Les Pactes avec le Diable

Christian's Gamers Guild

La Foi en jeu

  Il existe, grâce à Goethe, une histoire passionnante au sujet d’un homme appelé Faust qui fit un marché avec le diable. Cette histoire est devenue une sorte de référence culturelle, au point que le mot « faustien » est utilisé pour décrire n’importe quel effort pour accomplir un objectif au prix de sacrifices démesurés. Selon cette histoire, Faust vend son âme au diable.

Faust und Mephisto beim Schachspiel (Faust et Méphisto Jouant aux Échecs)

Je suis gêné d’admettre que je n’ai pas lu le livre ; il y a d’ailleurs beaucoup de livres que je n’ai pas eu l’occasion d’acquérir ou le temps de lire attentivement. Je connais l’essentiel de l’histoire grâce à des émissions éducatives, donc je suis conscient que le pacte n’a pas été si bénéfique pour Faust. Il a découvert que tout ce que le diable lui donnait était une escroquerie et son bienfaiteur supposé avait ruiné tout ce qui aurait pu être bon. Et pourtant, à la fin, il trouve la rédemption.

Ce qui m’intéresse le plus, c’est l’idée que quelqu’un puisse faire un tel pacte avec le diable sans avoir les récriminations que Goethe avait suggéré pour son protagoniste  (1) . Il y a toujours des histoires de gens qui ont vendu leur âme au diable en échange de ce qu’ils voulaient vraiment ; ces pactes m’ont toujours fasciné.

Ils m’ont fasciné parce que pendant longtemps je n’ai pas vu ce que le diable y gagnait. Pourquoi est-ce que Satan achèterait ce qu’il possède déjà ? Après tout, il est plutôt clair que quiconque est damné lui appartient déjà par défaut ; il n’a rien à payer pour les posséder. Il est également clair qu’un tel pacte n’aurait aucun effet sur la possibilité de rédemption. Le Salut est toujours possible, que ce soit avant ou après le pacte. Satan n’obtient rien qu’il n’ait déjà, pas même l’assurance de ne pas le perdre. Alors pourquoi est-ce qu’il s’embêterait à faire un pacte avec quiconque ?

J’ai finalement compris qu’il avait bien une raison de faire un tel pacte, une raison très complexe et habilement trompeuse. Le pacte est une imposture. Il sait que cela n’a aucune valeur pour lui en tant que pacte. Comme Yogi Berra [Joueur de baseball aussi connu pour de nombreux aphorismes d’apparence tautologique ou paradoxale (NdT)] disait du contrat verbal, ça ne vaut pas le papier sur lequel c’est écrit. Il ne peut pas contraindre quelqu’un avec ça. Il ne le fait certainement pas pour cette raison-là. Il a plutôt des objectifs très différents.

  1. D’abord, il en coûte très peu à Satan d’assouvir les désirs charnels dérisoires de la plupart des gens. Dans La Petite Sirène, Ursula, la Sorcière des Mers, vante ses services et montre dans une scène plutôt simple comment elle prend deux personnes qui veulent désespérément être aimées pour les donner l’une à l’autre et s’attribuer ensuite le mérite de leur bonheur.
    Les choses que les gens veulent sont faciles à trouver, vraiment, si vous tirez quelques ficelles en coulisses. Que ce soit de l’argent, des femmes ou du respect – tant que ce n’est pas de l’amour ou du bonheur, Satan peut probablement le faire à peu de frais.
    Tenir sa part du marché n’est pas si difficile. D’ailleurs, il y a de grandes chances qu’il n’ait de toute façon rien à faire. Quelqu’un disposé à vendre son âme au diable est prêt à faire n’importe quoi, à prendre d’énormes risques, à travailler très dur : il a donc de bonnes chances de réussir sans aucune intervention surnaturelle. C’est probablement un cadeau [en bonus].

  2. Le pauvre hère qui se met dans cette galère croit qu’il a fait un pacte et qu’il ne peut pas en sortir ; il est exactement dans la même situation qu’avant, n’ayant pas plus besoin de salut que quiconque. Sauf qu’il est enfermé dans sa fausse croyance d’avoir fait quelque chose d’irrévocable et que même Dieu ne saurait le sauver à présent.
    C’est probablement ce qui maintient Faust prisonnier pendant si longtemps. Il a l’impression d’avoir conclu le pacte et que le diable a rédigé le contrat si astucieusement qu’on ne pourrait retenir contre lui son échec à fournir ce que Faust veut vraiment. Faust se sent piégé. L’individu qui a passé ce type de pacte peut, en vieillissant, trouver que cet accord n’était pas aussi avantageux que ce qu’il croyait quand il était plus jeune et impétueux. Mais il est à présent trop tard pour changer les choses, puisqu’il a profité des fruits du contrat et doit en payer le prix.
    Il ne comprend pas que le pacte n’a pas du tout changé sa condition éternelle ; il est exactement dans la même situation qu’avant de le faire, dans le besoin du salut du Christ. Mais on lui a resservi encore des salades, moyennant quoi cette possibilité ne s’applique pas à lui et qu’il ne peut pas être sauvé à cause de son pacte.

  3. Le bénéficiaire de ce pacte fait presque inévitablement la promotion de toutes ces bonnes choses que Satan lui a donné, et d’autres gens commencent à penser que suivre Satan ne doit pas être si mauvais, et certains d’entre eux décident d’essayer. Satan n’a pas besoin de donner plus que des miettes à ces autres pigeons. Le fait qu’il ait donné quelque chose à quelqu’un (si jamais il l’a vraiment fait) est pour eux la preuve qu’il satisfera leurs désirs aussi.
    Le prix que le diable paye pour maintenir une personne liée dans sa duperie attire un nombre inouï d’autres, dans la même escroquerie, sans frais supplémentaires. Ils passent leurs vies à essayer d’obtenir ce qu’ils pensent qu’il leur donnera, sans jamais rien récolter de leur labeur, faisant avancer du même coup l’œuvre de Satan.

  4. Encore pire, il y a des millions d’idiots qui n’ont pas « vendu leur âme à Satan » et qui se croient maintenant sauvés parce qu’ils ne l’ont pas fait. Donc en payant un prix pour l’âme d’un homme qu’il avait très probablement déjà, Satan convainc plein d’autres personnes - dont il tient les âmes fermement dans sa poigne - qu’ils vont aller au ciel parce qu’ils n’ont jamais passé un tel pacte avec lui.
    Nous savons que ces gens sont aussi perdus que tous ceux qui n’ont pas passé de pacte avec le Christ ; nous savons que le seul espoir que chacun a est de donner son âme à Dieu. En laissant courir l’idée qu’il achèterait pour de vrai l’âme de quelqu’un, le diable fait croire qu’il ne la possède pas déjà, fournissant ainsi une fausse certitude à tous ceux qui peuvent se dire qu’ils n’ont jamais commis cette erreur.

Quelqu’un m’a demandé il y a plusieurs mois si le fait de raconter un type particulier d’histoires dans les JdR peut en faire des JdR chrétiens. Je ne pense pas que se soit aussi simple que ça. Je pense que n’importe quelle histoire racontée dans une partie a le potentiel d’être très chrétienne ou très non-chrétienne, selon peut-être la manière dont elle est racontée. Cette histoire-ci, cependant, a du potentiel. Et si on pouvait jouer un tel pacte, une histoire faustienne, dans un jeu de rôle ?

Les gens avec un fort niveau d’empathie avec leur personnage peuvent être mal à l’aise avec cette notion. L’idée de jouer en roleplay l’acte d’invocation de démons est parmi les plus fortes raisons que soulèvent les critiques de ce genre de JdR, et nous leur répétons à chaque fois qu’il ne s’agit pas de ça. Mais si jamais vous faisiez vraiment semblant que votre personnage le fasse ? Je comprends certainement l’hésitation à être mêlé à un tel acte, et si nous étions en train de parler de le faire pour de vrai, je vous dirais de vous en éloigner totalement. Cependant, nous parlons de le faire dans un jeu, d’une façon imaginaire, donc suivez mon raisonnement.

Supposons que nous allons participer à un jeu de rôle où nos personnages vont vraiment invoquer des démons fictifs et conclure des pactes avec eux dans le jeu pour essayer d’obtenir des faveurs de leur part, des promesses de succès, un paiement pour leur magie. Dans ce JdR, ces démons ne sont pas des jouets. Ce n’est pas comme si vous pouviez juste dessiner le symbole magique sur le sol, prononcer quelques mots et soumettre ces puissants êtres au point qu’ils deviennent vos esclaves dociles et fervents.

Une vraie lutte a lieu, et vous devrez donner pour recevoir. Vous [l’invocateur] êtes en train de jouer à un jeu dangereux. Si vous ne vous arrêtez pas avant d’aller trop loin, vous allez perdre – mais ceci est le seul chemin pratique que vous pouvez suivre pour atteindre vos rêves. Donc vous marchez sur le fil du rasoir, en traitant avec le diable et en essayant de l’emporter sur quelqu’un qui est bien plus malin, beaucoup plus puissant et de loin plus expérimenté que ce que vous ne serez jamais – et qui vous bernera probablement si vous faites un faux pas.

Je n’ai aucun problème à jouer à un tel JdR où mon personnage perd son âme parce qu’il s’amuse avec le diable. L’idée de perdre mon âme me terrifierait si je pensais un instant que Dieu n’avait pas vaincu le diable ou qu’Il ne me tenait pas fermement dans la paume de Sa main. Le fait de pouvoir voir comment ça pourrait m’être arrivé, à travers mes propres choix, est une fabuleuse leçon à explorer. C’est une idée géniale pour un Jeu de Rôles.

Pensez-vous qu’y jouer vous rendrait plutôt plus enclin à passer un tel pacte avec le diable dans la vraie vie, ou moins enclin ? Si vous quittez la table en ayant la sensation que votre personnage était un imbécile fini de se laisser détruire par ses désirs, vous en avez tiré quelque chose de bon. Si vous quittez la table en songeant que votre personnage a été terriblement (dans tous les sens du terme) chanceux d’en être réchappé aussi indemne que ça, vous en avez tiré quelque chose de bon.

Ce JdR existe. Il s’appelle Sorcerer grog, écrit par le gagnant du prix Diana Jones, (Ron Edwards).

Mais Sorcerer ne définit pas ses démons ou ses âmes dans des termes aussi surnaturels, laissant plutôt les joueurs.euses et le/la maître de jeu les élaborer selon leurs préférences et la nature de l’histoire qu’ils veulent raconter. Je trouve que les histoires possibles en sont plus fascinantes. Tout d’un coup, Faust traite avec un diable qui n’apparaît pas avec des cornes et une queue, mais caché dans le flux des désirs et des principes, dans les faussetés du monde.

Ce jeu façonne soudain tous ces conflits avec une dimension potentiellement spirituelle. L’usage de drogues est semblable à un pacte avec des démons ; dans un sens, c’est peut-être un pacte avec des démons qui essayent de garder votre âme en vous offrant un peu de plaisir ou de paix en échange. La gloire, le succès et la richesse peuvent tous être des démons dans ce monde. Certaines relations dysfonctionnelles sont aussi très semblables à des pactes avec des démons.

Il y a beaucoup, beaucoup de manières dont ce concept (traiter avec des démons ; « vendre votre âme » pour avoir ce que vous voulez), peut être déguisé sous un fin voile de réalité.

D’une certaine façon, je suis beaucoup plus effrayé par les personnes, qui font le genre de pactes avec le diable que la plupart des parties de Sorcerer représentent vraiment. Ce genre [de transaction], où ils ne sont pas conscients que Satan existe, mais où ils sacrifient leur âme pour quelque chose qui n’en vaut pas la peine. Jouer à Sorcerer dans ces contextes a le potentiel d’illuminer exactement cet aspect : que vendre votre âme ne vaut pas quoi que ce soit que vous obtiendrez en échange.

Je peux certainement comprendre que pour certains joueurs, l’empathie envers les personnages et l’accomplissement des désirs posent problème. Sorcerer ne parle pas de cela ; c’est un JdR qui parle de conséquences, et c’est peut-être là que le bât blesse.

Il y a des rôlistes pour lesquels l’empathie envers les personnages et l’accomplissement des désirs signifie « je peux faire ce que je veux et personne ne m’arrêtera ». J’ai beaucoup de problèmes avec cette façon de jouer puisque les PJ tueront n’importe quel PNJ qui se met en travers de leur chemin, ou alors rien que pour le voler, ou en tant que moyen pour atteindre un autre objectif.

Ceci devient dangereusement proche, à mon avis, de vendre véritablement votre âme au diable : imaginez que le monde soit fait de telle sorte que personne ne puisse vous empêcher de prendre tout ce que vous voulez.

Sorcerer, au contraire, dit:

« Vous pouvez prendre tout ce que vous voulez, mais il y a un prix à payer pour ça ; êtes-vous disposés à le payer ? Combien paierez-vous, et serez-vous satisfaits de ce que vous en obtiendrez ? »

Quelques-uns de ceux qui repoussent les limites satisferont leurs désirs ; la plupart volera en éclats. Quelques fois, s’arrêter, calculer le coût et décider que ce que vous voulez n’en vaut pas la peine est peut-être la meilleure action. À la fin, vous pouvez avoir appris que vendre votre âme au diable ne vaut rien ce que vous en obtiendriez.

L’idée de raconter à nouveau Faust dans votre partie d’une manière qui fasse ressortir la tromperie et le danger cachés derrière le pacte peut être très puissante pour éveiller les joueurs à leur besoin du Christ. Vous n’êtes pas obligés d’utiliser Sorcerer pour réussir cela ; vous pouvez probablement le faire d’une façon ou d’une autre dans n’importe quelle partie de JdR. Faust ne marche que si le personnage croit vraiment qu’il a fait un pacte et va en récolter les bénéfices. S’il se rend compte trop facilement que Dieu peut le sauver, il doit y avoir une raison impérieuse pour qu’il reste avec le diable jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

Article original : Faith and Gaming: Deals


(1) NdT : Dans la quête du savoir, (un savant et professeur considéré) Heinrich Faust a brûlé ses plus belles années. C’est un vieillard amer qui découvre qu’il n’a rien acquis ni rien produit qui puisse compenser cette perte. Faust est tenté par le suicide ; Méphistophélès lui apparaît et lui propose en échange de son âme de lui rendre sa jeunesse, et avec elle les mille plaisirs qui combleront ses sens.” (d’après Wikipedia). [Retour]

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