Liberté et responsabilité dans les JdR
© 2006 Carlos de la Cruz
J’ai récemment joué à La Puerta de Ishtar grog avec quelques amis.es, partie menée par Roberto Alhambra (un écrivain connu de romans de Glorantha spa). Dans cette partie, mon personnage était un mercenaire [du peuple antique] Cimmérien (pensez barbare type Conan), chef d’une bande de la même nationalité qui louait ses services en tant qu’experts en pillage de forteresses de montagne. Pendant le déroulement de l’aventure, un client a fini par demander à mon PJ d’amener le McGuffin du scénario à un marchand qui devait le revendre.
Toujours est-il que mon personnage est entré (avec ses 13 Cimmériens) dans le magasin du marchand et lui a donné le McGuffin. Après, comme mon PJ devait de l’argent à ce type, il lui a demandé si la dette était payée, ce à quoi on lui répondit (imprudemment...) que non. Alors, quelque chose dans mon cerveau a fait « click » au lieu de « clack » et s’en est suivi le dialogue suivant :
Carlos (Bakhya le Cimmérien): « Hé, on est entré dans l’arrière-boutique de la maison du commerçant, non ? Et on est seul avec lui. »
Roberto (MJ stoïque): « Oui... »
Carlos: « Ses gardes ne sont pas là ? »
Roberto : « Non... »
Carlos: « ... »
Roberto: « ... »
Carlos: « Je le décapite d’un coup de hache ».
En fait vous ne devriez pas être désolés pour le marchand. C’était un chien de traitre sibyllin qui nous aurait probablement vendus pour une poule ou deux. Mon personnage a abandonné le McGuffin sur son cadavre et a donné des instructions pour que chacun de ses hommes prenne tout ce qu’il pouvait transporter et qu’ils s’échappent de la ville en grimpant à la muraille à différents endroits. Le MJ, qui est bien aimable, l’a laissé s’échapper, donc il a accompli ses deux objectifs : celui à court terme (« me débarrasser de la dette avec Bel-Ninari ») et celui à long terme (« revenir chez les Cimmériens avec assez de richesses pour vivre comme un Roi »).
Évidemment, je me suis magistralement foutu de finir le scénario. C’est le reste des joueurs.euses qui a dû s’adonner à essayer de sauver les meubles et finir l’histoire que le MJ nous avait proposée. Mais l’univers de « La Puerta de Ishtar » étant ce qu’il est (c’est un endroit un chouïa cruel), personne ne sera surpris d’apprendre que presque tout le monde n’a pas trop bien fini et que mon personnage est le seul dont on puisse dire qu’il a gagné quelque chose de toute cette affaire.
Il faut aussi dire que c’était une partie indépendante (un one-shot) et que par conséquent on n’avait pas autant d’attachement aux personnages que ce qu’on aurait dû, et on ne sentait pas le besoin de prendre suffisamment soin d’eux pour pouvoir continuer à jouer avec eux dans d’autres parties. C’est ça qui fait qu’on prenne ce genre de décisions avec plus de légèreté.
Après, chez moi, j’ai fini par penser un peu à l’aventure et à ce que j’avais fait et ça m’a amené à réfléchir sur la liberté dans les jeux de rôle.
Un des attraits des JdR est la liberté de faire, dans une histoire, tout ce qui nous vient à l’esprit avec notre personnage. Il y a toujours la possibilité que le MJ vous dise que c’est quelque chose d’infaisable ou même que votre personnage ne devrait pas le faire s’il était cohérent avec lui-même (mais dans ce cas, il faudrait plutôt une mécanique qui mette une limite claire, du genre « Traits de Personnalité » dans Pendragon grog), mais il est vrai que de nos jours la flexibilité de pouvoir faire ce qu’on veut dans une partie de jeu de rôle continue à être décisive pour le succès de ces jeux par rapport à des règles plus fermées dans un jeu de plateau ou les quelques options limitées auxquelles le programmeur d’un jeu vidéo a pu penser.
D’autre part, la contrepartie de la liberté (« je peux faire ce que je veux ») est la responsabilité (« je ne joue pas seul »). Le fait qu’on puisse faire ce qu’on souhaite dans une partie ne veut pas dire que nous devions le faire parce qu’après tout, lorsqu’on se réunit entre amis pour jouer à un Jeu de Rôle, le plus important est bien de s’amuser, mais de s’amuser ensemble. Il y a certaines actions que les personnages exécutent qui sont nuisibles à la partie et que les joueurs justifient en disant « C’est que mon personnage est comme ça ». Par exemple attaquer et tuer les alliés du groupe parce que le personnage est un taré psychopathe ou ignorer totalement l’objectif du scénario parce qu’en fait celui-ci n’a aucun intérêt pour le personnage. Qui n’a pas eu dans son groupe un « joueur dysfonctionnel » dont les actions ralentissaient la partie ou s’opposaient directement aux objectifs du reste du groupe ?
La « solution » à ce problème est, d’un côté, faire un effort collectif lors de la création de personnages, de façon à ce qu’ils aient de puissantes raisons de rester ensemble et de collaborer. C’est super de se créer un elfe noir-assassin-solitaire, mais est-ce qu’il [peut] réellement s’intégrer dans un groupe où le reste des joueuses contrôlent de robustes et traditionnels guerriers nains ? Et d’un autre côté, je crois que le MJ doit faire un effort pour présenter des aventures qui obligent les personnages à travailler ensemble. Enfin, quand vous jouez, chaque joueur.euse devrait se demander si ce qu’il est sur le point de faire va contribuer à l’amusement général de tous ceux qui sont autour de lui et ne pas vraiment réfléchir à ce qui est le mieux pour son personnage, mais bien à ce qui est le mieux pour le reste des joueurs.euses, MJ compris.
Bien sûr, dans un one-shot on a plus d’excuses pour se défouler ;)
À bientôt,
Carlos
P.S.: Si j’avais été le MJ, je n’aurais pas laissé Bakhya s’en sortir si facilement.
Sélection de commentaires
Rodrigo García Carmona
Je ne vois pas le problème si le Cimmérien part dans le cas d’une campagne au lieu d’un one-shot. [Si j’étais le MJ] je te ferais passer le reste de la session à créer un autre PJ (ou à transformer en PJ un PNJ qui te plaise) et à continuer à jouer la prochaine fois... avec un autre personnage. ;)
On comprend que tu as envoyé l’autre à la retraite. En termes de jeu, c’est comme s’il était mort.
Ce que je ferais de toute façon c’est, plus tard dans la campagne, faire que le groupe croise la route de l’ancien PJ, maintenant devenu un roi Cimmérien. MouAHAHAHAHAHA
Réponse de Carlos de la Cruz
Ben, c’est une bonne solution, oui : Créer un autre personnage et envoyer l’autre à la retraite. À vrai dire quelques fois c’est bien d’envoyer un personnage en exil doré plutôt que de surexploiter son histoire jusqu’à ce qu’elle soit complètement épuisée ;)
Capitan Alain Masseri
Quelle histoire intéressante. C’est un thème récurrent dans les conversations sur les jeux de rôle. Personnellement, je suis un joueur d’équipe et j’ai mal lorsque je fais des choses cohérentes avec mon personnage qui causent des problèmes autant aux joueurs qu’à la partie. Je suppose que c’est parce que j’ai souffert la « liberté » [des joueurs.euses] dans la peau du MJ.
Il faut pourtant reconnaître que la liberté de choix peut rajouter au scénario des coups de théâtre intéressants si on est disposé à sortir de sortir de sa zone de confort. Quelquefois les « Joueurs.euses de méthode » (mon personnage ne ferait jamais ça/c’est ce que mon personnage ferait) apportent de l’inattendu, ce qui peut créer des moments mémorables ou des échecs cuisants.
Ça arrive fréquemment dans les jeux de John Wick où les joueurs décident ce que veulent dire leurs jets de dés, mais souvent ça amène à des moments épiques qui représentent aussi la fin de la partie.
Réponse de Carlos de la Cruz
Je crois que, comme d’habitude, la vertu est dans le juste milieu. Si les joueurs.euses et leurs personnages faisaient toujours ce que le MJ attend d’eux, nous passerions à côté d’un tas d’anecdotes incroyables et de coups de théâtre qui semblaient impossibles à tous.
Le fait est qu’il y a des fois où, même si on peut faire quelque chose, il ne faudrait peut-être pas le faire pour préserver l’amusement des autres. J’ai des joueurs qui m’ont dit directement : « bon, pour le bien de la partie, je ne le fais pas, même si je devrais peut-être » et ils sont sincères.
Il faut avoir un esprit d’équipe.
Article original : Autoridad y responsabilidad en los juegos de rol
Mention légale importante
Nous vous encourageons à faire un lien vers cette page plutôt que de la copier ailleurs, car toute reproduction de texte qui dépasse la longueur raisonnable d’une citation (c’est-à-dire, en règle générale, un ou deux paragraphes) est strictement interdite. Si vous reproduisez une grande partie ou la totalité du texte de cette page sans l’autorisation écrite de PTGPTB (version française), et que vous diffusez ladite copie publiquement (sites Web, blogs, forums, imprimés, etc.), vous reconnaissez que vous commettez délibérément une violation des lois sur le droit d’auteur, c’est-à-dire un acte illégal passible de poursuites judiciaires.
Ajouter un commentaire