Décors de campagne
Ou “Non, tu ne peux pas tomber sur Orcus (1) comme ça !”
© 2011 Uri Kurlianchik
Je m’appelle Uri et je vais d’école en école, et de centre de loisir en centre de loisir pour jouer à Donjons & Dragons avec des enfants [des séances hebdomadaires d'1h30, généralement en campagne]. (…) Dans le cadre de mes articles, considérez que mes joueurs se répartissent en deux tranches d’âge : les 8-9 ans (débutants) et les 10-11 ans (expérimentés). Parfois, il y aura des enfants plus jeunes ou plus vieux.
Quelques mots de plus sur l’auteur (2011)
Il semble que mes lecteurs soient légèrement confus en ce qui concerne les détails de mon activité. D’autres m’ont demandé des astuces sur le moyen de monter dans leur coin des groupes d’activités périscolaires sur D&D. Une brève réponse aux deux groupes.
Je travaille pour une petite société (de 4 à 7 personnes selon les moments) qui propose D&D comme activité pour les écoles et les centres de loisir. Les groupes d’activités après-cours sont très communs en Israël – la plupart des enfants vont à deux ou trois activités et certains en ont jusqu’à six. Il y en a pour l’électronique, les échecs, la peinture, l’aéromodélisme, le judo, l’écriture créative, la fabrication de puzzles … et un tas d’autres choses qui ne sont pas D&D et donc pas intéressantes.
Heureusement, D&D est très populaire en Israël et un certain nombre d’écoles travaillent avec l’une ou l’autre société qui propose des parties de D&D. En ce moment je mène personnellement 13 groupes dans 3 villes (oui, c’est un travail à temps plein). Nous organisons aussi des GN, des ateliers et des activités d’été qui peuvent concerner jusqu’à 200 enfants et 20 moniteurs. J’en parlerai dans d’autres articles.
Certains enfants prennent cela très au sérieux. Un groupe à Shoham a dessiné une carte de leur royaume de 1,50 m sur 3 m et la met à jour après chaque aventure. Un autre groupe a développé une race et une classe propres à chaque joueur, et un troisième groupe informe tous les autres sur les événements du monde, par des mises à jour sur Facebook.
J’encourage chaque joueur à être un peu MJ en créant des races, des monstres, des lieux et ainsi de suite (2). Je récompense de tels ajouts au monde à la fois par des XP et la possibilité d’influencer sur l’univers de jeu.
C’est un échange honnête, non ?
Dans les articles précédents, nous avons parlé de la manière de mener la partie. Cette fois-ci, je voudrais aborder le genre d’aventures à jouer. Mais d’abord, je souhaiterais faire deux remarques (il s’agit plutôt d’avertissements) pour ceux qui prévoient de créer leur propre campagne.
Moins, c’est mieux
Ne gâchez pas votre temps avec des cosmologies détaillées, les faits historiques, une analyse socio-économique ou une théorie de l’inflation des devises suite à un pouvoir d’achat accru de la populace, lui-même lié à une redistribution des richesses après la mise en liquidation d’un dragon par des aventuriers semi-professionnels.
Tout le monde s’en fout.
Les enfants veulent savoir s’ils sont dans un désert ou une forêt, s’ils combattent avec des lames de métal brillant ou de grossières lances en os, s’ils protègent le monde d’une invasion ogre ou s’ils doivent retrouver une clé pour empêcher le dragon-machine de se réveiller et de cannibaliser leur cité mécanique. En sur-détaillant votre décor, vous tuerez dans l’œuf votre propre enthousiasme et ennuierez votre public à mourir.
Donc, évitez ça.
Moi : Tu vois un varan. C’est…
Enfant : Quel genre de varan ?
Moi : Euh… Un gros ?
Enfant : Gros comment ?
Moi (écartant les bras) : Eh bien… Comme ceci ?
Enfant : Ça doit faire 170 cm… C’est probablement un varan sylvestre à pois dorés ou un varan turquoise. Peut-être un varan des roches à pattes palmées, même si c’est peu probable dans ce climat.
Moi : Bien sûr. Donc le varan…
Enfant : Alors, c’est lequel ?
Carpe Diem
Une grande quête servant de fil conducteur à la campagne est-elle nécessaire ? Certainement pas. Jetons un œil à l’histoire d’un personnage écrite par l’un de mes élèves de CE2.
Nous sommes trois frères. Nos parents ont été tués. Nous sommes partis dans la forêt pour y trouver de la nourriture. Nous y avons rencontré un shadar-kai [des entités extra-planaires humanoïdes servant la déesse de la mort (NdT)] nommé Moskomish. Nous sommes devenus amis mais des cyclopes nous ont capturés et emmenés dans un orphelinat. Nous y avons passé plusieurs semaines. Nous nous y sommes faits plusieurs amis. Un jour, nous avons entendu un cri. Nous avons vu le Principal qui fouettait un enfant. L’enfant s’est évanoui puis est mort. Le Principal nous a vus et nous a exilés dans une prison très loin. Nous avons découvert que notre grand frère s’était allié au Principal. Notre ami shadar-kai passa dans le monde des ombres et réapparut à l’extérieur de la cage. Il l’a ouverte (on peut le faire depuis l’extérieur) et nous nous sommes enfuis aussi vite que nous le pouvions, avec le Principal et notre grand frère aux trousses. Nous sommes parvenus à nous échapper dans la forêt, où nous avons rencontré le groupe avec lequel nous voyageons actuellement. Voilà notre histoire.
J’aime cette histoire. Ce n’est pas un mélange d’événements aléatoires mais une intrigue solide avec un commencement, un milieu et une fin. Elle est claire, concise et intrinsèquement cohérente.
J’aimerais aussi souligner deux choses. Tout d’abord, notez qu’il n’y a pas une seule description – ce texte est quasi-biblique dans son dépouillement. Il n’y a pas de décor en soi ; nous savons que cette histoire se déroule dans les bois mais c’est tout. Ensuite, vous n’avez pas de quête ou de but supérieur dans cette histoire – les personnages [sur]vivent, c’est tout. Ils vivent de merveilleuses aventures, mais elles n’ont pas d’objectif narratif. Et c’est l’une des meilleures histoires ; la plupart sont de simples bric-à-brac d’événements tape-à-l’œil et d’excuses pour [posséder] des super-pouvoirs au niveau 1 ou une richesse de départ grotesque.
Ce qui nous mène à notre première campagne.
Improvisation
Laissez-moi vous confier un petit secret : l’improvisation n’existe pas. Les gens capables d’inventer des monstres et des intrigues originales à la volée sont extrêmement rares. À la place, la plupart des bons improvisateurs créent dans leur tête une petite base de données contenant un stock de rencontres, de personnages, de citations amusantes, de répliques spirituelles, de paysages, etc., et apprennent comment exploiter les éléments voulus avec rapidité et élégance.
En gros, être un bon improvisateur signifie 1) être compétent dans le domaine dans lequel vous menez vos parties et 2) d’avoir assez confiance en soi pour s’y essayer sans perdre la face. Je ne peux pas vous aider à développer votre culot (c’est une compétence de classe en fait) : il n’y a qu’en menant et menant encore que vous y arriverez.
Je peux néanmoins vous donner une astuce qui vous aidera pour le 1) : lisez. Lisez en dehors du genre de votre campagne, afin de voler des idées que personne n’imaginerait. Lisez des récits historiques pour rendre vos intrigues encore plus crédibles. Lisez les infos pour que vos joueurs se sentent davantage liés à des événements récents (“Donc le roi-sorcier est comme Kadhafi ?”). Lisez aussi dans le genre de votre campagne car les classiques sont toujours une bonne chose… Bref, lisez (et aussi regardez, écoutez et observez).
Bac à sable générique
Un groupe peut passer un an de jeu avec le plus vif plaisir, sans autre but que de gagner des niveaux et récupérer un chouette butin. Si vous êtes un bon improvisateur, chaque rencontre sera amusante et enthousiasmante. Contentez-vous de préparer une bonne table de rencontres aléatoires (qui n’a pas besoin d’être aussi aléatoire que ça…), des PNJ récurrents sortant de l’ordinaire, de bons trésors (3) et au moins une ville où les PJ peuvent commercer, se reposer, se faire des amis et des ennemis. Vous êtes prêt !
Bien entendu, tout cela sera très ennuyeux si vous vous contentez d’enchaîner les combats ; il vous faut aussi des énigmes, des dilemmes moraux et des rencontres avec des employeurs. Vous avez également besoin d’un thème et d’un grand méchant récurrent. Ce dernier est très important car ses machinations rendent la vie des PJ légèrement moins confortable. Couplé au thème, c’est ce qui permet aux joueurs de s’impliquer émotionnellement dans la partie.
Prenez des dessins animés aussi variés que Samurai Jack, Les Bisounours, Cosmocats et bien entendu l’excellent dessin animé [inspiré par D&D, NdT] Le Sourire du dragon : la plupart de leurs épisodes n’étaient qu’un développement autour des rencontres aléatoires. Néanmoins, il y avait toujours le même méchant impressionnant mais distant qui croisait parfois le fer (ou les rayons d’énergie) avec les héros, et un thème commun qui relevait plus de la saveur que de la véritable motivation. Soyons honnêtes, combien d’aventures du Sourire du dragon avaient-elles un rapport quelconque avec la quête de retour à la maison des enfants perdus ?
Vous n’avez pas besoin de plus de préparation que cela. Faites-moi confiance – aucun élève de CE2 ne vous demandera “Qui a fondé cette ville ?” ou même “Comment s’appelle la région dans laquelle on joue ?”. Les enfants plus âgés sont une autre paire de manches : ils vous posent des questions pointues et prennent leurs décisions en fonction de l’histoire du monde. Avec eux, il vaut mieux utiliser l’une des campagnes ci-dessous.
À la fin, cela passera. Les PJ décideront de se poser un peu, investiront leur argent dans une entreprise rentable et finiront leurs jours dans le confort et la sécurité (vous n’imaginez pas à quel point les enfants font souvent ce choix). L’année suivante, vous devrez prévoir quelque chose de nouveau mais, pour le moment, vous pouvez vous reposer tranquillement, en sachant que vous avez été un bon guide pour une horde de jeunes touristes belliqueux faisant leurs premiers pas dans un monde que vous avez bâti ensemble.
Le jeu du mariage
La campagne la plus étrange que j’aie jamais menée se développa d’elle-même à partir de ce qui devait être une partie générique en bac à sable. L’un des enfants décida qu’il voulait se marier et fonder un foyer. En tant que vrai paladin, notre jeune héros ne s’arrêterait pour rien de moins qu’une princesse. Le père de cette dernière exigea que le prétendant se lance dans une quête, pour se montrer digne de la main de sa fille. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, tous les PJ voulurent se marier… qui à une prêtresse drow, qui à un dragon de cuivre, qui à la fille d’un industriel halfling, qui à une jeune fille quelconque mais mourant d’une rare maladie…
C’est ainsi que commença la plus étrange de mes campagnes.
La quête traditionnelle
Voici les histoires classiques de fantasy que nous connaissons et aimons tous. Notez que classique n’est pas synonyme de banal ; cela signifie simplement répondre aux attentes des joueurs sans bouleverser aucune règle du genre.
Les Royaumes Oubliés sont un décor de fantasy traditionnel. Against the Giants (1981) est une aventure de fantasy traditionnelle.
Vous trouverez ci-dessous quelques exemples que j’ai utilisés avec succès au fil des années.
Un monde mourant
Le monde est mourant. Les forêts autrefois luxuriantes se transforment en déserts sans vie, les animaux sont faibles et apathiques, les champs demandent beaucoup de ressources mais produisent peu et l’espoir quitte rapidement le cœur des hommes et des femmes. Qu’ils le décident d’eux-mêmes ou qu’ils soient poussés par un mystérieux commanditaire, les PJ se lancent dans un voyage héroïque à travers le monde en quête d’anciens artefacts et de secrets qui pourraient inverser le flétrissement du monde ou, s’ils échouent, au moins sauver leur peuple du désastre imminent. Cette campagne tourne moins autour du combat et inclut davantage d’exploration de nouveaux lieux passionnants, de coopération avec les PNJ, d’énigmes et de cultures exotiques. Il y a deux retournements de situation que j’aime bien utiliser avec ce scénario :
- Le bienfaiteur est à l’origine du pourrissement. Il a envoyé les PJ dans cette quête dans l’espoir qu’ils trouveront quelque chose pour l’arrêter et le détruire. Un bon dénouement paroxystique serait que les PJ affrontent finalement leur ancien commanditaire et utilisent les pouvoirs qu’ils ont acquis durant leurs aventures pour le vaincre.
- Le processus est irréversible. Cependant, il subsiste un espoir : dans les profondeurs de l’Est sauvage et inviolé gît un ancien vaisseau spatial (voir ci-dessous) qui permettra aux PJ de fuir la planète mourante avec leur peuple et de chercher un nouveau foyer parmi les étoiles. Cependant, les morceaux du vaisseau sont éparpillés à travers le monde et chaque pièce détachée fait l’objet d’une âpre lutte.
PNJ : Excusez-moi monsieur, êtes-vous un minotaure ?
Enfant : Non, je suis juste un homme chevelu avec des cornes – BIEN SÛR QUE JE SUIS UN FOUTU MINOTAURE !
Un exilé bouleversé
Les personnages-joueurs croisent une étrange personne qui leur demande de l’aider à retourner dans son lointain foyer. L’individu est mystérieux et, tout au long du chemin, propose au groupe d’étranges quêtes secondaires. Dans le même temps, des forces tout aussi mystérieuses tentent de s’attaquer à cette personne. Ces constantes bizarreries amèneront les PJ à mener leur propre enquête et à faire preuve d’esprit d’initiative, une qualité qu’il faut absolument encourager. Pour laisser plus de libertés aux PJ, prévoyez de multiples arrêts dans des cités variées (4), où l’exilé vaquera à ses affaires, pendant que les PJ seront libres de commercer, d’attraper les assassins, de combattre dans l’arène (vous ne saviez pas que tous les enfants rêvent d’être gladiateurs ?), de chercher les ennuis et ainsi de suite.
Mais qui est cet exilé ?
- Un aspect d’une déesse dispersée lors d’une guerre divine. Elle a besoin de l’aide des PJ pour réunir ses fragments éparpillés à travers le monde et recouvrer sa pleine divinité. Elle fera alors des PJ ses émissaires dans ce monde et leur octroiera des pouvoirs véritablement épiques. Bien entendu, les religions rivales feront tout ce qui est en leur pouvoir pour l’empêcher de reprendre sa place dans le panthéon divin…
- Un monarque exilé cherchant de l’aide pour recouvrer son trône. L’usurpateur et le déchu peuvent être ou non des méchants, selon que vous êtes intéressé – ou pas – par l’introduction de dilemmes moraux sans une unique réponse simple dans votre campagne. Peu d’enfants voudront remettre en place un tyran mais, si leurs personnages ont voyagé et combattu avec lui pendant de nombreux mois, ils pourront placer la loyauté personnelle au-dessus de leurs autres valeurs. Dans tous les cas, attendez-vous à des débats enflammés !
- Un assassin avec une impressionnante liste de cibles à abattre. Les PJ lui servent à la fois de gardes du corps et, plus tard, de boucs émissaires pour les meurtres. Je recommande d’utiliser cette option seulement avec les groupes les plus âgés ; les personnages des enfants les plus jeunes pourraient facilement mourir en s’opposant au reste du monde plutôt que d’essayer de blanchir leur nom et d’attraper le meurtrier par des moyens plus subtils.
Liberté et nécessité
Les joueurs vont vous surprendre, que ce soit par leur ingéniosité ou par leur imprévisibilité. L’improvisation est généralement la meilleure réponse pour des joueurs sortant des sentiers battus. Il arrive cependant parfois que penser hors du cadre prédéfini menace de briser ce cadre et de retomber sur la tête des PJ. Vous pouvez utiliser plusieurs trucs pour limiter la liberté des joueurs sans briser l’illusion théâtrale.
- Chemins de traverse : Conservez toujours quelques sous-intrigues sous le coude au cas où les joueurs ignorent toutes vos accroches et se contentent de balader leurs PJ au hasard. Ces accroches occupent vos joueurs en les amusant et vous donnent le temps de repenser l’aventure et d’inventer de nouvelles manières de ramener vos joueurs dans votre histoire (ou simplement de jeter toute l’aventure et d’en concevoir une autre). Quand vous préparez des chemins de traverse, choisissez des accroches impossibles à ignorer comme une étrange entité sylvestre qui ne cesse d’attaquer les PJ, un PNJ ami qui se fait enlever, un des PJ qui se transforme lentement en canard et ainsi de suite.
- Frontières invisibles : Une barrière de montagnes impénétrables, un océan entourant une île stérile dans toutes les directions, des terrains vagues pollués où de gigantesques mutants errent avec mélancolie – Toutes ces idées peuvent limiter la mobilité des PJ à la région que vous avez choisie sans passer pour des méthodes grossières… Du moins jusqu’à ce que les PJ se montrent plus futés que vous et voguent vers de nouvelles aventures dans des terres non cartographiés.
- Inéluctable destin : Les PJ sont attirés dans votre histoire, peu importe ce qu’ils font et où ils vont. Vous ne devriez pas en abuser car la liberté de choix est la motivation principale des jeux de rôles sur table. Si vous décidez d’utiliser ce moyen radical, assurez-vous qu’il s’intègre pleinement à la logique de la partie. Dans le cas contraire, vous ne jouerez plus qu’avec vous-même puisque aucun joueur, enfant ou adulte, n’appréciera un jeu dans lequel on le force à entrer. De même…
- N’introduisez pas de PNJ baby-sitter tout-puissant ! Rien ne tue plus la motivation d’un joueur que de lui forcer littéralement la main dans l’aventure. L’esprit se révolte et l’acier brille ; soit votre PNJ favori meurt, soit c’est le plaisir de jeu. Si le baby-sitter invincible ne meurt pas, vous voilà face à une question : si votre PNJ est si puissant, pourquoi ne peut-il pas simplement se charger de la menace lui-même ? Bonne question, non ? Si vous utilisez cette solution paresseuse, arrogante et contre-créative, votre licence de MJ sera révoquée sur-le-champ.
Surprendre
Vous utilisez votre décor de fantasy habituel mais avec une tournure inattendue. Ce changement peut être évident – comme un monde fantastique envahi par une armée moderne contemporaine, croisant la magie et la technologie – ou bien ne pas apparaître au début de la campagne, comme des trolls qui sont en réalité les protecteurs nobles et incompris de la Terre tandis que les paladins sont d’infects cultistes qui livrent délibérément les races “bienveillantes” aux forces du mal. Dans tous les cas, il s’agit toujours d’un décor de fantasy et, à l’exception des aspects que vous avez subvertis, cela suit toujours les règles du genre.
Ravenloft (grog) est une campagne de fantasy surprenante car c’est un monde où le mal est toujours victorieux. Reverse Dungeon (grog) est une aventure de fantasy surprenante car elle prend place dans un décor classique de D&D mais permet aux joueurs d’incarner les monstres (5).
Quelques exemples :
Contre les extra-terrestres
Des extra-terrestres à la technologie avancée envahissent un paisible monde de fantasy et les PJ doivent les arrêter. Le truc principal de cette campagne est la possibilité d’accéder à des armes et des armures incroyablement plus futuristes que d’habitude, donc une grande préparation est nécessaire pour garantir le maintien de l’équilibre du jeu. Cette campagne fonctionne bien avec les enfants qui demandent “Quand est-ce qu’on commence à jouer ?” si 5 minutes passent sans combat. Elle permet de nombreux combats contre des ennemis chouettes avec, à la clé, des “trésors” tout aussi chouettes.
Une très bonne manière de terminer cette campagne est de laisser le contrôle d’un vaisseau spatial aux PJ (voir ci-dessous) et de défaire la flotte de l’envahisseur dans une bataille cosmique et épique mêlant magie et technologie.
Orques !
Ce n’est pas facile d’être vert. Les héros vous tuent à vue et vous n’êtes que de la chair à canon ou des sujets d’expérience pour vos sombres seigneurs. Quant à vos “amis”, ils sont plus qu’enclins à vous tuer pour quelques pièces ou simplement pour s’amuser. Néanmoins, c’est exactement ce qui attend les PJ maintenant.
En débutant au bas de l’échelle – un adolescent orque rejeté, un gobelin envoyé sur une mission suicide, un gnoll atteint de la rage – les PJ doivent grandir pour écraser ceux qui leur résistent, contraindre leur peuple à la soumission et gagner renommée et puissance. Peut-être découvriront-ils la moralité en route et deviendront-ils le Drizzt Do’Urden (wiki) de leur espèce… mais je ne compterais pas trop là-dessus.
Cette prémisse convient davantage à une campagne courte et semi-délirante avec des joueurs mûrs, à même de clairement faire la différence entre la réalité et la fiction. Ah oui, aussi, quelle que soit la méchanceté des PJ, ne les autorisez pas à se battre entre eux, cela ne se terminera jamais bien !
Comme j’ai seulement joué cette campagne Orques ! avec mes meilleurs groupes, je me suis rarement préoccupé d’écrire une trame. C’est une campagne qui ne peut marcher sans “bac à sable”. Chaque fois que l’action retombait, je la relançais en balançant la rumeur d’un artefact ou d’un trésor légendaire caché non loin de là. Et quand cela ne marchait pas, un rival remettant en question l’honneur des PJ faisait l’affaire…
Acier et Amiraux
Un élément peu exploité de D&D est le recours à des véhicules puissants, comme des sous-marins magiques, des tanks à vapeur ou des vaisseaux spatiaux extra-terrestres. C’est regrettable car j’ai rarement vu des choses que les enfants convoitent plus que des véhicules puissants, en particulier s’ils volent. L’opportunité de commander l’un de ces engins est un plaisir rare. Et l’opportunité d’en posséder un mérite de se lancer dans une grande aventure pour y parvenir.
Bien que cela semble compliqué, les combats entre véhicules sont en réalité assez simples. Vous trouverez ci-dessous un exemple d’une partie que j’ai menée une fois pour trente enfants. Chaque groupe de dix enfants incarnait l’équipage d’un bateau et ensemble, ils devaient défaire une alliance vicieuse entre Moby Dick et le Kraken (6). Voici la feuille que j’ai placée sur chaque table.
La Lance de l’océan
Votre vaisseau a 1000 pv, CA 20 et vitesse 10.
Chaque joueur choisit l’un des rôles ci-dessous :
Timonier
- Éperonnage (simple, à volonté) Navigation vs. CA, 40 points de dégâts et la cible est étourdie jusqu’à la fin du tour de jeu suivant.
- Esquive (interruption immédiate, lorsqu’une attaque de mêlée ennemie frappe le vaisseau) L’ennemi relance son jet d’attaque. Cette capacité ne fonctionne qu’une fois par tour de jeu.
Artilleur
- Torpille magique (simple, à volonté) Artillerie vs. CA ; avant de faire feu, déclarez combien de points de dégâts vous voulez infliger. Pour chaque tranche de 10 points au-delà de 100, vous subissez une pénalité de –1 à l’attaque. Pour chaque tranche de 10 points en-dessous de 100, vous recevez un bonus de +1 à l’attaque.
- Autodestruction (action mineure, unique) Touche automatiquement, 1000 points de dommages dans un rayon de 20 cases. Le vaisseau et l’équipage sont détruits.
Ingénieur
- Réparation (simple, à volonté) Faites un jet d’Ingénierie. Pour chaque point au-delà de 20, le vaisseau récupère 5 points de vie.
- Amélioration (simple, rencontre) Faites un jet d’Ingénierie. Si vous faites au-dessus de 20, vous obtenez un léger bonus. Si vous dépassez les 25, vous gagnez un bonus important. [La nature et le niveau des bonus sont déterminés par le MJ (NdT)]
Soigneur
- Premiers secours (simple, à volonté). Faites un jet de Soins. Chaque membre d’équipage regagne 2 points de vie par point [de réussite] au-delà de 20.
- Prière (standard, rencontre). Le vaisseau gagne un bonus de +2 à ses jets d’attaque ou +2 à la CA pour le reste de la rencontre.
Pur délire
Ce décor est fou, étrange et défie toutes les conventions de genre. S’il s’agissait de fiction, il n’appartiendrait à aucun genre voire serait décrit comme surréaliste. À moins que vous ne souhaitiez consacrer beaucoup d’efforts à la création d’un monde étrange mais équilibré et crédible, réservez cette option pour des aventures courtes. Sans quoi, le décor partira en morceaux très rapidement, au fur et à mesure que vos improvisations contradictoires commenceront à faire dérailler la campagne. Avec la fantasy, vous disposez d’un siècle de littérature et de plusieurs millénaires de mythologie et de folklore sur lesquels vous reposer pour vous tirer d’affaire lors de l’improvisation d’un élément de l’univers. Dans une campagne délirante, tout ce que vous avez est votre délire à vous.
Ceci dit, mes aventures les plus mémorables et les plus drôles furent des parties délirantes et absurdes qui permettaient aux jeunes joueurs de faire jouer leur imagination et leur expérience pour réaliser quelque chose de vraiment nouveau et passionnant. Je pense donc que le jeu en vaut la chandelle, même si c’est juste occasionnel, pour briser la routine. Gamma World (grog) est un décor dingue et The Great Modron March (grog) est une aventure farfelue (comme la plupart des bonnes aventures de Planescape…).
Roulez jeunesse !
Tous les aventuriers ont été des enfants. Que firent-ils à cet âge tendre ? S’asseoir à la maison toute la journée et faire leurs devoirs ? Grands dieux, non ! Ils ont vécu des aventures merveilleuses, abattu des monstres et partagé leur butin en s’assurant que maman et papa n’en sachent rien !
Un scénario one-shot que j’aime particulièrement mener est une version fantastique de Maman j’ai raté l’avion (wiki) où des enfants pleins de ressources mais physiquement chétifs doivent repousser une horde de gobelins qui s’est introduite chez eux pendant que leurs parents sont partis à l’aventure.
Donnez seulement à vos PJ des prétirés succincts (PC strips) (7) et le plan d’une maison normale. Le reste de l’aventure se déroulera de lui-même !
Si certains enfants rechignent à ne pas incarner leurs personnages habituels lors de cette séance, vous pouvez leur dire qu’il s’agit de leurs personnages vingt ans plus tôt, et que toute récompense qu’ils gagneront ici pour leur intelligence et leur courage reviendra à leur personnage habituel à la prochaine séance.
Vous trouverez ci-dessous quelques exemples rapides de PJ :
Voyou
pv 11, ca 10, Vig 11, Réf 8, Vol 11
For +1 Dex -2 Con +1 Int -3 Sag +0 Cha +1
Athlétisme +6, Intimidation +6
Arrête de te frapper ! (standard, rencontre). Un ennemi adjacent réalise une attaque de mêlée de base contre lui-même. S’il réussit, vous ajoutez votre modificateur de Charisme aux dommages.
Casse-toi ! (standard, rencontre) Charisme vs. Volonté. Un ennemi situé à 10 cases ou moins vous fuit de toute sa vitesse et est étourdi (sauvegarde annule).
Équipement : gilet en cuir, massue, un objet choisi au hasard appartenant à une autre classe de personnage
L’Apprenti du magicien
pv 7, ca 13, Vig 9, Réf 13, Vol 11
For -3 Dex -2 Con -1 Int +3 Sag +1 Cha -2
Arcane +6, Histoire +6
Je crois que je l’ai… (round complet ; quotidien) Vous recevez un indice du MJ.
Volubilité (standard ; rencontre) Charisme vs. Volonté. Votre ennemi est étourdi pour un round (sauvegarde annule)
Équipement : recueil imposant, baguette magique
Jeune chevalier
pv 8, ca 14, Vig 9, Réf 13, Vol 11
For -2 Dex 0 Con -1 Int +3 Sag +1 Cha +1
Trucs étranges +8
Ce n’est rien. Maintenant sire Lancelot… (standard ; rencontre) Un allié récupère 1d6+4 pv en vous donnant un coup de poing dans le nez.
Le Grand César, en 55 avant J.-C.… (standard ; quotidien) Un allié reçoit un bonus de +2 à un unique jet d’attaque ou un bonus de +4 à un unique jet de dommage ou de compétence, jusqu’à la fin de la rencontre. Ensuite, il vous demande de la fermer.
Équipement : livre de contes, armure d’entraînement, épée en bois
Bon à rien
pv 8, ca 13, Vig 9, Réf 13, Vol 11
For -2 Dex 0 Con -1 Int +3 Sag +1 Cha +1
Discrétion +5, Larcin +8
Laissez-moi tranquille ! (action mineure ; quotidien) Vous devenez invisible jusqu’à la fin de votre prochain round.
Je n’ai pas besoin de vous ! (action mineure ; rencontre) Vous obtenez un bonus de +10 à votre prochain jet de compétence. Les autres membres du groupe ne peuvent pas vous aider pour ce jet.
Équipement : couteau de poche, maquillage scandaleux
Animaux
L’une des parties les plus mémorables que j’aie jamais menées fut improvisée à la volée. Je devais mener une partie pour 15 enfants (déjà un cauchemar en soi) sans aucun temps de préparation et avec pour seules ressources mes dés et quelques livres de D&D3. Maintenant, si vous vous souvenez, le vieux Manuel des monstres disposait d’une section complète sur les animaux, ce qui me donna une idée – les animaux contre les braconniers ! Je donnai à chaque enfant un animal choisi au hasard de Facteur de Puissance 2 ou 3 et les lançai dans une quête : repousser les braconniers qui avaient tué tant de leurs frères et sœurs. J’ai même improvisé un retournement de situation – le loup obèse qu’ils avaient sauvé au début de l’aventure était en fait de mèche avec les braconniers. Il conduisait les animaux dans l’antre de ses maîtres pour qu’ils y soient tués et dépecés et, en échange, recevait de la viande (ce salopard fainéant ne voulait pas s’embêter à chasser lui-même !). La partie fut un pied total et j’ai entendu dire que les enfants en parlent encore aujourd’hui.
La coopération dans cette partie était également extraordinaire. Par exemple, le serpent s’enroulait autour de la tête du sanglier et crachait sur ses ennemis pour les aveugler avant que le sanglier ne charge. En bref, même si ce n’est pas du “vrai” D&D, faire jouer des animaux est une chose que vous devez essayer au moins une fois dans votre carrière de MJ.
Si vous êtes pressé, vous pouvez juste photocopier quelques animaux du Bestiaire fantastique. Ceux qui conviennent le mieux pour ce type de partie sont : hyène démoniaque ricanante (sans jet de sang acide), ours des cavernes, boa broyeur, vipère crécelle, sanglier sanguinaire, loup sanguinaire, panthère féerique (sans Éclipse féerique) et crocodile broyeur. Avec les groupes plus âgés, vous pouvez également utiliser diverses sortes d’oiseaux ; ils sont plus faibles mais constituent d’excellents espions et émissaires. Vous voudrez probablement diviser par deux le nombre de points de vie des animaux et diminuer les bonus de -2 à -4 pour qu’ils soient moins épiques et se rapprochent davantage des animaux habituels des bois. Comme pour les PJ enfants ci-dessus, si vous avez le temps de préparer la partie, je vous recommande d’établir des prétirés succincts.
La décharge
Cette campagne repose énormément sur l’improvisation et pourra ne pas convenir aux groupes remplis d’avocats ès-règles (rules lawyer). Aussi étrange que cela puisse paraître, cette partie de crasse et de fer s’avéra particulièrement populaire chez les jeunes filles. Peut-être parce qu’elles n’étaient pas gênées par le style de jeu en roue libre mais appréciaient au contraire la possibilité de définir un personnage particulier à partir d’un choix infini de pièces de rechange… Même si tout cela n’était que des déchets recyclés.
Voilà comment ça s’est passé : après un holocauste cosmique, il ne restait plus sur la planète déserte que d’énormes quantités de déchets. Au fur et à mesure, divers appareils brisés se connectèrent pour créer des héros improbables à partir de grille-pains cassés (pour lancer des rayons de chaleur), de tondeuses (pour se déplacer et découper les ennemis en rondelles), d’iPads (pour penser et ressentir), et ainsi de suite. Au fur et à mesure que le jeu avançait, les PJ rassemblaient de plus en plus de pièces de rechange, créant des personnages véritablement uniques.
Les joueurs avaient la possibilité de se connecter ensemble pour former un juggernaut, une créature mécanique énorme contrôlée par différents joueurs, ou bien de rester petits et indépendants. Curieusement, tous les garçons finirent par appartenir à une seule monstruosité gigantesque et pesante, tandis que les filles préféraient sacrifier cette puissance pour préserver leurs personnalités individuelles.
Les aventures typiques tournaient autour de combats contre d’autres déchets animés pour le contrôle des centrales électriques et des ressources, en repoussant de colossales monstruosités schizophrènes et des technomanciens qui commandaient des hordes de “zombies” formatés. Le paroxysme de la campagne fut une rencontre avec un vaisseau écrasé et son équipage biologique qui avait survécu – un trésor convoité par beaucoup de monde.
Les RATS !
Je suis super fan de rats tueurs doués de parole. Quant aux enfants… eh bien… Je suppose qu’ils les aiment aussi. En réalité, les plus jeunes les adorent, les plus âgés sont sceptiques et les adolescents les adorent à nouveau. La prémisse de ce jeu était la suivante : les rats découvrent qu’ils sont le peuple élu de Dieu et décident de se lancer dans un djihad poilu pour réclamer le monde que les humains leur ont volé il y a des millénaires. Si vous voulez en savoir plus, faites simplement un saut sur mon blog et faites-vous plaisir avec ces bonheurs à poils (8)…
Les parties en urgence, ou “Quand un Prétiré succinct vaut mieux qu’une Feuille de perso complète”
Parfois, vous devrez mener une partie sans avoir une seule seconde pour la préparer. C’est le cas où vous n’avez que trois enfants sur les dix prévus, et que vous ne pouvez pas continuer la campagne habituelle. Ou alors quand chaque enfant a ramené 1d6+1 amis et que vous vous trouvez face à un peloton de futurs rôlistes curieux mais novices. Je n’aimerais pas être à votre place… à moins que vous n’ayez des prétirés succincts. Alors ce sera amusant et ça vous changera de l’habitude.
Les prétirés sont une arme puissante dans les improvisations. Je vous suggère d’établir trois ou quatre prétirés par page (cf. Roulez jeunesse ci-dessus) et de remplir les espaces libres avec de belles illustrations de personnage. Leur taille les rend faciles à stocker et justifie l’assertion “Aujourd’hui sera une aventure extraordinaire en one-shot – Appréciez-la mais n’en faites pas une habitude”.
Si vous n’avez même pas préparé cela, il y a toujours le Bestiaire fantastique. Donnez à chaque enfant, ou groupe d’enfants, quelque chose d’énorme à jouer, quelque chose qu’ils n’ont jamais rencontré, même dans leurs rêves les plus fous, qu’ils n’ont jamais imaginé pouvoir jouer… Puis en avant pour la grande mêlée ! À de tels niveaux de puissance, les batailles sont si longues et offrent une telle variété de pouvoirs excitants qu’une simple rencontre peut suffire à passer une agréable séance. Les meilleurs candidats pour ce genre de parties sont les anciens dragons de couleurs variées et les “grands noms” comme Orcus, la Démogorgone, Lloth, la Tarasque et ainsi de suite. Ces séances sont également agréables pour les MJ car elles permettent de répondre à l’éternelle question “Qui est le plus fort ?” de façon amusante et vivante.
Article original : Campaign Settings
(1) NdT : Orcus (wiki) est prince-démon des Abysses, dans les Royaumes Oubliés et Greyhawk notamment. [Retour]
(2) NdT : Voir d’étonnants résultats dans La Créativité des Enfants ptgptb. [Retour]
(3) NdT : La préparation des trésors dans cet autre article d’Uri : Récompenses et Punitions ptgptb. [Retour]
(4) NdT : Gardez cependant à l’esprit le onzième commandement des Rencontres avec combat ptgptb. [Retour]
(5) NdT : Une idée de campagne similaire avec Ascension vers le monde du dessus ptgptb. [Retour]
(6) NdT : Cette partie a déjà fait l’objet d’un article ptgptb. [Retour]
(7) NdT : L’auteur parle ici de “bandelettes” sur lesquelles sont résumées les informations principales des personnages, sans passer par une vraie feuille de personnage. [Retour]
(8) NdT : Depuis l’écriture de cet article, Uri a lancé une souscription réussie pour éditer ce jeu. Le succès a été plus qu’au rendez-vous. [Retour]
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