Se manger le mur

Il y a quelques semaines, j’ai pété un câble. C’était la goutte qui a fait déborder le vase, l’étincelle, la cerise sur le gâteau explosif. Enfin bref, pour être claire, j’ai fini par déverser une partie de ma rage sur les membres de mon groupe de jeu. J’ai craqué, je me suis mangé le mur.

Un panneau portant l'inscription explosive

Badaboum !

Quel mur exactement ? Dans mon cas, il s’agissait d’un problème de calendrier. Depuis douze ans à peu près, mon groupe se réunissait pour jouer ; au début, on avait pris l’habitude de se donner rendez-vous chaque vendredi soir. Ensuite, à cause d’impératifs pros et familiaux, on a déplacé notre créneau du vendredi à un samedi sur deux. Et bien sûr, ce rendez-vous d’un samedi sur deux a été manqué plus souvent qu'à son tour, et nous sommes parvenus à un vague compromis où on essayait de déterminer qui était disponible chaque mois, puis de trouver un hypothétique créneau providentiel. J’ai pris sur moi la responsabilité d’organiser cet emploi du temps, malgré l’effort nécessaire pour programmer une séance de jeu de rôle régulière, mensuelle – et ça ne me dérangeait pas.

Comme chacun peut se l’imaginer, c’est compliqué de garder une régularité de jeu pendant le mois de décembre, à cause des vacances de Noël. Quand j’ai sondé les autres plus tôt, en novembre, nous étions d’accord pour jouer le 4 décembre qui était le meilleur créneau pour tout le monde. Évidemment, vu que les rôlistes ont une capacité d’attention digne d’un moustique en plein sevrage, je leur ai envoyé un mail en début de semaine pour leur rappeler leurs engagements. Tout à coup, de sept joueurs.euses, nous nous sommes retrouvés à quatre à jouer (en comptant la MJ).

Pour leur défense, les raisons de leurs absences étaient légitimes. Un nouveau travail, une épouse en déplacement, etc. Mais après deux ans à jongler avec les agendas de tout le monde, pratiquer ce numéro d’équilibriste forcenée en plus de mener deux campagnes, j’en avais marre. L’un des gars du groupe m’avait même dit que ça ne l’aurait pas étonné que je laisse tout tomber, que je rage quit, à cet instant précis. Je n’en étais pas encore là, mais la frustration me piquait à vif. D’autant que je savais qu’il fallait changer les choses.

Le JdR est, par définition, un loisir social avant tout. De facto, il y aura des moments où les problèmes vont créer des frictions et des frustrations. Chaque personne dans chaque groupe possède une limite à ne pas franchir au niveau de l’hygiène sociale de la table. Par exemple :

  • le fait que les rôlistes arrivent systématiquement en retard,
  • le MJ qui fait du favoritisme,
  • des joueurs qui amènent à la partie des problèmes extérieurs,
  • des soucis avec un joueur qui a tendance à monopoliser la lumière des projecteurs, etc.

S’il y a des facteurs de tension extérieurs, ça peut être aussi anodin que de s’apercevoir en ouvrant le frigo que quelqu’un s’est tapé le dernier pot de Mont Blanc en cachette.

Lorsque le groupe connaît une crise violente, surprenante pour beaucoup, l’agacement général ne sort généralement pas de nulle part. Il y a des signes avant-coureurs, à condition de savoir ce qu’il faut observer.

Donc, que faire après la crise de nerfs ?

Il faut prendre du recul et faire le point ; autrement dit, il faut laisser de côté la dispute, prendre du temps pour soi hors du groupe pour repenser au problème sereinement, et respirer. Le problème doit être résolu avec le groupe, mais vous vous devez de le faire à tête reposée. C’est très difficile de résoudre quoi que ce soit quand vous êtes frustré.e et en colère. C’est trop tentant de prendre des raccourcis malheureux et réagir avec excès lorsque vos émotions prennent le pas sur le reste.

Il est crucial de vous interroger sur la situation : apparaît-elle comme une fracture permanente entre vous et la tablée, ou bien peut-elle être résolue ? Tous les groupes de jeu ne seront pas nécessairement compatibles avec vous et c’est tout à fait normal. Si le style ou l’ambiance d’un groupe ne vous plaît pas, c’est normal de poliment le quitter et d’aller chercher un groupe plus proche de votre philosophie. Bien entendu, s’il s’agit d’autre chose, d’une notion qui dérange d’autres membres du groupe, ça peut valoir le coup de vous asseoir tous ensemble et de chercher une solution.

Autre conseil dans ce genre de situation : tenez-vous-en au rôle qui vous revient et assumez-le pleinement. N’ayez pas peur de faire la part des choses car - même si la source du problème n’est pas de votre fait - votre réaction a pu participer à la montée de tension du groupe. Peut-être que l’on vous reprochera de vous être montré.e injuste, ou que le problème aurait pu être soulevé plus tôt. Connaître votre part de responsabilité au sein du groupe vous ouvrira largement les portes de sortie de la crise.

Pour ma part, j’ai dû prendre quelques jours pour reprendre mes esprits, et conclure qu’en dépit de notre incapacité à tenir un calendrier de jeu fiable, ces gens-là sont les rôlistes avec qui je veux jouer. J’ai pris contact avec chacun.e pour m’excuser et leur soumettre une proposition à notre problème d’organisation. En définitive, tout le monde semblait OK avec l’idée. Nous allons revenir au rythme du samedi bimensuel, tout en mettant en place un système pour rappeler automatiquement la date des séances programmées. Ainsi, chaque membre aura la pleine et entière responsabilité de tenir le reste du groupe au courant de son indisponibilité le samedi choisi.

Ça vous est déjà arrivé de vous manger le mur, de vous sentir frustré au sujet d'un problème avec le groupe de jeu ? Je suis curieuse de voir quels sont les soucis que vous avez pu rencontrer et comment vous les avez résolus.

Sélection de commentaires

Nikmak

Je suis passé par là récemment. Je suis aux antipodes d’un autre membre du groupe, et s’il existe plus d’une solution à un problème, tu peux être certaine que nos avis seront systématiquement à l’opposé lors des débats. Il y a peu, pendant une séance de jeu, on avait un souci apparemment insoluble, et les idées proposées étaient : « Est-ce qu’on devrait se barrer discrètement, ou bien essayer de parler au (potentiel) méchant ? » On a perdu un temps fou à en débattre pendant la séance, et ça a continué dans des conversations en ligne pendant la semaine. On tournait en rond, à remettre les mêmes points sur le tapis encore et encore. J’ai fini par en avoir marre, je l’ai pourri d’insultes de façon hyper puérile, et je me suis humblement confondu en excuses au début de la partie suivante.

Et tu sais quoi ? Depuis, le forum de discussion est devenu vachement plus calme, parce qu’on dirait qu’on a eu une sorte de prise de conscience ; un accord tacite s’est dessiné entre nous en jeu (c’est encore très récent, mais touchons du bois). Tuckman wiki, un type dans les années 1960, disait que toutes les équipes traversent des phases (formation, tension, normalisation, exécution, performance) et que les crises périodiques sont tout à fait normales lors d’interactions humaines. Elles conduisent toujours à une meilleure harmonie de groupe et améliorent l’efficacité de la communauté (au moins pour un temps) dans la période qui suit la crise. Je ne sais pas si j’adhère complètement à l’idée, mais j’ai le sentiment que c’est vrai, ça a du sens, du moins en ce qui me concerne… J’espère que ça se vérifie aussi chez toi, avec ton groupe.

Réponse de Angela Murray

Intéressant, c’est exactement le genre de choses qui peuvent arriver lorsqu’on mélange diverses personnalités dans un groupe. Je crois que l’essentiel, dans ta situation perso, c’est que tu sois parvenu à assumer ta réaction au problème plutôt que de rejeter la faute sur les autres. J’ai déjà vu des groupes se déchirer quand les membres n’avaient pas la maturité nécessaire pour assumer leurs responsabilités. Bon courage à toi et ton groupe, pour préserver ces bonnes synergies.

Angela Murray

...Pendant mes années de fac, j’ai quitté une session en cours parce que le MJ avait son chouchou. Le joueur concerné avait remarqué que ça me dérangeait et il se moquait de moi à cause de ça. Le groupe ne s’est plus réuni pour jouer, du moins pas avant le départ de ce joueur. C’est terrible lorsque des profils se confrontent et que ça ruine un groupe. C’est l’une des raisons pour lesquelles je prône la règle du « jouez avec les personnes que vous appréciez ». Si je joue régulièrement avec certaines personnes, c’est parce que j’apprécie de passer du temps avec elles.

Dans notre groupe, nous avons trois MJ différent.es, donc notre problème majeur est de savoir qui mène, en fonction de qui sera disponible pour la séance et quel JdR on prévoit pour cette séance.

RoxySteve

Un mec de la tablée où je jouais était constamment en train de me faire chier avec ses reproches, ses critiques, son métajeu et les téléportations débiles de son perso pour participer à l’action en cours, alors qu’il était à des kilomètres du groupe. J’ai fini par lui gueuler dessus comme s’il était un gosse de 12 piges.

J’aurai dû me barrer bien avant ça. Mais ma colère est passée presque immédiatement, alors j’ai juste quitté les lieux normalement.

Réponse de Angela Murray

C’est compliqué quand une seule personne est la source d’une crise de nerfs, surtout quand tout le monde semble s’en accommoder. J’espère que tu arriveras à rire un jour de cette explosion de colère. Ça fait partie des situations où on se dit « C’est la vie, on apprend et on grandit. »

Réponse de Roxysteve

Oui, je pense. Mais sans vouloir en faire une obsession, cette crise était embarrassante et j’en ai eu honte pendant longtemps. Il l’a bien cherché, c’est sûr, mais j'aurais préféré résoudre le problème avec maturité plutôt qu’en essayant de lui botter le cul.

Je crois que ce qui m’a vraiment fait vriller, c’était le délire autour de la téléportation de son perso. Il disait qu’il allait tenter de former une alliance avec les Anciens du village (son perso maîtrisait plus de langues qu’un dieu vivant et ça se voyait qu’il avait envie d’être Super-Macho-Man ), puis entendant qu’un truc plus intéressant se passait à l’autre bout du village ; hop, le perso se retrouvait là-bas instantanément et essayait de voler la vedette au passage.

Au bout du compte, j’ai fait quelque chose qui demandait une séparation très claire entre le joueur et le personnage, et il n’était pas prêt pour ça.

J’ai dérobé une clef dans la poche d’un macchabée, une clef essentielle pour la campagne, et je l’ai planquée alors que les autres étaient occupés à faire autre chose. Je m’attendais à une bonne scène où les autres joueurs me demanderaient « Tu comptais nous le dire quand que t’avais ça avec toi ? » et j’aurais répondu « Eh bien voilà, je vous le dis maintenant… », une scène cool à jouer quoi, mais le MJ a mal interprété l'idée et ça a foiré parce qu’il a vendu la mèche. Après quoi, Monsieur Téléportation n’a pas arrêté de faire des remarques toutes les deux minutes en disant que « certaines personnes essayaient de baiser tout le groupe », j’ai fini par craquer.

Pour la défense de Monsieur Téléportation, lorsque j’ai expliqué ce que j’ai fait et les motivations de mon perso aux autres (bien plus tard), personne n’a trouvé ça assez intéressant pour qu’on en fasse quelque chose. Bien sûr, j’étais pas d’accord, mais ça n’avait plus aucune importance. Ma place dans le groupe était compromise, y avait plus rien à faire.

Tiorn

Les reproches et autres trucs de ce genre sont vraiment pénibles. Je menais une partie de Pathfinder avec un père et son fils à la table. Le fils me semblait très au fait des règles, ce qui était plutôt bon signe à mon avis (...). Son père nous montrait qu’il avait très envie de jouer, mais il ne connaissait pas très bien les règles de base et il les oubliait systématiquement alors qu’on les lui répétait (s’il n’ignorait pas carrément ce qu’on lui disait).

Le fils jouait une sorcière et son père un barbare. Leur groupe a rencontré une troupe de hobgobelins, plutôt nombreux. Comme tandem père/fils, ils faisaient le taf, du bon taf même… si seulement ils savaient comment jouer correctement en premier lieu. Le perso sorcière du fils lança un sort pour rendre gigantesque le perso barbare du père. Rien de bien méchant, non ? Eh bien, si. Pour une raison que j’ignore, le père (et le fils) pensaient que le barbare gigantesque pourrait utiliser sa très grosse épée pour trancher plusieurs hobgobelins en un seul coup. Pas avec une attaque supplémentaire grâce à un Trait de combat, que le barbare n’avait pas de toute façon… mais bien d’un seul coup. Lorsque j’ai dit au père qu’il ne pouvait pas faire ça, et pourquoi il ne le pouvait pas, le fils a haussé le ton pour me cracher au visage que ma règle, c’était de la m... ! J’ai gardé mon sang-froid et terminé la session normalement. Après ces péripéties, je me suis renseigné sur l’origine de ce qu’on appelle le « balayage » comme action de combat dans l’historique des versions de D&D et j'ai posté mes trouvailles sur le groupe Facebook de notre campagne. Je pensais résoudre ainsi le problème, mais en vérité, ce n’était que le premier nœud de la pelote.

L’étincelle qui a mis le feu aux poudres, c’était la planification des séances. On avait convenu de jouer toutes les deux semaines, mais le père et son fils voulaient jouer davantage. On était deux à leur dire qu’on ne souhaitait pas jouer plus que ce qui était prévu. Mais ça n’a pas ralenti le père qui multipliait les invitations et essayait de lancer une campagne qu’il mènerait un autre soir. À ce moment-là, j’avais envie de tout plaquer : tout ce qu’on lui avait dit concernant nos préférences de rythme de jeu était rentré par une oreille et ressorti par l’autre en une semaine à peine... Je m’en suis malgré tout tenu à organiser la séance suivante, où père et fils me soutenaient qu’ils seraient présents. J’ai malheureusement eu des soucis d'équipement domestique, qui m’ont contraint à chercher un autre endroit pour accueillir la session, ce à quoi le duo père/fils a répondu en proposant de nous accueillir chez eux.

Alors que nous en discutions, un autre joueur m’a dit que le père/fils n’avait pas du tout l’intention de jouer à la date prévue… car ils projetaient plutôt d’aller au cinéma. Pour vérifier cette info, j’ai annoncé au groupe que finalement on jouerait chez moi, comme d’ordinaire. Quelques heures plus tard, le père nous a dit qu’ils ne pourraient pas être des nôtres, car ils avaient de la famille de passage à l’improviste en ville… *Tousse* gros mytho *Tousse*. Je les ai immédiatement expulsés du groupe. Et après en avoir discuté avec le reste des participants, on s’est rendu compte qu’il valait mieux dissoudre le groupe de jeu. Il ne restait plus que trois membres, dont moi, et trouver de nouvelles têtes pour nous rejoindre ne me paraissait pas possible.

Je pourrais parler encore longtemps des conneries du tandem père/fils, mais j'en ai déjà écrit assez, mdr ! M’enfin, oui, j’ai vraiment pesté contre leur comportement et leurs mensonges. Le père m’a fait clairement comprendre qu’il voulait prendre le contrôle du groupe, alors que c’était évident pour les autres participants et moi-même qu’il ignorait tout du côté « joueur » d’un jeu de rôle.

themensch

Je me suis cogné ce mur encore et encore avec un de mes groupes, au point où j'ai cessé d'essayer. Pour mon second groupe, avant que des habitudes s'installent, nous décidâmes que les parties se tiendraient un jeudi soir sur deux, quoi qu'il advienne. Pointez-vous si vous pouvez ; la partie aura lieu, sauf s'il n'y a que deux personnes. Ça a rendu plus difficile quelque part de mener une campagne suivie (on dirait qu'il y avait une épidémie de diarrhée hyperspatiale), mais avoir déterminé un horaire fixe et une vague intrigue nous a permis de continuer malgré les difficultés. Tous les trimestres environs, je lançais un sondage pour voir si cet horaire convenait à tous.

MarkKernow

Je compatis, ayant vécu les mêmes expériences. Je crois que tu as écrit un excellent article sur quoi faire quand la moutarde monte au nez.

En ce qui concerne l'organisation, mon groupe utilise maintenant quelques méthodes pour ne pas dérailler :

  • nous jouons tous les mois, la première et la troisième semaine
  • nous avons un jour de la semaine préféré, et une alternative, et on s'y tient.
  • les dates des deux prochaines séances sont affichées sur un réseau social populaire pour qu'on puisse les retrouver facilement
  • nous passons 10 minutes à la fin de chaque partie pour re-vérifier nos disponibilités
  • nous jouons du moment que nous sommes au moins 3 joueurs
  • nous menons des aventures courtes, donc celles et ceux qui ont manqué une séance peuvent facilement rattraper.

Cela peut sembler exagéré, mais ça a fait une énorme différence, comparé à mon expérience d'avant.

captaincutlass

Nous avons eu exactement le même problème. Sans faire vraiment de scène, ça devenait agaçant. Nous sommes un groupe de 7, qui jouons au JdR depuis environ 22 ans. Nous nous sommes décidés pour le premier samedi du mois et continuons la campagne même si quelqu'un ne peut venir. Nous jouons une quête secondaire quand plus de 2 personnes ne peuvent venir, ou un jeu de plateau si on est que 4 participants. Cela marche du tonnerre maintenant au point même où nous jouons pendant les vacances et fêtes. Quand deux joueurs.euses ou moins sont indisponibles, nous fixons d'habitude une autre soirée, et cela nous permet d'avoir deux soirées de jeu par mois.

Article original : Hitting the Wall

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Pour aller plus loin avec PTGPTB…

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