Introduction à la théorie de The Forge - 2e partie
© 2005 Ben Lehman
3. Les règles, ce qu'elles sont
La règle est la référence absolue d’une dissertation sur la création de jeu de rôle et la théorie du jeu de rôle. Donc, pour pouvoir continuer notre étude plus loin, je vais devoir vous en donner une définition.
Sans plus tergiverser :
Une règle est une procédure par laquelle nous réalisons notre partie.
Si nous considérons que le « système » [de jeu] est la somme de toutes les « règles », nous avons la définition classique presque identique :
Le système est le moyen utilisé par les joueurs pour manipuler l'espace imaginaire commun. (1)
On le connait sous le nom de « principe de Lumpley » dans le vocabulaire de The Forge, car il fut énoncé par Vincent Baker, [Fondateur de Lumpley Games (NdT).] qui pour d'étranges raisons historiques sur lesquelles j'ai juré le secret, porte le nom de scène de "lumpley". (C'est là la manière dont nous nommons les choses sur The Forge. Tout ce que je peux dire pour nous défendre est que c'est aussi bon que le système qui a donné à la chimie moderne des éléments tel que le « Berkelium ».)
Quasi équivalente, car la première définition inclut la totalité du jeu plutôt que seulement l'espace imaginaire commun. (Ce détail sera discuté plus profondément dans le chapitre suivant).
Une règle est une procédure à travers laquelle nous réalisons notre partie.
A présent, j'aimerais souligner les grandes étendues de ce que j'entends ici par « règle ». Tout d'abord, cela englobe ce que vous pensez intuitivement être des règles :
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Quand vous attaquez quelqu'un, vous jetez un dé pour voir si vous l'avez touché ou non.
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Vous pouvez dépenser un point d'héroïsme pour relancer le dé.
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Si le dé fait plus que 7, c'est une réussite. Si vous obtenez plus de réussite que votre adversaire vous gagnez.
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etc.
Mais cela inclut aussi des choses comme :
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Nous déterminons les évènements de la partie par des discussions entre joueurs, le Maître de Jeu aidant.
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Le Maître de Jeu a le dernier mot sur tout évènement.
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Le joueur d'un personnage a le dernier mot sur toute action, émotion ou pensée de son personnage, ainsi qu'un certain droit regard sur son destin.
-
Tout background de personnage écrit noir sur blanc est intégré au background général du jeu. Chaque joueur écrit le background de son propre personnage.
-
etc.
Ayant cela en tête, vous pouvez voir très clairement (avec cette définition de règle) qu'il n'existe pas de « jeu de rôle sans règles » ( rules-less) ou même de « jeu de rôle allégé en règles » (rules-light). Tout évènement du jeu se produit à cause d'une ou plusieurs règles. Les JdR dits « sans système » (systemless) ou « libres » (freeform) sont des jeux où les règles sont moins évidentes, moins mécaniques, plus sociales ou autre. Du coup, on se rend compte que les JdR dits « sans système » regroupent une large variété de jeux possédant un grand nombre de systèmes (pris ici dans le sens de somme de toutes les règles) différents et intéressants. Et le mieux dans tout cela, c'est qu'une fois qu'on s'est rendu compte de l'existence de ces règles, on peut les coucher sur papier et les partager avec d'autres.
Il n'existe pas de jeu de rôle sans règles
La manière de faire la plus répandue, parmi les créateurs de JdR, c'est de survoler la majeure partie de nos pratiques de jeu, pour se concentrer sur la description de méthodes de résolution de tâches, de création de personnage et de gestion d'expérience, qui peuvent ou non refléter les règles que nous utilisons vraiment, et certainement pas la totalité de celles avec lesquelles nous jouons.
C'est vraiment passionnant, tant d'un point de vue théorique que pour la conception de JdR, mais plus encore pour la partie elle-même. Nous n'avons plus à nous reposer sur des gens (les « bons joueurs » ou, encore plus rare, les « bons MJ ») qui possèdent les mêmes règles sociales non-écrites que nous. Au lieu de cela, nous pouvons commencer à parler librement des [méta-]règles que nous utilisons et qui nous procurent des expériences de jeu satisfaisantes. Nous pouvons même les enseigner à d'autres.
P.S. : que les choses qui suivent soient ou non des règles, est matière à débat :
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Le MJ ne paye jamais les pizzas
-
On alterne les séances entre la maison de Jacques et celle de Lorraine.
-
Celui chez qui nous sommes a le dernier mot pour déterminer quelle campagne on joue aujourd'hui
-
Jacques a un chien bruyant
-
Béatrice a le béguin pour Jacques, même s'il est marié à Christine.
Pour ma part, voilà ce que je pense actuellement : ce ne sont pas des règles du jeu en tant que telles, même si certaines peuvent être des règles sociales (2). Le point important est que, alors qu'elles peuvent et vont affecter la partie, nous ne pouvons pas vraiment les utiliser proactivement de la même façon, pour changer la partie. Elles donnent du relief à nos interactions, mais elles ne produisent pas vraiment de jeu par elles-mêmes.
Commentaires
Thor Olavsrud
Je la ramène à cause de ta définition :
Une règle est une procédure par laquelle nous influons sur notre partie. [Thor a lu affect au lieu de effect dans le texte original, (NdT)]
Je suis d'accord à 100%. D'ailleurs, voici ma définition :
Les règles sont les procédures par lesquelles nous nous répartissons le pouvoir de changer, d'ajouter ou de remettre en cause nos contributions mutuelles à l'espace imaginaire commun.
Ce qui, je pense, est essentiellement la même que la tienne. Je pense aussi qu'avec cette définition nous pouvons résoudre les « règles qui donnent lieu à débat » à l'exception peut-être de « Celui qui nous héberge a le dernier mot sur le choix de la campagne que nous jouerons… »
réponse de Ben
La clé est ici :
Une règle est une procédure par laquelle nous réalisons notre partie.
J'utilise le verbe réaliser dans sa forme transitive d'« amener à l'existence ».
La situation sociale peut, évidemment, affecter notre partie, mais ça ne peut pas englober tous ce que nous utilisons pour notre partie. Pour cela nous avons aussi besoin de règles.
John Kim
L'argument selon lequel les JdR « sans systèmes » ou « allégés en règles » ont en fait de nombreuses règles tacites, est utile en bien des façons. Je me rappelle m'être disputé à ce propos pour ma FAQ sur rec.games.frp.advocacy (RFGA), et m'être finalement arrêté sur « légers en mécanismes » (mechanics-light) comme le terme le plus approprié.
Une suggestion, cependant, c'est que tu aurais besoin d'un terme simple pour une règle concrète et écrite (par opposition aux règles tacites, voire inconscientes). Dans le jargon de RGFA, par exemple, nous utilisons « mécanisme » pour les règles objectives en gardant « règles » et « système » pour les cas généraux, comme tu le fais. Bien qu'ils aient tous les deux un système, il y a une différence réelle entre des JdR comme, disons, Phoenix Command et GRAPE [NdT : on vous a traduit Grape, à titre d’illustration d'un système qui ne parle que des méta-règles]. — et c'est utile d'avoir un mot pour cela.
réponse de Ben
Je fais les distinctions suivantes entre les règles:
Formelle vs Informelle : Formelle signifie que nous en sommes conscients comme une règle concrète. Informelle signifie qu'elle est principalement assimilée : même si nous en sommes conscients, c’est quelque chose « qui ne se fait pas », plutôt qu'une règle.
Textuelle vs Personnelle : Que la règle vienne ou non d'une autorité externe, tel un livre de règles. Notez que toutes les règles textuelles sont formelles, mais que toutes les règles formelles ne sont pas textuelles. [Mon JdR indie] Polaris: Chivalric Tragedy at Utmost North expérimente en essayant d'établir des règles Textuelles et Informelles, mais le jury n'as pas encore rendu son verdict.
Mecanique vs Social : À peu près ce dont ça à l'air.
Dans tous les cas, la liste n’est pas complète.
Article original : Introduction to Forge Theory 3
4. Les règles, ce qu'elles font
Alors. Pour l'instant nous avons clarifié un petit peu les objectifs de cet essai, nous avons une définition des bonnes et des mauvaises règles, et une définition de ce que sont les règles (et le système). Nous sommes donc prêts à parler de ce que font les règles, c'est-à-dire de la façon dont nous les utilisons pour réaliser notre partie.
(Toute cette partie est pompée, presque mot pour mot de l'essai de Vincent Baker (en). Franchement, vous feriez probablement mieux d'aller le lire directement. J'ai même repris ses petits diagrammes.)
Au cours de la partie de JdR, les règles coordonnent les interactions entre trois éléments différents :
La fiction : la totalité de ce que les participants imaginent, aussi appelée l'espace imaginaire commun.
Les accessoires : La totalité des choses non humaines, non pensantes, du monde réel, que les joueurs utilisent pour renseigner notre partie de JdR : dés, cartes, jetons, éléments de décor, fiches de personnages, connaissances de physique, tout ce que vous voulez...
Les participants : ces humains assis autour de la table ou vautrés dans le canapé. Incluent le Maître de Jeu.
Les règles peuvent être décrites par des flèches
Mise en pratique
Si je déclare : « mon personnage entre dans la pièce ». Que se passe-t-il ? Moi, la personne, fait une déclaration et nous tous, les participants, imaginons mon personnage entrer dans la pièce. Il y a eu un lien entre la fiction et nous. On a utilisé une règle pour relier ces deux éléments. Dans ce cas précis, la règle est sans doute quelque chose comme : « C’est Ben qui dit ce que fait son personnage ».
[Ce processus est schématisé par les flèches 1 & 2]
OK, c'était plutôt simple. Examinons une autre règle simple. Disons maintenant que je jette un dé, et qu'il donne un résultat insatisfaisant, je déclare alors : « je dépense un point d'héroïsme ». Je relance mon dé, sans oublier de diminuer d'une unité un tas de jetons, ou de noter quelque chose sur ma feuille de personnage. Que s'est-il passé ? Il y a eu une connexion entre moi le joueur et les accessoires (ici un dé et un point d'héroïsme). La règle qui a coordonné cette interaction pourrait ressembler à : « Vous pouvez dépenser un point d'héroïsme pour relancer un dé ».
Notez que, pendant toute cette interaction, nous n'avons absolument pas affecté la fiction - vous ai-je même dit pourquoi je jetais un dé ?
[Le schéma correspond alors aux flèches 3 & 4]
Remarque : Beaucoup de jeux formidables (échecs, go...) n'utilisent que ce type de règles. Bien sûr c'est impossible pour un jeu de rôle qui possède par définition une sorte de fiction. Je veux juste vous faire noter que tous les jeux ne l’ont pas.
Regardons maintenant une autre interaction entre règles. Le Maître de Jeu dit : « L’orc te frappe ! Tu encaisses 5 dommages. » Moi : « Oh non ! Mon personnage est à 0 point de vie, il perd connaissance. »
En terme de règles, les paroles du Maître de Jeu se traduisent par [les flèches 1 & 5]
En d'autres termes, le Maître de Jeu décrit un élément de fiction, puis la fiction agit sur les accessoires. Mes paroles à moi se traduisent [par la flèche 6]
Et à mon prochain tour, je ne pourrais pas agir par ce que « mon personnage est K.O. », d'où [la flèche 2].
Maintenant, avez-vous noté que lorsque la fiction affecte les accessoires via une règle, ou lorsque les accessoires affectent la fiction via une règle, la flèche passe par les joueurs ? Ce n'est pas un accident. Tout simplement, pour qu'une règle ait un quelconque effet, il faut que les joueurs l’activent. Par exemple, dans la présentation, cela me demandait de soustraire les points de vie, de réaliser que j'étais à zéro et d'invoquer la règle de KO.
Nous avons donc six flèches sur notre schéma pour les relations entre fiction, joueurs, et accessoires
Nous pouvons maintenant affirmer que chaque règle peut être classée dans une combinaison de ces flèches. Les règles peuvent être décrites par des flèches sur ce diagramme, déplaçant l'information entre les participants, leur fiction et leurs accessoires. Du moins c'est ainsi que j'aime à me le représenter.
Et ceci, pour faire court, est le principe de Lumpley dans sa forme étendue.
Félicitations ! Nous voici à mi-chemin de la théorie – je présente deux principaux aspects de théorie dans cette essai et nous avons terminé l'un des deux.
Restés branchés pour la prochaine partie où nous allons aborder le Big Model, une façon un peu plus complexe d'analyser le déroulement d'une partie.
Commentaires
Joshua BishopRoby
Je voudrais être sûr de ce que constitue la flèche avant de l'utiliser à tout va. Je dirais : « cette chose agit sur celle-là », donc c'est plus un signe de relation qu'un signe substantiel (où la flèche 'serait' quelque chose en elle-même).
réponse de Ben
La flèche est la règle. Si la règle coordonne l'interaction de A sur B, elle va de A à B.
Article original : Introduction to Forge Theory 4
(1) NdT : MJ Young en donne une version légèrement différente ici. [Retour]
(2) NdT : règles sociales qui peuvent déboucher sur un contrat social,informel ou couché par écrit. [Retour]
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