D&D est anti-médiéval

On pourrait croire que Old D&D [La version originale, de 1974, de Donjons & Dragons (NdT)] est un jeu de fantasy médiévale européenne. Après tout, Gary Gygax le dit lui-même. Il décrit les livres originaux de D&D comme des « Règles pour des wargames médiévaux-fantastiques » (sur la couverture) et des « règles [pour] créer votre propre campagne médiévale-fantastique » (dans l’introduction). Pourtant, dans le jeu lui-même, il n’y a pas grand-chose qui évoque le féodalisme, l’Europe, la chevalerie, une époque "Après l'empire Romain, avant Charlemagne", ou même l’existence d’une monarchie quelconque. À part le niveau technologique suggéré par la liste d’armes, ça pourrait tout autant être une simulation de la méritocratie professionnelle de Byzance, ou des cités-états souveraines du Mars d’Edgar Rice Burroughs wiki. (Il y a plus d’éléments explicites dans le texte pour jouer à OD&D sur Mars que dans une Europe de fantasy médiévale). Mais ni l’un ni l’autre ne collent parfaitement. Les détails culturels d’OD&D suggèrent plutôt une société propre à Gygax : sans queue ni tête pour de la fantasy médiévale, mais cohérente et marquante en tant qu’idéal américain d’ascension sociale. C’est un solide refus du féodalisme médiéval, comme le Yankee à la cour du roi Arthur wiki de Mark Twain.

Ce n’est pas féodal

Dans une société féodale, on s’élève socialement en se battant pour son suzerain. Puis il vous donne des terres, qui sont la principale forme de richesse. Sauf si vous êtes paysan.ne. Là, vous ne pouvez pas progresser du tout.

Ça ne se passe pas du tout comme ça dans D&D. Il n’y a pas de suzerain pour vous donner des terres. Au lieu d’être une forme de richesse, la terre est complètement gratuite !

« Quand il le veut, un personnage-joueur peut choisir une parcelle de terrain (y compris en ville) où construire son château, sa tour, ou autre. Les illustrations suivantes sont accompagnées d’un prix en Pièces d’Or. »

Le cout de construction d’un bâtiment n’est que la somme des couts de chaque élément architectural. Ça ne coute rien du tout d’acquérir un terrain constructible, même à l’intérieur d’une ville.

La richesse, dans D&D, est principalement sous la forme de monnaie et de joyaux, pas de terres et de bétail, ce qui rend l’économie de D&D plus moderne que médiévale. Certain.es ont suggéré que D&D se passe à une époque d’exploration et de renaissance, où l’argent et la classe moyenne sont sur le point de dépasser le pouvoir de l’aristocratie. J’irai plus loin : il n’y a aucun signe d’une aristocratie à dépasser, pas même affaiblie.

Si on construit un château dans les « terres sauvages », il faut nettoyer la zone de tout monstre à 20 miles de rayon. Vous prenez alors le contrôle d’une poignée de villages dans cette zone. Pas besoin de lutter contre d’autres seigneurs ou de payer des impôts à une suzeraine pour ces villages ! Cette omission semble importante, parce que Gygax prend toujours un malin plaisir à mentionner d’éventuels obstacles.

Les gens qui vivent dans ces villages sont appelés « villageois », ou « habitants », mais jamais « paysans », « roturiers » ou « serfs ». Ces gens vous paient des impôts. Si vous les mettez en rogne, le Maitre ou la Maitresse de Donjon (MD) est invité.e à vous embêter avec des « villageois en colère », la « garde de la ville », des « milices », ou une « sorte de Conan ». On remarque l’absence de toute forme de chevalerie, de petite et haute noblesse, ou de classe régnante parmi ces possibles adversaires.

Il n’y a pas de chevaliers

Le mot « chevalier » n’apparait même pas dans OD&D, mais il y a un groupe de personnes qui se comportent clairement comme des chevaliers.

Les terres sauvages contiennent des châteaux, dirigés par des guerriers, des magiciennes et des clercs [les trois classes de personnages de OD&D (NdT)]. Les guerriers peuvent

  • défier les PJ à une joute (en utilisant les règles de Chainmail wiki [Le wargame qui donna naissance à D&D (NdT)]),
  • prendre l’armure du perdant
  • et offrir l’hospitalité au vainqueur.

Ça a un petit parfum de chevalerie arthurienne, mais ce n’est pas Pendragon grog. Gygax fait bien attention à ne pas appeler ces gaillards des « chevaliers ». Ce sont des combattants, avec des serviteurs (humains ou monstrueux) et des armées, qui ressemblent fort à celles que les PJ peuvent acquérir. De plus, les châteaux appartiennent aussi souvent à des combattants qu’à des clercs ou à des magiciennes.

Le plateau du jeu Outdoor Survival ptgptb, qui était utilisé comme carte du monde par défaut d’OD&D, a une surface de 65 000 km², soit la moitié de l’Angleterre. Il y a environ six combattants possédant un château dans cette zone. En d’autres termes, les châteaux des terres sauvages ne sont pas dominés par un un quelconque ordre de chevalerie, agrémenté de quelques lanceuses de sorts de fantasy. Il semble plutôt qu’ils ont été construits par une petite poignée d’aventuriers, qui apparaissent à peu près dans les  proportions d’un groupe typique d’aventuriers (les combattants et combattantes y sont en fait sous-représentés).

Il n’y a pas de vassaux

Parlons de la manière dont on obtient des suivants et suivantes. Gygax écrit :

« Il est probable que les joueurs seront désireux d’acquérir un entourage régulier composé de divers types de personnages, de monstres, et d’une armée. »

Dans un jeu vraiment médiéval, il existerait un modèle pour ça : les gens vous prêtent allégeance en échange de votre protection. Vous lèveriez alors une armée en exigeant un service militaire des paysan.nes qui vivent sur vos terres. En d’autres mots, vous obtiendriez des vassales et vassaux. D&D ignore ce modèle : à la place, vous payez mensuellement des soldats et des spécialistes. La loyauté est achetée avec un mélange de cash et de charisme. Vous pouvez aussi recruter des armées, avec de l’infanterie légère, de la cavalerie lourde… mais pas de chevaliers.

Il n’y a pas de monarques

La monarchie n’apparait nulle part. Vous n’avez pas à prêter allégeance à quiconque. Vous pouvez certes créer une baronnie, mais sans aucun moyen de monter les échelons et devenir duchesse ou reine. Il n’y a pas de règles pour contrôler un territoire à plus d’une journée de cheval de votre château. Dans le vide hostile des terres sauvages d’OD&D, difficile de projeter du pouvoir.

La seule mention de rois dans les petits livres marrons se trouve dans les descriptions des monstres humanoïdes : par exemple, dans un repaire gobelin, on trouve « le « roi gobelin » ». (Gygax met des guillemets à « roi gobelin »). Il est peu probable que ce terme implique une couronne, un système de droit divin, des règles de succession, etc. Comme un roi gobelin ne dirige qu’un seul repaire de 40-400 gobelins, ce n’est probablement que le chef local, tout comme son camarade au nom moins élégant, l’« espèce de meneur/protecteur » qui dirige chaque groupe de 30-300 orques.

Il n’y a pas d’ancien empire

Il y a visiblement un vide du pouvoir dans le monde d’OD&D, prêt à être exploité par les PJ. Qu’est-ce qui a laissé ce vide ?

Rien ne soutient (ou ne contredit) l’idée qu’OD&D se passe dans l’âge sombre qui suit la chute d’un pseudo-Empire Romain, ou dans le dernier souffle d’un royaume féodal. Certes, quelqu’un a dû construire les « immenses tas de ruines » sous lesquelles gisent les donjons. Mais d’après les trésors qu’on y trouve, les architectes de donjons appartenaient à une économie monétaire semblable à celle de notre époque. Il n’y a même pas eu d’inflation ou de déflation significative depuis la construction des donjons. Le trésor le plus important d’un donjon - aux niveaux 13 et plus - atteint une moyenne d’environ 10.000 PO en monnaie. C’est autant que ce qu’une baronne prélève comme taxes en une année : pas une somme insignifiante à laisser dans un donjon, mais pas non plus digne d’un roi ou d’une impératrice. Cela ne suggère pas que les donjons soient des reliques d’un passé bien plus riche. Cela indiquerait plutôt que tout a toujours été comme ça.

Il n’y a que peu de détails européens

Les descriptions dans le bestiaire des « hommes », « elfes » et « nains » ne suggèrent pas que le jeu se situe dans une culture européenne. Les types d’« hommes » sont les Bandits, Berserkers, Brigands, Derviches, Nomades, Boucaniers, Pirates, Hommes des Cavernes, et (peut-être) des Hommes-Poissons. Les Berserkers ont un petit parfum nordique, mais sont contrebalancés par les Derviches et les Nomades originaires des « déserts ou steppes ».

Le gouvernement sous-entendu par les « baronnies » des PJ est presque complètement privé de culture. Une PJ construit un fort, et ensuite peut extorquer de l’argent aux gens des alentours. C’est la structure de toute société humaine sédentaire. Le seul élément européen, c’est le niveau technologique de votre fort : il a des merlons wiki, des barbacanes wiki, etc.

La liste d’armes de D&D a un parfum médiéval, mais c’est en partie juste parce que c’est ce qu’on s’attend à y trouver. En fait, c’est une sorte de liste d’armes (principalement) antérieures à la poudre à canon. La plupart des armes et armures apparaissent dans l’Europe et l’Asie antiques aussi bien que dans l’Europe médiévale. Quelques exceptions partielles : les arcs composites sont surtout non-européens, et l’épée à deux mains apparait dans l’Europe médiévale, l’Inde et le Japon, mais pas dans l’antiquité. Et personne ne sait ce que la « plate mail » est censée être. [Le nom de cette armure veut littéralement dire « maille de plates »… les traducteurs officiels de D&D traduisent habituellement par « armure de plates » (NdT)])

Si ce n’est pas médiéval, qu'est-ce que c'est ?

Dans l’ensemble, les règles de D&D semblent esquiver explicitement un modèle médiéval et féodal en faveur de

  • une économie basée sur l’argent,
  • un gouvernement inexistant ou impuissant,
  • et une société sans classes sociales,

dans un monde impitoyable et faiblement habité.

Si les règles d’OD&D suggèrent un quelconque gouvernement, c’est une méritocratie, ou plus précisément, une niveaucratie. Les créatures qui ont le plus de XP et de dés de vie règnent sur celles de plus bas niveau, des baronnes établies aux rois gobelins en passant par les bandits et les nomades en maraude. Ce n’est pas seulement non-médiéval, mais aussi anti-féodal et anti-aristocrate. Les minimums de niveaux pour obtenir des baronnies sont incompatibles avec le vernis héréditaire qui a été ajouté à D&D dans presque tous les décors de campagne ultérieurs.

OD&D montre aussi une obsession pour l’accumulation d’argent comme une fin en soi, ce qui rappelle le mercantilisme ou le capitalisme.

D&D n’est pas « Médiéval-Fantastique ». Ce n’est même pas « Renaissance-Fantastique », ou « Post-apocalyptique-Fantastique ». C’est de l’« Histoire américaine-Fantastique ».

Comment Gygax a-t-il fait pour, en voulant écrire un jeu médiéval-fantastique, finir par en écrire un américain ?

OD&D est censé être libre de tout décor de campagne. L’Arbitre du jeu [Le terme « Maitre du donjon » n’est apparu que dans Blackmoor grog, le second supplément pour D&D (NdT)] est censé créer sa propre campagne, avec un environnement qui va du « préhistorique au futur imaginé » (avec une insistance sur le médiéval, surtout pour les débutant.es). Plus tard, dans le Guide du Maitre grog d’AD&D1, Gygax allait s’expliquer plus avant :

Il y a des dizaines de formes de gouvernement possibles, chacune avec diverses classes sociales, rangs et castes. Le choix que vous ferez pour votre univers entre complètement dans vos prérogatives. Même si ce jeu est vaguement basé sur la technologie, l’Histoire et les mythes de l’Europe féodale, il contient aussi des éléments de l’Antiquité, de mythes plus modernes, et du corpus de nombreux auteurs. Dans ce cadre, toutes sortes de sociétés et de cultures peuvent exister, et rien n’impose qu’elles soient européennes ou féodales.

Mais il est très difficile d’écrire un document sans aucun sous-entendu culturel. Gygax a consciemment exclu les éléments d’une société médiévale, et comblé le vide avec des détails de la « vie réelle » américaine. Gygax a écrit D&D dans un pays où, 100 ans auparavant, les terres frontalières étaient considérées comme prêtes à saisir (la propagande du XIXe siècle dépeint les habitants autochtones amérindiens comme des sauvages hostiles, tout comme des orques). À la même époque, le succès des « barons voleurs wiki » dans l’industrie américaine a enseigné au pays que la naissance et la famille n’étaient pas les clés de la puissance de l’Amérique ; ces clés étaient plutôt l’auto-suffisance, la compétence, et l'accumulation sans pitié d’argent.

Bien qu’il soit possible que ces éléments modernes de D&D se soient glissés dans le jeu sans être remarqués, Gygax était peut-être bien conscient du décor implicite de son jeu. Après tout, sa campagne personnelle de Greyhawk, avant d’être publiée, se basait profondément sur sa propre expérience américaine. Elle prenait place sur une carte des États-Unis, avec Greyhawk à Chicago et Dyvers à Milwaukee. Murlynd, le personnage de son copain Don Kaye wiki, était un pistolero de Boot Hill wiki importé à Greyhawk. Je trouve ça assez probable que Gygax ait intentionnellement donné à son jeu un petit air de Nouveau Monde.

Que ce soit intentionnel ou non, OD&D représente une étape décisive dans la fantasy américaine, et peut-être le dernier exemple clair du genre qu’elle a inspiré. La majeure partie des milliers d’imitations de D&D, en jeu et en fiction, préservent le squelette démocratique du jeu - l’économie basée sur la monnaie, les mercenaires, les histoires d’ascension sociale - tout en ajoutant une couche européenne et médiévale. La combinaison n’est pas heureuse. La niveaucratie gygaxienne implique qu’une villageoise peut s’élever pour devenir une baronne ou une « sorte de Conan ». C’est fondamentalement incompatible avec la fantasy européenne codée par Le Seigneur des Anneaux, où même la Communauté de l'Anneau ne peut pas changer le fait que Sam est par sa naissance un serviteur, Frodon un gentilhomme, Grand-Pas un roi, et Gandalf un magicien.

Même à l’intérieur de TSR, l’école de fantasy américaine d’OD&D n’a pas duré. En 1980, Gygax lui-même a retravaillé le supplément The World of Greyhawk grog pour en faire ce qui ressemble, d’après sa couverture, à un supplément sur les chevaliers du roi Arthur.

Mais ça vaut le coup de s’éloigner des clichés médiévaux-fantastiques qui ont submergé les publications ultérieures de D&D, et de jouer dans le décor original, plus cohérent : un monde de Sword & Sorcery, sans gouvernement, où n’importe qui peut saisir une épée, devenir un héros, et vivre le rêve américain.

Article original : D&D is anti-medieval

Sélection de commentaires

Sean Holland

C’est un sujet récurrent, il revient assez régulièrement sur [le podcast] Ken & Robin Talk about Stuff par exemple, et on peut en parler longuement. D&D est une histoire américaine, qui s’inspire précisément des westerns, alors qu’un groupe errant de redresseurs de torts, ça aura une autre connotation pour d’autres cultures.

Mon opinion est que D&D à ses débuts - en tout cas tel qu’on y jouait - n’avait aucun ancrage culturel, et franchement, très peu de description du monde en dehors des donjons. C’est par la suite que des gens se sont mis à bâtir des mondes pour D&D ; et comme par défaut c’était un moyen-âge avec de la magie, c’est à ça que beaucoup des premiers mondes de JdR ressemblaient, avec des degrés variables de succès et de cohérence.

Et il y a certainement eu des périodes de l’Histoire européenne où on pouvait, par la force de son épée, obtenir une place dans l’aristocratie. C’était difficile, mais qui veut vaincre sans péril ?

Ce dont D&D ne veut pas comme monde, c’est un royaume densément peuplé et organisé ; il n’y a pas vraiment de place pour des aventuriers dans un tel environnement.

Spudeus

Un point de désaccord : Je ne suis pas sûr que Greyhawk ait été “changé” pour refléter un monde médiéval : tel que je le comprends, Gygax avait toujours été intéressé par cette période qu’il avait bien étudiée (je veux dire, pfiou, ce type a donné les caracs d’une grosse douzaine d’armes d’hast médiévales dans AD&D). Les œuvres de Sword & Sorcery qu’il aimait (par ex. Robert E. Howard) étaient un pot-pourri de l’Histoire : on pouvait y trouver du féodalisme, mais aussi des analogues de l’Égypte antique, de Rome, de pirates de l’Âge de la voile [période, datée entre les XVIe et XIXe siècles, où le commerce international et la guerre navale furent dominés par les navires à voile], de Mongols, etc.

Je pense que si OD&D est si vague, c’est pour laisser ouvertes toutes ces possibilités culturelles. Pour moi, l’évolution en puissance des personnages était seulement un outil pour que les joueurs restent impliquées, pas un commentaire sur des normes historiques en particulier (et de toute façon, les USA ont un système de classes; seulement il n’a pas de noblesse traditionnelle propriétaire des terres).

Roger

@Spudeus : Gygax était peut-être « intéressé » par la période médiévale (et par d’autres), mais sa connaissance en était limitée. Il a juste consulté quelques sources populaires et a fini par diffuser beaucoup de mythes, en particulier sur les armures. Par exemple, ni l’armure à bandes (1), ni l’armure annelée n’ont existé, et la façon dont elles ont été inventées est assez sinistrement drôle. Il a aussi joyeusement inventé ses propres termes pour d’autres trucs : par exemple il semble avoir créé le terme « arc court » en opposition à l’arc long, et on n’est pas sûr de ce qu’il voulait dire par « plate mail »

(Au passage : le terme « médiéval » est un peu vague. Il peut se référer à n’importe laquelle des trois périodes appelées « Moyen-Âge » par les historien.nes, qui couvrent une période de plus de mille ans. Cependant, l’usage populaire colle généralement au Haut Moyen-Âge : une société féodale antérieure à la poudre à canon, dirigée par des chevaliers ayant armures, chevaux et châteaux.)

Ironiquement, certaines des erreurs les plus notoires de Gygax étaient dans ce que tu cites : « ...ce type a donné les caracs d’une grosse douzaine d’armes d’hast médiévales… »

Hélas, ses remarques sur les armes d’hast sont parsemées d’erreurs, souvent importantes. Pour commencer, beaucoup de ses armes d’hast « médiévales » datent en fait du début de l’ère de la poudre à canon, et certaines sont aussi tardives que l’« Âge de l’exploration », presque un demi-millénaire plus tard. Et il n’y a pas que des anachronismes grossiers. La plupart de leurs poids sont bien trop élevés, parfois presque le triple des poids réels. Certaines armes n’ont probablement jamais existé : ce sont des reconstructions hypothétiques basées sur quelques lignes de texte. Ces lignes pouvaient simplement indiquer que le paisible moine qui les écrivait n’était pas un expert en armement de son époque.

(Et puisqu’on parle de poids : la plupart des poids donnés par Gygax sont bien trop élevés, mais quelques-uns sont absurdement faibles. D’après leur poids, leur durée de combustion et leur rayon d’illumination, je pense sincèrement que Gygax a basé ses bougies sur des bougies d’anniversaire.)

Il y a bien d’autres éléments qui sautent aux yeux dans un environnement médiéval : les arcs composites ; ni royaumes, ni seigneurs féodaux ; la terre est gratuite mais un endroit pour dormir ne l’est pas ; une économie basée sur la monnaie (des pièces d’or absurdement grosses en plus) ; des gigantesques auberges-relais ; pas de monastères ; des Églises qui ont de vrais miracles mais pas de pouvoir temporel ; etc, etc.

Rien de tout ça n’a beaucoup d’importance. Après tout, c’est un jeu de fantasy : il y a aussi des elfes, des dragons et des orques. Mais c’est un peu décevant que notre culture historique soit si pauvre qu’on puisse coller ensemble tous ces machins incompatibles, sans que les gens le remarquent : ils disent plutôt “Oooh, ce type s’y connait !”

Claire

« La combinaison n’est pas heureuse. La niveaucratie gygaxienne, où une villageoise peut s’élever pour devenir baronne, ou une « sorte de Conan », est fondamentalement incompatible avec la fantasy européenne codée par Le Seigneur des Anneaux »

Quand je pense « Médiéval plus méritocratie », je pense à ces contes de fées où un garçon de ferme finit par obtenir la main d’une princesse ou par devenir riche. Quoique ça resterait plus « médiéval comme le voyaient les Frères Grimm » que purement « médiéval »...

Cptn

D&D a toujours été une auberge espagnole et rien d’autre. C’est un globi-boulga de tous les stéréotypes de fantasy et de pas grand-chose d’autre. Gygax l’aurait peut-être qualifié de médiéval, mais c’est comme dire que Star Wars est de la science-fiction (il n’y a pas beaucoup de science dans cette saga) ; ça évoque des images stéréotypées, mais ça ne veut pas dire en soi que ça adhère à tout le bagage historique qui est impliqué dans le terme. En bref, c’est un faux décor.

Toutefois, je n’accorderais pas autant d’attention aux termes que Gygax et d’autres de son genre employaient. Le décor a toujours été et sera toujours une auberge espagnole, et c’est devenu sa marque de fabrique.

Roxysteve

Cet article est remarquablement bien écrit, et je le lirai à nouveau, mais je souhaite signaler qu’OD&D (alias le D&D à la boite blanche) n’essayait pas de proposer à ses lecteurs un « décor », seulement un cadre où les MJ étaient encouragés à accrocher leurs propres créations. Les équivalents les plus proches de nos jours seraient [des systèmes de règles génériques comme] Fate grog, GURPS grog ou Savage Worlds grog. Si les infos sont rares et insipides, c’est délibéré.

Greyhawk, qu’on croit souvent (et incorrectement) être le premier décor de campagne du commerce pour D&D (cet honneur appartient plutôt à Empire of the Petal Throne grog), a débuté la tendance des mondes pré-construits qui est devenue le standard actuel.

Sans une vision unifiée d’un univers, il est impossible d’écrire des scénarios commerciaux en-dehors du modèle du « donjon infini ». En d’autres termes, la publication de décors de campagne pour D&D a permis la monétisation de notre loisir à grande échelle. Si seulement les gens de TSR avaient un peu mieux compris le modèle économique de leur entreprise à l’époque...

Beau boulot sur cet article. Ça m’a fait réfléchir. Bravo. Continue ce super boulot.

Marlon

Tout est dans l’appendice N [du guide du maitre d’AD&D1. Cet appendice en fournit une liste de lectures qui ont inspiré Gary Gygax (NdT)]. D&D est un fantasme de puissance sorti tout droit des romans pulp. C’est une pastiche de plusieurs genres littéraires, mais pour marcher il lui fallait un terrain de jeu indompté, comme pour les autres JdR des débuts de TSR, Boot Hill et Gamma World grog.

(1) NdT : L’« armure à bandes wiki en » est un terme employé par certains historiens du XIXe siècle pour décrire plusieurs types très différents d’armures, suite à des interprétations erronées de manuscrits médiévaux et d’effigies funéraires. Le terme n’est plus employé par les historiens… mais AD&D lui a donné une popularité. « Armure annelée » est un autre terme d’historiens du XIXe siècle, qui vient probablement d’une interprétation trop littérale de la Tapisserie de Bayeux.. [Retour]

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Commentaires

Je trouve proprement stupéfiant que personne n'ai pensé à citer le cycle Dying Earth (la Terre mourante) de Jack Vance comme inspiration. La magie d'OD&D en est directement tirée. Vecna est un hommage à Vance. On y retrouve les ruines de civilisations disparues, comme les donjons. On y retrouve des élements emblématiques de D&D (les pierres Ioun par exemple), ... Et on y retrouve une ambiance "médiévalisante", sans vassaux, avec de la méritocratie, ...

Pourquoi aller chercher plus loin des inspirations alors qu'on en a déjà des connues et reconnues qui répondent aux problèmes soulevés ?

Auteur : 
Seb Cargis

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