je continue à trouver de nouvelles perspectives et des données à travers diverses sources. Je suis très intéressé par toute réaction, perspective, preuve que quiconque peut fournir.
Résumé
Durant les années 80, le milieu et la sous-culture juvénile associés aux jeux de rôles, récemment apparus, firent l’objet d’attaques soutenues de la part des écoles, des églises, des parents et des gouvernements, sur l’initiative de la droite chrétienne au travers d’organisations telles que BADD (Bothered About Dungeons & Dragons - “Inquiétés par Donjons & Dragons”).
Alors que BADD et les affirmations associant les jeux de rôles au suicide juvénile, à l’usage de drogue et au satanisme furent finalement discrédités, l’impact de ces accusations se fait encore sentir aujourd’hui. C’est toujours une source d’hostilité et de ressentiment de la part des rôlistes, et un sujet de dispute pour les membres de la communauté rôliste qui s’identifient comme chrétiens.
Cet article examine l’impact de la panique morale concernant le jeu de rôle sur la communauté rôliste et étudie la manière dont s’en sont sortis ceux qui furent directement visés et harcelés par les églises, la police, les écoles et le gouvernement, à l’apogée de la panique morale, à la fin des années 80 et au début des années 90. Cet article étudie aussi comment le fait d’être ciblé par une panique morale produit une expérience partagée qui, elle-même, a influé sur la contre-culture et la communauté rôliste.
Que sont les jeux de rôles ?
Les jeux de rôles (ou JdR) sont principalement une forme de roman interactif dans lequel les protagonistes créent et contrôlent les actions d’un groupe de personnages. Les personnages opèrent dans un monde virtuel contrôlé par un arbitre et narrateur appelé MJ ou meneur de jeu, en fonction de la variante du JdR qui est jouée (certaines variantes utilisent maître de donjon, arbitre, narrateur, conteur, etc.).
Le MJ crée un monde virtuel et les joueurs prennent des décisions, fondées sur l’interaction de leur personnage avec ce monde et limitées par une combinaison de statistiques, de probabilités et de personnification. Les mondes eux-mêmes varient de l’adaptation traditionnelle des royaumes imaginaires de Tolkien telle que le fait Donjons et Dragons, au cyberpunk, en passant par l’horreur gothique, l’espionnage, le space opéra, le western et des environnements qui sont tellement surréalistes qu’ils défient les définitions simplistes. Globalement, la plupart des formes de littérature ont une version en JdR, certaines étant bien plus populaires et conventionnelles que d’autres.
Une brève Histoire
Donjons et Dragons ou D&D, le premier et l’un des JdR les plus populaires, fut commercialisé pour la première fois en 1972 comme supplément à un wargame, Chainmail. Il fut ensuite publié comme un système autonome et distinct en 1974. Par le bouche à oreille et les contacts entre étudiants, le JdR se répandit rapidement dans les campus des universités américaines avec des ventes annuelles qui doublèrent en volume au cours de la fin des années 70 et du début des années 80, dépassant rapidement la popularité et les ventes de jeux de plateau. En 1979 TSR, le fabricant de Donjons et Dragons, en vendait 1000 exemplaires par mois, chiffre qui passa à 20 000 en 1985 [I].
Selon Gary Gigax, le succès de TSR a été dû en grande partie à la publicité que reçurent les JdR lors de la panique morale. En fait, régulièrement au cours de l’histoire des JdR, les accusations qui s’élevèrent contre eux furent suivies d’une augmentation brusque des ventes. La plupart des grandes entreprises de JdR refusèrent, pour cette raison, de défendre leurs produits, ailleurs que dans les sites et magazines pour rôlistes, et préférèrent laisser courir ces accusations.
Bien que le nombre total de rôlistes soit difficile à estimer, une étude conduite en 1990 aux États-Unis, en Australie et au Canada estima qu’au moins 7,5 millions de personnes participaient à des JdR au moins une fois par mois dans ces trois pays.
En 2000 une enquête de l’entreprise Wizards Of The Coast estima qu’approximativement 5,5 millions d’Américains jouaient régulièrement aux JdR [II]. En plus de cela, de nombreuses conventions et rassemblements de JdR se tiennent dans les pays anglophones. Il y a également des communautés rôlistes significatives, entre autres, en France, Espagne, Allemagne et Italie.
Melbourne, en Australie, par exemple, compte quatre rassemblements annuels majeurs que plusieurs centaines de rôlistes fréquentent, sans oublier de nombreux rassemblements locaux à petite échelle qui se tiennent au cours de l’année.
Lors de ces rassemblements, se tenant habituellement durant un long week-end ou des vacances scolaires, les participants se déguisent souvent conformément à la sous-culture rôliste à laquelle ils appartiennent, les plus notables étant gothique, cyberpunk, païen, vampire gothique, médiéval, Matrix chic, et les sous-cultures de geeks. Là, ils discutent, conçoivent et jouent à une grande variété de scénarios de jeu de rôle. Souvent ils participent à des reconstitutions médiévales ou cyberpunk et aiment à s’engager dans des prestations d’acteurs. Ils prennent connaissance des dernières nouveautés et produits dérivés associés à des sous-cultures telles que la japanimation, les produits rôlistes, les vêtements, les musiques, films et livres de science-fiction ou de fantasy. Il y a également de nombreux magazines ainsi que des webzines, des sites web et des publications sur les JdR et des films fondés sur les mondes des JdR.
Quelques exemples : Kindred : the Embraced (1), Underworld, les dessins animés et le film Donjons et Dragons, beaucoup de dessins animés de japanimation etc. mais aussi des JdR tirés de romans ou de films existants comme Buffy, Star Trek, Entretien avec un vampire, La Guerre des étoiles, Le Seigneur des anneaux et d’autres. De nombreux romans, romans graphiques, bandes dessinées indépendantes ou publiées régulièrement, films d’animation, dessins animés ; tous fondés sur des mondes de JdR, et qui parodient la sous-culture sous de nombreux angles et sont parfois publiés dans divers magazines et sites web. Je débattrai dans la suite de cet article de la formation et de l’origine des diverses sous-cultures rôlistes et de leurs relations à la panique morale des années 80 à l’encontre des JdR.
Les interprétations théoriques des JdR dans la culture juvénile
Ce qui était particulièrement nouveau dans les JdR, et qui a certainement contribué à leur popularité lors de leur émergence à la fin des années 70, était leur potentiel d’évasion.
Les JdR, dans ce qu’ils ont de plus captivant, nécessitent une structure à plusieurs couches d’interactions sociales intimes et un mécanisme pour explorer des idéaux, valeurs, symboles et formes culturelles partagées (en particulier ceux qui sont tirés de la littérature). Ils ont besoin d’un format unique qui ne peut être facilement reproduit dans d’autres jeux ou activités sociales. Les JdR créent un mécanisme flexible pour explorer des mondes virtuels, des identités, des structures sociales, des symboles et normes culturelles à l’intérieur d’un environnement social détaché et séparé de la vie quotidienne.
Ce potentiel pour la réflexivité, la formation de l’identité, des réseaux serrés d’interactions sociales et l’évasion fut certainement un ingrédient fondamental dans la popularité des JdR et dans celle de leurs équivalents plus tardifs en jeux vidéo, les donjons multijoueurs et le JdR en ligne.
Selon une recherche de Sherry Turkle, les JdR ont davantage de potentiel pour l’évasion que de nombreux autres passe-temps, car non seulement ils autorisent les participants à interagir avec leur environnement mais ils leur donnent un espace où ils peuvent créer leur propre identité socioculturelle. En JdR, le rôle que le joueur adopte est un outil conçu pour séparer davantage encore le contexte du jeu de la réalité. Le joueur ne joue pas tant un rôle qu’il ne joue une persona (2). En utilisant des personnages étranges et fantastiques, les joueurs peuvent créer une distance psychologique suffisante pour croire qu’ils ont transcendé les traits contraignants de leur propre identité sociale et culturelle. Un personnage a un nom, des attributs physiques et une personnalité distincte de celle du joueur mais que le joueur adopte pour la partie. Cela autorise à la fois à s’échapper des barrières sociales et culturelles perçues et vécues dans la vie quotidienne tout en servant de métaphore pour explorer ces questions dans un contexte virtuel.
Le rôle des JdR dans la culture juvénile peut être considéré comme un exemple du moratoire psychosocial du psychanalyste Erik Erikson dans lequel les conséquences des actions sur la formation identitaire sont “mises de côté”. Les gens ont ainsi une opportunité d’expérimenter une variété de situations sans se soucier du résultat de ces actions et expérimenter des formes alternatives d’identité. Cela permet à l’individu de développer un noyau identitaire propre en connaissance de cause et un jeu de valeurs sociales qui, selon Erikson, est une étape importante du développement psychologique d’un adolescent [III].
Contrairement aux donjons multijoueurs et aux jeux en ligne, les JdR nécessitent une très grande proximité géographique dans les interactions sociales de face-à-face. On y joue habituellement dans un endroit isolé, l’exemple typique est une pièce dans une résidence privée, une école, une université ou une MJC, séparée du monde extérieur par tout un attirail propre à la sous-culture rôliste et qui implique un grand ensemble de jargon et de symboles qui n’ont de sens que pour ceux qui font partie du groupe. Il y a ici un parallèle étroit avec les concepts de Victor Turner du liminaire et du communautaire (3) [IV].
Les joueurs travaillent activement à créer des espaces liminaires marqués dans lesquels ils peuvent se défaire de leur identité sociale et culturelle conventionnelle et adopter des symboles et images jugés contraires à la construction culturelle conventionnelle du soi, mais qui forment leur propre et unique contre-structure en opposition à l’ordre social et culturel conventionnel.
35 % des hommes et 20 % des femmes choisissent de jouer des personnages d’un autre sexe et 60 % préfèrent jouer des personnages qui ne sont pas humains. Ces valeurs élevées accréditent la nature contre-structurelle des jeux de rôles [V].
De façon similaire, l’expérience rôliste vit et meurt avec l’interaction sociale de ses participants. Elle dépend de la création d’un espace liminaire protégé dans lequel le monde social peut être considéré de manière réfléchie et dans lequel un sentiment communautaire peut être créé comme composant essentiel du succès du JdR. Ce sentiment communautaire est vécu à la fois comme un sentiment intensifié de proximité, d’égalité, de joie et de communauté à l’intérieur du groupe mais aussi comme un brouillage de la frontière entre monde réel et imaginaire au travers d’une atmosphère, d’une symbolique contre-structurelle et d’une profondeur de jeu. Comme le commentait un rôliste :
“Avez-vous jamais joué à une partie où le monde réel s’est complètement fondu à l’arrière-plan et les sentiments et les actions de vous et de votre personnage se confondent ? Si ça vous est arrivé, vous l’avez sûrement ressentie comme l’une des meilleures parties que vous ayez jamais jouées, que le jeu de rôle est à son apogée quand la frontière entre la réalité et l’imaginaire s’estompe.” [VI]
C’est cette expérience de l’évasion, de la communauté et du moratoire psychosocial dans lequel les questions d’identité et les formes culturelles peuvent être librement explorées, qui forme le cœur du JdR et de la sous-culture rôliste. C’est aussi la source de nombreuses attaques contre les rôlistes et les JdR, se fondant sur le principe qu’ils brouillent les limites entre la réalité et l’imaginaire, ce qui conduit les gens à participer à des activités immorales ou anti-sociales ou – dans le cas des attaques des fondamentalistes chrétiens – au paganisme, au satanisme et donc à les éloigner de l’Église.
Paniques morales
Avant d’étudier les caractéristiques de la panique morale anti-JdR des années 80 et 90, j’aimerais faire quelques commentaires à propos de la théorie autour des paniques morales. L’expression “panique morale” fut utilisée pour la première fois par le sociologue Stanley Cohen dans sa recherche sur les réactions des médias, du gouvernement et du public aux mouvements des Mods [nom donné aux groupes de jeunes britanniques qui s’opposaient au rock (NdT)] et des rockers durant les années 60. Dans son ouvrage Folks Devils and Moral Panics, il a étudié le phénomène que fut la perception du mouvement des Mods et des rockers comme une menace à l’ordre social et culturel, et son impact sur les médias, la politique gouvernementale, le maintien de l’ordre et l’opinion publique. En interprétant ces données il a conçu un modèle théorique pour décrire les origines et les effets de ces “paniques morales” [VII]. Sa définition d’une panique morale est celle-ci :
- Une circonstance, épisode, personne ou groupe de personnes, apparaît défini comme une menace aux valeurs et aux intérêts de la société
- Son principe est présenté d’une façon stylisée et stéréotypée par les médias de masse ;
- Les éditorialistes se ruent sur les barricades morales ainsi que les prêtres, les politiciens et les gens de droite ;
- Des experts socialement accrédités prononcent des diagnostics et prescrivent des solutions ;
- On fait évoluer ou (plus souvent) on recourt à des façons de faire avec ;
- Cette circonstance disparaît, se noie ou se détériore et devient plus visible. [VIII]
Dans la perspective de Cohen, une panique morale est un processus par lequel un secteur de la société reçoit une identité collective stéréotypée imposée depuis l’extérieur de son groupe.
Cette identité se caractérise par des définitions généralisées, des témoignages exagérés et se définit en relation à la perception d’une menace contre l’ordre moral et social. Une panique morale est fondamentalement un glissement discursif et une crise symbolique concernant ce qui est perçu comme déviant par l’individu moyen [IX].
Il est inhabituel qu’une panique morale soit un phénomène complètement nouveau. La cible d’une panique morale est typiquement un groupe ou phénomène existant depuis de nombreuses années mais qui a été récemment porté à l’attention des grands médias et du grand public au travers d’un événement marquant ou d’une question exigeant l’attention des médias. En ce sens, la déviance et la menace associées à la cible de la panique morale sont créées par les grands médias et le mode culturel dominant.
Cela n’implique pas, bien sûr, que les gens sont contraints à un comportement déviant mais plutôt que les actions, les symboles et l’identité socioculturelle associés à ceux qui sont ciblés sont étiquetés comme déviants et le deviennent uniquement au travers de ce processus d’étiquetage, étant donné que le groupe existait avant cette catégorisation [X]. En conséquence, Cohen décrit le développement d’une panique morale en terme de création d’épouvantails populaires auxquels une large gamme de caractéristiques peut être appliquée et qui tire sa force autant de ses évocations symboliques que du danger ou de la menace effectivement constitué(e) par ceux qui sont étiquetés comme déviants [XI].
La panique morale contre les JdR
La panique morale aux États-Unis (et dans une moindre mesure, en Australie et en France), dirigée contre les JdR et particulièrement Donjons et Dragons, tire son origine de la réponse médiatique aux suicides d’un étudiant de 16 ans, James Dallas Egbert en août 1980 et d’un lycéen du même âge, Irving Pulling II en juin 1982. En dépit d’une large gamme de facteurs sociaux et psychologiques comme la dépendance à la drogue, des dépressions chroniques, des conflits avec leurs parents à propos de l’orientation sexuelle, des humiliations publiques à l’école et même des doutes quant à leur pratique réelle et régulière des JdR, l’interprétation médiatique des événements fut que cet “étrange jeu D&D” était un facteur crucial dans leurs suicides [XII].
Qui plus est, Patricia Pulling, la mère de Bink Pulling, tenta de poursuivre TSR, le fabricant de Donjons et Dragons, pour la mort de son fils. Le cas fut rejeté par la justice en 1984 [XIII]. Elle s’associa alors avec un psychiatre de l’Illinois, Thomas Radecki, directeur de la Coalition nationale contre la violence à la télévision (NCTV), pour former une nouvelle organisation très proche de nombreux organismes fondamentalistes chrétiens et du parti Républicain, et nommée BADD.
Pulling relia sa croyance en des influences sataniques inhérentes aux JdR à trois autres éléments perçus comme des menaces à l’ordre social : le heavy metal, le renouveau du paganisme et la peur envers les rituels sataniques et leurs outrages. La perception d’une alliance entre ces trois menaces disparates devint la pierre de touche de la panique morale à l’encontre des JdR. En Australie, BADD a principalement opéré et diffusé au travers de la Fédération australienne pour la décence (maintenant la Fédération australienne pour la famille), et ce à partir de 1986, sous la direction du révérend Fred Nile.
Voici la description de Pulling de Donjons et Dragons :
“Un jeu de rôle fantastique qui utilise la démonologie, la sorcellerie, le vaudou, le meurtre, le viol, le blasphème, le suicide, l’assassinat, l’aliénation mentale, la perversion sexuelle, l’homosexualité, la prostitution, des rituels de type satanique, les jeux d’argent, la barbarie, le cannibalisme, le sadisme, la profanation, l’invocation de démons, la nécromancie, la divination et d’autres enseignements.
Il y a eu un grand nombre de morts à travers tout le pays où des jeux comme Donjons et Dragons ont été soit le facteur décisif dans des meurtres ou suicides adolescents, soit ont joué un rôle majeur dans le comportement violent à l’origine de telles tragédies. Étant donné que le JdR est typiquement utilisé pour modifier le comportement, il est devenu apparent au niveau national (avec l’augmentation des taux de suicide et d’homicide parmi les adolescents) qu’il est grandement nécessaire d’enquêter sur chaque aspect de l’environnement des jeunes, y compris leurs loisirs, afin de déterminer dans quelle mesure ils peuvent être responsables de leurs actions violentes.”
Patricia Pulling sur Donjons et Dragons, The Devil’s Web. p. 179
Dans sa campagne contre Donjons et Dragons et les JdR en général, Pulling a utilisé une variété de tactiques, qu’elle a suivies avec force énergie et investissement personnel, de concert avec Thomas Radecki. Ces tactiques sont :
1. De nombreuses pétitions adressées à des organismes gouvernementaux et des hommes politiques
La Commission fédérale du commerce, la Commission sur la sécurité des produits de consommation et les membres du Congrès reçurent de telles pétitions demandant que les JdR soient vendus avec des avertissements concernant le suicide ou que leur vente soit carrément interdite.
2. Une liste rassemblant les victimes du JdR
Elle était tirée d’articles de journaux et de témoignages de suicides ou de crimes déclarés comme étant liés aux JdR. Elle fut désignée comme “La liste des trophées Pulling” par les médias de masse comme par les rôlistes.
3. Des apparitions dans des talk shows et des émissions d’actualité
Par exemple, le Gil Gross Show, Geraldo, Sally Jesse Raphael, Donahue, Sixty Minutes, parmi d’autres, ont décrié Donjons et Dragons comme étant une menace satanique pour les enfants et une cause majeure de suicide et de criminalité juvénile.
4. Des conférences sur les crimes sectaires et la violence juvénile
De nombreuses conférences sur les JdR, les présentant comme étant reliés à des crimes sectaires, au suicide, aux outrages des rituels sataniques et à la violence juvénile, lors de séminaires policiers sur le crime et l’occulte.
L’élément fondamental de cette approche était le lien entre le JdR et la croyance largement partagée qu’il y avait de nombreux cultes sataniques à l’œuvre en Amérique et en Occident, qui essayaient d’inciter la jeunesse à commettre des actes immoraux comme des sacrifices et des viols rituels par le biais du heavy metal, du JdR, d’éducateurs, de centres de protection pour enfants et de la télévision. Ce qui suit est un extrait du séminaire sur le “crime sectaire” présenté par le détective Gary Sworin à Richmond en Virginie.
“Nous avons Donjons et Dragons et tous ces autres démons… et tous ces jeux qui sont sortis. Et heureusement, dans notre secteur, nous n’avons rien concernant les répercussions de ces types de jeu… Cela en est au point que, dans le jeu lui-même, vous vous décrivez vous-même, vous prenez les caractéristiques d’une autre personne et ce que vous êtes censé faire à ce moment c’est faire semblant que vous êtes cette personne et vous êtes censé voler, piller ; vous êtes censé tuer – tout ce que vous pouvez faire pour devenir puissant dans le jeu.”
Cité par Robert Hicks, In Pursuit of Satan, p. 286
5. Lobby et pétition des figures d’autorité
Mettre la pression – au travers de lobbies comme les organisations religieuses – sur les écoles, les médias, le gouvernement et la police, en affirmant que les JdR étaient une menace radicale pour la tradition morale de l’Amérique, encourageaient la violence juvénile et contribuaient au renouveau du paganisme et du satanisme.
6. Témoignage “d’expert” dans des procès à grande échelle
Pulling offrit son témoignage d’expert sur les JdR dans divers procès à grande échelle où le défendeur souhaitait appliquer “la défense D&D” (4) pour des activités criminelles comme lors du procès Darren Molitor [XIV] et dans des procès au civil contre le secteur du JdR.
7. Saturation des lieux publics avec tout un attirail anti-JdR
Saturation des écoles, églises et lieux publics avec tout l’attirail anti-rôliste comme l’infamante bande dessinée Dark Dungeons par Jack L. Chick [XV].
Au-delà des affirmations concernant l’influence satanique, la principale menace perçue dans les JdR était la perception d’une rupture entre la réalité et l’imaginaire. Dans les représentations du JdR dans les médias de masse, les rôlistes étaient vus comme devenant si impliqués dans leurs jeux imaginaires que leur conception du soi et de la réalité commençait à se dissoudre pour être remplacée par le monde virtuel fantastique du JdR.
Au lieu d’un moratoire liminaire sur les conséquences ou d’un exemple du carnaval de Bakhtin (5), les rôlistes étaient perçus comme brisant les limites entre l’espace public et l’espace liminaire, permettant ainsi à leur jeu d’avoir des conséquences sur “le monde réel”. Le souci concernait aussi ce que les jeunes apprenaient durant leurs parties. Dans le monde réel, le comportement criminel ou immoral a des conséquences, mais dans un jeu sans ces conséquences, aucune raison n’était perçue qui puisse pousser les rôlistes à agir moralement. Derrière cet argument se trouve une crainte profonde que l’imagination débridée des jeunes ait un impact sur des situations réelles.
Dans le JdR, les rôlistes peuvent participer à n’importe quelle activité virtuelle souhaitée, avec des conséquences tout aussi virtuelles. Cela se reflète dans les conseils de Patricia Pulling à la police :
“Il apparaît qu’un grand nombre de jeunes ont des difficultés à séparer la réalité de l’imaginaire. En d’autres termes, leur pratique du JdR a modifié leur comportement dans une telle mesure qu’ils réagissent dans des situations de la vie réelle de la même façon qu’ils réagiraient en situation de jeu. Cela n’est pas toujours évident ou apparent pour le suspect. Le changement de personnalité est si subtil que dans certains cas, le rôliste est inconscient de quelque changement de comportement ou de personnalité que ce soit.”
Patricia Pulling, Interviewing Techniques for Adolescents. BADD Inc. Septembre 1988. p. 3.
Derrière les attaques contre les JdR réside la croyance qu’un certain état d’esprit est nécessaire pour accomplir des actes criminels, immoraux ou autodestructeurs, et que les conséquences négatives de ces actes sont le principal frein à leur exécution. Dans la panique morale anti-JdR, on croyait que l’absence de conséquences réelles pour les actes virtuels permettrait aux rôlistes d’expérimenter des activités occultes ou criminelles et faire ainsi montre de tendances qui seraient réprimées dans le monde réel. Il est donc dans l’intérêt de la société de réprimer ces comportements perçus comme déviants, qu’ils soient virtuels ou non.
Concrètement, il apparaissait que les JdR étaient perçus comme ayant une plus grande influence sur la mentalité d’un adolescent que les attaches des valeurs morales, culturelles et sociales. [XVI]
Comme dans le modèle de Cohen sur les paniques morales, deux facteurs clés sont apparus dans les campagnes anti-JdR.
Premièrement, les personnes bien pensantes se sont ruées sur les barricades protégeant l’ordre social et moral [XVII]. Proviseurs, policiers, politiciens conservateurs et églises, tous se sont prononcés contre le JdR. Leur position élevée dans la société donna du poids à leurs allégations, influant l’opinion du public.
Deuxièmement, les articles et les conférences omirent d’indiquer où il était possible de trouver des sources de référence ou des activités païennes, sataniques ou gauchistes. Il n’y avait aucune description du processus par lequel on était arrivé à ces conclusions reliant le JdR à ces éléments perçus comme menaçant pour l’ordre social. Qui plus est, l’existence des JdR fut analysée comme une menace envers le bien-être des enfants. Avec une telle sommation étalée devant les commissions scolaires et les notables, il n’y avait guère de choix possible sous peine d’apparaître comme se désintéressant du bien-être émotionnel et physique des enfants.
Cette approche de la campagne anti-JdR est bien illustrée dans le profilage que BADD a distribué aux commissariats, concernant les adolescents, le satanisme et l’occulte, conçu pour l’interrogation de suspects de crimes juvéniles liés avec l’occultisme. Il est aussi significatif que la menace était construite dans des termes extrêmement vagues qui pouvaient être appliqués à quasiment chaque aspect de la culture juvénile ou d’un secteur de la société, à travers un processus de prophéties autoréalisatrices, comme illustré ici dans le guide de Pulling concernant la manière d’identifier l’influence du satanisme adolescent par la police, le clergé et les éducateurs. Le Rapport Pulling de Michael Stackpole est particulièrement précis dans son analyse de la logique circulaire, de la double herméneutique [l’interprétation orientée (NdT)], des généralisations manifestes et des prophéties autoréalisatrices impliquées dans l’approche de Pulling concernant l’identification des influences sataniques sur les jeunes gens [XVIII].
Le Qui Quoi Quand Où et Comment du satanisme adolescent
QUI ?
- Des adolescents de tous milieux sociaux
- Issus de familles de milieu moyen à aisé
- Intelligents
- Ayant des résultats scolaires au-dessus ou en dessous de la moyenne
- Créatifs ou curieux
- Certains sont rebelles
- Certains ont une faible estime personnelle et sont des solitaires
- Certains enfants ont été victimes de violence physique ou sexuelle
QUAND ?
- La tranche d’âge la plus vulnérable semble se situer entre 11 et 17 ans
OÙ ?
- Dans des lieux publics comme des concerts de rock, des clubs de jeu dans des associations ou à l’école
- Dans des soirées privées chez un ami
COMMENT ?
- Par la musique Black Heavy Metal
- Par des jeux de rôles fantastiques comme Donjons et Dragons ®
- Par une obsession pour des films ou vidéos qui abordent des thèmes occultes
- En collectionnant et lisant ou recherchant des livres d’occultisme
- En étant enrôlé dans des “cultes sataniques”
- Certains sont nés dans des familles qui pratiquent “des rituels sataniques”
DEUX PRINCIPES DE BASE S’APPLIQUENT ICI : la “loi d’attraction” et la “loi d’invitation”.
À QUOI s’attendre ?
- Obsession pour les loisirs occultes
- Désordres comportementaux, de toutes gravités
- Crimes ou délits, tels que :
- A. Fugue
- B. Profanation de sépultures (tels que vols d’ossements)
- C. Cambriolages pour voler des objets religieux ou vols pour prouver sa loyauté au groupe
- D. Dégradation de lieux publics ou privés par des graffitis sataniques ou assimilés
- E. Menaces de mort (sur soi-même ou envers les autres, l’automutilation est très courante)
- F. Agressivité dirigée contre la famille, les professeurs et les figures d’autorité
- G. Mépris des religions établies
- H. Attitudes racistes
- I. Kidnapping ou complicité de kidnapping
- J. Meurtre
- K. Pactes de suicide collectif entre les membres du groupe
QUE pouvons-nous faire ?
- Archiver toute information en rapport avec une implication occulte (même si elle ne paraît pas pertinente sur le moment)
- Conserver un esprit ouvert
- Rester objectif
- Ne jamais supposer qu’un individu agit seul jusqu’à ce que toutes les informations relatives à l’affaire ou à l’individu aient été entièrement examinées
- Si un individu est impliqué dans une “activité satanique”, il ou elle niera fortement pour protéger d’autres membres du groupe ainsi que la “philosophie satanique” [sic]
- Avoir une approche en équipe, travailler avec un thérapeute, un ecclésiastique et d’autres professionnels susceptibles d’aider
- Éduquer la société pour que des tragédies potentielles puissent être évitées
Document tiré du Rapport Pulling ptgptb par Michael Stackpole, pp 19-21
Il est difficile d’évaluer précisément dans quelle mesure la panique morale anti-jeux de rôles a pénétré la structure sociale. À son apogée, de nombreuses écoles bannirent le JdR, des boutiques furent fermées, plusieurs petites entreprises durent mettre la clé sous la porte et de nombreux rôlistes subirent un harcèlement allant des sanctions légères et privations de libertés de la part des éducateurs, de la police, des églises et des parents à des actions plus sévères. J’examinerai l’expérience des rôlistes plus bas.
Les documents de BADD furent distribués aux départements de police dans toute l’Amérique et dans beaucoup d’écoles, églises et organismes gouvernementaux en Angleterre, au Canada et en Australie (il y a eu aussi une importante panique morale et anti-jeu de rôle en France mais j’ai peu d’information sur ses caractéristiques à cette heure). Des documents anti-jeux de rôles, des articles, des bandes dessinées, furent distribuées dans les églises australiennes, anglaises et canadiennes ; dans les commissariats, les centres sociaux et les écoles ; mais il n’y a pas de preuve que cette panique ait jamais été aussi bien introduite dans le système éducatif, gouvernemental ou policier des autres nations qu’elle l’a été dans le cas des États-Unis (à l’exception de la France qui sera étudiée plus avant dans une prochaine recherche).
Plusieurs films furent produits avec le soutien de BADD et en consultant cette association et d’autres organisations anti-jeu de rôle, notamment Les Monstres du labyrinthe, Cruel Doubt (6) et Tu honoreras ta mère.
L’événement le plus bizarre fut peut-être le raid du Service Secret américain sur Steve Jackson Games d’après l’hypothèse que le jeu de rôle Cyberpunk contenait des codes secrets sur le moyen de devenir un pirate informatique, et encourageait les rôlistes à la cybercriminalité. Le juge découvrit que les agents responsables avaient agi sans enquête préliminaire adéquate et que :
“dans leur hâte d’obtenir des preuves justifiant une enquête criminelle, avaient simplement conclu que Steve Jackson Games était impliqué dans des activités illégales à cause du libellé du menu sur le forum Illuminati.”
Conclusions du juge dans l’affaire Steve Jackson Games vs Secret Service, United States District Court, Austin Division, 1990
Cette attaque n’avait aucun lien avec des accusations de satanisme ou de mise en danger de mineurs – elle faisait suite à une divulgation, sur ce forum, d’informations soi-disant stratégiques. Là où le raid est pertinent dans la démonstration, c’est qu’il indique à quel point les agences de sécurité tendaient à soupçonner des comportements criminels et des menaces à l’ordre social, en se basant sur des preuves de plus en plus douteuses, sans enquête approfondie [XIX].
Cependant, la panique morale suivit trois phases clairement identifiables. La première fut l’affirmation que les étudiants utilisaient l’attirail occulte inclus dans les jeux de rôles pour maudire ou jeter des sorts à leurs camarades de classe, leurs parents ou professeurs. Cette affirmation fut faite par Pulling dans sa tentative de procès à TSR pour la mort de son fils et présentée au travers de nombreux forums anti-jeux de rôles ainsi que dans la tristement célèbre bande dessinée de Jack T. Chick Dark Dungeon.
La seconde phase commença dans le milieu des années 80 et prétendit que le monde fantastique et moralement douteux des jeux de rôles conduirait les étudiants au suicide, au meurtre et à la violence.
La phase finale, qui commença à la fin des années 80 et au début des années 90, fut la croyance selon laquelle les jeux de rôles pousseraient les rôlistes à devenir des satanistes ou des païens puis à s’engager dans des activités immorales et violentes [XX].
Alors que la panique morale contre les jeux de rôles était forte et que les jeux de rôles sont encore stigmatisés dans certains secteurs de la société comme étant liés au satanisme, au suicide des jeunes et à l’occulte, la campagne contre les jeux de rôles s’effondra vers le début des années 90 et perdit rapidement beaucoup de ses soutiens dans les sphères judiciaires, policières, éducatives et gouvernementales.
À l’inverse de la panique envers les Mods, les rockers et la musique heavy metal, l’effondrement de celle dirigée vers les jeux de rôles est très liée à la perte de crédibilité et de soutien financier par les organisations anti-JdR.
En particulier, avec la chute et le démantèlement de BADD en tant que force politique et médiatique, l’attention des médias ne fut plus continuellement attirée vers les accusations spectaculaires de comportement déviant et d’immoralité contre les rôlistes. On peut trouver plusieurs causes précises à l’origine de cette chute de crédibilité et d’efficacité de BADD et consorts.
1. Échec procédurier
En dépit des nombreuses affaires soutenues par BADD, il n’y a toujours pas d’affaire civile ou criminelle dans laquelle la méthode nommée “défense D&D” ait réussi. Cela a enlevé beaucoup d’intérêt pour son utilisation légale et a ôté à BADD une plate-forme essentielle pour rendre son programme public à travers les médias.
2. Manque de crédibilité académique
En dépit de nombreuses tentatives pour financer une recherche académique qui pourrait prouver une transformation psychologique, une propension aux activités criminelles, à la dépression, l’aliénation et autres tendances anti-sociales comme étant liées aux jeux de rôles, presque toutes ces études montrèrent que la différence était statistiquement insignifiante ou que les rôlistes présentaient des scores plus bas sur les indicateurs clefs liés à l’aliénation, la propension à la violence, la dépression et l’impossibilité de distinguer la fiction de la réalité [XXI].
Cette impossibilité d’obtenir des résultats publiés dans des journaux crédibles fut un contrecoup majeur pour les tentatives de BADD de légitimer ses déclarations contre les jeux de rôles. De plus, lorsqu’une enquête fut menée sur les taux de suicides parmi les rôlistes comparés aux statistiques nationales du Canada et des États-Unis, l’American Association of Suicidology, le Centre for Disease Control et le National Safety Council (entre autres) découvrirent que, alors que le niveau moyen de suicide des jeunes (15-25 ans) était de 5300 par an, il n’y avait eu que 128 tentatives de suicide de rôlistes rapportées par BADD et les organisations affiliées entre 1979 et 1988.
Suivant le nombre estimé de rôlistes dans ces pays à cette époque, il aurait dû y avoir au moins 1060 suicides de rôlistes dans la même période. Aussi les conclusions du rapport de l’AAS, du CDC et du NFC furent que le suicide parmi les rôlistes était, en fait, significativement inférieur à la moyenne nationale pour la tranche d’âge des 15-25 ans [XXII].
3. Discrédit de BADD
Les références et les activités de Patricia Pulling, Thomas Radecki et de BADD furent elles-mêmes sous intense surveillance au début des années 90. Les plus remarquables furent les travaux du criminologiste Robert Hicks et le maintenant réputé Rapport Pulling, sous l’impulsion de la Game Manufacturers Association of America (GAMA) pour enquêter sur les déclarations anti-JdR de Pulling.
Leurs découvertes, ainsi que d’autres, furent cinglantes pour les méthodes utilisées par Pulling et le BADD. On découvrit en particulier que les déclarations de suicides adolescents étaient tirées de coupures de presses, dont bon nombre ne fournissaient ni date, ni lieu, ni détails sur les événements.
Patricia Pulling fut aussi attaquée pour sa manipulation évidente de données statistiques. La plus notable était l’affirmation qu’il y avait 56 000 satanistes vivant dans la zone de Richmond, Virginie. On découvrit plus tard qu’elle était arrivée à ce chiffre en incluant toutes les activités qu’elle percevait comme relevant du New Age ou influencées par le paganisme.
Une autre déclaration ridicule fut son argument selon lequel 8 % de la population totale d’Amérique était composée de satanistes. Ce chiffre apparut par la suite avoir été déterminé en ajoutant une estimation de 4 % de jeunes et 4 % d’adultes. Enfin, en l’absence de preuves empiriques, le scepticisme vis-à-vis des dénonciations de conspirations sataniques et de crimes occultes gagna du terrain parmi les forces de l’ordre et les organismes sociaux, minant la crédibilité des déclarations de BADD sur les jeunes et l’occulte [XXIII].
4. La nature de plus en plus fantaisiste des accusations
En l’absence de preuves soutenant ses déclarations profanes selon lesquelles les jeux de rôles conduisaient au suicide et au crimes violents, BADD et les groupes fondamentalistes chrétiens comme le 700 Club (wiki en) qui le soutenaient, firent des déclarations de plus en plus grandiloquentes et improuvables, comme de dire que les jeux de rôles étaient une forme d’adoration sataniste ; causaient des syndromes de personnalités multiples ; impliquaient des rituels satanistes ; étaient utilisés comme couverture pour des sacrifices humains et de la pédophilie ; et que les rituels supposés magiques pratiqués virtuellement dans les jeux de rôles avaient un effet dans le monde réel [XXIV]. D’autres accusations pompeuses exprimaient une croyance en la lycanthropie et le vampirisme.
De la même façon, la fixation des publications de BADD sur l’exposition potentielle des jeunes au Necronomicon était grotesque, dans la mesure où il s’agit d’une œuvre imaginaire utilisée dans les romans de l’écrivain pulp de SF et d’horreur, H.P. Lovecraft. La nature extravagante de ces déclarations aliéna finalement une grande partie des médias, des organismes légaux et du grand public [XXV].
5. L’organisation et la solidarité parmi les rôlistes
Au tournant des années 1990, beaucoup de rôlistes pris pour cible au lycée ou à l’université devirent politiquement actifs en formant un lobby pour répondre aux attaques des JdR et des rôlistes. Les rôlistes Will Flatt et Pierre Savoie créèrent en 1988 CAR-PGA, le Comité pour la promotion des jeux de rôles, pour fournir un soutien légal et personnel aux rôlistes visés par la panique morale. L’organisation fit intensivement pression sur le gouvernement, le système judiciaire et les éducateurs contre les activités de BADD. Les rôlistes utilisèrent aussi les conventions, les forums dans les magazines comme Dragon et dans les groupes de JdR locaux pour coordonner leur action sur les forces de l’ordre, les écoles et les parents, ainsi que pour se lancer dans de nombreuses campagnes de courriers et d’articles, qui furent alors soumis aux journaux, magazines et programmes télévisés avec plus ou moins de succès [XXVI].
La réponse des rôlistes à la panique morale
Comment réagirent les rôlistes au fait d’être la cible de la panique morale ? Selon Kenneth Gagne dans son exposé sur les paniques morales, les sous-cultures bien organisées et orientées politiquement comme les punks et les hippies se polarisèrent lorsqu’elles furent prises pour cibles, se constituant des identités, cultures et politiques très claires. En contraste, il souligne que les pseudo-sous-cultures comme les rôlistes, les fans de comics dans les années 1940 et les usagers de jeux vidéo ont typiquement répondu en réduisant leur activité, en diminuant le côté anti-structurel de leurs produits culturels et en s’excusant [XXVII].
Cependant, dans ma recherche sur le terrain dans des conventions de JdR, dans les forums et les groupes de discussions et en analysant les éditoriaux, les forums, les lettres à l’éditeur dans les magazines Donjon, Dragon, Breakout, Critical Miss et Places To Go People To Be, ainsi que le magazine satirique Knights of the Dinner Table entre 1979 et 2001, j’ai trouvé un éventail de réponses des rôlistes ciblés par les autorités religieuses, éducatives, policières, parentales et gouvernementales.
Résultat global
Dans l’ensemble, le nombre d’articles, de lettres, d’éditoriaux et de forums traitant des attaques sur les rôlistes culmina entre 1988 et 1992.
Avant 1988, la première mention des attaques contre les rôlistes dans les publications rôlistes est une lettre évoquant les inquiétudes à propos des changements de comportement dans les campagnes jouées avec des personnages mauvais dans le numéro de 1985 de Breakout [XXVIII].
Lors des périodes les plus intenses de communication sur le sujet, presque chaque édition des magazines que j’ai consultés dédiait une partie de son espace aux débats entre les rôlistes concernant leurs expériences, les réponses au mouvement anti-JdR et les préjugés perçus dans la communauté [XXIX].
En fait, après 1992, j’ai été incapable de trouver une lettre, article ou éditorial sur ce sujet en dehors de nombreux examens rétrospectifs de l’histoire du JdR entre 1997 et 2000 ainsi qu’un article traitant du préjugé, envers les chrétiens, de la part de la communauté rôliste dans PTGPTB en 1999 [XXX].
Pareillement, la dernière information que je trouvais était un éditorial de Dragon Magazine de 1993 méditant à l’occasion de son 17e anniversaire, sur son “baptême du feu” après avoir été attaqué par des fondamentalistes chrétiens, avec des réflexions sur la haine de la fantasy, de la science-fiction et de l’horreur par beaucoup de ces derniers [XXXI].
Les expériences décrites par les rôlistes allaient du harcèlement mineur par les professeurs, la police ou le clergé, à des problèmes plus importants de saisie de biens, bastonnades, perte de vie privée, expulsion de l’école pour avoir continué à jouer après qu’une interdiction a été prononcée et harcèlement ou arrestations pour de soi-disant profanations sataniques de tombes et d’églises, etc.
Les plaintes des rôlistes les plus communes étaient :
- Le harcèlement mineur par les professeurs, les parents et la police
- L’interdiction d’utiliser des endroits publics ou sa maison pour se rencontrer et se faire des amis, dans le cadre du jeu de rôle ou non
- Les professeurs, le clergé et les parents qui sabotent des groupes de rôlistes en laissant traîner des documents en rapport avec le satanisme, les drogues ou la pornographie avant une partie, et prétendent “découvrir” ces documents dans la pièce où se trouvaient les étudiants
- Les professeurs, le clergé et les parents qui encouragent tacitement des élèves plus “normaux” et physiquement plus intimidants, à la violence, au vol et aux insultes envers les rôlistes
Dans l’ensemble, la plupart de la correspondance montre un profond sentiment de frustration parmi les rôlistes quant à l’impossibilité d’être entendus face à ce qu’ils ressentaient comme un terrible amas d’ignorance et de superstition dans les médias et parmi les figures d’autorité. Plusieurs lettres et commentaires décrivent des sentiments de trahison de la part des professeurs et des parents.
Globalement, beaucoup de contributeurs avaient réalisé que les JdR étaient plus qu’un hobby, à savoir un exutoire social et créatif majeur ainsi qu’un moyen d’expression personnel important. Enfin, beaucoup d’entre eux décrivaient un sentiment de désorientation. Un grand nombre n’avait pas eu auparavant de problèmes avec les figures publiques d’autorité, avait régulièrement de bons résultats scolaires et maintenait ce qu’ils pensaient être de bonnes relations avec leurs parents.
D’un coup, ils se retrouvaient perçus comme étant une grave menace contre la société.
Ce sentiment de trahison et le fossé entre les étudiants et les professeurs, le corps clérical et les parents, est traité dans l’article de David Bromley sur la peur du culte satanique des années 80. Dans cet article, il démontre que la peur du culte satanique, y compris ses manifestations dans la panique morale anti-jeux de rôles est une “idéologie contre-subversive”.
Dans celle-ci, des tensions contractuelles et conventionnelles – comme celles entre les parents, enfants, centre d’aide à l’enfance, école et sous-cultures jeunes – ont été exacerbées par l’empiètement de la sphère commerciale dans le domaine des relations familiales.
L’idéologie derrière “la progression du satanisme” et des “menaces envers les enfants” est une construction métaphorique d’un sentiment de danger largement ressenti par les familles occidentales dans le sillage d’une grande transformation socio-économique [XXXII]. En ce sens les rôlistes, en tant que jeunes, sont profondément affectés par ce basculement culturel et idéologique, vécu comme un changement déconcertant dans les relations familiales, l’impression d’être déchiré entre des rôles concurrents en tant qu’étudiants, amis et enfants (ce qui rend le rôle des JdR en tant que moratoires psychosociaux encore plus important) et de devenir la cible de projections psychosociales basées sur un spectacle social (dont ils ne sont conscients qu’accessoirement), dans leurs rôles sociaux attribués, en tant qu’étudiants, “jeunes” et descendance.
Quelques réponses typiques des rôlistes qui se sentirent ciblés par la panique morale, piochées dans des forums internet et du courrier des lecteurs à des magasines comme Breakout, Dragon, Places to Go People to Be, Critical Miss, et Dungeon :
- Sur le forum Kenzerco
“Cela devint si terrible qu’à chaque fois que j’avais envie de porter une chemise noire à l’école, une légion de conseillers, de professeurs, de prêtres et d’officiers de police me tombaient dessus comme une horde de sauterelles, cherchant des signes de comportement suicidaire ou violent. C’était chiant. Heureusement je travaillais avec quelques-uns des flics du coin, avec qui je m’entendais bien, qui venaient me parler et me sortaient des pattes des professeurs.”
- Sur le forum RPGnet
“Ma sœur essaya de monter le premier club de jeu de rôle dans l’école. L’annonce était mise sur le tableau d’annonces une semaine avant la réunion. Elle est restée là deux jours avant que suffisamment de parents appellent l’école pour que le club soit interdit. Bien sûr nous avions tous entendu l’annonce, et sommes venus quand même, même si c’était censé être interdit. Nous avons décidé d’utiliser la bibliothèque du coin et avons obtenu leur permission. Nous avons pu nous réunir deux fois, avant que la bibliothèque ne nous demande de partir.”
“Récemment, un de mes amis du lycée s’est intégré à un groupe de jeux de rôles. Son professeur vit qu’il avait des amis, car il était un peu un solitaire et s’inquiéta de ce que ses amis avaient été vus près de la boutique de jeu du coin. Le professeur parla au conseiller de l’école et le pasteur baptiste du coin avait également entendu dire que ses nouveaux amis jouaient à ces jeux démoniaques, alors le conseiller appela ses parents pour leur dire que leur fils traînait avec une secte d’adorateurs de Satan. Eh bien, être interdit de sortie était le cadet de ses soucis après ça. Je ne sais pas si sa relation avec ses parents sera jamais la même.
Mes parents furent plus compréhensifs, ce dont je leur suis reconnaissant. Quand j’ai rejoint un groupe de jeu de rôle, dans le voisinage, ma mère m’a demandé “Est-ce que tu as l’intention de te tuer ?”. J’ai répondu “Non” et n’ai pas eu de problèmes surtout qu’elle a assisté à un tas de nos sessions et a vu que nous ne sommes pas des satanistes mais juste une bande de gamins qui s’amusent.”
Cardwell, Paul, The Attacks on Role-Playing Games, The Skeptical Inquirer, hiver 1994, pp. 161-162
“Notre lycée laissait les étudiants qui arrivent tôt aller à la cantine pour échapper au mauvais temps en attendant que les cours commencent. Quatre gosses ont joué à Donjons et Dragons en attendant et résultat ils se sont fait insulter, pousser contre le mur et dénoncer devant l’école comme étant satanistes par un professeur. Deux des enfants étaient des membres actifs de l’église protestante du quartier, un était catholique non pratiquant et le quatrième était un gamin assez étrange qui faisait partie du groupe local de Pentecôtistes…
Un problème pour l’école fut que le père d’un des enfants était un officier de police. Il enquêta sur l’affaire et cela confirma leur version de l’histoire. Le professeur fit des excuses totalement hypocrites et le principal annonça que cela ne se reproduirait plus. Cependant le JdR est désormais banni de l’école et le professeur est censé recevoir une augmentation pour mérite à la fin de l’année. Nous avons trouvé ça plus pathétique et drôle que traumatisant. Nous avions pris l’habitude de faire des gestes et des doigts d’honneur dans son dos pendant quelques mois après cela. Il prétendait que les élèves essayaient de lui jeter des sorts et sortait de ses gonds s’il nous prenait à le faire.”
Courrier des lecteurs, Dragon Magazine, août 1990, p. 36
“Le 22 janvier 1990 on m’a demandé de faire une apparition en tant que membre du public pour un enregistrement de The Shirley Show [talk-show du type Oprah diffusé au Canada (NdT)] dans la mesure où j’étais le fondateur du club de jeu de rôle local, mais le chercheur présent avait d’étranges notions sur les JdR, puisque le sujet de l’émission était à propos de la menace sataniste. Le chercheur Jeanette Diehl voulait présenter les JdR comme une des huit facettes du satanisme moderne. Quand je lui parlais, elle fut de plus en plus perplexe : “Comment ça, vous ne portez pas de costumes et ne faites pas de rituels magiques ?”
Je fus cependant contacté seulement trois jours avant l’enregistrement. Deux invités se préparaient pour l’émission depuis deux mois, Thomas Radecki et Patricia Pulling. Ces deux-là sont deux croisés anti-JdR des États-Unis mais leur argumentation est pleine de failles. J’étais un des rares rôlistes ayant fait des recherches en profondeur sur leurs assertions, mais alors même que j’avais quantité de preuves contraires pendant l’émission, elles furent ignorées comme si je n’étais pas là ou huées par les deux ricains en croisade.
Les deux invités ont émis d’incroyables âneries sur les JdR, et il n’y avait pas vraiment de possibilité de les discréditer pendant l’émission. Pulling prétendait que les JdR sont fondés sur l’occulte, qu’ils sont des manipulations psychologiques et des techniques de lavage de cerveau et que les livres contenaient des rituels d’adoration de dieux païens et de démons. Le réalisateur répondit en direct à mes réclamations en disant qu’il voulait s’éloigner des talk-shows à l’américaine. Je répondis “Alors pourquoi importez-vous des cinglés américains ?”.
Roger Moore, Dragon Magazine No 182, juin 1992. pp. 6-7
Les réponses des rôlistes, dans les forums, les courriers et des entretiens montrent plusieurs schémas de réponses au fait d’être la cible d’une panique morale.
Autocensure et excuses
Elle prenait typiquement la forme de nombreux débats qui tournaient autour de la question de savoir si les personnages maléfiques devaient ou non être autorisés dans la partie et de nombreuses demandes pour que les rôlistes évitent de faire quoi que ce soit qui pourrait être interprété comme satanique ou anti-social (7).
Critique rationaliste et laïque
Cette approche commença réellement dans le forum du magazine Dragon no 160 de juin-août 1990 avec la formation de CAR-PGA. Les éditions précédentes, notamment les numéros 151 (octobre 89), 152 (décembre 89) et 158 (juin 90) contenaient des lettres et des articles de rôlistes percevant des failles majeures dans les arguments anti-jeux de rôles et décriant le manque de réseaux de soutien et de moyens pour exprimer leurs opinions.
Cette approche prit habituellement la forme soit d’une défense de la liberté d’expression, soit d’une campagne contre ce qui était perçu comme le sectarisme, la superstition et l’irrationalité des fondamentalistes chrétiens qui soutenaient les campagnes anti-JdR. Des enquêtes débutèrent dans Dragon Magazine sur les textes et le passé antisémite, anti-catholique et raciste de figures clés des anti-JdR tel Jack T. Chick [XXXIII].
Les références académiques de Thomas Radecki et Patricia Pulling furent discréditées. De nombreux relations furent établies avec des universitaires et des agences gouvernementales qui étudiaient le suicide des jeunes, et on rassembla des publications universitaires sur le jeu de rôle avant de les rendre accessibles aux rôlistes qui désiraient enquêter et/ou discréditer les déclarations anti-JdR [XXXIV].
Des campagnes de lobbying furent coordonnées par téléphone, lettres, forums publics, l’Internet naissant et par le bouche à oreille, pour informer les médias, les forces de l’ordre, les éducateurs et les autorités locales sur les JdR. Des réseaux furent créés et de nombreux articles furent écrits pour la Skeptics society, les forces de l’ordre et les criminologistes sceptiques, tels que Robert Hicks, démontant et révélant que les déclarations anti-jeux de rôles se fondaient sur des croyances surnaturelles. Le plus grand succès fut peut être obtenu par le Rapport Pulling de Michael Stackpole qui fut largement distribué et porta un coup sévère à la crédibilité de BADD, de Patricia Pulling et de Thomas Radecki [XXXV].
Satire et jeu de pouvoir
J’ai emprunté le terme “jeu de pouvoir”, introduit par le livre éponyme de Richard Neville [Satire and Play Power, ouvrage non traduit au moment de la traduction de cet article (NdT)] pour décrire la méthode qui consiste à saper les figures d’autorités et à construire des barrières morales, en s’armant de l’absurde, du non-sens et du bizarre dans un esprit de jeu et d’humour [XXXVI]. Cette approche servit à la fois à discréditer les organisations anti-JdR, en attirant l’attention sur l’absurdité de leurs allégations, et pour les rôlistes, d’exutoire à leur colère contre les églises, les écoles, l’autorité parentale et les médias de masse.
Un exemple en est la large diffusion de l’essai satirique Les Échecs – Le Péché Subtil : les chrétiens peuvent-ils jouer aux échecs ? d’après les textes anti-JdR Les chrétiens peuvent-ils jouer à Dungeons and Dragons ? [XXXVII].
Un autre exemple est la réponse à la bande dessinée de Jack T. Chick Dark Dungeon et ses nombreuses satires produites par des rôlistes. Beaucoup de rôlistes des années 80 et 90 disent en avoir distribué dans les conventions – que les organismes anti-JdR avaient secrètement saturées de propagande anti-JdR – avec le texte en moins, afin d’encourager les rôlistes à y mettre leur propre texte subversif. La plus fameuse d’entre elles est peut-être Jesus Kills (Jésus Tue) dans laquelle le groupe de rôlistes est transformé en groupe d’étude biblique (où l’écran du MJ sert à ce que les membres ne puissent pas lire la Bible par eux-mêmes) ; les associations satanistes et païennes faites avec les JdR sont changées en affiliations chrétiennes, et un membre se suicide après avoir été exclu du groupe suite à une rencontre homosexuelle à l’université [XXXVIII]. D’autres exemples incluent de nombreux dessins dans Dork Tower et Les Chevaliers de la Table de Salon qui parodient les tracts anti-JdR.
Un autre exemple est le dépôt du nom de domaine BADD, en l’appelant Bothered About Disposable Dragons (Gêné par les dragons jetables), un site parodiant les campagnes “sauvez les baleines” et parlant de l’utilisation des dragons dans les JdR [XXXIX].
The Final Church (L’Église finale), un jeu parodiant le fondamentalisme chrétien, où les rôlistes incarnent des fondamentalistes pourchassant les rôlistes, les païens et les fans de heavy metal, est un autre exemple de ce genre d’approche.
Une autre tactique était un procédé appelé “appâter l’église” où les rôlistes provoquent les fondamentalistes afin que ceux-ci se répandent bruyamment dans les médias et dans les réunions publiques, puis les humilient en révélant qu’il s’agissait d’une supercherie ou en laissant des slogans ou des satires-types aux lieux de réunions ou d’activités supposées sataniques. Un exemple de cette approche se trouve dans l’extrait d’un article de Critical Miss, un magazine électronique, sur le modus operandi pour provoquer une réponse publique de fondamentalistes chrétiens.
Ce qui suit est un exemple d’appâtage d’église extrait du magazine Critical Miss :
Amorcer une panique
“Ceci est quelque chose que vous pouvez vraiment faire sans faire appel à ces païens si utiles. Prenez simplement un florilège de JdR pouvant être mal interprété, que ce soit par leurs thèmes New Age ou parce qu’ils satirisent la violence, et envoyez-les (dans un colis anonyme) à divers “chiens de garde” moraux autoproclamés…
Ce qu’il faut faire ici, c’est prétendre que vous faites partie d’un club de jeux de rôles et demander à une église si vous pouvez utiliser ses locaux pour vous réunir. Faites-vous refuser votre demande, plaignez-vous bruyamment dans la presse locale (vous pouvez ensuite utiliser les coupures de journaux pour votre performance télévisée).
Il y a un point important à noter ici : choisissez la bonne église.
Il n’y aucune intérêt de choisir l’église normale de Monsieur Tout Le Monde. Tout ce qui se passera c’est que le prêtre dira quelque chose de complètement inutile comme “Bien sûr que vous pouvez utiliser notre église… Les jeux de rôles sont un excellent passe-temps qui développe les capacités littéraires et mathématiques des jeunes gens”. Vous avez besoin d’une de ces églises plus modernes, effrayantes, fondamentalistes.
Pour anecdote, mes parents, qui sont chrétiens, ont commencé à recevoir une lettre d’information envoyée par une librairie chrétienne locale (ils ne l’avaient pas demandée, ces gens ont juste commencé à leur envoyer). Un des numéros de cette lettre d’information comportait une section “Prières”. On pouvait y lire quelque chose du genre :
“Nous prions pour John et Anne Sutherland dont la fille Kirsty souffre de leucémie. Nous prions pour Jenny Richardson qui vient de perdre son époux Keith. Nous prions pour que le peuple d’Israël comprenne la stupidité qu’est de parler de paix avec les Palestiniens.”
C’est le genre d’église que vous voulez.”
Jonny Nexus, Le plan d’action de Jonny ptgptb, Critical Miss no 8, été 2002
Rôlistes et créateurs chrétiens de jeux
Les rôlistes membres des églises chrétiennes ou venant d’un milieu chrétien ont forcément décrit les plus hauts niveaux de harcèlement de la part de parents, professeurs, amis, et du clergé. De plus, un grand nombre d’éminents créateurs de JdR et d’écrivains de romans fondés sur les JdR affirment ouvertement leur identité chrétienne.
Les plus connus parmi ceux-ci sont Tracy Hickman – le créateur et écrivain de la série Lancedragon, best-seller du Times – et l’ex-pasteur James Wyatt. Ces deux auteurs et créateurs de matériel de JdR prirent une envergure importante comme animateurs des réseaux de défense du JdR et de soutien des rôlistes chrétiens. Bien que Hickman soit bien plus politiquement conservateur que le démocrate libéral Wyatt, les deux soutiennent que la fantasy a longtemps été le véhicule de représentations métaphoriques de problèmes sociaux et moraux, à la fois bibliquement et dans l’œuvre d’auteurs chrétiens tels que Tolkien ou C.S. Lewis.
Ils font valoir en particulier que la nature métaphorique de la fantasy, de la SF et des romans d’horreur gothique fait surgir des questions de bien et de mal, de compassion et de moralité, développant une meilleure compréhension des faits dans le monde réel. Les groupes chrétiens de JdR déplorent souvent que les églises se soient aliénés une sous-culture jeune, et l’abandon d’un média par des églises hostiles [XL].
Formation de l’identité et imagerie contre-culturelle
Un des effets secondaires importants de la panique fut la formation d’une identité rôliste. Les jeux de rôles sont un passe-temps intrinsèquement ésotérique, avec une énorme quantité de jargon qui peut rebuter le non-rôliste. De même, beaucoup d’expressions argotiques et populaires sont apparues dans la communauté rôliste, incluant des références associées à d’autres médias populaires au sein de la communauté. Ainsi, de nombreuses expressions américaines sont associées à la japanimation, diverses formes de littérature (surtout horreur, SF et fantasy) et de cinéma (surtout horreur, SF, fantasy mais aussi le cinéma français et de style Hong-Kong, les comédies anglaises comme les Monty Python et Blackadder, la programmation SBS et la japanimation), les jeux vidéo et autres supports directement issus de l’expérience rôliste.
Quelques exemples sont Munchkin/Hackmaster [Grosbill/bourrin], Sanity Check [test de Santé Mentale], Monty Haul [Porte-Monstre-… et déluge de Trésors], Rules Lawyer [avocat ès règles ptgptb], Red Shirt [le “suivant” chair à canon], I disbelieve [test de sauvegarde contre les illusions… et les incohérences du scénar], Test Hobbit et Polish/Irish mine detector [envoyer le “suivant” déclencher les pièges] [XLI]. De plus, l’expérience commune d’être pris pour cible par une panique morale se répandit à travers la communauté par le réseau des forums, magazines et conventions, et conduisit aux actions politiques sus-citées et à un sens d’une identité culturelle commune, qui se manifesta à travers des artefacts de langage, de mode et de culture, comme il est mentionné au début de cet article.
Glissements culturels à la lumière de la panique morale
L’impact le plus évident de la panique anti-JdR est l’hostilité largement répandue envers le christianisme, présenté comme une religion sectaire, oppressive et violente. Dans son article sur les préjugés au sein de la communauté rôliste, Gary Pellino affirme que les réponses des rôlistes aux chrétiens, en particulier ceux qui sont actifs ou conservateurs, se rapprochent des commentaires que la société normale réserve aux nazis [XLII].
Un autre effet important des campagnes anti-JdR fut le déplacement massif de la culture rôliste vers l’adoption ouverte des symboles dérivés de la culture gothique et l’augmentation des thèmes subversifs dans les jeux. Le plus visible dans ce décalage fut la popularisation de Vampire : la Mascarade et de Loup-Garou : l’Apocalypse de l’éditeur White Wolf, et, dans une moindre mesure, la popularité croissante du JdR L’Appel de Cthulhu, d’après les romans de H.P. Lovecraft et édité par Chaosium.
Les jeux de rôles “gothiques” nés au milieu des années 90 traitent directement de thèmes considérés comme tabous par les JdR dans les années 80, comme le sexe, l’horreur et l’occulte. Ces jeux affichaient aussi ouvertement des aspects culturels considérés comme hostiles envers les fondamentalistes chrétiens, tels que le paganisme, l’homosexualité et l’imagerie occulte, et en faisaient les victimes incomprises poursuivies par un public ignorant, apeuré et sectaire.
Bien que les “pseudo-Goths” ou les “Goths vampiriques”, comme il y est fait référence dans la communauté rôliste, soient habituellement décrits comme faisant partie de la sous-culture musicale et vestimentaire goth, une recherche de Paul Hodkison dans le milieu “Goth Vampirique” anglais montra que, malgré de fréquents croisements, ils formaient en fait un groupe distinct de la sous-culture et la philosophie goth, avec des liens plus forts avec les rôlistes. Comme pour les Goths, les tatouages, piercings et peintures faciales et corporelles sont fréquents, ainsi que certaines variantes vestimentaires dérivées de la littérature d’horreur – avec une prédominance des vêtements style XIXe siècle et le cuir noir [XLIII].
Dans les jeux pseudo-gothiques, les règles complexes et la prépondérance de la violence sont mises de côté pour mettre en valeur l’interprétation, la personnification et le théâtre amateur. Dans ces jeux, les protagonistes abordent des thèmes ouvertement sombres et sont devenus la nouvelle cible de l’antagonisme des médias contre les JdR, mais cela est fait plutôt en les reliant avec la sous-culture goth qu’en les décrivant comme rôlistes. Ceci a contribué à augmenter le fossé entre les rôlistes de fantasy et les rôlistes pseudo-goths.
Il y a aussi une grande rivalité entre les rôlistes pseudo-goths et les rôlistes de high fantasy (étiquetés Bourrins ou Grobills, à partir des questions de l’égalité des sexes et de l’identité culturelle). Bien que le nombre de femmes dans les parties de JdR soit passé d’une estimation de 3 % en 1985 à un possible 37 % au mieux en 2000, la majorité des femmes, et de loin, ont rejoint la sous-catégorie goth, comme le montre l’estimation faite d’un marché à 42 % féminin pour le JdR Vampire : La Mascarade [XLIV]. De plus, la construction d’une identité féminine par les joueuses pseudo-goths brise la construction symbolique de la féminité utilisée par les rôlistes de fantasy, ce qui amène rivalités et conflits, comme illustré par l’anecdote suivante :
“Gigi était une fille extrêmement maigre, très pâle, avec un visage masculin et du rouge à lèvres, vernis à ongles, vêtements, yeux et hématomes, etc. tous noirs. Elle avait les cheveux très très courts, mais seulement d’un côté. Ils étaient rasés tellement courts que l’on pouvait voir le tatouage. L’autre côté était plus long, alors je suppose qu’elle pouvait les coiffer de côté et prétendre avoir des cheveux des deux côtés, comme le font parfois les hommes souffrant de calvitie. Mais voilà, elle ne le faisait pas ; elle laissait simplement flotter le côté long.
Gigi avait aussi beaucoup de métal sur le visage. J’estimai à environ quatre livres l’ensemble du métal, sans compter le métal aux endroits que je ne pouvais voir. Je la questionnai sur tout ce qu’elle avait sur le visage, avec tact mais de façon directe, genre “Pourquoi avez-vous tout ce métal sur le visage ?”. Elle répondit que c’était un manifeste pour elle. Pas besoin d’y réfléchir plusieurs fois, ce manifeste était fort et clair. Quelque chose comme “Je n’ai pas de plan de carrière” ou “La promotion sociale n’est pas importante pour moi” ou peut-être même “Bienvenue chez Leader Price”. […]
Les mots normaux en français sur sa fiche de personnage décrivaient son PJ comme un vampire, ce qui était un peu déprimant. Ed maîtrisait beaucoup mieux les jeux de fantasy et de SF que ces trucs effroyables, sombres et néo-gothiques. J’espérais quelque chose de nouveau et original. Rongé de doutes, déficitaire en mélatonine, buvant du vin rouge… Ouais, le vampire stéréotype des vampires. J’émis un sifflement de désapprobation entre mes dents et lui redonnai sa feuille en secouant la tête – un langage corporel qu’elle sembla prendre comme une insulte personnelle.”
D’après un compte rendu d’une partie test du JdR Fudge par Jeff Freeman
Un élément clef des jeux pseudo-gothiques est que leur symbolisme est ouvertement contre-culturel. Par exemple, Loup-Garou : l’Apocalypse met en scène les personnages en lutte contre le capitalisme multinational et les grandes firmes afin d’éviter une catastrophe environnementale et préserver une nature primitive intacte. Toutefois, cela est très rarement en lien avec une quelconque forme d’activisme politique. Le véhicule des JdR semble plutôt avoir une fonction normative semblable à celle de la notion de “carnavalesque” de Bakhtin. Ils représentent un espace dans lequel les participants peuvent explorer des formes alternatives de personnalité et réconcilier les tensions, dans des situations proches du monde réel, sans conséquences dans le monde réel. Le monde virtuel des jeux de rôles agit comme un exutoire aux tensions sociales plutôt que d’encourager une attitude dans des situations du monde réel.
L’essence des jeux comme Vampire : la Mascarade, Loup-Garou : l’Apocalypse et autres jeux pseudo-gothiques est d’être un véhicule pour exprimer la rébellion de la jeunesse. Ils mettent en scène des personnages rejetés par la société qui doivent préserver leur secret et se battre pour leur survie contre la société dominante.
Beaucoup de ces JdR, et la littérature, le cinéma, les programmes télé et les jeux vidéo associés, mettent en scène des identifications dans lesquelles le protagoniste est perçu comme un paria monstrueux, mais est en fait une créature puissante, noble et belle, incomprise et pourchassée par une humanité sectaire, ignorante et embourgeoisée. Ces mondes et identités virtuels reflètent l’expérience de la jeunesse prise pour cible par des paniques morales, impuissante face à une évidente ignorance et hostilité des symboles d’autorité, assoiffée d’espace personnel et ayant besoin de développer des modèles et des symboles associés avec le pouvoir et la force personnelle [XLV].
Conclusions
La croisade anti-JdR est particulièrement intéressante du fait qu’elle contient des éléments clairement symptomatiques d’une panique morale. Elle reste toutefois atypique comparée aux campagnes anti-Mods, hippies et punks.
La panique morale des JdR rentre dans la définition de Cohern en ce qu’elle fut le produit d’une généralisation contre une sous-culture existante et implantée. La panique morale vint de l’extérieur, fut relayée par les médias de masse. Les assertions furent fondées plutôt sur des mythes urbains anecdotiques que sur des preuves vérifiables, et la panique fut menée par des gens “bien pensants” qui utilisèrent leur position sociale pour attaquer ce qu’ils percevaient comme des foyers de déviance et de menace à l’ordre social et moral.
Toutefois, contrairement au modèle de Cohen de paniques morales, la croisade anti-JdR fut presque entièrement le fruit d’une campagne médiatique menée par un groupe d’organisations politiques que leurs idéologies rapprochaient, qui avaient peu de soutien en dehors de la publicité générée par une organisation comme BADD.
Ceci est clairement illustré par l’étendue de l’effondrement du sentiment anti-rôliste du public à la suite du discrédit de BADD à partir de 1992 (à la conférence du TASA où je présentais cet article, une collègue de New York menant des recherches sur les campagnes anti-gays soutint que cette campagne s’effondra également vers le milieu de 1992, un phénomène qu’elle attribue à l’arrivée au pouvoir de l’administration Clinton et la perte de financement et de soutien politique et médiatique des organisations fondamentalistes chrétiennes qui s’ensuivit. C’est une affirmation qui nécessite de plus amples investigations en ce qui concerne la croisade anti-JdR).
Un autre aspect de la panique morale liée aux JdR est que, contrairement aux punks et aux hippies, il y avait peu d’identité culturelle, et certainement peu de choses qui ressemble à un projet politique des rôlistes. Jusqu’à ce que l’expérience partagée de la panique morale et de la grande publicité les réunisse en une sous-culture avec une identité culturelle, les rôlistes pratiquaient simplement un passe-temps. Dans une large mesure le résultat d’être la cible d’une panique morale fut le développement d’une identité culturelle et politique commune parmi les rôlistes.
Même aujourd’hui, il y a peu de preuves d’une “politique rôliste” ou d’une identité sociopolitique polarisée, telles que le montrent les autres sous-cultures comme les punks, hippies et métalleux, etc.
Le glissement vers le gothique lors de l’effondrement de la panique morale est particulièrement intéressant. Ceci peut principalement être interprété comme une réponse à des années d’autocensure et d’inquiétude de la mauvaise publicité par des rôlistes examinant l’imagerie contre-culturelle et les thèmes matures face à l’influence des paniques morales.
Ce raisonnement peut aussi être appliqué à la résurgence des JdR Grandeur Nature dans le milieu des années 90. C’est aussi une indication d’une évolution démographique de l’âge des rôlistes et une volonté d’explorer des sujets plus adultes, qui entrent plus en résonance avec les problèmes d’une population rôliste vieillissante. Un autre sujet clef à propos du glissement vers le gothique est de déterminer à quel point le fait d’être la cible d’une panique morale a créé un environnement dans lequel les rôlistes s’identifient avec des images perçues comme hostiles à une chrétienté caricaturée comme un conservatisme culturel rampant et enfermant, une approche étouffante de la moralité et un dogme fondamentaliste.
Sous cet angle, cette inversion des valeurs plus sombres en apologie de valeurs culturelles “anti-héroïques” n’est pas différente de la popularisation, dans les années 80, de l’image de la sorcellerie comme victime des églises et de la persécution par la culture majoritaire [XLVI]. On peut aussi voir ces modèles dans la popularisation des personnages de comics tels que les X-Men et Hulk comme l’expression d’autonomisation, d’aliénation et d’isolation de ce qui est perçu comme la mouvance culturelle générale.
En analyse finale, bien que virtuels, les JdR sont intrinsèquement le reflet de problèmes sociaux culturels et de tensions de la vie réelle. Comme le rapport des rôlistes à la culture dominante s’est déplacé, les symboles, images et identités utilisés par les rôlistes pour s’exprimer à travers le jeu se sont aussi déplacés. Comme Kyna Foster le soutient :
“Bien que l’univers de jeu soit construit comme un monde indépendant, et bien que les joueurs préfèrent s’imaginer comme différents et à part du courant de pensée dominant, ce qu’ils sont peut-être, l’effet de la culture environnante ne peut être nié. En bref, l’univers de jeu est façonné par les participants, qui sont influencés par la culture dominante du moment et de l’endroit.”
Kyna Foster, Dungeons, Dragons and Gender: Role-playing Games and the Participation of Women [XLVII]
En fin de compte, la formation d’une identité rôliste commune est liée à l’expérience d’une panique morale. Ainsi l’identité culturelle qui en résulte est intrinsèquement liée à cette expérience, traduite métaphoriquement par le moyen de l’univers de jeu et son expression au cours de la partie.
Cet article a initialement été présenté à la 42e rencontre annuelle de l’association de sciences sociales occidentale à Washington DC, le 26 avril 2000. Le texte ci-dessus est la version écrite d’une communication lors de la conférence Tasa du congrès de l’association australienne de sociologie, en décembre 2003 à l’Université de Nouvelle-Angletrre à Armidale. L’auteur accueillerait avec joie tout commentaire sur son article, et la Rédaction pense qu’il serait très intéressant d’avoir des retours de quiconque personnellement affecté par la confrontation des cultures chrétiennes et rôlistes.
Références bibliographiques
[I] Buetell, Jack, Adventure Games are on a roll, Toy Book, September, pp. 1-12 / Gygax, Gary, A funny thing happened to me on the way to the board room, Familiar no 13, Fall 1989
[II] Buetell, Jack, Adventure Games are on a roll, pp. 1-12 / Dancey, Ruan, Adventure Game Industry Market Research Summary (étude de marché sur les jeux d’aventures), Wizards of the Coast Corporation. Bien que ces chiffres représentent des données agrégées par les éditeurs eux-mêmes, avec tous les biais que cette étude peut engendrer, ce chiffre reste dans l’ensemble accepté par les experts et est cohérent avec mes propres recherches ethnographiques.
[III] Erkison, Erik, Childhood and Society, Norton: New York, 1958, pp. 222 & 262 / Fine, Gary, Shared Fantasy Role Playing Games as Social Worlds, Chicago, University of Chicago Press, 1983, pp. 181-204 / Turkle, Sherry, Life on the Screen, Simon & Schuster, New York, 1995, pp. 180-203
[IV] Pour plus d’informations sur la théorie de Turner sur le liminaire, liminoïde, anti-structurel et communautarisme, voir, Turner, Victor, From Ritual to Theatre: The Human Seriousness of Play, Performing Arts Journal Publications, New York, 1982, pp. 20-70
[V] Ces résultats viennent d’une étude que j’ai conduite sur le terrain pendant des conventions rôlistes et dans des boutiques de jeux. Elle fut inspirée par, et aboutit approximativement aux, mêmes résultats qu’une étude et son analyse menées par le Dr Kathryn White sur les jeux de rôles en ligne. Voir aussi Turkle, Sherry, Life on the Screen, pp. 212-226 au sujet du jeu en ligne et du glissement de genre.
[VI] Gary Pelino, La Honte du jeu de rôle ptgptb, PTGPTB no 4
[VII] Cohen, Stanley, Folk Devils and Moral Panics, MacGibbon and Kee, Oxford, 1972
[VIII] Cohen, Stanley, Folk Devils and Moral Panics, p. 9
[IX] Cohen, Stanley, Folk Devils and Moral Panics, pp. 40-44
[X] Cohen, Stanley, Folk Devils and Moral Panics, pp 12-16
[XI] Cohen, Stanley, Folk Devils and Moral Panics, p. 204
[XII] Dear, William, The Dungeon Master, Ballantine, New York, 1985, pp. 17, 20-22, 163, 316 / Hately, Shaun La disparition de James Dallas Egbert III ptgptb, Places to Go People to Be no 6 et 7 / Hicks, Robert, In Pursuit of Satan: Police and the Occult, Buffalo, New York, 1991, pp. 287-288 / Stackpole, Michael, Le Rapport Pulling ptgptb. Une compilation des activités de Patricia Pulling et de BADD par l’Association Américaine des Fabricants de Jeux (GAMA), pp. 19-21
[XIII] Pulling vs Bracey, Tribunal du district d’Hanover, Virginie, 17 septembre 1984, pp. 12-13
[XIV] Pulling, Patricia, The Devil’s Web, Huntingdon House, Los Angeles, 1989 / Stackpole, Michael, Le Rapport Pulling ptgptb, pp. 31-35, 49-53
[XV] Le site web de Jack T Chick’s est à cette adresse: http://www.chick.com. Dark Dungeons, la BD anti-JdR est ici.
[XVI] Golbert, James, A Cycle of Outrage, Oxford University Press, New York, 1986, p. 9
[XVII] Cohen, Stanley, Folk Devils and Moral Panics, p. 9
[XVIII] Stackpole, Michael, Le Rapport Pulling ptgptb
[XIX] Hicks, Robert, None Dare Call it Reason: Kids Cults and Common Sense, pp. 8-12. / Law Enforcement Section Department of Criminal Justice Services, 12e forum législatif du Département de l’Enfance de l’État de Virginie, Roanoke, 22 septembre 1989
[XX] Cardwell, Paul, The Attacks of Role-Playing Games, Skeptical Inquirer. Vol. 18, no 2, Winter 1994, pp. 157-165
[XXI] Abyeta, Suzzanne and Forest, James, Relationship of Role-playing Games to Self Reported Criminal Behaviour, Psychological Reports, Vol. 69, 1992, pp. 1187-1192 / DeRenard, Lisa and Kline, Linda, Alienation and the Game Dungeons and Dragons, Psychological Reports, Vol. 66, 1990, pp. 1219-1222 / Douse, Neil and Manus, I.C., The Personality of Fantasy Gamers, British Journal of Psychology, Vol. 84, 1993, p. 50
[XXII] Paulos, John, Innumeracy: Mathematical Illiteracy and its Consequences, Vintage Books, New York, 2001, pp. 168-169 / Freeman, Jeff, The Truth: On Sale Now. The Skeptic, Vol. 9, no 5, May 1995, pp. 1-11 / Phelan, Steven, Psychological study on fantasy role-playing gamers
[XXIII] Bromley, David, The Satanic Cult Scare, Culture and Society, Vol. 28, May 1991, pp. 63-66 / Clifton, Chas, The Three Faces of Satanism: A Close Look at the Satan Scare, Gnosis, Vol. 12, Summer 1989, pp. 9-18 / Cardwell, Paul, The Attacks of Role-Playing Games pp. 8-12 / Hicks, Robert, In Pursuit of Satan: Police and the Occult / Hicks, Robert, Satanic Cults: A Sceptical View of the Law Enforcement Approach, pp. 10-18. Criminal Justice Analyst. 11e séminaire annuel de prévention de la criminalité.
[XXIV] Chick, Jack, Dark Dungeons, Jack T Chick Publications / Schnoebelen, William, Straight Talk on Dungeons and Dragons
[XXV] Cardwell, Paul, The Attacks on Role-Playing Games, pp. 157-165 / Stackpole, Michael, Le Rapport Pulling ptgptb, p. 16
[XXVI] Cardwell, Paul, The Attacks on Role-Playing Games, pp. 157-165. Voir aussi http://www.car-pga.org
[XXVII] Gagne, Kenneth, Moral Panics Over Youth Culture and Video Games. Dissertation non publiée soumise à l’Institut Polytechnique de Worcester. 27-04-2001. p. 22.
[XXVIII] McDonald, R., The Gaming Spirit, Breakout Magazine, no 17, Vol. 5, mars 1985, p. 9
[XXIX] Voir Dragon Magazine en particulier les numéros 111, 122, 125, 134, 138, 146, 148, 151, 158, 160, 162, 171, 181, 182 & 194 pour quelques exemples des débats au sein de la communauté rôliste au sujet des préjugés et la perception du harcèlement. Certaines sources sont intraçables - une partie des informations vient de nombreuses discussions avec des rôlistes en convention. Bien qu’il soit clair que la réponse de la communauté fût universelle et donne l’impression d’un sentiment de harcèlement répandu des rôlistes, il est difficile d’obtenir des statistiques précises de l’ampleur de la panique morale, à cause de la subjctivité inhérente à l’expérience.
[XXX] Pellino, Gary, La Honte du jeu de rôle ptgptb
[XXXI] Moore, Roger, Éditorial de Free, Proud and 17 (Libre, Fier, et 17 ans), Dragon Magazine, no 194, juin 1993, pp. 6-7
[XXXII] Bromley, David, The Satanic Cult Scare, p. 66
[XXXIII] Roger, Moore, Dragon, no 182, juin 1992, pp. 6-7
[XXXIV] La liste de CAR-PGA de publications académiques sur le JdR
[XXXV] Bromley, David, The Satanic Cult Scare / Cardwell, Paul, The Attacks of Role-Playing Games / Hicks, Robert, In Pursuit of Satan: Police and the Occult, etc. / Stackpole, Michael, Le Rapport Pulling ptgptb / Nathan, Debbie, Inside the Satan Scare Industry – The Devil Made them do it While nations cops chase Demons taxpayers get burned (Dans le marché de la panique satanique - "c'est le Diable qui leur a fait faire ça". Pendant que la police nationale chasse les démons, les contribuables sont sur le bûcher.) / Freeman, Jeff, The Truth: On Sale Now
[XXXVI] Neville, R., Play Power, Granada publishing, London, 1971, pp. 31-33
[XXXVII] Une version Chess: The Subtle Sin – Should Christians Play Chess est disponible en ligne. Une version française du [nettement moins drôle] Should Christians play Dungeons and Dragons? de Chick, est Le jeu de rôle “Donjons et Dragons” à la lumière de la Parole de Dieu.
[XXXVIII] Une version en ligne de Jesus Kills par Scott Kurz (où il fait d’ailleurs une sorte d’autocritique). D’autres versions satiriques de Dark Dungeons peuvent être trouvées ici et là [lien mort]. Techniques de défense juridique pour rôlistes ptgptb donne des pseudo-conseils légaux pour : “Que répondre lors d’un interrogatoire “Pulling” après une arrestation pour rôlisme”.
[XXXIX] Le site “Sauvez les dragons”
[XL] Pour plus d’information sur l’approche de James Wyatt et Tracy Hickman sur la moralité et les JdR, voir la page Internet de James Wyatt et l’essai de Tracy Hickman sur les JdR et la morale chrétienne. NdT : il est dommage que l'auteur ne cite pas le travail du pasteur rôliste Mark J Young qui depuis des années tente de réconcilier JdR et christianisme, notamment en participant au e-magazine The Way, The Truth and The Dice de la Guilde des Rôlistes Chrétiens.
[XLI] Une étude raisonnablement exhaustive du jargon et de l’argot rôliste est disponible dans l’essai Folkspeech by Role playing gamers.
[XLII] Pellino, Gary, La Honte du jeu de rôle ptgptb
[XLIII] Hodkison, Paul, Goth: Identity Style and Subculture, Berg Publications, Oxford, 2002, pp. 36, 44-46, 113, 166
[XLIV] Bien que Ruan Dancey, dans sa recherche sur le marché du JdR (voir [II]) soutienne que le nombre de femmes rôlistes soit de 20 %, Kyna Foster soutint que sa recherche (voir [XLVIII]) indiquait que 37 % des rôlistes étaient des femmes et que les recherches de Dancey sont faussées par le fait qu’il ne prenne pas en compte les femmes de plus de 35 ans. Elle affirme que la proportion qui devrait figurer dans l’étude de Wizards of the Coast est de 37,5 %.
[XLV] Écrivain et critique de cinéma d’horreur, Feo Amante fait quelques commentaires profonds, quoique hyperboliques, au sujet des parallèles entre les représentations des horreurs vampiriques et des loups-garous, et l’expérience des jeunes en révolte dans les écoles, en particulier dans Vampire : la Mascarade et les films comme Underworld.
[XLVI] Waldron, D., Ecofeminism and the reconstruction of the Burning Times, Journal of Intercultural Studies Vol. 6, August 2003, pp. 36-52
[XLVII] Foster, Kyna, Dungeons, Dragons and Gender: Role-playing Games and the Participation of Women
Article original : Role-Playing Games and the Christian Right
(1) NdT : Kindred : Le Clan des maudits (wiki) est une série télé de 1996, basée sur l’univers du JdR Vampire : la Mascarade. Seuls huit épisodes furent produits. [Retour]
(2) NdT : Persona est un terme utilisé en psychologie analytique et en psychanalyse, introduit par Carl Jung. À l’origine la persona désignait le masque que portait le comédien et qui indiquait le rôle qu’il jouait. Ce masque fait penser aux autres et à soi-même que notre être est individuel : il n’en est rien, il s’agit d’un simple artifice, un compromis. L’identification aux diplômes, au rôle social, au titre honorifique sont autant d’éléments qui participent à la constitution de la persona. Cf. C.Jung, La Dialectique du moi et de l’inconscient, Paris, Folio Essais. [Retour]
(3) NdT : Chez Turner, les termes sont “liminas” et “communitas”. Liminaire est un adjectif désignant ce qui est au seuil, au niveau du seuil, en parlant d’un stimulus, d’une perception. [Retour]
(4) NdT : La “défense D&D” consistait à argumenter que la pratique du JdR avait rendu l’accusé fou et donc pénalement irresponsable. [Retour]
(5) NdT : Pour plus d’information sur la théorie du carnavalesques de Bakhtin, voir Bakhtin, Mikhail L’Œuvre de François Rabelais et la Culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Gallimard, 1998, pp. 48-96. [Retour]
(6) NdT : Cruel Doubt est un téléfilm de 1992 où le meurtre d’un paisible père de famille se révèle être l’œuvre d’un groupe sataniste jouant à, vous l’aurez deviné, Dungeons and Dragons. [Retour]
(7) NdT : Retrouvez une des toutes premières réactions de rôlistes dans l’affaire Dallas Egbert ptgptb : “Aucun jeu ne vaut la peine que l’on meure pour lui…”. [Retour]
Pour aller plus loin…
Cet article fait partie de l'ebook PTGPTB n°15 intitulé Le JdR, c'est le maaal !, que vous pouvez consulter pour de plus amples développements.
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